Le Contrat de Solidarité italien: l'accord d'entreprise permettant d'imposer au salarié la modification d'éléments essentiels de son contrat individuel de travail - par Clara Soudan
Résumé : Le Contratto di solidarietà, est un type d’accord collectif d’entreprise de plus en plus utilisé en Italie afin de luter contre le chômage et les licenciements. L’accord permet de modifier certains éléments essentiels du contrat de travail, en leur donnant une certaine flexibilité, sans que les salariés concernés donnent leur consentement. En France un accord d’entreprise similaire va peut être bientôt voir le jour, les Accords de maintien de l’emploi.
Dans les années 80 est né en Italie un nouveau type d’accord collectif d’entreprise, il Contratto di solidarietà, destiné à aider les entreprises à faire face à des difficultés temporaires.
Le Contrat de solidarité a été mis en place par le Décret-loi n°726 du 30 octobre 1984, converti par la Loi du 19 décembre 1984 n°863. Ce projet a été pensé suite aux initiatives expérimentées au Royaume-Uni avec le Temporary Short-Time Working Compensation Scheme et en France avec le Contrat de Solidarité (décret n° 82-1055 du 16 décembre 1982).
Les Contrats de solidarité sont de deux types : le « difensivo » et l’« espansivo ». Ces accords sont négociés entre l’employeur et les syndicats « adhérant aux confédérations majoritairement représentatives au niveau national » ( art.1 al.1 Décret-loi n.726 du 30 octobre 1984). Ils prévoient tous deux une réduction du temps de travail des salariés ainsi qu’une consécutive réduction du salaire, ceci dans deux buts différents. Le contratto di solidarietà difensivo est utilisé afin d’éviter, en tout ou en partie, un licenciement collectif pour réduction du personnel (art.1 al.1 décret-loi n.726 du 30 octobre 1984). Le contratto di solidarietà espansivo est, quant à lui, utilisé dans le but d’embaucher du personnel.
Très peu exploité dans les années qui ont suivi sa création, faisant l’objet d’une certaine méfiance de la part des syndicats, le Contrat de solidarité a été remis à l’ordre du jour par la crise économique. Les effets néfastes de la crise sur l’emploi ont encouragé les syndicats à se tourner vers cette forme d’accord d’entreprise dans l’espoir de préserver l’emploi au maximum.
Un contrat d’entreprise similaire pourrait faire son entrée dans la législation française, et ce n’est pas une première tentative. Déjà, l’ex-président Nicolas Sarkozy avait défendu l’idée de créer un Accord compétitivité emploi, très proche du Contrat de solidarité italien. Cet accord laissait le choix entre plusieurs options : baisser le temps de travail et le salaire, maintenir le temps de travail mais garder le même salaire ou augmenter le temps de travail en conservant le même salaire. Ce contrat n’a jamais vu le jour.
Nouvel essai, sous la présidence de François Hollande, les partenaires sociaux ont conclu, le 11 janvier 2013, un Accord National Interprofessionnel (ANI) Pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels des salariés, dont l’article 18 prévoit la création d’un Accord de maintien de l’emploi qui prévoirait « en cas de graves difficultés conjoncturelles rencontrées pas une entreprise » le recours à « l’arbitrage global temps de travail/salaire/emploi ». L’Avant-projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi, dévoilé le 11 février 2013, qui transpose l’ANI, reprend, dans son article 12, les dispositions de l’accord concernant les Accords de maintien de l’emploi, avec toutefois de légères différences de rédaction (Liaisons Sociales Quotidien, n°16284, 13 février 2013, Bibliothèque : l’actualité, Rubrique : emploi et chômage, « Les accords de maintien de l’emploi bientôt encadrés par le Code du travail »). Le texte a été présenté et adopté le 6 mars en Conseil des ministres, il doit maintenant être soumis au Parlement en vue d’une possible adoption fin mai.
En ces temps de crise, la possibilité de pouvoir rendre plus flexible le temps de travail et la rémunération des salariés semble être devenue une nécessité. Le Contrat de Solidarité permet une telle flexibilité et ceci, avec ou sans le consentement du salarié. Ainsi, le salarié se voit imposer des modifications substantielles de son contrat individuel de travail.
La flexibilité du temps de travail
Le Contrat de solidarité prévoit, aussi bien dans sa forme difensivo qu’espansivo, une diminution du temps de travail du salarié.
La diminution du temps de travail dans le Contrat de solidarité espansivo revêt un caractère définitif. En effet, le Décret-loi n° 726 du 30 octobre 1984 précise dans son article 2 al.1 que l’accord collectif d’entreprise prévoit « une réduction stable des heures de travail ». Ainsi, avec cette forme d’accord collectif d’entreprise, le salarié voit son temps de travail définitivement modifié. L’objectif de cet accord étant l’embauche « à durée indéterminée » de nouveau personnel (art.2 al.2 D.L. n°726, 30 octobre 1984) afin de lutter contre l’augmentation du taux de chômage, le caractère définitif de la diminution du temps de travail vise donc à la création de nouveaux emplois. La France, avec les lois sur les 35 heures ( Lois Aubry du 13 juin 1998 et du 19 janvier 2000), avait elle aussi procédé à une baisse du temps de travail dans le but de favoriser l’embauche de nouveaux salariés et ainsi de lutter contre le chômage.
Pour le Contrat de Solidarité difensivo, rien n’est dit et la question se pose de savoir si la diminution du temps de travail doit être définitive ou non. Selon l’orientation dominante la réduction est définitive et l’article 1 al.1 du Décret-loi, en ne faisant pas expressément référence au caractère définitif de la réduction du temps de travail, entend seulement l’éventualité que la réduction ne soit que temporaire (P. Ichino, Il contratto di lavoro vol.III, Trattato di diritto civile e commerciale, Milano, Giuffrè editore , 2003). Ainsi, en alternative à un licenciement collectif, les salariés peuvent se voir imposer une diminution définitive ou exceptionnellement temporaire de leur temps de travail.
En France, l’Avant-projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi prévoit d’introduire dans le Code du travail l’article L-5125-1 qui disposerait que « un accord d’entreprise peut, en contrepartie de l’engagement de la part de l’employeur de maintenir les emplois pendant la durée de validité de l’accord, aménager pour les salariés occupant ces emplois, la durée du travail, ses modalités d’organisation et de répartition ». Ainsi le salarié pourrait se voir imposer, par l’adoption d’un tel accord, aussi bien une augmentation qu’une diminution de son temps de travail.
La flexibilité de la rémunération
Les salariés qui se voient appliquer un Contrat de solidarité difensivo ou espansivo subissent, en conséquence de la réduction du temps travaillé, une diminution de leur salaire (art.1 al.1 et art.2 al.1 du D.L. n°726, 1984).
Pour les Contrats de solidarité de type difensivo, est prévue l’intervention de l’équivalent italien de la Sécurité sociale qui octroie aux salariés la cassa integrazione guadagni straordinaria (CIGS). La CIGS consiste en une prestation économique délivrée par l’INPS (Sécurité sociale italienne) pour compléter ou substituer la rémunération des travailleurs afin d’affronter de graves situations d’excédent de personnel qui pourraient porter à des licenciement de masse. Les salariés qui se voient appliquer un Contrat de solidarité difensivo recevront de la sécurité sociale 60% de leur salaire perdu. Ainsi, si à la suite du Contrat de solidarité le salarié travaille 6 heures par jour contre 8 heures auparavant, les 6 heures seront rémunérées par son employeur et la Sécurité sociale lui versera 60% du salaire correspondant aux 2 heures de travail perdues. Pour les Contrats de solidarité de type espansivo, si l’employeur a droit à certains allègements fiscaux (art.2 al.1 D.L. n° 726, 1984), le salarié quant à lui, perd une partie de sa rémunération. Il s’agit donc bien ici de solidarité de ceux qui ont un emploi envers les chômeurs (en pratique le contrat espansivo a été extrêmement peu utilisé).
Les Accords de maintien de l’emploi de l’Avant-projet de loi français prévoient eux aussi une baisse de la rémunération des salariés. Le texte étant muet sur le sujet, il semblerait que les salariés n’aient le droit à aucune compensation de la perte d’une partie de leur salaire.
L’accord des syndicats
Les Contrats de solidarité defensivo et espansivo requièrent l’accord des « syndicats adhérents aux confédérations majoritairement représentatives au niveau national » (art.1 et 2 D.L. n° 726, 1984). Sont donc légitimés à conclure de telles conventions les structures syndicales en collaboration avec les RSU/RSA : représentation syndicale unitaire et représentation syndicale d’entreprise (P. Manzari, Contratti di solidarietà, Fondazione Studi Consulenti del Lavoro, Consiglio Nazionale dell’Ordine). Les RSU sont des organismes syndicaux qui existent dans chaque lieu de travail public et privé, ils sont élus par tous les salariés adhérents ou non à un syndicat. Ils représentent l’ensemble des salariés et ont le pouvoir de négocier et conclure les accords collectifs d’entreprise. Les RSA sont élus au sein d’un syndicat par les salariés qui y ont adhéré. Ils représentent et défendent les intérêts des seuls salariés adhérents au syndicat et ne participent pas aux négociations des conventions collectives d’entreprises.
Les syndicats sont ainsi dotés d’un grand pouvoir puisque c’est à eux que revient la fonction du contrôle préventif d’opportunité d’un tel accord ainsi que ses modalités de réalisation (P. Ichino, Il Contratto di lavoro vol III, Trattato di diritto civile e commerciale, Milano, Giuffrè editore, 2003).
Ce sont donc les syndicats qui, en vertu de leur pouvoir de représentation des salariés syndiqués ou non, négocient et concluent l’accord d’entreprise qui modifiera des éléments essentiels des contrats de travail individuels des salariés.
L’article 12 de l’Avant-projet de loi français dispose également que la validité des Accords de maintien de l’emploi est subordonnée à « sa signature par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli au moins 50% des suffrages exprimés en faveur d’organisations reconnues représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, quelque soit le nombre de votants ». Cependant l’article 12 ajoute, contrairement au Contrat de solidarité italien, que « les stipulations de l’accord […] sont applicables au contrat de travail avec l’accord du salarié ».
Le consentement symbolique des salariés
Ce sont les syndicats qui négocient et concluent avec l’employeur les Contrats de solidarité. Concernant le consentement des salariés, rien n’est dit. Face à ce silence, la Cour de cassation italienne a tenté d’apporter des éclaircissements. Elle a, dans un arrêt du 14 octobre 1993, établi que l’accord conclu entre l’employeur et les syndicats relatif à la réduction du temps de travail et à la réduction de la rémunération, déterminée par une situation de crise au sein de l’entreprise, doit être considéré comme contraignant également pour le salarié qui n’est pas d’accord avec son application. La Cour ajoute que le salarié n’a pas le droit à l’entière rémunération, mais seulement au salaire correspondant à l’activité menée à la suite de la réduction du temps de travail (Cass. civ. sez. lav. 14 octobre 1993, n° 10129).
Cependant, la Cour de cassation italienne a également établi que l’inexécution par le salarié du Contrat de solidarité ne justifie pas son licenciement (Cass. civ. sez. lav. 7 novembre 1997, n° 10959).
Ainsi, selon la jurisprudence, le salarié doit accepter les conditions du Contrat de solidarité même si son refus ne constitue pas une faute pouvant entraîner son licenciement. Le salarié a donc comme seule garantie de ne pas être licencié ni au motif de son refus d’appliquer l’accord, ni pour motif économique, puisque ce type de licenciement est interdit pendant toute la durée du Contrat de solidarité (Pret. Roma, 30 avril 1994). Cependant, même si le salarié refuse l’application de l’accord, et donc les modifications apportées à son contrat individuel de travail, son refus n’ayant aucune conséquence sur l’application du Contrat de solidarité par l’employeur, il sera forcé d’en subir les effets car quand bien même il décide de ne pas diminuer ses heures de travail, son salaire sera de toute façon réduit. Le salarié ne voulant pas appliquer l’accord a donc deux solutions: il peut démissionner, et dans ce cas un problème se pose, celui de savoir si sa démission pourrait être analysée comme une démission contrainte. Le salarié peut également saisir le Juge afin de contester la légitimité de l’accord et demander l’arrêt de son application. Dans ce cas c’est le Juge qui devra décider entre le maintien de l’accord pour tous les salariés ayant refusé ou non le Contrat de solidarité et la cessation de son application pour tous.
L’avant-projet de loi français relatif à la sécurisation de l’emploi prévoit que les stipulations des Accords de maintien de l’emploi « sont applicables au contrat de travail avec l’accord du salarié » (art.12). Ainsi, même si ce sont les syndicats qui ont le pouvoir de négocier et de conclure l’accord avec l’employeur, ce sont les salariés qui acceptent individuellement les modifications apportées à leur contrat de travail. Toutefois, il est précisé que « Lorsqu’un ou plusieurs salariés refusent l’application de l’accord à leur contrat de travail, leur licenciement constitue un licenciement individuel pour motif économique » (art.12). Le consentement du salarié est, tout comme pour le Contrat de solidarité italien, purement symbolique. En effet, si le salarié refuse les stipulations de l’accord collectif, et donc les modifications de son contrat individuel de travail, celui-ci se verra licencier pour motif économique.
Conclusion et considérations sur les engagements communautaires et internationaux
Les juristes italiens ont réussi, par la création du Contratto di solidarietà, a imposer au salarié des modifications substantielles de son contrat de travail individuel sans que celui-ci y consente personnellement et ceci en désaccord avec le principe d’acceptation des modifications des éléments essentiels du contrat de travail par l’employeur et le salarié. En désaccord également avec l’article 2077 du Code civil italien qui dispose que les accords collectifs d’entreprise ne peuvent déroger en pire au contrat individuel de travail. Avec les Accords de maintien dans l’emploi, la France est en train de prendre le même chemin, puisque le consentement du salarié n’est que symbolique et ceci en désaccord avec l’article L 1222-6 du Code du travail qui dispose que « la modification d'un élément essentiel du contrat de travail », pour motif économique, est subordonné à l’accord du salarié.
Jusqu’à présent, en Italie, le consentement individuel du salarié n’a pas généré de contentieux. Cependant, au niveau communautaire, l’aide octroyée par l’Etat italien aux entreprises et à leurs salariés qui appliquent le Contrat de solidarité, pourrait poser problème. En effet, en 2002 la Cour de justice de l’Union européenne a, dans son arrêt Belgique c/ Commission, qualifié d’aide illégitime de l’Etat l’octroi d’une compensation financière publique aux salariés d’une entreprise en crise au vu d’un accord d’entreprise assimilable en substance au Contrat de solidarité de type difensivo (CJCE, 12 décembre 2002, n°5/01, Belgique c/ Commission). Il se pourrait donc que dans un futur plus ou moins proche, le Contrat de solidarité italien, ou plutôt le coup de pouce financier apporté par l’Etat, soit lui aussi censuré par la Cour de justice.
Pour les Accord de maintien de l’emploi, la France risque de se heurter à ses engagements internationaux et notamment à l’article 4 de la Convention n° 158 dite « Convention sur le licenciement » de l’Organisation Internationale du Travail qui dispose que « un travailleur ne devra pas être licencié sans qu'il existe un motif valable de licenciement lié à l'aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service ». En effet il est prévu dans l’avant projet de loi que « Lorsqu’un ou plusieurs salariés refusent l’application de l’accord à leur contrat de travail, leur licenciement constitue un licenciement individuel pour motif économique » (art.12). Le refus du salarié justifierait donc son licenciement pour motif économique, privant ainsi le juge de son pouvoir de contrôle sur l’existence effective du motif économique (G. Loiseau et P. Lokiec, en réponse aux questions de l’Association des journalistes de l’information sociale à propos de l’article 18 de l’ANI du 11 janvier 2013. Interview « Accords de maintien de l’emploi : un dispositif invalide ? » publiée le 23 janvier sur le site www.actuel-ce.fr). Cette nouvelle forme d’accord collectif d’entreprise pourrait donc générer des contentieux.
Bibliographie :
Italie:
- Memento Pratico, IPSOA, Francis Lefebvre, Lavoro, 2004
- P. Ichino, Il Contratto di lavoro vol III, Trattato di diritto civile e commerciale, Milano, Giuffrè editore, 2003
- M. Lai, L. Ricciardi, I contratti di solidarietà (disciplina legislativa e spunti di riflessione), ADAPT (Associazione per gli Studi internazionali e comparati sul Diritto del lavoro e sulle Relazioni industriali), Working paper n°74/2008
- P. Manzari, Contratti di solidarietà, Fondazione Studi, Consulenti del Lavoro, Consiglio Nazionale dell’Ordine
- Decreto-Legge 30 ottobre 1984 n° 726 (texte en vigueur)
- Article 2077 du Code civil italien
- Cass. civ. sez. lav., 14 octobre 1993, n° 10129 (Cour de cassation italienne)
- Cass. civ. sez. lav., 7 novembre 1997, n° 10959 (Cour de cassation italienne)
- CJCE, 12 décembre 2002, n°5/01, Belgique c/ Commission
- Pret., Roma, 30 avril 1994
France :
- Article 18 de l’Accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels des salariés
- Article 12 de l’Avant-projet de Loi relatif à la sécurisation de l’emploi
- lois Aubry n° 98-461 du 13 juin 1998 et n° 2000-37 du 19 janvier 2000
- Article 4 Convention n° 158 de l’Organisation Internationale du Travail
- Article L 1222-6 du Code du travail
- Décret n° 82-1055 du 16 décembre 1982
- Liaisons Sociales Quotidien, n°16284, 13 février 2013, Bibliothèque : l’actualité, Rubrique : emploi et chômage, « Les accords de maintien de l’emploi bientôt encadrés par le Code du travail »
- « Accords de maintien de l’emploi : un dispositif invalide ? », 23 janvier 2013, www.actuel-ce.fr