Le rejet du transfert de propriété « Solo consensu » en droit espagnol - Une spécificité ibérique ou un retour à la solution napoléonienne ? par Sophie Michel
Contrairement au droit français qui admet clairement le principe du transfert de propriété « solo consensu », le droit espagnol fait sans aucun doute preuve d’originalité en le rejetant avec ferveur. Et alors que le Code Napoléonien a largement influencé le droit espagnol, cette particularité légale telle qu’établie par l’article 1473 du Code Civil Espagnol (CCE) a des conséquences certaines en matière de vente. La double vente ne saurait s’analyser comme une vente de la chose d'autrui contrairement à ce que prévoit le droit français. Si initialement les systèmes paraissent tant différer sur le fond, les solutions apportées par le droit espagnol sont paradoxalement et finalement pour le moins assez proches de celles trouvées en droit français. La raison en est que le principe de bonne foi, notion non écrite développée par le droit privé international et européen visant à protéger l’intérêt commun des contractants joue une véritable fonction corrective des solutions en droit. La nécessité d’un tel texte pourrait alors être remise en cause.
La propriété est le point culminant des échanges économiques. Aussi bien d’un point de vue économique du droit que d’un point de vue sociologique fonctionnel (José María Miquel), on mesure l’importance des règles qui prévoient des recours en justice et l’existence même d’un code binaire qui consiste à distinguer entre « avoir » ou « ne pas avoir » comme référence commune obligée de tous les échanges patrimoniaux. Dans un contexte de développement des relations commerciales entre pays, le contrat de vente trouve largement sa place. L’efficacité requise de l’achat vente dans l’ordonnancement juridique espagnol avec la conséquente distinction entre le moment de perfection du contrat et de son exécution réelle (Pedro Gonzalez Poveda) prévoit la possibilité que, dans l’intervalle de temps entre ces dernières, le vendeur puisse conclure des contrats de vente avec différentes personnes.
C’est au législateur (article 1473 CCE) à qui il a incombé de réguler cette situation de double vente. Rentrent alors en jeu plusieurs acteurs : une seule partie qui vend et une pluralité de parties qui achètent dans des ventes séparées qui sont valides mais pour autant non consommées. Plus spécifiquement, la vente d’une chose peut soulever des problèmes pratiques importants. L’intérêt est celui de déterminer qui est le véritable propriétaire de l’objet de la vente. Les différences entre les systèmes espagnols et français sur la remise de la chose au moment de la vente influent sensiblement sur la réponse à la question de la détermination de l’identification du propriétaire. Le principe de bonne foi joue quant à lui un rôle prépondérant.
Ainsi des interrogations sont légitimement soulevées. En quoi le droit espagnol est-il spécifique et fait preuve d’originalité par rapport au droit français en matière de contrat de vente ? Quelles en sont les conséquences notamment en matière de double vente ? Quelle est l’interprétation jurisprudentielle d’un tel texte ? Peut-on affirmer que malgré un texte totalement différent sur le fond, les solutions espagnoles sont si divergentes des françaises ? Ne retournerait-on pas paradoxalement à une solution napoléonienne ?
Contrairement au droit français qui admet clairement le principe du transfert de propriété « solo consensu », le droit espagnol le rejette avec ferveur. L’article 1473 CCE est une spécificité textuelle originalement interprétée ( I ) qui mérite un examen plus attentif. En effet, si initialement les systèmes paraissent tant différer sur le fond, les solutions apportées par le droit espagnol sont paradoxalement et finalement pour le moins assez proches de celles trouvées en droit français. Un possible retour à la solution napoléonienne (II) nécessiterait d’être soulevé.
I – L’article 1473 CCE, une spécificité textuelle ibérique originalement interprétée
Alors que le Code napoléonien a largement influencé le droit espagnol, l’article 1473 CCE se caractérise par sa spécificité en rejetant fermement le principe du transfert de propriété « solo consensus » (A). Par là, il se distingue très clairement du droit français dont il est pourtant inspiré. Dans les deux droits, la question de la validité de la double vente se pose donc en des termes différents. Les conséquences sur le contrat et sur les cocontractants sont importantes sur un plan pratique. Le panorama jurisprudentiel en évolution sur l’application d’un tel texte mérite d’être soulevé (B).
(A) Spécificité de l’article 1473 CCE ou le rejet ferme du principe de transfert de propriété « solo consensu ».
A l’établissement d’une comparaison avec les droits étrangers notamment avec le droit français, il n’est pas faux d’établir que l’article 1473 du Code Civil Espagnol est original et spécifique. La double vente espagnole ne s'analyse pas nécessairement comme une vente de chose d'autrui, ce que le droit français admet avec rigueur et vigueur.
L’article 1473 CCE tend à réguler la double vente et prévoit les règles pour déterminer qui des acheteurs va acquérir la propriété de l’objet même de la vente. La première règle consiste à prévoir que si la chose vendue est un meuble, le propriétaire est celui qui aura « pris possession de la chose de bonne foi ». Si c'est un immeuble, « la propriété appartiendra à l'acquéreur qui le premier aura inscrit son acte sur le registre. Lorsque l'inscription n'aura pas été faite, la propriété appartiendra à celui qui le premier aura été de bonne foi mis en possession et à défaut de cela, à celui qui présentera le titre plus ancien, toujours s'il a acquis de bonne foi ».
Le droit espagnol n’admet donc clairement pas le transfert de propriété « solo consensu » alors que le fait pourtant très bien le droit français. En effet, en droit français, la vente s’entend comme une « opération juridique unitaire consensuelle ». Le transfert du droit de propriété se réalise instantanément sur le bien vendu dès la conclusion du contrat, du patrimoine du vendeur vers le patrimoine de l’acquéreur. Selon la définition établie par l’association Henri Capitant et Gérard Cornu, « c’est un contrat par lequel l’une des parties, le vendeur transmet la propriété d’une chose et s’engage à livrer celle-ci à une autre un acheteur qui s’oblige à lui en payer le prix ». Le formalisme est réduit et le transfert de propriété s’effectue solo consensu. Le caractère instantané du transfert de propriété est lié à l’accord des volontés alors que ce n’est pas le cas en droit espagnol. L’article 1583 du Code Civil français précise en particulier que la « vente est parfaite entre les parties et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée, ni le prix payé. » Le transfert de propriété s’établit donc en vertu de la loi. L’accord des parties est primordial, il déclanche ce même effet légal.
L’article 1473 CCE donne des pistes pour résoudre le problème qui se pose lorsque la chose a été vendue à différents acheteurs par le même vendeur avant même que la propriété de la chose ait été acquise par un acheteur en particulier. Il s’agit en particulier de déterminer quel est l’acquéreur. Contrairement au droit français qui n’intègre pas la distinction entre acquisition et vente de chose d’autrui et qui ne traite que restrictivement le problème de la vente de chose d’autrui en l’interdisant (Article 1599 CCF), le droit espagnol différencie clairement les deux problèmes. Il doit en outre être entendu sur la base de la bonne foi. (cf II B). Le Code Civil espagnol prévoit donc des règles précises afin de déterminer qui des deux acheteurs acquerra la propriété. Si la chose objet du contrat est un meuble, la propriété se transmet au premier qui en a pris possession de bonne foi. S’il s’agit d’un immeuble, la propriété se transmet à l’acquéreur qui l’a enregistré en premier. Enfin, pour les immeubles non enregistrés, la propriété est de celui qui a été le premier en sa possession. La prise de possession se réfère à la remise de la chose par le vendeur et à sa réception par l’acheteur, la « tradition réelle ». En outre, s’il n’y a pas d’inscription ni de possession, celui qui a le titre le plus ancien et de bonne foi sera réputé l’acquéreur.
Ainsi, si l’article 1473 CCE se caractérise par sa spécificité par rapport au droit français, cela n’est pas sans conséquence sur l’interprétation des juges sur la question qui pourtant a pu évoluer face aux intérêts en présence. Elle se caractérise par son originalité.
(B) Originalité d’un panorama jurisprudentiel sur l’application d’un tel texte
Appliquer l’article 1473 CCE ne peut être sans conséquence. L’intérêt essentiel est celui de déterminer qui sera le propriétaire de la chose objet du contrat notamment en cas d’une multiplicité d’acheteurs Le système espagnol tel qu’établi a des effets aussi bien sur le contrat en lui même, sur sa validité, que sur les contractants vis à vis de l’inscription ou non au registre de la propriété. Dans cette perspective, la tache du juge est grande.
L’arrêt du 5 mars 2007 du Tribunal Supremo se veut une belle synthèse de l’évolution de la doctrine jurisprudentielle en la matière et un exposé détaillé du panorama jurisprudentiel actuel sur la « double vente » ou la « vente d’autrui ». Pour la période antérieure aux années 90, en matière de vente double d’une même propriété, la jurisprudence s’est voulue pacifique. Le précepte de « double vente » a été entendu indépendamment du temps passé entre l’une ou l’autre des transmissions. L’article 1473 CCE est la règle à appliquer en considérant le deuxième acheteur comme propriétaire en cas d’inscription de son droit sans que le premier ne l’ait fait en conformité aux articles 32 et 34 de la Ley Hipotecaria. Entre spécificité d’un texte et fermeté d’un principe, une application stricte et littérale du texte doit donc être soulevée.
Mais, face à la figure de « double vente », c’est la « vente d’autrui » qui a surgi alors que le précepte n’est pas régulé au sein de l’ordonnancement juridique ibérique contrairement au droit français. Dans un premier temps, on a refusé d’estimer que « la vente de chose d’autrui » était nulle ou inexistante faute d’objet. Cependant, peu à peu, a été introduite dans la jurisprudence puis chez les auteurs une tendance favorable à son acceptation en se fondant sur le caractère consensuel et obligatoire du contrat de vente, chose étrange et nouvelle pour le droit espagnol qui refuse d’appliquer le principe de transfert de propriété « solo consensus ». La jurisprudence est aujourd’hui presque unanime à considérer comme valide la « vente d’autrui » et par conséquent génératrice d’obligations notamment celle consistant à ce que le vendeur remette la chose s’il l’a acquise postérieurement, ce qui ferait que l’effet translatif du contrat serait consommé et en cas d’absence d’acquisition, cela entraînerait la résolution du contrat avec la dévolution du prix et l’indemnisation par l’allocation de dommages et intérêts. Nonobstant, les solutions au problèmes posés varient selon les circonstances des espèces puisqu’il est possible que le contrat soit déclaré nul pour d’autres vices, distincts de l’objet comme le dol du vendeur, l’absence de cause….
Un nouveau courant jurisprudentiel qui modifie le concept de « double vente » a pu se développer à partir des années 90 en exigeant pour établir le supposé de deux ou de plusieurs transmissions, que la première des ventes ne se soit pas consommée par la tradition. Cela a supposé une certaine proximité chronologique entre les transmissions puisque nécessairement, plus le temps écoulé entre la première et seconde vente sera long, plus probable sera la consommation de la première. Dès lors, lorsque des conflits entre deux ou plusieurs titres translatifs ont commencé à se poser, en présence d’un titre dans la première transmission, les juges ont changé de dénomination. Ce qui était considéré comme « double vente » s’est alors dénommé « vente de chose d’autrui » tout en étant inapplicable à ces cas le propre article 1473 CCE. Cette thèse, malgré quelques rares exceptions est maintenue par les tribunaux encore actuellement. En témoigne l’arrêt du 5 mars 2007 du Tribunal Supremo.
Ainsi, l’article 1473 CCE se distingue par sa spécificité en rejetant avec force le principe du transfert de propriété « solo consensu ». Mais, si le système paraît clairement établi, le panorama jurisprudentiel actuel sur l’application d’un tel texte n’en est pas moins original. Et finalement, si initialement les systèmes paraissent tant différer sur le fond, les solutions du droit espagnol sont à rapprocher des solutions françaises. Un possible retour à la solution napoléonienne pourrait être en marche…
II – Un possible retour à la solution napoléonienne
Si à première vue, la distinction entre la « double vente » et la « vente de chose d’autrui » paraît claire à la lecture de l’article 1473 du Code Civil espagnol, en réalité elle ne l’est pas tant que cela. Les apparences sont trompeuses. Un tel article ne serait plus aussi spécifique qu’il y paraît à première vue. Divers courants doctrinaux espagnols (Cano Martinez, Pau Pedron notamment) en viennent même à se poser la question de sa véritable efficacité et nécessité (B). Les solutions apportées par le droit espagnol sont paradoxalement proches du droit français. La raison en est que le principe de bonne foi (A), notion non écrite développée par le droit privé international et européen visant à protéger l’intérêt commun des contractants joue une véritable fonction corrective des solutions en droit.
(A) Le rôle de la bonne foi ou un rapprochement à la française
La bonne foi est une notion importante du paysage juridique contractuel ibérique qui dépasse la question de la vente de chose et notamment de celle d’autrui. C’est un principe accueilli avec largeur par Le Tribunal Supremo (Arrêt du 27 octobre 1967 RJ 1967, 4549) qui considère qu’il incombe à la jurisprudence de l’appliquer. Les juridictions suprêmes espagnole et française ainsi que l'avant projet de réforme du droit des obligations dit projet Catala affirment l'importance d’un tel principe. L'obligation générale de bonne foi s’étend alors à une multitude de matières. En droit des contrats, le principe est prévu à l’article 1107 du Code Civil espagnol (CCE) et à l’article 1134 du Code Civil français (CCF). La Cour de Cassation sanctionne le non respect de cette obligation (Cass. Civ 1ère, 10 mai 1989). En France, le principe de bonne foi s'étend aussi à la formation du contrat et se traduit par une exigence jurisprudentielle de loyauté dans les négociations et les pourparlers, par un devoir d’information notamment du professionnel. Il a aussi de claires répercussions sur l’exigence d'équilibre et de justice dans le contenu du contrat, c’est le principe moral de la réciprocité qui se traduit par ailleurs dans l'exigence de la cause. En France comme en Espagne, la notion a en outre été largement étendue à divers contrats. Elle joue une réelle fonction correctrice des solutions en matière juridique. Et, lorsqu’il s’agit d’appliquer le principe à la question de la vente de la chose, s’agissant plus particulièrement de l’ignorance de la revente de la chose à une autre personne antérieurement, si la remise de la chose n’est pas suffisante, la bonne foi est une condition nécessaire. Concernant plus particulièrement la remise de la chose et des obligations du vendeur dérivées de la bonne foi contractuelle, l’étude de la jurisprudence espagnole commentée par la doctrine paraîtrait donner de bonnes pistes de réflexion en application du principe de bonne foi. Une comparaison avec le système français est intéressante s’agissant du contrat de vente. La jurisprudence a permis de clarifier cette notion juridique assez floue. L’article 1635 CCF prévoyant que « si le vendeur a vendu de mauvaise foi le fonds d’autrui, il sera obligé de rembourser à l’acquéreur toutes les dépenses » en résultant, une différence est à noter dans le termes. Il n’est nullement question de la double vente au sens du texte légal espagnol mais de la vente d’autrui. En outre, en dehors de la barrière linguistique qui oppose les droits espagnol et français pourtant issus de la codification napoléonienne, les termes diffèrent sensiblement. Le juge joue alors un rôle primordial dans l’interprétation des textes. Les solutions apportées par le droit espagnol sont paradoxalement assez proches des françaises, le principe de bonne foi jouant quant à lui un rôle prépondérant.
L’arrêt du Tribunal Supremo du 21 juin 2000 appliquée à la deuxième vente d’un immeuble par un même vendeur peut servir à l’étude de l’article 1473 CCE mis en relation avec le principe de bonne foi. En l’espèce, quelqu’un avait vendu à deux reprises le même immeuble avec une différence considérable entre les contrats. Le propriétaire vend un appartement par acte sous seing privé à son frère auquel il transmet la propriété par la remise de la chose ; l’acheteur devenant propriétaire. Le frère décède. Le propriétaire initial réalise alors en dépit de la mort de son frère un deuxième acte de vente de l’immeuble mais par acte authentique. Le tiers inscrit ensuite son titre au Registre de la propriété. L’épouse du frère décédé demande alors la résolution du contrat pour inexécution avec le remboursement du prix payé, les intérêts et une indemnisation pour le préjudice subi. La demande du premier acheteur dépouillé de son bien est dirigée vers le vendeur initial. Dans la deuxième vente, il s’agissait d’une vente de chose d’autrui puisque le premier acheteur avait eu la possession de l’appartement. L’acquéreur de la seconde vente est considéré comme tiers hypothécaire demeurant protégé en tant que propriétaire par l’article 34 de la loi Hypothécaire (LH) du 8 février 1946 en vertu de l’inscription au registre. Le premier acheteur demeure privé de sa propriété. Sa prétention sera rejetée en première instance comme en appel. Le pourvoi en cassation sera rejeté.
En outre, le Tribunal Supremo dans une décision du 6 mai 2004 fait une application de l’article 1473 du CCE. Le recours était en l’espèce fondé sur l’inapplication de ce même article malgré la reconnaissance par le requérant de l’existence de la vente de chose d’autrui ; il n’en est pas moins sûr que la solution trouvée puisse se transposer à la transmission de la propriété dans la première vente. La jurisprudence met à cette occasion en valeur la passivité et la négligence du premier acheteur n’inscrivant pas son bien au registre. Mais le TS rejette le recours puisque le problème posé répond à un problème de vente de chose d’autrui et non à une double vente. Le présupposé de l’application d’un tel texte est centré sur la transmission de la propriété de la première vente consommée (cf Sentencia 5 décembre 1996).
Le principe de bonne foi dans sa fonction protectrice de l’intérêt commun des contractants joue un rôle certain en matière de double vente. Sa fonction corrective des solutions en droit ne peut saurait être niée. La solution ibérique trouvée est finalement pour le moins assez proche du droit français. On pourrait donc remettre en cause l’efficacité et la nécessité de l’article 1473 CCE .
(B) Une possible remise en cause de l’article 1473 CCE : entre efficacité et nécessité
La distinction entre les concepts de double vente et de vente de chose d’autrui serait admise par la doctrine et la jurisprudence. La transmission de la propriété par l’acheteur de la première vente requiert le qualificatif de vente de chose d’autrui. Le contrat de vente espagnol ne transmet pas à lui seul la propriété. Selon certains auteurs comme Fernandez Arevalo, («In esencialidad de la obligación de transmitir la propiedad como derivada de contrato de compraventa y validez y venta de cosa ajena. Comentario a la STS 9 octubre 1997») il n’existe pas d’obligation de transmission de la propriété mais seulement la remise de la chose même objet du contrat. En outre, pour Fernandez de Villavicencio, (« Compraventa de cosa ajena », Barcelona, 1994) les contrats doivent être considérés comme valides et efficaces, la transmission de propriété affectant seulement le pouvoir de disposition du bien. Mais la distinction ne paraît pas aussi claire.
L’application de l’article 1473 CCE causerait des problèmes juridiques impliquant une remise en question de sa nécessité en droit espagnol. Divers auteurs comme Cano Martinez (« La doble venta », J.M.Bosh editor, Barcelona, 2000) se posent la question de l’efficacité de l’article 1473 CCE notamment s’il est permis à un vendeur de consommer la première vente avant d’en effectuer une seconde. Le supposé de fait de la norme se matérialise selon lui par la conclusion de deux contrats sur un même bien avec divers acheteurs. Le précepte posé par un tel article supposerait d’un coté la double vente mais rejetterait d’un autre coté le cas de la vente de chose d’autrui. Pau Pedron «Artículo 606 del CCE», en Comentarios al Código Civil, Ministerio de Justicia, 1993, Tomo I) a notamment soutenu cette position de rejet. Selon César Hornero Méndez, (« Revista de Derecho Patrimonial » núm. 14/2005 1 Parte Comentario Editorial Aranzadi, SA, Pamplona. 2005) ce ne serait pas la position à suivre. Pour lui, l’influence de la norme espagnole dérivant du Code Civil napoléonien tend à mettre au premier plan la vente de chose d’autrui avant la double vente.
D’un coté, le contrat de vente français transmet en lui même la propriété impliquant la qualification de vente de chose d’autrui si un deuxième contrat est conclu relativement à un même objet. Parallèlement, la norme ibérique dérivant directement du droit français et de la codification napoléonienne, il ne serait logique que le supposé soit la vente de chose d’autrui. Si les parties concluent un contrat en pensant que la propriété sera acquise par le premier dès deux qui l’enregistrera au registre en cas de double vente, l’article 1473 CCE serait dénué d’utilité. L’existence de « l’écriture publique » indispensable pour enregistrer la propriété appliquée à une des ventes équivaudrait à une tradition symbolique telle prévue par l’article 609 CCE dont l’application suffirait alors. En France, la différence tient au fait que le transfert ne se fait que solo consensu mais ce dernier ne sera opposable aux tiers qu’une fois la tradition réalisée.
L’application de l’article 1473 CCE a donc pu être remise en cause en droit espagnol.Là où il faut sans doute trouver une réponse c’est sur la possible autorisation de la part d’un propriétaire à enregistrer les deux actes de vente concernant un même objet et destinée à plusieurs acheteurs. Malgré l’existence de la transmission de propriété rendue effective par la première vente, apparaîtrait alors un second enregistrement. Il existerait alors deux enregistrements de vente pour un même sujet. Le but du vendeur consisterait alors à réaliser deux « traditions » distinctes ce qui impliquerait dès lors l’utilisation de l’article 1473 CCE que fera prévaloir soit le premier acheteur, soit le deuxième alternativement. Ainsi, ce qui apparaît primordial est l’enregistrement au « Registro de la propiedad ». Il est donc important de distinguer entre double vente et vente de chose d’autrui. Dans le cas d’une double vente, les acheteurs auraient acquis la propriété d’un véritable propriétaire, la préférence étant donnée au premier qui s’enregistre sans qu’aucune formalité supplémentaire ne soit requise. En revanche, la solution n’est pas identique si la vente est d’autrui, et si celui qui enregistre la propriété est le deuxième acheteur. Ce dernier devra répondre aux exigences formelles de l’article 34 de la LH pour être réellement propriétaire puisqu’il s’agira en réalité d’une acquisition a non domino, le vendeur n’ayant plus la disposition du bien pour réaliser une traditio efficace.
Le Tribunal Supremo a admis la qualification de vente de chose d’autrui. S’agissant du premier contrat enregistré au registre public (traditio instrumental), malgré son caractère non continu, l’acheteur avait pris possession du bien. Cela conduit la plus haute juridiction espagnole, en s’inspirant des solutions d’autres chambres (Décision du 3 mars 1994 ( RJ 1994, 1647) confirmée le 11 juin 2004 ( RJ 2004, 4427) ) à rejeter l’application de l’article 1473 CCE en considérant qu’il n’existe pas de double vente réelle mais une vente de chose d’autrui ou l’inexistence de propriété faute d’objet. Selon César Hornero Méndez, cette solution est critiquable dans le fond faute d’appliquer ledit article et en y intégrant le défaut d’objet qui ne serait pas applicable à l’espèce. Une application de l’article 1473 CCE serait en conséquence nécessaire. En l’espèce, le problème qui se pose est celui de la détermination du tiers hypothécaire propriétaire ou non. Les conditions sont réunies pour considérer comme tel le deuxième acheteur protégé dans son acquisition. La décision n’est en revanche pas claire à l’analyse et se limite seulement à reprendre les préceptes de l’article 34 LH qui prévoit que « le tiers de bonne foi qui acquiert à titre onéreux tout droit de la personne alors que dans le registre il apparaît avoir les facultés pour le transmettre, restera acquéreur, une fois qu’il aura inscrit son droit.... La bonne foi du tiers est toujours présumée sauf s’il est apporté la preuve de sa connaissance de l’inexactitude de l’enregistrement. ... »
Le Tribunal Supremo considèrerait que l’acquéreur est de bonne foi, la présomption simple jouant. L’acheteur a fait appel à un notaire pour prendre possession de l’immeuble objet du contrat, la présence des meubles à l’intérieur faisant office de preuve. Il n’existait « aucun type de preuve, d’indication laissant à penser que l’appartement était occupé ou en possession d’un tiers ». A la description des faits, c’est la détermination de l’existence de bonne foi qui pose problème. A partir de quand l’acquéreur est-il de bonne foi ? L’exigence de bonne foi est largement admise sans que l’importance d’une connaissance ultérieure de la chose comme étant d’autrui n’en soit amoindrie. Elle sera exigible au moment de l’enregistrement pouvant dès lors recevoir la protection de l’article 34 LH précité.
En l’espèce, il ne s’agit pas de cause de nullité ni de résolution du titre enregistré. Néanmoins, le caractère de bonne foi de la publicité au registre est remis en cause. Il existerait un conflit entre le tiers de bonne foi protégé par l’authenticité de l’enregistrement et les personnes relevant de situations juridiques ne pouvant être résolues par l’enregistrement. (DÍEZ PICAZO, Fundamentos de Derecho Civil Patrimonial, editorial Civitas, tomo III, Madrid 1995). Celui qui inscrit son droit au registre n’aura pas la possibilité de se réfugier derrière l’article 34 LH et d’acquérir la propriété hors processus habituel. Il faudrait obliger l’enregistrement comme mesure conservatoire sans consentement préalable du demandeur afin d’éviter la multiplication d’actes frauduleux (MARTÍN PASTOR, La anotación preventiva como medida cautelar y el Registro, Centro de Estudios Registrales, Madrid 2001).
En l’espèce, si la Chambre avait considéré les demandeurs comme tiers hypothécaires, il aurait fallu déterminer si les formalités avaient été respectées et ne pas appliquer l’article 34 LH à cause du conflit existant entre l’enregistrement préalable de demande et le caractère de bonne foi de la publicité au registre. Cette question soulevée n’est cependant pas résolue car l’application de l’article n’est ni rejetée ni acceptée. En outre, l’article est muet sur l’acquisition a non domino des derniers acquéreurs et sur ce qui est acquis du propriétaire. Une incertitude demeure donc. Entre efficacité et nécessité, une possible remise en cause de l’application l’article 1473 CCE pourrait être utile.
Eléments conclusifs
Ainsi, le droit espagnol n'admet clairement pas le principe du transfert de propriété « solo consensu ». Dès lors, la double vente ne s'analyse pas nécessairement comme une vente de la chose d'autrui contrairement à ce qui se passe en droit français. Mais, si au départ les systèmes paraissent tant différer dans le fond, les solutions apportées par le droit espagnol sont finalement pour le moins assez proches de celles trouvées en droit français influencé par Napoléon. La raison principale en est que la notion de bonne foi joue une véritable fonction, pour le moins habituelle en droit comparé, de correctif des solutions auxquelles aboutirait une application rigide et fermée des principes. Alors même que le texte paraîtrait très clair et ferme à première vue, un retour à la solution napoléonienne est sans doute en marche. Une remise en question de l’efficacité et de l’utilité d’un tel texte doit être alors soulevée.