A propose de la transposition par l’Allemagne et la France de la directive du 25 mai 1999 sur certains aspects de la vente et des garanties de biens de consomation, par Florine de La Forest Divonne
La transposition, par la France et l’Allemagne, de la directive du 25 mai 1999 illustre la marge de manœuvre dont dispose les états dans le cadre de la réception des directives. Elle témoigne de la difficulté de lier uniformité de mise en œuvre du droit communautaire et respect de l’autonomie des Etats. L’Allemagne profita de la directive pour réformer l’ensemble de son droit des obligations alors que la France opta pour une transposition stricte. Cette liberté laissée aux Etats quand à la forme et aux moyens de transposition n’est-elle pas source de protection inégale du consommateur sur le territoire européen ?
En matière de vente de bien de consommation les législations des Etats membres présentent de nombreuses disparités. Ceci a pour effet qu’au sein du marché intérieur, les ordres juridiques n’offrent pas le même niveau de protection aux consommateurs. Ces disparités sont sources de distorsions de concurrence et entravent par conséquent la libre circulation des marchandises. Afin de pallier ces inconvénients, la directive 1999/44/CE du 25 mai 1999 sur certains aspects de la vente et des garanties de biens de consommation, vise à imposer un socle de règles commun à tous les états en matière de vente de bien de consommation. L’article 249 alinéa 3 du Traité CE définit les directives comme des actes qui « lient tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre tout en laissant aux instances nationales le choix quant à la forme et aux moyens ». Il s’agit d’une véritable obligation de résultat qui laisse cependant aux états une certaine marge de manœuvre. Il s’agit par l’étude de la réception de la directive du 25 mai 1999 dans les ordres juridiques allemands et français d’illustrer l’étendue de cette marge de manœuvre. En effet la France opta pour une transposition « a minima » de la directive, alors que outre Rhin, le législateur saisit l’occasion pour réformer l’ensemble de son droit des obligations et transposa ainsi la directive de manière extrêmement large. La France et l’Allemagne ont sur cet exemple choisi des formes bien différentes pour se conformer aux obligations communautaires. Pourtant, l’harmonisation des droits constitue l’objectif essentiel du droit de l’Union Européenne. La directive, qui vise à uniformiser les législations des Etats membres n’aurait-elle pas paradoxalement pour effet de créer de nouvelles inégalités entre consommateurs ? La directive vise d’une part à garantir une protection efficace des consommateurs et d’autre part à simplifier le droit en matière de consommation (I). La réception hétérogène de la directive entre la France et l’Allemagne semble faire obstacle à la simplification du droit (II), mais les deux états, indépendamment des formes choisies, semblent garantir au consommateur profane une protection équivalente (III). I) Les objectifs de la directive: protection du consommateur et simplification du droit. La directive s’applique aux ventes (qu’il faut entendre au sens large) de biens de consommation (c'est-à-dire de biens meubles corporels) conclues entre un vendeur professionnel (personne physique ou morale) et un consommateur (personne physique). Elle vise à protéger l’acheteur-consommateur face au professionnel de manière comparable dans l’ensemble du marché commun en fixant un socle minimum de garanties. Elle prévoit des dispositions concernant la prescription (article 5), les clauses limitatives de responsabilité (article 7) ainsi que les remèdes offerts à l’acheteur (article 3). La directive vise en outre à simplifier le droit de la consommation. La majorité des conflits s’élevant entre le professionnel et le consommateur portent sur la non-conformité du bien vendu. La directive définit la notion de conformité dans son article 2. Elle prévoit deux cas de non-conformité du bien au contrat. La première hypothèse est celle où le bien ne serait pas conforme à la description faite de ses qualités, de sa physionomie ou des prestations qu’il permet de fournir. La seconde hypothèse est celle où le bien serait impropre à l’usage attendu. Que cet usage soit l’usage commun ou l’usage spécialement recherché par un consommateur. La directive oblige les états membres à une transposition avant le 1er janvier 2002. L’Allemagne a transposé la directive dans les temps en réalisant une réforme complète du droit des obligations, entrée en vigueur le 1er janvier 2002. La France quant à elle s’est vue sanctionnée par la CJCE le 1er juillet 2004 pour défaut de transposition. La transposition sera finalement opérée « a minima » par voie d’ordonnance le 17 février 2005. La loi de ratification conférant valeur législative de manière rétroactive aux dispositions prises par voie d’ordonnance ne sera finalement adoptée que le 5 avril 2006. II) Une réception hétérogène, obstacle à la simplification du droit ? Malgré leurs objectifs communs, l’Allemagne et la France ont opté pour deux méthodes de transposition opposées. Depuis quelques temps, les Allemands tentaient une réforme d’ampleur du droit des obligations. La directive européenne était une occasion opportune. La transposition de la directive du 25 mai 1999 fut le déclencheur de cette grande réforme du droit des obligations. Le législateur allemand appliqua la directive à l’ensemble du droit de la vente du BGB. Ainsi l'incorporation d'une directive dans le droit interne peut-être l'occasion d'un renouvellement du droit assurant une plus grande cohérence de celui-ci. La transposition de la directive par l’Allemagne apparaît ici plus efficace. Elle illustre parfaitement la position de l'Allemagne face au respect du droit communautaire. Celle-ci est rarement mise en cause pour manquement à son obligation de transposition. Cependant le choix de l'Allemagne s'explique par des considérations particulières. Tout d’abord, le régime instauré par la directive de 1999 aurait créé un nouveau corps de droit, devant coexister avec le droit de vente du BGB, les règles complémentaires du Code de commerce et le droit concernant les contrats de vente internationale de marchandises de la Convention de Vienne. Ensuite, la mise en œuvre d’une « grande réforme » avait l’avantage d’intégrer en même temps d’autres textes européens récents, comme la directive du 29 juin 2000 relative à la lutte contre le retard de paiement dans les relations commerciales, la directive du 19 mai 1998 concernant les actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs et partiellement la directive du 8 juin 2000 sur le commerce électronique. La réforme allemande concerne les consommateurs aussi bien professionnels que profanes et s’applique aux ventes de biens meubles corporels, incorporels et immeubles. Cette application large a permis une simplification du régime général du contrat de vente en Allemagne. A l’inverse, la transposition en droit français de ces éléments s’est fait strictement et malgré cela en accumulant un retard considérable. La question d’une transposition large a été soutenue par une grande partie de la doctrine et principalement par le groupe de travail sur la transposition de la directive réuni autour du professeur Geneviève Viney. Dans son rapport général, il est exposé que la transposition donnait une « occasion unique d’apporter au droit français les modifications qu’exigent sa modernisation et de gommer certaines de ses imperfections ». Le groupe de travail a proposé une refonte des textes du Code Civil (article 1641 à 1649 C.civ) afin de substituer à « l’action en garantie contre les défauts cachés de la chose vendue » et à « l’action en responsabilité pour délivrance d’une chose non conforme », une action nouvelle et unique en garantie de conformité. Les détracteurs de cette transposition large ont invoqué l’objectif même de la directive. Celui-ci est d’assurer une protection uniforme minimale des consommateurs et non pas de réformer tout le droit de la vente. Finalement la France opta pour une transposition a minima. En retard dans sa transposition et ayant fait l'objet d'une sanction par la CJCE, le gouvernement a choisi de transposer la directive par voie d'ordonnance. Cette procédure, certes plus rapide, ne permet pas un vrai débat en profondeur. L'urgence dans laquelle la France se trouvait a certainement été un frein à une transposition plus large et plus cohérente de la directive. La transposition ne s’est pas opérée dans le Code civil, mais uniquement dans le Code de la consommation (art. 211-1s Cconso). L’action en garantie de conformité se limite donc en droit français à la vente de biens meubles corporels dans les relations contractuelles entre professionnels et consommateurs. Dans son article 8.2, la directive prévoie une coexistence du droit national d’origine et du droit d’origine communautaire. La transposition de cette directive va donc ouvrir une voie de recours supplémentaire pour le consommateur. Celui-ci dispose donc de 3 actions différentes : l’action en garantie des vices cachés, l’action pour non-délivrance, et la garantie de conformité. Le législateur français n’a pas opté pour une simplification du droit de la consommation. La marge de manœuvre confiée aux états, semble ici avoir constitué un obstacle à la simplification et l’harmonisation des droits. Les Etats ayant tendance à créer des voies de recours parallèles, la transposition des directives entraîne souvent une complexification du droit. La directive se fixait comme autre objectif d’assurer une protection efficace du consommateur. III) La transposition, source d’inégalité de protection des consommateurs ? La directive instaure un socle de garanties acquises au profit de la partie faible. Les différences de transposition flagrantes entre la France et l’Allemagne pourraient laisser craindre une inégale protection des citoyens communautaires. En premier lieu, la directive fixe un nouveau délai de prescription pour les actions intentées par le consommateur contre le vendeur professionnel. Elle dispose que le défaut de conformité doit être apparu avant l’expiration d’un délai de deux ans à compter de la délivrance du bien. En Allemagne, le délai de prescription a été prolongé de six mois à deux ans à compter de la remise de la chose et ne se restreint pas uniquement aux ventes conclues avec les consommateurs, mais en principe à toutes les ventes. Cette modification permet une meilleure protection de l’acheteur qui voit son délai pour opposer la non-conformité des produits multiplié par quatre. En droit français, le gouvernement s’est conformé au délai de prescription de la directive, en transformant le « brefs délais » de l’article 1648 du Code civil de l’action en garantie des vices cachés à un délai de deux ans à partir de la découverte du vice. France et Allemagne se rejoignent quand au délai de prescription adopté. Les consommateurs bénéficient donc en France et en Allemagne d’une garantie équivalente. Seul le droit commun allemand de la vente semble plus protecteur, grâce à ses dispositions valables pour tous les contrats de vente. En second lieu, nous pouvons nous pencher sur le caractère impératif des droits octroyés aux consommateurs. Dans son article 7, la directive dispose que les clauses limitatives de responsabilité qui pourraient être insérées au contrat ne lient pas le consommateur. Elle précise également qu’il revient au législateur national de fixer les conditions dans lesquelles ces clauses sont inopposables au consommateur. La directive reprend ici la position du droit français. En effet l’article R 132-1 du code de la Consommation prévoyait déjà que les clauses limitatives de responsabilité soient réputées non écrite dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel. En droit allemand, il faut distinguer le droit commun et le droit de la consommation. En droit commun les clauses d’exclusion ou de limitation de responsabilité sont licites sauf dans l’hypothèse où le vendeur a dissimulé le défaut. Tandis qu’en droit de la consommation, la liberté contractuelle est nettement plus restreinte. D’une part le paragraphe 475 alinéa 1 du BGB dispose que les droits de l’acheteur ne peuvent être écartés ou réduits. D’autre part, le délai de prescription ne peut être réduit à moins de deux ans pour les choses neuve par une convention qui serait antérieure au moment où l’entrepreneur a été informé du défaut, ainsi seule une clause postérieure à cette information est licite (paragraphe 474 alinéas 2 du BGB). Malgré la transposition différente de ces deux pays, nous pouvons observer que concernant les clauses limitatives de responsabilité, les droits français et allemand apportent une protection équivalente du consommateur. Enfin la directive prévoit différents remèdes hiérarchisés que le consommateur est en droit de faire jouer en cas de non-conformité du bien au contrat. Dans le cadre de l’action en garantie de conformité contre le vendeur, l’acheteur doit tout d’abord accorder au vendeur une deuxième chance d’exécuter son obligation de vendre un bien de consommation conforme au contrat de vente. Il exige du vendeur qu’il fasse le nécessaire dans un délai raisonnable pour mettre le bien dans un état conforme au contrat, et ce, à ses frais. A cette occasion le consommateur est libre de choisir entre deux remèdes : la réparation du bien ou son remplacement par un bien exempt de défauts. Cependant s’il se révèle impossible de remettre le bien en conformité avec le contrat, l’acheteur dispose d’une deuxième série de remèdes. Il peut exiger du vendeur une réduction adéquate du prix d’acquisition ou - si le défaut est important - la résolution du contrat de vente. Le droit français propose les mêmes alternatives hiérarchisées que celles issues de la directive. Le consommateur dispose donc d’une possibilité de voir son bien réparé ou remplacé, cependant s’il s’avère impossible de mettre ces biens en conformité avec le contrat, le consommateur n’a plus que deux options : l’action rédhibitoire (l’acheteur rend la chose et se fait restituer le prix) et l’action estimatoire (l’acheteur récupère une partie du prix en fonction de l’importance du vice). Ces remèdes permettent une protection du consommateur plus complète que celle proposé jusque-là par l’unique action en garantie des vices cachés. Le droit allemand s’oriente lui aussi vers une protection effective de l’acheteur. Afin que l’acheteur obtienne rapidement satisfaction, le législateur lui impose de fixer au vendeur un délai de remise en conformité de la chose vendue. Uniquement une fois ce délai expiré, l’acheteur pourra se prévaloir de la deuxième série de remèdes. En ce qui concerne cette deuxième série de remèdes, le droit allemand applique rigoureusement les dispositions de la directive. L’acheteur peut soit exiger du vendeur la réduction adéquate du prix d’acquisition, soit déclarer la résolution du contrat.
Bien que totalement différente dans sa forme, la transposition de la directive du 25 mai 1999 par la France et l’Allemagne assure, sur le plan juridique, une protection équivalente du consommateur non professionnel. Cependant l’Allemagne, optant pour une transposition large de la directive, élargit le champ d’application de ces garanties. L’ensemble des acheteurs, même professionnels bénéficie d’une forte protection. Ce n’est pas le cas en France. En outre, la directive tendait implicitement à simplifier le droit de la consommation. Des deux pays, seule l’Allemagne a atteint cet objectif. Par sa nature même, une directive ne permet pas la simplification des droits car elle a tendance à créer des voies de recours parallèles, si le législateur n’opte pas volontairement pour une refonte.
Pour conclure, si la directive est la norme communautaire la plus respectueuse de la souveraineté des Etats, la liberté laissée à ces derniers semble être un obstacle à l’harmonisation et la simplification des droits.
Bibliographie : - Directive du 25 mai 1999 sur la vente et les garanties des biens de consommation. - Michael SCHLEY, La grande réforme du droit des obligations en Allemagne, cahier de droit des affaires, Dalloz 2002. - La nouvelle jeunesse du BGB insufflée par la réforme du droit des obligations, Claude Witz, Recueil Dalloz 2002. - La transposition de la directive du 25 mai 1999 sur les garanties dans la vente de biens de consommation, Contrats Concurrence Consommation n°8 Août 2008.