Le système sub-saharien de la Propriété Intellectuelle: commentaire de l’étude de Adebambo Adewopo par Benjamin GOLDENBERG

Adebambo Adewopo, avocat nigérian, a présenté à l’université de Toledo aux Etats-unis une étude qui nous offre une perspective peu explorée. En effet, le droit de la propriété intellectuelle africain, et plus particulier sub-saharien est peu connu du monde occidental. Cette source nous livre donc des informations sur le développement de la propriété intellectuelle africaine, ses influences, ses aspirations et ses futurs développements. Au niveau de la comparaison, le fait que le droit africain ait été influencé par les deux empires coloniaux français et anglais met en perspective les différences entre le droit civil et le droit de Common Law. Il sert de base à une analyse comparée et transversale du droit coutumier au service de la propriété intellectuelle.

Adebambo Adewop, The Global Intellectual Property System And Sub-Saharan Africa : A Prognostic Reflection, University of Toledo Law Review, Summer 2002, 33 U. Tol. L. Rev. 749.

Il est certain que sur la scène internationale de la propriété intellectuelle, le pays sous les feux des projecteurs est actuellement la Chine. Il est donc intéressant de prendre un chemin diamétralement opposé et de se diriger vers l’Afrique. L’Afrique sub-saharienne ne reçoit pas l’attention des analystes bien que le droit puisse refléter de grandes et pertinentes différences culturelles. Le droit « indigène » de la propriété intellectuelle se développe, fortement influencé par ses origines coloniales. L’analyse dépasse donc les frontières légales et possède un rayonnement culturel, sociologique et historique, d’où l’intérêt certain du sujet. La problématique est l’éventuelle application d’un droit de la propriété intellectuelle à des pays ancrés dans des coutumes et des traditions indigènes et collectives. Pourrait-on se servir de la propriété intellectuelle pour développer économiquement ces pays ? Comment replacer et appliquer ce droit dans une optique internationale ? Ces questions ont une portée légale internationale et méritent une attention toute particulière, surtout connaissant les liens qu’entretient la France avec ses anciennes colonies africaines. De plus, la comparaison peut s’étendre à l’opposition entre droits occidentaux et droits africains coutumiers.

1) Développement historique

Colonisation et droit de la propriété intellectuelle. Le développement historique du droit est intimement lié à la colonisation. Chaque pays a adopté un système identique à celui du pouvoir colonisateur qui le dominait. L’Afrique Common Law correspond aux pays où la langue anglaise ainsi que les principes de Common Law et d’Equity étaient applicables. Le droit de la propriété intellectuelle de l’Afrique sub-saharienne est dérivé des lois et des systèmes légaux coloniaux. Le développement du droit d’auteur et du droit des brevets fut lent et laborieux. D’un côté, la loi anglaise de 1911 sur les droits d’auteur fut la première a être étendue à la majorité des pays du Commonwealth. Cependant, cette loi avait pour seul but la protection des livres, de l’art, de la musique ou des films britanniques dans les colonies. Selon M. Adewopo, l’application de certains aspects du droit commercial, dont la propriété intellectuelle, dans les anciennes colonies, n’avait aucun poids dans un environnement indigène. De l’autre côté, jusqu’à récemment, la plupart de ces pays n’avaient pas encore développé un système moderne de brevets. Généralement le développement technologique était inexistant et le niveau d’innovation était trop faible pour qu’un un système de brevet puisse y prospérer. Contrairement à ces deux branches de la propriété intellectuelle, le droit des marques a su se développer, par l’intermédiaire des lois anglaises sur les marques de 1875 et de 1938. En effet, au Nigeria, la loi sur les marques de 1965, la première loi post-indépendance était basée essentiellement sur celle de 1938. Les structures des systèmes juridiques n’ont pas été modifiées après l’accès à l’indépendance des pays colonisés : les lois coloniales ont simplement été remplacées par des institutions et des lois nationales contenant les mêmes dispositions. Trois facteurs déterminants au développement du droit africain. Le développement du droit africain de la propriété intellectuelle a été influencé par trois facteurs historiques qui lui ont donné sa forme actuelle : l’ère internationale, la divergence jurisprudentielle et la théorie développementale. Premièrement, l’ère internationale est marquée par le développement d’instruments de propriété intellectuelle à la fin du vingtième siècle. Ils ont été le résultat de la réalisation que la propriété intellectuelle avait pris une place prépondérante dans le commerce international. Cette période internationale avait vu la naissance de deux conventions antérieures, la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle du 20 mars 1883 et la Convention de Berne de 1866 pour la protection des œuvres littéraires et artistiques. Les accords internationaux sur la protection des droits intellectuels (ADPIC) signés à Marrakech ont marqué l’entrée de la propriété intellectuelle dans une économie globale et les pays africains n’ont pas été laissés de côté. Cette convention a porté la propriété intellectuelle sur le devant de la scène internationale en intégrant le droit d’auteur, les droits voisins, les brevets, les marques et les modèles dans un instrument unique et exécutoire. L’internationalisation de la propriété intellectuelle par l’intermédiaire de l’accord sur les ADPIC a une influence importante sur le développement actuel de la propriété intellectuelle dans la plupart des pays africains. Le deuxième facteur, d’une plus grande importance, correspond à l’influence jurisprudentielle des droits coloniaux dans l’Afrique coloniale au début du dix-neuvième siècle. Alors que le système légal anglo-saxon était implanté en Afrique, il est apparu qu’il existait des divergences philosophiques et socioculturelles fondamentales. Selon Farhana Yamin et Addison Posey, il est difficile de classer le savoir et les pratiques indigènes dans des catégories de propriété intellectuelle. De plus le concept de réputation ou de renommée commerciale est difficile à appliquer. (Indigenous Peoples, Biotechnology and Intellectual Property Rights, 2 Rev. Eur. Community & Int’l Envt’l L. 141) L’essence de la propriété intellectuelle est de créer et de protéger des droits de propriété, une notion diamétralement opposée aux traditions africaines où les expressions de folklores sont essentiellement collectives. Enfin le troisième et dernier facteur relève d’une approche plus économique. L’introduction et l’administration de la propriété intellectuelle sont intimement liées au développement économique et technologique des pays africains. Une majorité d’entre eux est encore minée par des problèmes politiques et socio-économiques qui focalisent l’attention de leur mesure et économie. Il est difficile pour eux d’administrer un système complexe de propriété intellectuelle, à la fois en matière de ressources humaines et ressources techniques et matérielles.

2) Droits de la propriété intellectuelle modernes occidentaux et culture africaine traditionnelle

La propriété intellectuelle au service de l’économie. De nombreux ouvrages supportent et démontrent qu’un pays développé avec un système de droit de propriété intellectuelle efficace est susceptible d’avoir une croissance économique, un faible niveau de chômage, un système d’éducation actif, une meilleure qualité de vie et un développement plus important. (Keith E. Maskus, Intellectual Property Challenges for Developping Countries : An Economic Perspective, 2001 U. Ill. L. Rev. 457). Au début du XXIe siècle, les pays en voie de développement ont réalisé à leur tour l’impact général de la propriété intellectuelle ainsi que sur l’économie. (Robert E. Evenson, Comment : Intellectual Property Rights and Economic Development, 33 Case W. Res. J. Int’l L. 187). Cependant, les pays en voie de développement de l’Afrique sub-saharienne qui ont adopté des systèmes vigoureux de droit de propriété intellectuelle n'ont attiré que peu de fonds d’investissement internationaux, contrairement à des pays comme la Chine, le Brésil, L’Argentine ou la Thaïlande malgré un faible niveau de propriété intellectuelle. (Keith E. Maskus & Mohan Penubarti, How Trade-Related are Intellectual Proprty rights ?, 39 J. Int’l Econ. 227). Il me semble que l’Afrique possède un retard plus important que les pays cités et que les fruits du développement de la propriété intellectuelle ne peuvent pas encore être quantifiés. Intégrer la propriété intellectuelle moderne dans les pays d’Afrique. Dans le domaine du droit des brevets, l’ADPIC a défini trois conditions pour l’obtention d’un brevet : une application industrielle, la nouveauté et une activité inventive. Cependant la définition de ces trois conditions n’a pas été établie et il appartient donc aux Etats membres de fixer leur propre définition. (Lee Petherbridge, Comment : Intelligent TRIPs Implementation : A Strategy for Countries on the Cusp of Development, 22 U. Pa. J. Int’l Econ. L. 1029). Cela peut donc permettre aux pays d’Afrique d’adapter leur système de propriété intellectuelle pour permettre aux objets, recettes ou méthodes médicales traditionnelles de recevoir d’être brevetable. En ce qui concerne le droit des marques, les pays d’Afrique peuvent utiliser des indications de provenance pour préserver leurs traditions. Cela pourrait leur permettre d’améliorer leurs revenus en termes d’exportation car les produits seraient clairement identifiés et représenteraient un savoir-faire local. ( David R. Downes, How Intellectual Property Could be a Tool to Protect Traditional Knowledge, 25 Colum. J. Envtl L. 253) Enfin, pour le droit d’auteur, l’ADPIC ne requiert pas que l’œuvre soit fixée sur un support tangible mais simplement qu’elle existe matériellement. L’expression folklorique africaine, tels la danse, les costumes, les fables, les rituels, pourrait être protégée par la propriété intellectuelle. De plus, l’ADPIC est assez large et peut s’étendre aux œuvres orales. (Doris Estelle Long, The Impact of Foreign Investment on Indigenous Culture : An intellectual Property Perspective, 23 N.C. Int’l L. & Com. Reg. 229) En effet, par exemple, le Kenya a intégré dans son droit d’auteur les expressions folkloriques. Le droit de la propriété intellectuelle peut donc être un outil efficace pour stimuler l’économie des pays africains si proprement adapté aux besoins spécifiques de ces pays. Une autre solution moins coûteuse et plus adéquate serait peut-être d’utiliser les droits coutumiers existants. Selon moi, cette solution aurait plus d’avantages que d’essayer d’adapter des systèmes et des notions occidentaux propres aux pays développés technologiquement. Cela pourrait aussi avoir comme même conséquence de développer l’économie africaine.

3) Droits coutumiers et culture africaine traditionnelle

Les Expressions Culturelles Traditionnelles. Comme nous l’avons vu précédemment, certains auteurs proposent d’utiliser les régimes de propriété intellectuelle existant pour protéger la culture africaine traditionnelle. Meghana RaoRane propose elle d’utiliser les droits coutumiers indigènes pour protéger les expressions culturelles traditionnelles (ECT). (Aiming Straight : The Use of Indigenous Customary Law to Protect traditional Cultural Expressions, 15 Pac. Rim L. & Poly’y J. 827). Selon Mme Raorane, la propriété intellectuelle occidentale est incompatible avec la protection des ECT et donne des solutions inefficaces. Les ECT constituent toutes les formes de créations culturelles d’une communauté et possèdent des caractéristiques qui posent des problèmes uniques quant à leur protection. (Kamal Puri, Protection of Traditional Culture and Folklore, http://www.folklife/si.edu/resources/Unesco/puri.htm).Ces ECT sont le plus souvent transmises oralement, visuellement ou par imitation ou performance, ce qui souligne que la tradition écrite est moins importante. (Puri, Protection of Traditional Culture). Les ECT sont basées sur des traditions très anciennes, leur existence étant bien plus longue que la durée de protection offerte par les droits de propriété intellectuelle actuels. Inadéquation entre ECT et droit d’auteur ou droit des marques. Le droit d’auteur traditionnel n’est pas applicable aux ECT pour trois raisons majeures. Premièrement, le droit d’auteur est basé sur le concept d’individualité et confère des droits à des individuels ou a des co-auteurs. (Silke von Lewinski, The Protection of Folklore, 11 Cardozo J. Int’l & Comp. L.747). Les ECT évoluent continuellement, et conférer des droits individuels dans des communautés indigènes est impossible. (Lewinski, The Protection of Folklore). Deuxièmement, le droit d’auteur offre une durée de protection limitée alors que les ECT existent et évoluent depuis plusieurs générations. (Justice Ronald Sackville, Legal Protection of Indigenous Culture in Australia, 11 Cardozo J. Int’l & Comp. L. 711). Troisièmement, le droit d’auteur requiert une certaine forme d’originalité. Les ECT existant depuis si longtemps et étant déjà dans le domaine public, les modifications successives ne sont pas susceptibles de recevoir protection. (Lewinski, The Protection of Folklore). En matière de droit des marques et d’indication de provenance, ces indicateurs ne sont pas suffisants pour protéger l’expression réelle des ECT. De plus, l’usage efficace de ces marques est limité par des considérations pratiques, en matière d’investissement ou du manque de connaissance sur leur emploi. (Lewinski, The Protection of Folklore). Il existe en effet peu de marques africaines d’importance, dans des économies basées sur une production faible et individuelle. Adéquation entre ECT et droit coutumier. Les peuples indigènes ont souvent leurs propres traditions et pratiques qui ont évolué à travers les siècles et constituent le droit coutumier. (Int’l Labor Org : ILO Convention on Indigenous and Tribal Peoples). Ce droit coutumier a développé sa légitimé grâce à une acceptation sociale de la part des membres de la communauté. (Paul Kuruk, Protection Folklore Under Modern Intellectual Property Regimes : A Reappraisal of the Tensions Between Individual and Communal Rights in Africa and the United States, 48 Am. U. L. Rev. 769). Le droit coutumier régit aussi l’utilisation des ECT dans les communautés indigènes. De plus, il détermine qui est autorisé dans la communauté à utiliser ou à reproduire les ECT. En bref, le droit coutumier s’intéresse à un « ensemble de relations » plutôt qu’à un « ensemble de droits économiques ». mis en avant par le droit occidental. (Marie Batisse & James Youngblood Henderson, Protection Indigenous Knowledge And Heritage : A Global Challenge 150). Le droit coutumier a efficacement gouverné l’utilisation des ECT et est assez flexible pour protéger les diverses expressions culturelles des communautés indigènes. Les peuples indigènes souhaitent contrôler leurs expressions culturelles et définir eux-mêmes les expressions qu’ils peuvent utiliser, ce qui est permis par le droit coutumier. Il apparaît donc intéressant de leur donner les moyens de protéger leur ECT par un système unique et en adéquation avec leurs besoins.

Bibliographie

Sources antérieures à l’étude de M. Adewopo : - Int’l Labor Org : ILO Convention on Indigenous and Tribal Peoples (1989) - Indigenous Peoples, Biotechnology and Intellectual Property Rights, 2 Rev. Eur. Community & Int’l Envt’l L. 141 (1993) - Keith E. Maskus & Mohan Penubarti, How Trade-Related are Intellectual Proprty rights ?, 39 J. Int’l Econ. 227 (1995) - Doris Estelle Long, The Impact of Foreign Investment on Indigenous Culture : An intellectual Property Perspective, 23 N.C. Int’l L. & Com. Reg. 229 (1998) - Paul Kuruk, Protection Folklore Under Modern Intellectual Property Regimes : A Reappraisal of the Tensions Between Individual and Communal Rights in Africa and the United States, 48 Am. U. L. Rev. 769 (1999) - Adebambo Adewopo, The Nigerian Trademark Regime and the Challenges of Economic Development, 30 Int’l Rev. Indus. Prop. & Copyright L. 632 (1999) - David R. Downes, How Intellectual Property Could be a Tool to Protect Traditional Knowledge, 25 Colum. J. Envtl L. 253 (2000) - Marie Batisse & James Youngblood Henderson, Protection Indigenous Knowledge And Heritage : A Global Challenge 150 (2000) - Robert E. Evenson, Comment : Intellectual Property Rights and Economic Development, 33 Case W. Res. J. Int’l L. 187 (2001) - Lee Petherbridge, Comment : Intelligent TRIPs Implementation : A Strategy for Countries on the Cusp of Development, 22 U. Pa. J. Int’l Econ. L. 1029 (2001) - Keith E. Maskus, Intellectual Property Challenges for Developping Countries : An Economic Perspective, 2001 U. Ill. L. Rev. 457 (2001)

Sources postérieures à l’étude de M. Adewopo : - Justice Ronald Sackville, Legal Protection of Indigenous Culture in Australia, 11 Cardozo J. Int’l & Comp. L. 711 (2003) - Silke von Lewinski, The Protection of Folklore, 11 Cardozo J. Int’l & Comp. L.747 (2003) - Jean Raymond Homere, Intellectual Property Rights Can Help Stimulate the Economic Development of Least Developed Countries, 27 Colum. J. L. & Arts 277 (2004) - Olufunmilayo B. Arewa, TRIPS and Traditional Knowledge : Local Communities, Local Knowledge, And Global Intellectual Property Frameworks, 10 Marq. Intell. Prop. L. Rev. 155 (2006) - Kamal Puri, Protection of Traditional Culture and Folklore, http://www.folklife/si.edu/resources/Unesco/puri.htm - Meghana RaoRane, Aiming Straight : The Use of Indigenous Customary Law to Protect traditional Cultural Expressions, 15 Pac. Rim L. & Poly’y J. 827 (2006)