Aux hommes et aux femmes, la Patrie reconnaissante (à valider)

Soumis le 09/01/2022 par Fanny Briere dans MCEI / Lieux culturels à découvrir

Au départ, était l’église Sainte-Geneviève. Pour remplacer l’ancien bâtiment devenu trop vétuste, cette nouvelle église est commandée par Louis XV en 1754. Jacques-Germain Soufflot accepte le projet et en 1764, la première pierre est posée. L’église est achevée au début du XIXème siècle. L’édifice devient Panthéon en 1791, avant d’être totalement achevé. Les révolutionnaires décidaient alors d’investir l’édifice d’une vocation mémorielle liée au culte des Grands Hommes de la Nation. Malgré quelques allers-retours, cette fonction s’affirme pleinement au 19e siècle.
Depuis lors, 81 personnalités sont entrées au Panthéon, 75 hommes et 6 femmes. Toutes n’ont pas été panthéonisées et certaines en sont sorties. Statistiquement, le déséquilibre est immense entre les hommes les femmes, mais la tendance des dernières années tend à encourager l’entrée de plus en plus de personnalités féminines au Panthéon.
Mais avant tout, qu’est-ce que la panthéonisation, cette spécificité bien française ? Qui sont ces femmes déjà panthéonisées ? Comment expliquer un tel déséquilibre entre hommes et femmes ?

La panthéonisation : mode d’emploi

Avant tout, arrêtons-nous sur ce phénomène de panthéonisation en France.

L’initiative de la panthéonisation

La panthéonisation revient au domaine du politique. En 1791, l’Assemblée constituante se charge de la première entrée au Panthéon. La Convention poursuit cette initiative à partir de 1794. Napoléon Ier en fait une prérogative individuelle sous le Premier Empire, avant que cette décision ne redevienne collective en 1885. Depuis 1958 et l’instauration de la Ve République, la décision revient au chef de l’État, avec une mise en œuvre par le ministère de la culture. La décision prend la forme d’un décret. Celle-ci ne s’impose cependant pas tout à fait. La personne elle-même peut avoir refusé la panthéonisation.
L’investissement de la famille est aussi extrêmement important. Si certaines ne souhaitent pas la panthéonisation comme les familles d’Arthur Rimbaud ou encore d’Albert Camus, d’autres, au contraire, prennent l’initiative de proposer le nom de leur aïeul.

Notons que la dépouille du panthéonisé n’est pas forcément présente dans la crypte du monument. Ainsi, Aimé Césaire ou encore Joséphine Baker reposent encore respectivement à Fort-de-France et à Monaco.

Il est aussi intéressant de relever qu’il n’y a pas de texte qui détermine explicitement les critères définissant l’éligibilité d’une personnalité à l’entrée au Panthéon. Toutefois, certains éléments semblent récurrents comme l’incarnation des valeurs de la République, mais aussi la résonance des combats de la personne au sein de la société et dans les quinquennats des chefs d’État, ce qui en fait une décision très politique.

Une décision éminemment politique

Insistons sur le fait que cette décision revient au Président de la République et relève en quelque sorte de la tradition. À l’exception de Georges Pompidou ou de Valéry Giscard d’Estaing, tous les Présidents de la Ve République ont fait entrer un ou plusieurs personnages au Panthéon.
Mais comme justement la décision revient au Président, elle transcrit de toute façon la couleur de son quinquennat, comme le déclare Fabrice d’Almeida : "Pour un Président, faire rentrer quelqu'un au Panthéon, c'est à la fois donner la marque de ce qu'on veut intellectuellement, humainement pour le pays, et c'est aussi se référer à toute une histoire partisane, politique » (propos recueillis par Franceinfo).
Cette place importante laissée au Président se retrouve jusque dans la scénographie de la cérémonie pour l’entrée au Panthéon. Elle est très codifiée et a tendance à mettre tout autant en valeur le personnage panthéonisé et le chef de l’État.
Ainsi, le Président actuel, Emmanuel Macron, qui a souhaité faire de l’égalité femme-homme la grande cause de son quinquennat, a fait entrer au Panthéon deux femmes : Simone Veil en 2018 et Joséphine Baker en 2021.

Qui sont les six femmes au Panthéon ?

A l’échelle de l’histoire des panthéonisés, l’entrée de femmes fut le fruit d’un long travail de reconnaissance.

Sophie Berthelot : l’épouse

La première femme à reposer dans la crypte est Sophie Berthelot (1837-1907) et cela se déroule en 1907. Il est important d’insister sur le fait que cette première femme entre au Panthéon en tant qu’épouse et non en tant que panthéonisée.
Elle fut mariée à Marcellin Berthelot (1827-1907), chimiste, biologiste et homme politique. À la demande de leur famille, elle entre au Panthéon, pour qu’elle repose auprès de son mari. Les propos d’Aristide Briand, alors ministre du président Armand Fallières, confirment cette entrée en tant qu’épouse : « Elle avait toutes les qualités rares qui permettent à une femme belle, gracieuse, douce, aimable et cultivée d'être associée aux préoccupations, aux rêves et aux travaux d'un homme de génie ».

Marie Curie : la première femme panthéonisée

Il faut attendre 1995, le deuxième septennat de François Mitterand, et l’impulsion d’une future panthéonisée, Simone Veil, pour qu’une première femme soit vraiment reconnue pour ses accomplissements personnels. Il s’agit de Marie Curie (1867-1934), l’une des plus célèbres scientifiques, détentrice de deux prix Nobel en physique et en chimie. Elle repose dans la crypte auprès de son époux Pierre Curie.

À l’occasion d’une exposition qui s’est tenue au Panthéon en 2017-2018 mettant à l’honneur la physicienne, Philippe Bélaval, président du Centre des monuments nationaux, rappelait l’importance et toute la portée symbolique de cette entrée en ces termes : « Célébrer la mémoire de Marie Curie, entre les murs du Panthéon, était une évidence. Monument honorant la mémoire collective des Grands Hommes, il est un lieu particulièrement symbolique pour Marie Curie - première femme à y être entrée. À travers elle, ce sont toutes les femmes qui travaillent pour la recherche et pour la science qui doivent se sentir honorées ».

Geneviève De Gaulle Anthonioz et Germaine Tillion : deux femmes résistantes

Geneviève De Gaulle Anthonioz (1920-2002), nièce du Général, a été la première femme décorée de la Grand-croix de la Légion d’honneur. Étudiante en Histoire à Rennes, puis à la Sorbonne, elle s’engage dans le Réseau de résistance du Musée de l’Homme. Après la guerre, elle poursuit son engagement dans la défense des droits de l’homme et de la lutte contre la pauvreté, notamment au sein du mouvement « Aide à toute détresse » (plus tard ATD Quart-Monde) dont elle prendra la tête en 1964.
Germaine Tillion (1907-2008) est une femme de lettres, ethnologue, résistante française engagée dans la défense des droits de l’homme. Elle participe à la création du Réseau de résistance du Musée de l’Homme. Elle est la deuxième femme à recevoir la décoration de la Grand-croix de la Légion d’honneur. Elle obtient également le prix Pulitzer en 1947.

Les deux femmes se sont engagées très tôt dans la résistance et ont toutes deux connu l’enfer des camps de concentration, en particulier celui de Ravensbrück en Allemagne. Elles entrent en même temps au Panthéon, en 2015, aux côtés de deux hommes, également engagés dans la résistance. Cette entrée de quatre personnes est exceptionnelle par son nombre.
Leurs dépouilles ne reposent pas dans la crypte, selon les vœux des familles qui souhaitaient les préserver dans les cimetières où elles étaient déjà inhumées.

Simone Veil : la figure du droit des femmes en France

Simone Veil (1927-2017) est une magistrate et femme politique française. Déportée à Auschwitz, elle a consacré sa vie au souvenir de la déportation, la construction européenne et surtout le droit des femmes.
Après la guerre, elle effectue des études de Droit et entre en 1974 dans le gouvernement de Jacques Chirac en tant que ministre de la Santé, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. Nous lui connaissons surtout la loi sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG), dépénalisant ainsi l’avortement. Entre 1979 et 1982, elle est Présidente du Parlement Européen et fut notamment membre de l’Académie française.

Notons qu’il n’a pas fallu attendre plusieurs années avant qu’elle soit panthéonisée. Seulement un an après son décès, elle est inhumée au Panthéon avec son époux Antoine disparu en 2013. Il est le premier homme à entrer au Panthéon en tant qu’époux.
Cette entrée rapide se mesure à l’évidence de sa panthéonisation pour les Françaises et les Français, fortement engagés sur les réseaux sociaux en faveur de son inscription au rang des « Immortelles ». Cette popularité a été confirmée par les propos d’Emmanuel Macron en 2018 lors de la cérémonie de panthéonisation : « La décision de faire entrer Simone Veil au Panthéon ne fut pas seulement la mienne ni celle de sa famille, mais celle de tous les Français ».

**Joséphine Baker : « j’ai deux amours, mon pays et Paris »**

Joséphine Baker (1906-1975), femme métisse née dans l’État ségrégationniste du Missouri aux États-Unis, quitte son pays d’origine pour la France et surtout Paris. Chanteuse, danseuse, actrice et meneuse de revue notamment au théâtre des Champs-Élysées, elle fut aussi résistante durant la Seconde Guerre mondiale et engagée dans la lutte contre le racisme et pour l’émancipation des Noirs, en soutenant le mouvement américain des droits civiques.

Mère d’une famille de douze enfants adoptés, très impliqués dans sa panthéonisation, elle est la première femme noire et artiste à franchir le pas de la porte du monument. À l’image de Simone Veil, son entrée n’est pas seulement la conséquence d’une initiative familiale et d’un choix du Président. La pétition « Osez Joséphine » avait récolté 37 000 signatures. Sa panthéonisation en novembre 2021 marque une reconnaissance envers ses différents combats et son universalisme.

Qui seront les prochaines « immortelles » ?

La question de l’égalité entre femmes et hommes est clairement au centre des préoccupations sociétales ces dernières années, mais le Panthéon reste encore le lieu où règne une forte inégalité. Philippe Bélaval, après son rapport écrit en 2013, commente : « Même si Germaine Tillion, Geneviève De Gaulle et Simone Veil ont pu entrer au Panthéon depuis ce rapport, le déséquilibre entre les hommes et les femmes ne correspond absolument plus à nos attentes et à nos critères. »
Néanmoins, il s’agit de retenir que l’entrée de femmes au Panthéon s’est accélérée depuis 1995, et qu’il faudra certainement des années avant d’atteindre cette équité souhaitée.

Des noms sont d’ores et déjà cités.
L’avocate Gisèle Halimi, disparue en 2020, est une de ces femmes pressenties pour une future entrée au Panthéon. Plusieurs initiatives sont déjà lancées depuis son décès, mettant en avant ses différents combats menés au cours de sa vie, comme le droit à l’avortement, la dépénalisation de l’homosexualité ou encore la criminalisation du viol.
Dans le domaine de la culture, Simone de Beauvoir, agrégée de philosophie et écrivaine considérée comme la grande théoricienne du féminisme, est proposée depuis plusieurs années. Olympe de Gouges est également un nom qui ressort régulièrement. Elle est connue pour avoir soutenu l’abolition de l’esclavage, lutté pour l’égalité entre hommes et femmes, ou encore la défense de la démocratie. Retoquée fermement par Jacques Chirac en 2016, ce nom n’a pourtant pas totalement disparu depuis.

Références :

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Histoire, actualité, société, féminisme, politique