Les témoignages par vidéoconférence : comparaison des systèmes canadien et français - par Fanny Aussedat

Dans l’arrêt Slaughter v. Sluys rendu le 5 novembre 2010 au Canada par la Cour Suprême de Colombie Britannique, le demandeur soutient que le fait de procéder aux témoignages par vidéoconférence permettrait d’économiser approximativement 50 000 Dollars. A l’heure où les nouvelles technologies font l’objet de progrès considérables, le système judiciaire ne reste pas à l’écart des intérêts qu’elles peuvent représenter.

L’efficacité de la justice réside dans sa capacité à trancher les litiges dans un délai raisonnable. Si les lois n’interviennent qu’en aval des progrès technologiques et scientifiques, la doctrine et la jurisprudence, aux prises directes avec la pratique et dans un souci de rapidité et de simplicité, contribuent en amont au développement de certaines habitudes, de certaines pratiques. La vidéoconférence en est un exemple. Apparue à titre expérimental dans les années 1930 et commercialisée dans les années 1970, elle a pris son essor au milieu des années 1990 avec le développement de l’informatique et du réseau internet jusqu’à connaitre une certaine banalisation. Ce n’est pourtant que récemment qu’elle a été intégrée à la pratique judiciaire. L’étendue des territoires de certains Etats tels que le Canada ou les Etats-Unis a contribué à une utilisation plus fréquente et à un développement plus rapide de ce moyen de communication dans leurs tribunaux, du fait de la nécessité de remédier à la distance. C’est pourquoi une comparaison des approches de deux pays de tradition juridique différente et qui se distinguent par leur situation géographique, comme le Canada et la France, permet d’appréhender les enjeux liés à l’utilisation de la vidéoconférence dans la procédure judiciaire.

En l’espèce, Monsieur Slaughter résidant en Ontario, est blessé lors d’un accident de voiture en 2004 à Vernon, dans la province canadienne de la Colombie Britannique. Il intente une action en justice en 2006, en réparation de ses nombreux préjudices corporels et pécuniaires. La responsabilité du défendeur est établie, il reste à évaluer le montant des indemnités à verser. L’audience est prévue à partir du 11 avril 2011 et doit durer six semaines. Cependant, un problème de procédure survient lorsque le demandeur fait part de son intention de faire témoigner onze personnes, dont quatre experts, par vidéoconférence. Le défendeur s’oppose à cette technique qu’il estime attentatoire à ses droits. Le juge A. J. BEAMES J. tranche en faveur du demandeur en se fondant sur les lois de procédure qui encouragent un procès juste, rapide et économique. Il accepte que sept des témoins témoignent par vidéoconférence tandis que les quatre autres, dont le témoignage est plus décisif pour le jugement, sont tenus de se présenter en personne à l’audience.

L’état des lieux du droit canadien montre que cette décision s’inscrit dans la continuité d’une jurisprudence globalement favorable à la vidéoconférence. En 2001, dans l’affaire Wright v. Wasilewski, la Cour suprême de l’Ontario accepte que les 20 témoins américains de la demanderesse américaine témoignent par vidéoconférence car cela permet de réduire les coûts du procès et des éventuels retards, tout en donnant la possibilité au juge et au jury de se faire une opinion plus juste que si les témoins n’avaient simplement pas comparus. De même en 2007, dans l’arrêt Archambault v. Kalandi rendu également par la Cour suprême de l’Ontario, un témoin autrichien est autorisé à témoigner via vidéoconférence. Dans l’affaire Nybo v. Krajl du 10 mai 2010, la Cour Suprême de Colombie Britannique approuve également l’utilisation de la technologie lorsque les témoins ne peuvent se déplacer en raison d’obligations professionnelles et familiales. Ces décisions, prises parmi d’autres, montrent donc que la pratique du témoignage par vidéoconférence, pour des raisons de rapidité et de réduction des frais, est souvent utilisée. Elle devient courante au Canada comme le confirment les rapports annuels successifs du service administratif des tribunaux judiciaires, service fédéral qui tend à garantir au public un accès efficace à la justice. Ce service a une vue d’ensemble et rend compte au Parlement, par le biais du ministre de la justice, des avancées auxquelles il contribue. Ainsi, dans le rapport de 2003-2004, le service informe le Parlement que des installations de vidéoconférence ont été implantées dans tous les tribunaux régionaux et locaux, ce qui évite des frais de connexion à payer sinon à un fournisseur externe. Il constate que « l’utilisation de la vidéoconférence a substantiellement augmenté par rapport à l’exercice précédent. » Il ajoute que dans le but d’offrir les services les plus efficaces, économiques et sécurisés possibles aux juges, avocats, employés et au public, il est indispensable pour les tribunaux d’être à la fine pointe des progrès et d’utiliser les nouvelles technologies, dont la vidéoconférence, qui facilite l’avancement des dossiers, réduit les pertes de temps et les frais de déplacement des plaideurs, des juges et du personnel. Dans son rapport de 2004-2005 et plus précisément dans la section qui traite de la situation dans la région Nord Ouest de l’Ontario, représentant 48% de la province en superficie mais seulement 2% en population, le rapporteur indique que sur trente-cinq des cours satellites qui assistent les 5 cours principales, vingt-trois ne sont accessibles que par la voie des airs…La vaste superficie de la région, les endroits éloignés, les conditions de voyage hivernales ont posés de nombreux défis à la prestation des services de la justice mais la région Nord Ouest met à contribution la technologie vidéo pour relever ces défis et assurer l’accessibilité des services de tribunaux. L’infrastructure des cours de vidéocomparution est en cours d’achèvement. Dans le dernier rapport de 2009-2010, le service dit privilégier, parmi ses missions, la mise à jour et le renforcement de l’infrastructure des technologies de l’information, notamment ses réseaux, et l’extension des services de vidéoconférence.

L’état des lieux du droit français permet de dire au contraire que cette pratique, si elle s’est beaucoup développée ces dernières années, est encore peu répandue. Le texte de référence en la matière est l’article 706-71 du Code de procédure pénale, introduit par la loi du 15 novembre 2001, visant à renforcer la lutte contre le terrorisme. La loi de 2001 a créé, au sein du livre VI du Code de procédure pénale consacré à « quelques procédures particulières », un titre XXIII « de l’utilisation des moyens de télécommunications au cours de la procédure ». L’article 706-71 du Code de procédure pénale dispose dans son premier alinéa que «lorsque les nécessités de l'enquête ou de l'instruction le justifient, l'audition ou l'interrogatoire d'une personne ainsi que la confrontation entre plusieurs personnes peuvent être effectués en plusieurs points du territoire de la République se trouvant reliés par des moyens de télécommunications garantissant la confidentialité de la transmission.» Donc le recours à la vidéoconférence, loin d’être systématique, est limité aux cas où « les nécessités de l’enquête ou de l’instruction le justifient ». Il est ainsi possible, selon les alinéas 2 et 3 de l’article 706-71, d’utiliser la vidéoconférence appelée aussi « visioconférence », devant la juridiction de jugement pour l’audition des témoins, des parties civiles et des experts, mais également lors de l’instruction pour interroger une partie détenue par exemple. Ainsi, la vidéoconférence sert à pallier l’éloignement lorsqu’il s’agit de l’audition de témoins, de parties civiles ou d’experts qui ne peuvent se déplacer, même si la problématique de la distance est moins importante en France qu’au Canada. Elle sert aussi à protéger l’ordre public lorsqu’il est question de l’audition d’un prévenu en détention et qu’il existe des risques graves de troubles à l’ordre public ou d’évasion. Cependant, ce moyen de communication est encadré strictement notamment dans un but de respect des droits de la défense. Dans un article intitulé Efficacité et nouvelles technologies, le professeur Soraya Amrani-Mekki analyse l’utilisation des nouvelles technologies par la justice. Ces dernières seraient facteur de qualité et de célérité du procès. Cependant, leurs effets potentiellement négatifs sur les garanties fondamentales du procès civil ne doivent pas être ignorés.

Les nombreux avantages de la vidéoconférence participent au développement de ce moyen de communication. La réduction des distances, la rapidité, l’économie et le maintien de l’ordre public sont autant de raisons qui poussent les Etats à inclure des dispositions sur la vidéoconférence dans leur législation. Au Canada et dans d’autres pays au territoire très vaste comme la Russie, les Etats-Unis, le Brésil, pour lesquels certains auteurs ont pu parler de la « tyrannie de la distance » (J. Walker et G.-D. Watson, New Technologies and the Civil Litigation Process : Common Law General Report), la vidéoconférence apparaît comme une nécessité. En effet, la distance complexifie et allonge dans la durée la procédure, que ce soit pour l’envoi de notifications, de convocations, ou pour les déplacements jusqu’au tribunal où doit avoir lieu l’audience…Tout cela engendre des coûts, supportés par l’Etat ou par les justiciables. Cela nuit également au droit fondamental à l’accès à la justice car certaines personnes, découragées par les distances et les frais impliqués peuvent renoncer à engager une action en justice. C’est pourquoi tout moyen permettant de résoudre ces complications et de faciliter l’efficacité de la justice ainsi que son accès est accueilli favorablement. En France et dans les pays européens, au niveau national, l’intérêt de la vidéoconférence ne réside pas tant dans la résolution de problèmes de distances que, par exemple, pour le maintien de la sécurité et de l’ordre public. La vidéoconférence peut également servir à protéger des témoins menacés ou à auditionner à distance des témoins, experts ou suspects résidant à l’étranger.

Cependant, les inconvénients de la vidéoconférence contribuent à son développement tâtonnant. C’est surtout l’atteinte aux droits de la défense et éventuellement le droit d’accès au juge qui sont mis en question par l’utilisation de cette technique. L’emploi de la vidéoconférence ne nécessite pas l’accord des intéressés et ne peut faire l’objet d’un recours car ce n’est ni une décision juridictionnelle, ni un acte de procédure. Les progrès technologiques et scientifiques ne cessent d’améliorer la qualité de la transmission, du fait de réseaux de télécommunications de plus en plus développés et étendus. Mais des interférences, des défauts de coordination entre l’image et le son, des coupures peuvent nuire encore aux téléconférences. En France, certaines exigences techniques sont requises et l’article R. 53-38 du Code de procédure pénale prévoit ainsi que « les caractéristiques des moyens de télécommunication utilisés doivent assurer une retransmission fidèle, loyale et confidentielle à l’égard des tiers. » De plus, tout incident technique doit être mentionné dans les procès verbaux. Ces exigences établies par les textes n’existent pas au Canada où c’est la jurisprudence et les precedents qui définissent les conditions d’utilisation de la vidéoconférence. Peut-on dire pour autant que les justiciables canadiens sont moins protégés de ce fait ? Une des caractéristiques inhérentes du système de Common law est sa flexibilité et c’est donc au fil de la jurisprudence que se développent les contours d’une pratique. Des systèmes de vidéoconférence ont été implantés dans de nombreux tribunaux dans les différentes provinces canadiennes et les rapports annuels du service administratif des tribunaux judiciaires témoignent que la pratique, bien que récente, s’est considérablement développée au fil de ces dernières années et des progrès en matière de nouvelles technologies. Par ailleurs, la vidéoconférence doit tenir compte du principe de publicité des débats. Il est nécessaire en effet qu’elle ne commence pas avant l’ouverture de l’audience ou ne se termine pas après sa clôture auquel cas la procédure pourrait être nulle et le public présent à l’audience doit pouvoir voir le témoin sur l’écran. Enfin, cette technique est supposée supprimer la distance physique entre les interlocuteurs en établissant une proximité virtuelle mais en fait, l’interposition de l’écran crée, en plus de la distance réelle, une distance « psychique », psychologique. Les fuseaux horaires peuvent être différents, les personnes qui se parlent ne sont pas dans la même pièce et ne voient pas les mêmes choses, des malentendus ou incompréhensions qui faussent les débats peuvent avoir lieu… Dans son article surLa vidéoconférence dans le procès pénal : perspectives européennes, le professeur Maria-Luisa Cesoni rappelle que La Cour constitutionnelle allemande, dans une décision du 28 juillet 2005 a estimé que la perception des émotions était faussée par le biais d’une caméra et d’un micro et que la personnalité du témoin entendu risquait d’être mal cernée. La conviction du juge s’en trouverait affectée. Et les personnes entendues pourraient également se sentir déstabilisées face à ce moyen de communication, ce qui les amènerait à faire des déclarations incorrectes. Quant au droit belge, la faiblesse de ce moyen de preuve, du fait de son caractère ambigüe et discutable, exigerait qu’il soit corroboré par d’autres éléments selon la loi du 2 août 2002 relative au recueil de déclarations au moyen de média audiovisuels.

Dans l’arrêt Slaughter v. Sluys, le demandeur fonde son argumentation sur l’article 73(2) de la loi sur la preuve de Colombie Britannique adoptée en 1996, qui dispose que la Cour peut autoriser le témoignage par vidéoconférence à moins qu’elle ne soit convaincue que le fait de recevoir la preuve de cette manière est contraire aux principes fondamentaux de la justice. Les facteurs que la Cour prendra en compte sont les suivants : (a) le lieu et la situation personnelle du témoin ; (b) les coûts qui devraient être engagés si le témoin devait être présent physiquement ; (c) la nature de la preuve que le témoin est supposé donner ; (d) tout autre élément que la Cour considère approprié. Le demandeur estime que ces facteurs pèsent en sa faveur et que ses témoins doivent donc être autorisés à témoigner par vidéoconférence.

Le défendeur quant à lui soutient que l’article 73(2) est supposé s’appliquer dans des circonstances relativement rares et pour un seul ou un nombre limité de témoins. Il affirme que ce n’est pas possible d’appeler 11 des 28 témoins par vidéoconférence, pour un total d’environ 22h d’auditions. Il ajoute que la crédibilité des témoins est un point central et qu’elle ne peut être évaluée correctement si les témoins sont appelés par vidéoconférence plutôt que d’être présents physiquement dans la salle du tribunal.

Mais le juge estime finalement que la vidéoconférence est une méthode acceptable et satisfaisante pour recevoir un témoignage, qui ne diminue pas l’estimation ni le contrôle de la crédibilité ou l’appréhension des faits. Un contre-interrogatoire correct et complet peut avoir lieu même si les témoins apparaissent par le biais de la vidéoconférence. D’un autre côté, le demandeur ne peut pas, seul, déterminer quels sont les témoins importants et qui devraient donc comparaitre en personne et ceux qui le sont moins et qui dès lors devraient être autorisés à témoigner par vidéoconférence. C’est au juge de désigner les témoins dont le témoignage par vidéoconférence suffit et dont la présence en personne à l’audience n’est pas indispensable.Cette décision démontre que le juge considère que la vidéoconférence n’est pas exactement substituable à la présence physique. Seuls les témoins les moins décisifs sont autorisés à être entendus par ce biais.L’utilisation de la vidéoconférence dans le procès est-elle appelée à s’étendre ? Les témoins importants, les parties, les défenseurs des parties pourraient-ils un jour être entendus par le seul moyen d’une vidéoconférence ? Si l’on ne peut prédire ce que sera le procès de demain avec l’évolution très rapide des nouvelles technologies et de la communication à distance, on constate que pour l’instant, même dans les pays les plus à la pointe dans l’utilisation de la vidéoconférence, la présence physique est toujours privilégiée quand elle est possible.

En l’espèce, le fait que des experts, les médecins, témoignent par vidéoconférence ne pose pas de problème si la vidéoconférence peut être accompagnée d’équipements à chaque bout de la transmission permettant à la fois aux experts, aux juges et aux parties de voir le même document et que le contenu des dossiers et rapports est organisé et numéroté de manière à minimiser les problèmes d’utilisation des documents lors des interrogatoires et contre-interrogatoires.

Les témoignages par vidéoconférence sont donc en pleine expansion dans la plupart des systèmes juridiques, pour des raisons pratiques d’efficacité, de rapidité, d’économie. De plus en plus avec la mondialisation et les mouvements de personnes qui l’accompagnent, avec l’intégration européenne et l’augmentation des affaires transnationales dont les parties ou les témoins résident dans des pays différents, la nécessité des télécommunications dans les tribunaux et particulièrement de la vidéoconférence se fait sentir. Le Canada a l’un des territoires les plus vastes du monde et c’est un Etat qui relève du système de Common law. Une solution aux problématiques de distance et aux coûts engendrés par les procédures et l’indemnisation des témoins était nécessaire et la flexibilité de la Common law permettait au droit de s’adapter rapidement aux évolutions de la technologie. La France a développé ses propres règles dans le domaine de la vidéoconférence en procédure civile et pénale, bien plus codifiées que les règles de Common law canadiennes, du fait de la nature des systèmes juridiques. Mais c’est surtout au niveau européen que la vidéoconférence dans la justice est appelée à être utilisée, notamment pour les témoignages mais pas uniquement. Elle représente en effet un très bon outil pour la coopération judiciaire. Et c’est donc au niveau européen qu’une réglementation en plein développement tâche d’encadrer ce nouveau moyen de communication amené à se banaliser dans les salles d’audience.

 

                                                                                          Bibliographie

Codes et textes de lois:

  • Code de procédure civile, Dalloz, édition 2011
  • Code de procédure pénale, Dalloz, édition 2010
  • Loi sur la preuve au Canada (Canada Evidence Act)
  • Charte canadienne des droits et libertés (Partie 1 de la loi constitutionnelle de 1982)
  • Ontario Evidence Act

Manuels :

  • L. CADIET et E. JEULAND, Droit judiciaire privé, Paris, Litec, 6eéd., 2009
  • S. GUNINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, Paris, Litec, 5eéd., 2009
  • SOPINKA, LEDERMAN, BRYANT, The Law of Evidence in Canada, 3eéd., Toronto, Lexisnexis Canada, 2009
  • PACIOCCO, STEUSSER, The Law of Evidence, 5eéd., Toronto, Irwin Law, 2008

Articles :

  • S. AMRANI MEKKI, Efficacité et nouvelles technologies, Procédures n° 4, Avril 2010, dossier 5
  • F. ROCHETEAU, Utilisation de moyens de télécommunication au cours de la procédure, JurisClasseur Procédure pénale, Art. 706-71, fasc. 20, cote 01,2009
  • L. CADIET, Droit judiciaire intracommunautaire, Droit judiciaire privé, La Semaine Juridique Edition Générale n°43, 24 Octobre 2007, I 200
  • F. DESPREZ, Réforme de la carte judiciaire et visioconférence : d’une proximité physique à une proximité virtuelle, Procédures n°3, Mars 2008, alerte 6
  • M.-L. CESONI, La vidéoconférence dans le procès pénal : perspectives européennes, Les Petites Affiches n°41, 26 Février 2009

 

Sites internet :