Le concept américain de l'objection, et les raisons de son inexistence en droit français - par Arnaud Thomas

"Objection", un mot qui résonne chaque jour au sein de chaque tribunal américain, mais que le juge français n’a jamais entendu. Plus qu’un mécanisme, l’objection est un monument du système judiciaire américain. Et pourtant ce concept est totalement inconnu du droit français. Pourquoi ce mécanisme central du système judiciaire américain ne se retrouve-t-il pas en droit français? C’est à cette question que tentera de répondre ce devoir, en s’attardant surtout sur la procédure pénale, plus fertile que la procédure civile en matière de droit de la preuve.

 

I  Le recours massif au jury populaire, et la méfiance à son égard, comme conditions de l’existence du mécanisme de l’objection.

A)Dans le cadre propice d’un système judiciaire bicéphale, la méfiance à l’égard du jury a poussé le droit américain à développer le mécanisme de l’objection.

1) L’omniprésence des jurys populaires dans le système judiciaire américain.

Le recours aux objections est intimement lié à l’omniprésence des jurys dans le système judiciaire américain. En matière pénale, le droit à un jury découle de l’article Troisième de la Constitution Fédérale, ainsi que de son Sixième Amendement. La Cour Suprême Fédérale a fixé à trois mois d’emprisonnement le seuil à partir duquel un prévenu a le droit à un jury[1]. En matière civile le Septième Amendement prévoit le même droit. Mais ce Septième Amendement, contrairement au Sixième, est uniquement opposable aux cours fédérales, car son champ d’application n’a pas été élargi par le Quatorzième amendement. Il appartient donc aux États de légiférer en ce qui concerne la présence de jury dans leurs tribunaux étatiques. Enfin, en matière civile, un jury ne pourra se prononcer que sur une demande de dommages et intérêts, toute autre demande, de type injonction, héritée de l’Equity ne pourra être accordée que par un juge. Le système judiciaire américain repose donc grandement sur les jurys populaires, ce qui, comme nous allons le voir, explique en partie le recours aux objections.

2) La méfiance à l’égard du jury populaire, la principale raison d’être du mécanisme de l’objection.

Le recours massif au procès par jury trouve son origine en droit anglais. Historiquement, le procès par jury a été développé pour protéger le citoyen contre l’arbitraire du juge[2]. En ce sens, Thomas Jefferson écrivait que «  le sens commun de douze honnêtes hommes augmente les chances que soit rendu un juste verdict ». 

Mais paradoxalement, alors que le système américain fait l’apologie du jury populaire, il n’a pas confiance en la capacité de ce dernier à apprécier avec justesse les faits qui lui sont présentés. Le droit américain a peur de ses jurés[3]. Peur que ceux-ci laissent leurs émotions prendre le pas sur leur objectivité ; ou qu’ils laissent de « mauvaises preuves » fausser leur décision[4]. C’est donc là l’utilité des objections. Censurer ce que le jury ne doit pas entendre au cours de l’audience. Par exemple, dans le cadre d’un procès pénal, si le représentant de l’Etat tente de démontrer que le prévenu avait une propension à commettre l’infraction car il avait déjà commis d’autres infractions, c’est un motif d’objection[5]. Le but de cette objection est d’empêcher le jury d’entendre que le prévenu a été condamné par le passé. En effet, ce passé, qui n’a en soi aucun lien avec l’infraction en cours de jugement, peut entacher l’objectivité du jury. Et les motifs d’objections sont légions, car il y a un très grand nombre de restrictions concernant ce que le jury peut entendre. Nées de la common law, une grande partie de ces règles d’exclusions sont aujourd’hui regroupées au sein des Federal Rules of Evidence, notamment la prohibition du hearsay (témoignage indirect)[6], de l’examen de la personnalité du prévenu[7], et le contrôle de la pertinence de preuve[8]. Mais certaines objections n’ont pas été intégrées aux FRE. C’est le cas des objections relatives non pas au fond du témoignage, mais à sa forme. Par exemple, un avocat, lorsqu’il interroge un de ses témoins, ne peut affirmer un fait et en demander confirmation au témoin. Il ne peut poser une « leading question », une question qui suggère la réponse. Cette prohibition est justifiée par l’idée que l’avocat n’est pas un témoin, il n’a pas de connaissance directe des faits. Il peut poser des questions au témoin, mais pas lui dire quoi répondre. La spontanéité, relative dans les faits, du témoin étant un gage de son honnêteté.  

La volonté de limiter les informations présentées au jury est donc la raison principale de l’existence du mécanisme de l’objection. Cependant, ce mécanisme n’aurait pas de raison d’être si le Juge professionnel n’exerçait pas un contrôle des preuves qui sont soumises au jury, seul juge des faits.

3) Le système judiciaire bicéphale américain, un cadre propice au développement des objections.

Dans le cadre d’un procès par jury, les rôles du Juge et du jury sont nettement démarqués. Au juge l’appréciation du droit, et au jury l’appréciation des faits. Si cette répartition des tâches a été remise en doute dans l’histoire  judiciaire américaine, elle ne fait plus débat aujourd’hui. Cependant, comme nous l’avons vu précédemment, au cours de l’audience, si une objection est soulevée, l’admissibilité d’une preuve ou d’un témoignage doit être tranchée. Un grand nombre de règles ayant pour but de soustraire certaines preuves de l’appréciation du jury, il est logique que ce dernier ne contrôle pas l’admissibilité des preuves qui lui sont présentées. Il s’agit donc là d’une autre prérogative du Juge. Celui-ci va donc pouvoir se prononcer sur l’admissibilité des preuves avant que le jury n’en prenne connaissance. Sans cette séparation stricte entre le Juge et le jury, le mécanisme d’objection n’aurait pas de sens, et n’existerait  tout simplement pas.

Il apparaît donc que l’existence du mécanisme de l’objection en droit américain est la conséquence de trois facteurs : l’omniprésence du jury populaire, la division de l’office du juge entre le Juge professionnel et le jury, et enfin de la volonté de limiter les informations présentées au jury, seul juge du fait. Or, l’inexistence de ce mécanisme en droit français s’explique par l’absence de ces trois mêmes facteurs dans notre système judiciaire.

B)Dans le cadre d’un système judiciaire centré autour du juge professionnel, le libéralisme français à l’égard de la preuve explique l’inexistence du mécanisme de l’objection.

1) Le très faible rôle du jury populaire dans le système judiciaire français.

Le droit français n’a historiquement accordé qu’une place limitée au procès par jury. Tout d’abord, un tel procès est totalement proscrit en matière civile. En matière pénale, seuls les crimes jugés devant la Cour d’Assisse sont jugés par un jury[9].  Cependant, les jurys populaires français se distinguent de leurs homologues américains.  Ce type de procès est apparu en France après la Révolution, sur le modèle des jurys anglo-saxons. Le jury en lui-même était donc séparé du juge, et chacun avait son domaine, le droit ou les faits. Cependant, cette distinction ne survécut pas longtemps, et les juges professionnels furent rapidement intégrés aux jurys populaires.  Il apparaît donc que au sein du système judicaire français, les jurys populaires n’ont qu’une place très limitée, font même figure d’exceptions, et se distinguent des jurys américains, en ce sens qu’ils incluent des juges professionnels.

2) Le système judiciaire français, un environnement hostile au mécanisme de l’objection.

Comme nous l’avons vu précédemment, le recours au mécanisme de l’objection en droit américain est rendu possible par la répartition stricte des rôles entre Juge et jury. Seul ce dernier apprécie les faits, et il appartient au premier de contrôler, au cours de l’audience, l’admissibilité des preuves proposées par les parties. En objectant, la partie adverse permet que l’admissibilité de la preuve ou du témoignage soit contrôlée par le juge, avant qu’elle ne soit proposée au jury, et surtout en l’absence de celui-ci. En effet, lorsqu’une objection est soulevée et qu’elle entraine une discussion entre le juge et les parties, ceux-ci se rapproche du juge et les discussions s’effectuent à voix basse. Si le juge anticipe un débat plus long, le jury sera invité à se retirer en dehors de la salle d’audience. Il apparaît donc que si la preuve proposée est exclue, le jury n’en aura pas eu connaissance. En droit français, généralement, il n’y a pas de jury. Et  devant la Cour d’Assises, le juge est intégré au jury. Il n’y a donc jamais au cours de l’audience de séparation stricte entre le juge qui contrôle l’admissibilité des preuves, et celui qui juge au fond. Le juge contrôle l’admissibilité des preuves qu’il prendra lui même en compte lorsqu’il appréciera les faits. Dès lors, le mécanisme de l’objection tel qu’il existe en droit américain se révèle être inutile en droit français.

3) Le libéralisme français quant à l’admissibilité des éléments de preuve, la principale raison de l’inexistence du mécanisme de l’objection en France.

Comme nous l’avons vu précédemment, en droit américain l’objection est née de la méfiance à l’égard des capacités du juré populaire. C’est cette méfiance qui a généré un ensemble considérable de règles d’exclusions de preuves. Le système judicaire français quant à lui, n’accorde qu’une place limitée aux jurys, et c’est généralement un juge professionnel qui apprécie tant le droit que les faits. Si historiquement il a existé une méfiance à l’égard des juges en France, tel que le prouve le concept de preuve légale qui les prive de leur pouvoir d’appréciation, le droit français a néanmoins confiance dans la capacité de ses juges à apprécier les faits.  Confiance en leurs lumières et leur prudence, invoquées par l’’article 1353 du Code Civil.  De  facto, le besoin ne s’est jamais fait sentir en droit français de prendre en compte l’effet que certaines preuves pourraient avoir sur l’objectivité du juge du fond. 

Cela ne signifie bien évidemment pas que le droit français n’exerce aucun contrôle quant à l’admissibilité des éléments de preuves. Mais ce contrôle ne concerne que l’origine de ces éléments de preuve, leur illicéité, leur déloyauté. De surcroit, ce contrôle, plus restreint, se distingue également du droit américain par sa gestion procédurale.

C‘est pourquoi dans une seconde partie, nous montrerons comment les différences dans la gestion procédurale de l’admissibilité des preuves, explique l’absence du mécanisme de l’objection en droit français.

 

II L’impact des différences dans la gestion procédurale de l’admissibilité des preuves sur l’existence, ou l’inexistence, du mécanisme de l’objection.

A) L’objection, le symbole de la concentration de la procédure de contrôle de l’admissibilité des preuves en droit américain.

1) Le faible contrôle d’admissibilité des preuves avant le procès[10].

En droit américain, le contrôle général de l’admissibilité des preuves est concentré au moment du procès. Le procès américain repose sur les témoignages, or le contrôle de ceux-ci ne peut s’effectuer que en temps réel. En ce qui concerne les preuves tangibles, même si cela est assez rare, il est possible de soumettre une requête pour les exclure avant le début du procès. Tout d’abord, le juge doit être saisi par une partie, car il ne peut exclure une preuve d’office. Dans le cadre d’un procès pénal, le prévenu peut par exemple vouloir exclure une preuve matérielle qui aurait été saisie en violation de ses droits constitutionnels. Il doit alors saisir le juge, et demander une audience in camera, et le représentant du ministère public devra prouver que les forces de police avaient une raison légitime de fouiller le prévenu ou ses biens[11]

Mais ce qui caractérise le plus ce contrôle de l’admissibilité des preuves avant le procès, c’est l’absence de recours intermédiaire contre toute décision prise avant le procès.  Il n’existe en effet que deux voies de recours d’exceptions.

Tout d’abord, en droit américain, il est établi qu’il n’existe pas, en l’absence d’une autorisation légale spécifique, de droit d’interjeter appel contre une décision du juge avant que l’action ne soit jugée au fond. Or, ces autorisations légales exigent généralement que la décision dont il est fait appel crée pour la partie appelante un préjudice irréparable. Par exemple, en vertu de l’article 450.50 du Code de Procédure Criminelle de l’Etat de New York, le ministère publique doit répondre à deux conditions pour pouvoir interjeter appel d’une décision d’exclure une preuve. Premièrement, il faut démontrer que la suppression de la preuve a détruit toute possibilité d’obtenir une condamnation du prévenu.  Secondement, il faut également tirer toutes les conséquences de la première condition, et accepter qu’en cas de rejet de l’appel les poursuites contre le prévenu seront abandonnées.  Ce recours est donc bien un recours d’exception. Mais le ministère public peut avoir intérêt à tenter ce « coup de poker ». En effet,  en droit américain, le ministère public ne peut faire appel d’un verdict déclarant le prévenu non coupable, peu importe les erreurs de droits qui auraient été commises par le juge, notamment en ce qui concerne l’admissibilité des preuves[12].  

Il existe un autre recours encore plus exceptionnel, basé sur l’article 78 du Code des Règles et Lois de Procédure Civile  de l’Etat de New York, qui permet d’intenter une action contre le juge lui même afin de le forcer, par voie d’objection, à admettre ou exclure une preuve au sein de l’action initiale.

Il apparaît donc que le contrôle d’admissibilité des preuves avant le procès est assez limité, et que les seuls recours disponibles contre une décision avant-procès en matière de preuve revêtent un caractère extraordinaire. Si le contrôle préalable de l’admissibilité des preuves n’est pas effectué avant le procès, il doit donc avoir lieu pendant le procès lui-même. C’est donc là qu’interviennent les objections.

2) L’objection, ou le plein contrôle de l’admissibilité des preuves concentré pendant le procès.

En matière pénale, un procès commence par un « Sandoval/Ventimiglia hearing ».  Cette audience en chambre du conseil a pour but d’établir si les précédentes condamnations du prévenu pourront être utilisées contre lui au cours du procès.  Cette audience a donc lieu en l’absence du jury, mais en présence du sténographe. Il est donc possible d’émettre une objection contre la décision du juge.

L’audience a proprement parlé commence ensuite. Le ministère public, puis le prévenu, présentent leurs argumentations et introduisent leurs éléments de preuves par le biais de leurs témoins. La partie adverse peut objecter à toute question, à toute réponse, à l’introduction de toute preuve. Une objection peut permettre d’arriver à trois résultats.

Les deux premiers peuvent être qualifiés d’immédiats, en ce sens qu’ils ont un impact immédiat sur l’instance en cours. Premièrement une objection permet d’empêcher un témoin de répondre à une question. Si l’objection est fondée, le juge la retiendra, et la question restera sans réponse. Si le témoin répond avant que le juge ne se prononce, ce qui arrive très souvent, et que l’objection est retenue, alors le juge demandera à ce que la réponse soit retirée du compte rendu de l’audience. Le juge peut aussi demander aux membres du jury de ne pas tenir compte de ce qu’ils viennent d’entendre. Cependant, cette dernière instruction ne peut avoir qu’un effet limité. Ce qui nous amène au second résultat. Imaginons que malgré une objection, un témoin réponde, et que le jury entende un témoignage dont le contenu est substantiellement contraire à l’une des règles d’”évidence”; au point que le droit de l’une des partie à un procès en bonne et due forme soit violé. Alors la partie lésée peut introduire une motion pour ‘‘mistrial’’, littéralement mauvais procès. En matière civile, la seule conséquence sera la tenue d’un nouveau procès avec un nouveau jury. En matière pénale en revanche les conséquences peuvent être bien plus importantes. Si le juge déclare un « mistrial » par erreur, ou suite à une erreur commise par l’accusation, il est alors impossible de rejuger le prévenu. Et ce en vertu du principe constitutionnel que nul ne peut être jugé deux fois pour les mêmes faits. Cependant ce résultat est assez rare.

Le troisième et dernier résultat possible d’une objection ne peut être qualifié d’immédiat comme les deux premiers. Et contrairement aux deux premiers, il n’est pas nécessaire que le juge ait retenu l’objection. En effet, même si le juge ne retient pas l’objection, le seul fait d’objecter permet d’obtenir une exception. Une exception est un droit de soulever une erreur du juge en appel. En effet, dans le système judiciaire américain, un appel ne permet pas un réexamen des faits. Uniquement un contrôle du droit. Ce contrôle du droit comprend un examen du compte rendu du procès, afin de vérifier que le juge n’a commis aucune erreur du droit qui aurait vicié la décision du jury. Or, seuls les points qui ont été objectés peuvent être soulevés en appel. Ne pas objecter à une irrégularité revient à abandonner le droit de soulever cette irrégularité en appel. Une objection permet ainsi de conserver une chance d’obtenir gain de cause en appel.

Il apparaît donc que l’objection permet aisément d’écarter une preuve, et de préserver un recours contre une décision d’admettre ou d’exclure une preuve. Deux résultats  qui sont très difficiles, si ce n’est impossibles, à atteindre avant le procès.

3) Les voies de recours postérieurs à la décision au fond: des recours restreints, par nature, ou par les objections soulevées au cours de l’audience.  

Après la décision au fond, seuls deux recours sont généralement ouverts au prévenu. Le ministère public lui ne bénéficie pas de voie de recours après un acquittement. Le prévenu peut tout d’abord interjeter appel. Dans le cadre ce cet appel, il peut soulever les erreurs de droit commises par le juge. L’exclusion d’une preuve admissible, ou l’inverse, constitue une telle erreur de droit. Cependant une telle erreur ne pourra être invoquée que si une objection avait été soulevée au moment ou l’erreur fut commise[13].  L’appel, voie principale de recours, est donc totalement dépendant du mécanisme de l’objection.

L’autre voie de recours, la requête en coram nobis, s’applique aux décisions prises par le juge mais non susceptibles d’objections. C’est le cas notamment des décisions prises avant le procès. L’article 440.10 du Code de Procédure Pénale de New York prévoie qu’une telle requête est disponible uniquement après que le jugement au fond ait été rendu. Cette requête consiste à revenir devant le juge qui a pris la décision initiale, afin qu’il la modifie. L’autre intérêt de cette requête tient au fait que dans le cadre de son déroulement, il est possible d’objecter à la seconde décision du juge. Il sera ainsi possible de faire appel de cette seconde décision, devant un nouveau juge, peut être plus disposé à revenir sur la première décision.

Il apparaît donc que en droit américain le contrôle de l’admissibilité  des preuves est concentré au cours du procès, et s’effectue donc de manière orale, par le biais des objections. Nous allons voir que en droit Français l’étalement dans le temps de ce contrôle rend inutile le recours aux objections durant le procès.

B) L’absence d’objection en droit français, la conséquence de l’étalement dans le temps du contrôle de l’admissibilité des preuves.

1) Un contrôle étendu de l’admissibilité des preuves, dès le stade de l’instruction.

Contrairement au système accusatoire américain, le droit pénal français repose sur un système inquisitoire. Lors de l‘instruction il n’y a pas deux parties qui se font face et un juge entre les deux. Le juge en charge de l’affaire, le juge d’instruction, a pour mission d’instruire cette affaire. L’article 81 du Code de Procédure Pénale prévoie qu’il peut procéder ou faire procéder à tous actes d’information utiles à la manifestation de la vérité. Si cette formulation ne prévoie aucune restriction, les jurisprudences française et européenne ont chacune fait émerger un principe de loyauté de la preuve.Ce principe ne peut se comprendre que par une définition négative: une preuve est loyale si elle n'est pas déloyale. Le juge d’instruction devra donc respecter ce principe dans le cadre de l’instruction. S’il viole ce principe, et que ce faisant il porte atteinte aux intérets  d’une partie, celle-ci pourra directement saisir la Chambre de l’Instruction afin de voir annuler l’acte de procédure incriminé, en vertu des articles 170 et 171 du Code de Procédure Pénale.

Le droit francais permet donc un contrôle étendu de l’admissibilité des preuves dès le stade de l’instruction. Si le contrôle préalable de l’admissibilité des preuves est effectué de manière large avant le procès, il  n’est pas nécessaire qu’il ait lieu une seconde fois durant le procès lui-même.

2) L’inutilité procédurale de l’objection lors de l’audience.

Nous avons vu précédemment qu’une objection peut permettre d’atteindre trois résultats: empêcher un témoin de répondre à une question ou effacer sa réponse du compte rendu de l’audience; obtenir un « mistrial »; ou enfin se réserver le droit de soulever une irrégularité en appel. Aucun de ces trois effets n’ont d’intérêt dans la procédure française, qu'elle soit civile ou pénale. Premièrement, les éléments de preuves déloyaux ayant été écartés au cours de l’instruction, le juge, et éventuellement le jury, ont le droit de tout entendre. Nul ne peut empêcher le témoin de répondre à une question. Le premier effet de l’objection est donc inutile en droit français. Deuxièmement, il est peu probable en France qu’un incident, au cours d’une audience, soit considéré comme un vice de procédure. Et ce d’autant plus que aucune mention légale ou supra-légale n’interdit aux juges et jurys français l’accès à certains témoignages. Ce deuxième effet est donc inutile en droit français. Le mécanisme d’objection, tel qu’il est connu en droit américain, n’aurait donc aucun impact sur une audience au sein du système judiciaire français.

3) L’exception, un concept essentiel au mécanisme de l’objection, mais inconnu en droit français.

Nous venons de traiter de l’inutilité procédurale en droit français des deux premiers résultats possibles d’une objection. Il convient donc d’étudier le dernier résultat possible d’une objection, l’obtention d’une exception. En droit américain, cette exception, obtenue après avoir vu une objection être écartée par le juge, permet de conserver un droit de soulever l’erreur du juge en appel. Ce principe d’exception, tel qu’il est connu en droit américain, n’existe pas en droit français. Ne rien dire ou ne rien faire pendant l’audience, ne vaut pas renonciation au droit de soulever une irrégularité en cassation, ou en appel lorsque la décision contestée n’est pas le jugement au fond. Il n’est pas nécessaire d’objecter pour pouvoir par la suite interjeter appel ou se pouvoir en cassation.

Il apparaît donc que aucun des effets possibles d’une objection ne présente un quelconque intérêt procédural en droit français.

D’où son inexistence au sein de notre système judiciaire.

 

[1]US Supreme Court, 5 avril 1937, District of Columbia v. Clawans.

[2]  Leonard W. Levy,  Paladium of justice, Ivan R. Dee Publ., 1999.

[3]  Preuve a contrario de cette peur dans le cadre d’un procès sans jury: People v. Brown, Cour d’appel de New York, second district, 1969, « Seul le juge, de par sa formation et son expérience, est capable de rendre une décision en toute objectivité quand bien même il aurait eut connaissance d’éléments de preuve qui ont été déclarés inadmissibles ».

[4] Mirjan R. Damaska, Evidence Law Adrift, Yale University Press, 1997.

[5] Federal rules of Evidence 404.

[6] Federal rules Of Evidence 801 à 807.

[7] Federal rules of Evidence 404.

[8] Federal rules Of Evidence 401 à 403.

[9] Un futur projet de loi relatif à un élargissement du rôle du jury populaire en France  a été annoncé par le gouvernement en place.

[10] Le terme procès, traduction du terme américain Trial, sera utilisé pour renvoyer à l’audience d’examen au fond.

[11] « Mapp hearing »,  procédure établie par l’arrêt Mapp v. Ohio de la Cour Suprême fédérale , en 1967.

[12] Cour Suprême des Etats-Unis, Sanabria v. United States, 1978.

[13] Règle 103 des Federal Rules of Evidence.

 

 

Bibliographie:

  • Evidence, Fourth Edition, Christophe B. Mueller, Laird C. Kirkpatrick.
  • Paladium of justice, Leonard W. Levy
  • Evidence Law Adrift, Mirjan R. Damaska
  • Handling a criminal case in New York, Gary Muldoon.
  • Manuel de procédure pénale, Michel Franchimont, Ann Jacobs, Adrien Mosset.
  • JurisClasseur Lexisnexis « témoins indirects».
  • Revue de science criminelle 1992: «  la preuve en matière pénale dans la jurisprudence de la Cour et de la Commission européenne des droits de l’homme », Michel Van de Kerchove.
  • Gazette du Palais 22 juillet 2010: « D’une vérité l’autre», Xavier Lagarde.