Depuis les attentats du 13 novembre, la ville de Saint-Denis est entachée d'une réputation qui la précède : « délinquance », « terrorisme » et « communautarisme religieux » sont souvent associés à cette ville dans la presse et dans les débats publics qui dépeignent une réelle zone de non-droit qu'il faudrait fuir. Pourtant ce n'est pas l'image que j'ai de cette commune qui candidate pour le titre de Capitale européenne des cultures 2028. La réputation si controversée de Saint-Denis se renverse-t-elle en «the place to be» pour les amoureux de la culture ? Me concernant, l'histoire d'amour a débuté devant un graffiti « Saint-Denis capitale des cultures »...

Il y a maintenant quatre ans que j'ai quitté ma ville natale, Nantes, pour faire mes études dans le reste de la France et découvrir ses particularités régionales.  J'ai d'abord vécu à Nîmes puis à Paris, Drancy et enfin Saint-Denis. Quand j'ai décidé de m'installer à Saint-Denis je n'avais jamais reçu autant d'alertes concernant cette ville. «C'est pas dangereux là bas ?» ; «C'est là où vivait Jawad !» ; «Par contre la Basilique est superbe à visiter !» sous-entendu «C'est la seule chose à voir là-bas». En arrivant en Île-de-France je n'avais aucun préjugé sur les différents départements qui constituent la région, sauf pour Paris évidemment : quelle personne venant de province n'a pas d'a priori bons ou mauvais sur la capitale ? C'est donc sans a priori que je me suis installée à Saint-Denis, déterminée à faire ma propre opinion de cette ville à la mauvaise réputation : cela fait bientôt six mois que j'y habite et que je  tombe sous son charme un peu plus chaque jour.

Un jour, alors que je rentrais chez moi je vis un graffiti « Saint-Denis capitale des cultures », je l'ai directement photographié, il me parlait directement car cette ville est le symbole du multiculturalisme, elle épouse parfaitement mon métissage culturel et  social : je peux m'acheter des produits cosmétiques fait pour mes cheveux frisés, aller au Théâtre Gérard Philippe et rentrer à pied le soir ou déambuler au Musée d'Art et d'Histoire Paul Eluard le dimanche, flâner aux Halles du marché à la recherche de produits frais, découvrir des univers artistiques variés au 6B, admirer le monument historique qu'est la Basilique, participer à des événements sportifs et culturels au Stade de France et rentrer de Paris à vélo : tout est à  proximité. En plus de m'y sentir à ma place, j'y découvre de nouvelles cultures, de nouveaux aliments, de nouvelles pratiques... et je sens que je ne suis pas au bout de mes surprises.

L'histoire d'une ville monde

Pour comprendre comment Saint-Denis est devenue le symbole du multiculturalisme et du syncrétisme il faut se tourner vers son histoire, vieille de deux mille ans, pour observer toutes les différentes strates de populations qui ont cultivées ce riche terreau culturel. 

Pénétrons les pierres de calcaire de la célèbre Basilique de Saint-Denis pour découvrir l'histoire de cette ville aux mille cultures. La Légende Dorée de Jacques de Voragine raconte que tout a commencé au III^e siècle quand le saint, Denis, fut martyrisé et décapité à Montmartre et qu'il marcha, la tête sous le bras, jusqu'au cimetière gallo-romain Catolacus pour s'y faire enterrer, donnant son nom à la ville et plus tard, au V^e siècle, à la Basilique. Cette dernière devient rapidement le tombeau de la quasi-totalité des rois, reines et princes de France et le roi Dagobert fut le première à y être inhumé en 639. Pendant la Révolution française, la ville de Saint-Denis est rebaptisée «Franciade» et la Basilique est profanée : les révolutionnaires jettent les cendres de quarante-deux rois, trente-deux reines, soixante-trois princes, dix serviteurs du royaume et une trentaine d'abbés et de religieux dans la fausse commune. Dès 1805, Napoléon I^er l'a converti en lieu de sépulture pour les empereurs et en Maison d'Éducation de la Légion d'Honneur quatre ans plus tard. Durant la deuxième moitié du XIX^e siècle, la ville de Saint-Denis s'industrialise et les regards se détournent de la Basilique pour se diriger vers les quatre-vingt usines de métallurgie qui attirent une forte population d'ouvriers et d'immigrés bretons et espagnols. La Grande Dépression des années 1930 plonge les dionysiens dans une précarité sans précédant positionnant le Front Populaire et son idéologie communiste comme essentielle pour sauver la population. C'est ainsi que pendant la Second Guerre Mondiale, Saint-Denis intègre les villes rouges franciliennes et devient un réel bastion de la résistance française hébergeant en son sein de nombreux militants socialistes et communistes comme Auguste Gillot, cadre du PCF qui exerça d'importantes responsabilités dans la Résistance et maire de Saint-Denis de 1944 à 1971. Enfin, la ville connaît une période de prospérité illustrée par un essor économique (le chômage y était presque inexistant de 1945 à 1970) et démographique avec la construction de très nombreux logements sociaux. Malheureusement, le phénomène de décentralisation industrielle plonge de nouveau la ville dans la précarité et en 1990 le chômage atteint jusqu’à 14% de la population active. C'est pourquoi, en 1991, Saint-Denis s'associe aux municipalités communistes de Saint-Ouen et d'Aubervilliers pour créer «Plaine Développement», une société d'économie qui dynamise les activités du tertiaires sur le territoire ; elle s'organise plus tard en structure intercommunale, «Plaine Commune», qui rassemble neuf villes alentours comme Villetaneuse, La Courneuve ou encore Epinay-Sur-Seine. La proximité de Saint-Denis de la capitale et le faible coût de ses loyers attirent l'immigration récente et devient le berceau de la culture Hip Hop en France dès 1980. Aujourd'hui, la commune rassemble plus de 150 origines avec leurs cultures et leurs croyances pour crée un véritable eldorado culturel.

Saint-Denis, le renouvellement par la Culture ? 

En 1985, Melina Mercouri, alors ministre grecque de la Culture, crée le projet « Capitales Européennes des Cultures » dans le but de mettre la diversité de la richesse culturelle en Europe en valeur mais aussi pour renforcer les liens qui unissent les européens. Concrètement, comment cela s'applique-t-il ? Chaque année, l’Union européenne désigne une ville européenne, et depuis cette année un État candidat à l’adhésion à l’Union européenne, comme capitale européenne de la culture. Une fois élues, les nouvelles capitales des cultures ont quatre ans pour organiser, sur une année civile, un programme de manifestations culturelles riche. Cette nomination est souvent l’occasion d’un renouvellement urbain et d’une promotion culturelle à l’échelle internationale. La première capitale européenne à avoir été élue fut Athènes en 1985, et la France vit quatre de ces villes désignées capitales européennes des cultures depuis la création du projet à savoir Paris en 1989, Avignon en 2000, Lille en 2004 et Marseille-Provence en 2013.

 « 40% des habitants de Saint-Denis sont riches d’une culture étrangère et 36% de la population a moins de 25 ans. Cette candidature c’est celle d’un territoire bouillonnant et d’une jeunesse métissée », avance Mathieu Hanotin, maire de Saint-Denis. 

Le 1er octobre 2021, Saint-Denis s’engage dans la compétition aux côtés de Rouen, Clermont-Ferrand, Nice, Bourges, Roubaix et Reims avec son projet «Périféeries 2028» qui ambitionne de « réenchanter le territoire par la culture ». En effet, Mathieu Hanotin, maire de Saint-Denis depuis juillet 2020, souhaite faire valoir la richesse patrimoniale, historique et culturelle du territoire en mettant en avant sa population symbolisée par sa diversité et sa jeunesse. Derrière ce projet, Mathieu Hanotin questionne également la notion de territorialité de Saint-Denis : lors du lancement officiel de la candidature il souligne qu’«elle s’accompagne d’une volonté : replacer la périphérie au centre et ne plus être réduits à être ‘la banlieue de’». En effet, l’Île-de-France fonctionne en relation de dépendance vis-à-vis de Paris qui polarise les flux humains pour de nombreuses raisons comme celle du travail, des loisirs ou encore des études. Le réseau de transport public y est pour quelque chose puisque, à défaut de nous mener à Rome, tous les chemins mènent à Paris ce qui à pour conséquence la saturation du réseau. Ainsi, le projet «Périféeries 2028» s’inscrit dans la logique de décentralisation du projet du Grand Paris Express qui a pour ambition d'interconnecter la périphérie du territoire francilien et ainsi de rendre chacun des territoires plus indépendant de la capitale. De cette manière, la ville de Saint-Denis pourra attirer un plus grand nombre de personne et inverser la direction des flux humains vers elle, grâce à la culture. 

La nomination de Saint-Denis comme capitale européenne des cultures a comme immense enjeu de changer radicalement la réputation controversée de la commune et de ses habitants pour en faire un véritable eldorado de la culture, capable de polariser des flux à différentes échelles et ainsi de devenir symbole de fierté pour les habitants de Seine-Saint-Denis.