À propos de U.S. v Kay et du rôle de la jurisprudence américaine dans l’agrandissement du filet anti-corruption, par Raphael Soffer
Bien que le droit américain soit précurseur dans le droit de la corruption internationale, le champ des types d’agissements interdits en raison de leur caractère corrupteur pouvait sembler plus réduit que celui qui résulte de la Convention OCDE sur la corruption des agents publics étranger dans les transactions commerciales internationales. L’arrêt commenté U.S. v Kay met en adéquation, pour un critère précis (l’obtention ou la rétention de marché dans un État étranger) le droit américain avec la Convention OCDE.
Bien que le droit américain soit précurseur dans le droit de la corruption internationale, le champ des types d’agissements interdits en raison de leur caractère corrupteur pouvait sembler plus réduit que celui qui résulte de la Convention OCDE. L’arrêt commenté U.S. v Kay met en adéquation, pour un critère précis (l’obtention ou la rétention de marché dans un État étranger) le droit américain avec la Convention OCDE.
À la lecture des publications juridiques relative au Foreign Corrupt Practices Act (FCPA ) publiées récemment aux États-Unis, on pourrait penser que la S.E.C. et le Department of Justice font preuve d’un grand activisme. De très nombreux auteurs parlent ainsi d’un « risque passant un niveau supérieur » « heightened risk »(V. Sokenu). Pour être véritablement objectif, il faudrait remarquer que la plupart de ces auteurs sont des praticiens et qu’à ce titre, ils conseillent les entreprises sur les questions relatives au FCPA. A contrario, d’autres auteurs ont jugé que le nombre d’affaires relatives à l’application du FCPA était, au final, faible. À l’été 2007, on ne comptait ainsi que 50 espèces (V. Danforth Newcomb, FCPA Digest of Cases and Review Releases Relating to Bribes to Foreign Officials Under The Foreign Corrupt Practices Act of 1977 in The Foreign Corrupt Practices Act – Coping With Heightened Enforcement Risk (Practicing Law Institute, 2007), p. 395 et seq.), et le rythme n’a pas augmenté depuis (v. site de la S.E.C. et du DoJ). Peut-être même, pourra-t-on se joindre aux conclusions d’une étude qui démontrait qu’in fine, les affaires traitées par la SEC et le DoJ étaient d’une grande simplicité, les entreprises se faisant prendre plus par bêtise (par exemple un cadre au Qatar demandant directement à l’Ambassadeur américain quelle était la « bonne personne »( V. United States v. Roy Carver, 2 FCPA Rep. (Bus Laws) 645 (S.D. Fla. Apri. 9, 1979) que grâce à la ténacité du Department of Justice ou de la SEC (Philip SEGAL, Coming Clean on Dirty Dealing : Time for a Fact-Based Evaluation of the Foreign Corrupt Practices Act, 18 Fla. J. Int’l L. 169, 2006). Pourtant, si l’on raisonne ainsi, on ne sera qu’encore plus surpris par la masse contentieuse française. En effet, à ce jour bien que des affaires soient en cours d’instruction ou d’enquête (v. À propos de la onzième réécriture des délits de corruption, Marc Segonds, D. 2008 p. 1068), aucun arrêt n’a été encore été rendu au visa de l’article 435-3 du Code pénal. Pour le juriste, il est donc encore malheureusement trop tôt pour s’intéresser à l’application par les juridictions françaises de la Convention OCDE ou des articles du code pénal la transposant. Seul le Canada a, à ce jour, fait directement application de la Convention OCDE. Certes, les instruments internationaux sont récents (1997 pour la Convention OCDE) mais on ne peut qu’être frappé par le fait que la France soit encore en retrait dans la lutte contre la corruption. On pourra aussi noter que la Convention OCDE, tout comme le Chapitre V du Code Pénal (« Des atteintes à l'administration publique et à l'action de la justice des Communautés européennes, des États membres de l'Union européenne, des autres États étrangers et des autres organisations internationales ») la transposant en droit français ne font que quelques pages. Par contraste, les dispositions principales du FCPA s’étendent de façon bien plus substantielle. Cela démontre déjà que l’approche américaine laisse beaucoup moins de place à l’interprétation par le juge. Plus que la jurisprudence, ce sont les textes législatifs eux-mêmes qui ont influé sur la rédaction des instruments internationaux. Ainsi, faute d’avoir une influence décisive sur la rédaction des instruments internationaux, la jurisprudence américaine ne pourra être qu’étudiée dans sa spécificité.
D’une manière annexe, on pourrait être tenté de remarquer qu’aux États-Unis de très nombreux cabinets d’avocats comportent des départements spécialisés dans l’application du FCPA, illustration de l’importance certaine du droit de la corruption internationale pour les entreprises américaines. Il convient pourtant de noter que les procédures contentieuses allant à leur terme sont très rares. En effet, la plupart de ces affaires sont réglées par guilt plea quand il s’agit de procédures pénales, ou par transaction quand il s’agit de procédures civiles. Cette manière de procéder influe directement sur le contenu des normes. La S.E.C. et le DoJ sont, pourrait-on dire, maîtres de l’interprétation du droit tant que les sociétés ne font pas appel. Mais comme le remarque M. Deming en 2005, (DEMING p. 6), le fait que les individus soient exposés à des risques croissants d’emprisonnement en raison d’une législation sur la criminalité en col blanc plus sévère va inciter les dirigeants et cadres ainsi condamnés à interjeter appel. À ce jour, les espèces où le juge fédéral a eu l’occasion de se prononcer sur l’application du FCPA sont peu nombreuses. Parmi celles-ci, U.S. v. Kay mérite l’attention : c’est un exemple où le juge américain rejoint le standard international grâce à une interprétation extensive de l’article 78dd-1(a) du FCPA. Dans cette affaire à rebondissements, s’est posée avec acuité la question de la légalité d’un pacte corrupteur entre une entreprise et un inspecteur des impôts. En 2001, Messieurs Kay et Douglas, respectivement vice-président et président de American Rice, société opérant dans l’export de riz, ont été inculpés pour 17 violations du FCPA. La filiale haïtienne d’American Rice, complètement détenue par la maison mère texane et représentant les intérêts de la maison mère, a payé des fonctionnaires, par l’entremise de MM. Kay et Douglas, afin qu’ils ferment les yeux sur des sous-déclarations récurrentes de marchandises effectivement importées. L’arrêt commenté remarque d’ailleurs que ces pratiques étaient considérées comme « business as usual » en Haïti dans les années 90. L’arrêt note aussi que les représentants du gouvernement avaient plutôt tendance à pousser les entreprises à verser ces sommes, ce que les concurrents de American Rice faisaient eux-mêmes. Cette affaire illustre aussi l’idée selon laquelle la S.E.C. ne procède que très rarement à des enquêtes. La commission préfère attendre que des dirigeants souhaitant faire bénéficier leur entreprise de peines allégées rapportent à la Commission des faits litigieux commis par des employés à l’étranger. En effet, dans l’espèce étudiée ce sont les directeurs de la maison mère qui ont d’eux-mêmes dévoilé les faits à la Commission. De ces faits, consentis par l’accusé, découlaient deux questions auxquelles le pouvoir judiciaire n’avait jamais été confronté (« case of first impression ») : premièrement, fallait-il que l’accusé soit conscient de violer le FCPA ? Deuxièmement et enfin, la commission de ces actes est-elle un acte de corruption interdit au regard du FCPA? L’interdiction spécifique est contenue dans l’article 78dd-1(a) du FCPA qui dispose que : « It shall be unlawful for any issuer (…) to make use of (…) any means or instrumentality of interstate commerce corruptly in furtherance of an offer, payment, promise to pay, or authorization of the payment of any money, or offer, gift, promise to give, or authorization of the giving of anything of value to-- (1) any foreign official for purposes of-- (A) (i) influencing any act or decision of such foreign official in his official capacity, (ii) inducing such foreign official to do or omit to do any act in violation of the lawful duty of such official, or (iii) securing any improper advantage; or (B) inducing such foreign official to use his influence with a foreign government or instrumentality thereof to affect or influence any act or decision of such government or instrumentality, in order to assist such issuer in obtaining or retaining business for or with, or directing business to, any person; … » (Nous soulignons)
En première instance, la District Court for the Southern District of Texas a répondu par la négative à ces deux questions. Pour la cour, « des versements à des fonctionnaires ou des représentants étrangers faits dans le but de réduire le montant de taxes et de frais douaniers ne répond pas au critère du FCPA, selon lequel ils doivent être faits dans le but d’obtenir ou de retenir des marchés » « payments to foreign government o... fall under the scope of ‘obtaining or retaining business’ pursuant to the text of the FCPA. » (United States v. Kay, 200 F. Supp. 2d 681, 682 (S.D. Tex. 2002).] En 2004, après un appel de la S.E.C., la question s’est à nouveau posée devant la Court of Appeal for the Fifth Circuit. À la grande surprise de certains avocats qui jugeait le FCPA « trop vague » (Looking Again at U.S. v. Kay, 7 novembre 2004, http://fcpablog.blogspot.com/2007/11/another-look-at-us-v-kay.html), la Cour d’appel a cette fois répondu par l’affirmative aux deux questions. Quant à l’élément moral, le Fifth Circuit, qualifiant au passage l’accusé de “coupeur de cheveux en quatre”, a appliqué une jurisprudence de la Cour suprême selon laquelle il n’est pas injuste d’imposer à celui qui agit de manière déliberée aux frontières de la légalité le risque qu’il puisse en fait franchir la ligne. « it [is not unfair to require that one who deliberately goes perilously close to an area of proscribed conduct shall take the risk that he may cross the line » (Boyce Motor Lines, Inc. v. United States, 342 U.S. 337, 340 (1952)).] D’une certaine manière le juge fédéral met en adéquation le droit américain avec la Convention OCDE. En effet, l’Article 1 ne demande pas de démontrer la preuve de l’intention de contourner la loi (ou la Convention) mais simplement de l’intention d’offrir un avantage. La Convention OCDE y dispose en effet que « constitue une infraction pénale (…) le fait intentionnel, pour toute personne, d’offrir, de promettre ou d’octroyer un avantage indu pécuniaire ou autre, directement ou par des intermédiaires, à un agent public étranger, à son profit ou au profit d’un tiers, pour que cet agent agisse ou s’abstienne d’agir dans l’exécution de fonctions officielles, en vue d’obtenir ou conserver un marché ou un autre avantage indu dans le commerce international » (Nous soulignons) À la question de savoir si le FCPA interdisait aussi de verser des pots de vin à un inspecteur des impôts afin de diminuer les sommes dues, la Cour d’appel a répété que : « If bribery to obtain favorable tax and customs obligations was indeed as common as established in the record, then it is reasonable to imply that businesses viewed these practices as one of the only guarantees of maintaining a successful business in Haiti in the 1990’s. » (U.S. v. Kay II, p.12 ; disponible sur http://www.ca5.uscourts.gov/opinions%5Cpub%5C05/05-20604-CR0.wpd.pdf ) Le raisonnement de la Cour est plus que discutable. En effet, on peut se demander pourquoi une pratique, interdite, partagée par tous les concurrents, serait nécessairement une des « seules garanties » à la bonne poursuite du commerce dans un pays donné. Néanmoins, c’est au prix de cet artifice que le juge parvient à étendre la portée du FCPA. Car, comme le rappellent certains praticiens, la volonté du Congrès américain n’était pas de faire entrer en vigueur une loi au champ d’application si large qu’elle incrimine ce type de corruption. On pourrait même être tenté de dire que la volonté du législateur était d’incriminer ce que les anglo-saxons appellent la « grand corruption », en opposition avec la « petty corruption ». Et que les actes ici-commentés tombent plutôt dans la seconde catégorie. Cette décision du Fifth Circuit met un terme définitif à la controverse sur l’étendue réelle du FCPA. Un auteur non-américain craignait ainsi que la norme mise en place par l’article 78dd du FCPA soit en deçà de l’Article 1 de la Convention OCDE. Pour lui, le « wording of the article renders it difficult to capture all types of bribery-induced advantages intended to be captured by the Convention » (Ingeborg Zerbes, OCDE Commentaire de l’Article 1 de la Convention, p. 154). Le DoJ et la S.E.C. interprétait l’article 78dd(a) comme prohibant les versements à des fonctionnaires afin de réduire l’imposition fiscale. Du reste, des entreprises avaient déjà été condamnées pour des pratiques comparables (Par exemple dans des affaires aux faits similaires telles que In the Matter of Baker Hugues Inc. Exchange Act Release No. 44784, 12 Septembre 2001 ; U.S. v. KPMG Siddharta Siddharta & Harsono Litigation Release No. 17127, 12 Septembre 2001 ; US vs Vitusa Corporation CR. 94-253 (MTB) D.N.J., 1004 3 FCPA Reporter at 699.169 … settled out of court). Mais ces condamnations étaient particulières car les entreprises en question avaient choisi de transiger avec la S.E.C. et le DoJ, c'est-à-dire de payer une somme à l’État fédéral afin que cessent les poursuites (V. Claudius O. SOKENU, FCPA Enforcement After United States v. Kay: SEC and DOJ team up to increase consequences of FCPA Violation in The FCPA Coping With Heightened Enforcement Risks …, p. 193 et seq.). Antérieurement à cette décision Kay v. U.S., existait donc une incertitude juridique. D’un point de vue de droit comparé la décision est intéressante car elle illustre bien la latitude qui est laissée dans sa mise en œuvre dans les droits nationaux par la Convention O.C.D.E. À la lecture de l’Article 1 de la Convention, on a vu qu’il n’existait en effet aucun doute sur le fait que la corruption d’un inspecteur était incriminée dès lors que l’entreprise en tire « un avantage indu ». Le droit français transpose l’Article 1 en proposant une rédaction assez différente, mais il semble néanmoins acquis que l’absence de critère sur l’obtention ou la conservation d’un marché aurait rendu condamnable ce comportement. En effet, l’article 435-3 du Code pénal, tel que modifié par la loi du 13 novembre 2007 dispose qu’ « est puni (…) le fait, par quiconque, de proposer, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, à une personne dépositaire de l'autorité publique, (…) des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques, pour elle-même ou pour autrui, afin d'obtenir qu'elle accomplisse ou s'abstienne d'accomplir un acte de sa fonction (...) » (Nous soulignons) En conclusion on notera que le droit positif français par sa rédaction même ne fait pas référence à la notion d’obtention ou de conservation du marché. En effet, le droit français, fondé sur un critère objectif a une portée large. En opposition, le droit américain est plus subjectif, celui-ci requérant un lien entre l’acte corrupteur et l’obtention ou la rétention du marché. Le droit américain laisse donc une certaine marge de manœuvre au juge quant à l’appréciation de la légalité du pacte corrupteur.
Bibliographie sélective: United States v. Kay, 200 F. Supp. 2d 681, 682 (S.D. Tex. 2002) Claudius O. SOKENU, FCPA Enforcement After United States v. Kay: SEC and DOJ team up to increase consequences of FCPA Violation in The FCPA, Coping With Heightened Enforcement Risks …, p. 193 et seq.