Comment créer du lien ? La politique culturelle d'Aubervilliers
La médiation culturelle c’est quoi ? À quoi ça sert ? Pourquoi ? Comment ? Parfois, un exemple vaut mieux qu’une explication théorique. Zoom sur Aubervilliers et sa politique culturelle et artistique qui fait la part belle à la médiation.
Il y a un peu moins de quatre ans, j’ai quitté ma Seine-et-Marne natale pour venir m’installer dans le 93. Il y a un peu moins de quatre ans, j’ai découvert ce qu’était véritablement une ville cosmopolite. À Aubervilliers, mon nouvel espace de vie, les cultures du Maghreb se mêlent à l’univers asiatique qui lui-même rencontre divers pays africains. Pour exemple, l’épicerie en bas de chez moi vend des dattes, de la farine de mil, des ignames, du baobab, des nouilles de riz et d’énormes bouteilles d’essence de fleur d’oranger. Ici, tout est comme ça.
Présenté ainsi, c’est beau. Probablement exotique. Dans les faits, Aubervilliers est un univers de questionnements. Les gens y sont pauvres, les tensions présentes. Le commissariat toise d’immenses tours de 20 étages et, chaque soir, il est possible de voir les policiers préparer leurs fourgons avant de partir en maraude. Depuis peu, la gentrification est arrivée dans la balance et modifie le visage de la ville. Plus que jamais, la question se pose : que faire des différentes cultures et origines sociales qui composent la ville ?
Communiste depuis des années, la mairie a fait son choix. Pas question de faire taire les uns et de laisser toute la place aux autres. Non. Le partage sera horizontal ou il ne sera pas. Les campagnes d’affichages sont nombreuses pour différentes assemblées participatives, prises de paroles et réunions de comités. Le grand panneau d’affichage devant la gare déroule plus souvent des appels à s’engager pour la ville que des campagnes publicitaires. Le message est clair : ici, on vit et on construit ensemble.
Pourquoi je vous parle de tout ça ? Parce que pour pousser sa population à se lier, pour éviter que tout le monde ne se regarde en chien de faillance durant les assemblées, la ville (mais plus largement la Plaine Commune qui réunit, entre autres, Aubervilliers, Saint-Denis, La Courneuve et St-Ouen) a décidé de miser sur l’art et le développement des pratiques artistiques et culturelles au niveau local.
Pour une jeune médiatrice comme moi, c’est un cas d’étude quotidien. Les volontés sont nombreuses et les essais fourmillent. On y trouve les Laboratoires d’Aubervilliers, les différents théâtres, les artistes en résidence, les grapheurs, l’influence de La Villette, toute proche, ou encore la présence d’acteurs comme le CENT-QUATRE qui, lui aussi, n’est pas bien loin. Il faut également compter avec les très nombreux festivals, bals et rencontres. Avec la médiathèque St John-Perse ou encore la librairie des Mots Passants logée dans le centre-ville. Je pourrais en citer un nombre bien plus conséquent tant le tissu culturel est dense.
C’est à ces structures culturelles officielles qu’on attribue généralement le rôle de lien et de médiateur. Au musée de trouver comment faire venir du monde entre ses murs et à la bibliothèque de proposer une offre qui n’exclura personne. Et, en effet, c’est l’une de leurs missions. Ceci étant, ces institutions sont-elles capables d’instaurer un véritable dialogue et de réconcilier à elles seules les écarts entre les différentes populations ? Il suffit d’avoir déjà mis les pieds dans un grand musée parisien pour sentir que la réponse est non. Aux artistes et aux structures culturelles, il faut ajouter au moins un autre élément, un connecteur. Un lien.
Si vous fréquentez un peu les lieux culturels d’Aubervilliers, vous remarquerez rapidement que tout le monde s’y mêle sans trop de peine. Et ça, c’est parce que la ville ne s’est pas laissée avoir dans sa politique. Certes, elle a misé sur l’art, mais elle a aussi bien compris que si elle voulait vraiment réunir ses habitants, il fallait qu’elle soit capable de les intéresser et, plus encore, de leur donner un sentiment de légitimité à investir les lieux mis à leur disposition.
Ce dialogue, il s’instaure grâce aux petites associations de quartier et de ville. Pour donner un exemple, on peut citer l’association Indans'cité . Installée dans des locaux situés à côté du commissariat et des imposantes tours qui le cernent, elle offre des cours de danse pour un prix dérisoire. Lieu de vie local, elle propose également de l’aide aux devoir, des cours d’anglais et, plus généralement, un espace de rencontres et d’échanges pour les femmes et les enfants de la ville.
Consciente de son rôle, soutenue par la mairie, il lui importe également « d’offrir au plus grand nombre des actions culturelles et artistiques favorisant l’intégration de chacun.e »*. C’est ainsi que, le samedi 12 octobre, ce sont ses danseuses qui ont eu l’occasion de participer à la soirée d’ouverture du Festival Villes des Musiques du Monde au prestigieux Théâtre équestre Zingaro. Pour ce même festival, qui investit Paris et le 93 pour un mois, l’association propose des tarifs préférentiels pour certains spectacles, tel celui du collectif Jeu de Jambes. Collectif qui est lui-même venu donner un cours exceptionnel et gratuit pour les adhérentes dans les locaux de l’association. À travers ce procédé, c’est tout un lien de confiance qui s’établit, ainsi qu’un aller-retour entre les différentes structures.
Indans’Cité n’est qu’un exemple parmi d’autres. Il suffit de mettre les pieds au forum annuel des associations d’Aubervilliers pour se rendre compte du nombre de petits acteurs que comprend la ville. Chacun, à sa façon, s’adresse directement à la population, établit avec elle des liens privilégiés… Et participe ensuite à son intégration dans la vie artistique et culturelle des environs. C’est comme ça que tout le monde finit par se croiser, partager des expériences semblables et expérimenter un vivre ensemble qui est, je dois dire, pour le moins remarquable.
Bien sûr, tout n’est pas rose. Bien sûr, tout ne fonctionne pas. Ce sont les aléas de toute politique. Mais force est de constater que la volonté de médiation culturelle d’Aubervilliers est particulièrement efficace. Elle a l’intelligence d’être humble et de mettre tout le monde au même niveau, quelle que soient les origines et le milieu social. Ici, chaque culture est respectée. La transmission est horizontale. Et quand il s’agit d’intégrer les structures culturelles, ça se fait du bas vers le haut. De la petite association de quartier vers les institutions.
Il y a peu, une des filles d’Indans’Cité m’a ramenée en voiture parce que je m’étais blessée. Elle m’a demandé si j’aimais Aubervilliers et je lui ai dit que oui, étrangement oui. Même si c’est une ville pleine de tensions, à mauvaise réputation et qui n’a rien de très joli. Elle a souri et elle m’a dit « Moi, je n’aime pas Paris. Les gens ne se parlent pas et on n’y fait rien pour nous. Alors qu’ici… Ici c’est la famille ». Et comme elle avait raison. Et comme je me suis dit que c’était là la preuve que le pari d’Aubervilliers, celui de nous faire vivre ensemble à travers l’art et la culture, était une réussite.
La médiation culturelle est une jeune discipline et elle a une vocation profondément sociale. On aime à dire qu'elle œuvre pour la démocratie et la démocratisation de l’art et de la culture. Mais si vous aviez besoin d’une illustration pour comprendre en profondeur quel est son rôle, j’espère que l’exemple que je viens de vous donner vous aura permis d’y voir plus clair. Dans tous les cas, retenez que, à l’échelle d’une ville ou d’un musée, elle tente, fondamentalement, d’établir du lien et de faire de la culture un bien véritablement commun.
*Extrait de l'article Un Mouvement de femmes au coeur de la cité, Les Nouvelles d'Auber, juin 2019