Commentaire de la décision de la Cour de justice des Communautés européennes du 23 octobre 2007 (C-440/05) , par Géraldine Schiele

La Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE) reconnaît à la Commission la compétence pour harmoniser les sanctions pénales des Etats membres en cas d’infraction commise contre le droit communautaire de l’environnement. Ce pouvoir attribué à la Commission semble porter atteinte à la souveraineté des Etats membres et contredire le principe des compétences d’attribution. Cependant, la protection de l'environnement au niveau communautaire est un objectif essentiel de la Communauté, qui justifie la solution de la décision C-440/05.

La décision C-440/05 annule la décision-cadre 2005/667/JAI, prise à l’unanimité par le Conseil le 12 juillet 2005 concernant la répression de la pollution causée par les navires. La CJCE justifie cette annulation en affirmant que le point central de la décision-cadre est la protection de l’environnement ; tandis que la mise en œuvre des sanctions pénales n’en est qu’une conséquence. Ainsi, la matière de la décision-cadre relève du premier pilier, et non du troisième. Or, dans le cadre du premier pilier, la Commission a le monopole de l’initiative et le Conseil n’est pas autorisé à prendre des décisions à l’unanimité. Par cette décision, la CJCE se conforme ainsi à la décision antérieure C-176/03 du 13 septembre 2005. La décision C-440/05 de la CJCE est conforme aux articles 175 § 1 et 251 du traité CE qui imposent une procédure de codécision entre le Conseil et la Commission concernant la politique de la Communauté dans le domaine de l'environnement (C. HAGUENEAU-MOIZARD « Vers une harmonisation du droit pénal ? »). Cependant, comme elle l’avait déjà fait dans sa décision C-176/03, la CJCE étend les pouvoirs de la Commission. Cette dernière peut imposer aux Etats membres de prévoir des sanctions pénales en cas d'infraction à une règle communautaire de l'environnement (I. E. FROMM « Urteilsanmerkung »). La décision C-440/05 a dans un premier temps suscité des réticences en France et en Allemagne. Les deux pays objectent que l'harmonisation de leurs droits pénaux par la Commission porte atteinte à leur souveraineté et contredit le principe des compétences d’attribution. Dans un second temps, il convient de démontrer que l'harmonisation des sanctions pénales est nécessaire pour garantir au niveau communautaire une protection de l'environnement efficace. Par ailleurs, la liberté laissée aux Etats membres dans la mise en œuvre des sanctions pénales tend à apaiser les inquiétudes allemandes et françaises.

La Constitution française et la Loi fondamentale allemande s'opposeraient à une harmonisation du droit pénal de l'environnement par des directives. La France reconnaît la supériorité du droit communautaire dérivé sur le droit national depuis la décision de la Cour de cassation du 24 mai 1975 (Cass. mixte, 24 mai 1975, n° 73-13556, Société des cafés Jacques Vabre), et l'arrêt Nicolo du Conseil d'Etat de 1989 (CE, Ass. 20 octobre 1989, Nicolo). Plus précisément, la chambre criminelle de la Cour de cassation a admis dans une décision du 22 octobre 1970 (Crim. 22 octobre 1970, Société « Les fils d’Henri Ramel ») que le juge pénal doit faire prévaloir le droit communautaire sur le droit national en cas de contrariété. Cependant, dans cette même décision, la chambre criminelle a distingué la détermination des incriminations, pouvant relever de la compétence des organes communautaires et la détermination des sanctions, relevant du droit interne (L J. Pradel, A. Varinard, Les grands arrêts du droit pénal général). Cette décision est conforme à l’article 34 de la Constitution, qui énonce que « la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables » relève du domaine de la loi, fruit d’une procédure démocratique au niveau national. La détermination de sanctions par le droit communautaire serait alors privée « du sceau démocratique », dont le droit pénal a besoin (J. PRADEL, Droit pénal européen). Par ailleurs, dans la décision « Loi pour la confiance dans l'économie numérique » du 10 juin 2004 (Cons. const. n°2004-496) le Conseil constitutionnel français a déclaré qu’il était compétent pour contrôler les normes issues du droit communautaire dérivé si ces dernières heurtaient des « dispositions expresses contraires à la constitution ». Par sa décision du 19 novembre 2004 (Cons. const. n° 2006-540 DC), le Conseil constitutionnel a précisé que la notion de dispositions expresses couvrait « une règle ou un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France », tel le principe de laïcité par exemple (B. CHANTEBOUT, Droit constitutionnel). Ces deux décisions semblent ainsi instaurer en France un contrôle de constitutionnalité des directives comparable à la décision Solange I de 1974 (BverfGE 37, 271) de la Cour constitutionnelle fédérale allemande. Si le Conseil constitutionnel admet que la détermination des sanctions pénales au terme d'une procédure législative nationale est « une règle ou un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France », il est possible que la transposition d'une directive imposant à la France de sanctionner pénalement des comportements déterminés soit déclarée inconstitutionnelle par le Conseil constitutionnel.

La jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale allemande (Bundesverfassungsgericht) reconnaît la primauté du droit communautaire sur la Loi fondamentale (U. Haltern, Europarecht). La Cour allemande a d'abord refusé dans la décision Solange I de 1974 (BverfGE 37, 271) puis accepté dans la décision Solange II du 22 octobre 1986 (BverfGE 73, 339) d'abandonner le contrôle de conformité du droit communautaire avec la Loi fondamentale. Elle reconnaît ainsi que les droits fondamentaux des ressortissants allemands sont suffisamment protégés au niveau communautaire. La complexité de la jurisprudence constitutionnelle de la Cour constitutionnelle fédérale s'explique par l'histoire de l'Allemagne, et la méfiance envers une organisation supranationale qui ne respecterait pas les droits fondamentaux des ressortissants allemands (European Integration and German criminal Law, Joachim Vogel/Ali B. Norouzi). Cette méfiance risque de s'accentuer face à une harmonisation des sanctions pénales sur le fondement du premier pilier de l'Union européenne, régissant une action supranationale de la Communauté. En revanche, à l'inverse de la France, il n'existe pas en Allemagne de contrôle de constitutionnalité du droit communautaire dérivé (Schmidt-Bleibtreu, Hofman, Hopfauf Kommentar Grundgesetz,). La jurisprudence constitutionnelle allemande semble ainsi plus conciliante que la jurisprudence constitutionnelle française envers la transposition d’une directive imposant des sanctions pénales.

La décision C-440/05 contredit, par ailleurs, le principe « nulla poene sine lege » en France et en Allemagne. Le principe de la légalité des délits et des peines est décrit à l'article 111-3 du code pénal français et à l'article 34 de la Constitution française, en Allemagne aux articles 103 de la Loi fondamentale allemande et au § 1 du code pénal allemand, et consacré au niveau européen par l'article 7 de la déclaration européenne des droits de l'homme. Ce principe fondamental du droit pénal exige que « le système répressif soit organisé et fonctionne selon des règles édictées par le pouvoir législatif » (G. CORNU, Vocabulaire juridique) Selon l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer, ce principe ne serait pas violé si une directive communautaire imposait aux Etats membres de prévoir des sanctions pour une infraction déterminée. Il explique que les parlements nationaux doivent de toute manière être consultés pour la transposition d'une directive (Conclusions de l'avocat général, point 77). Cependant, la liberté des parlements nationaux en cas de transposition des directives n'est pas aussi grande que celle dont ils bénéficient lors de l'élaboration des lois nationales. Ils doivent reprendre les incriminations définies par la directive, pour éviter toute procédure en manquement (C. HAGUENEAU-MOIZARD, « Décision du 13 septembre 2005 »). Ainsi, une directive obligeant le législateur national à sanctionner des comportements déterminés semble contredire un principe fondamental, défini dans les constitutions respectives de la France et de l'Allemagne et dans la Convention européenne des droits de l'homme.

Enfin, la décision C-440/05 est en contrariété avec le principe des compétences d'attribution. Le principe des compétences d’attribution est ancré dans le traité CE, dans la Constitution française et la Loi fondamentale allemande. L’article 5 du traité instituant la Communauté européenne précise ainsi que « La Communauté agit dans les limites des compétences qui lui sont conférées (…) par le présent traité ». En Allemagne, l'article 23 de la loi fondamentale dispose que « la Fédération peut transférer des droits de souveraineté par une loi approuvée par le Bundesrat ». Enfin, la loi constitutionnelle du 1er mars 2005 (Loi n° 2005/204) en France a précisé qu'un engagement entraînant un transfert de compétences intervenant dans des matières nouvelles ne peut être ratifié qu’après une révision de la Constitution. Selon le principe des compétences d’attribution, les organes communautaires ne sont donc compétents que dans les matières transférées par les Etats membres au niveau communautaire. (I. E. FROMM « Urteilsanmerkung »). Or, aucune compétence pénale n’a été transmise à la Communauté dans le cadre du premier pilier.

Les principes constitutionnels en France et en Allemagne et le principe des compétences d’attribution posent la question de la légitimité des nouveaux pouvoirs attribués à la Communauté et amènent à s’interroger sur les effets possibles en France et en Allemagne d’une directive prise par la Commission dans le domaine de la décision C-440/05. L’intérêt supérieur de la protection de l’environnement au niveau communautaire et les limites de l’application de la décision C-440/05 justifient et légitiment l’attribution des nouveaux pouvoirs à la Communauté.

La Cour justifie les entraves à ces principes constitutionnels par la nécessité de protéger l'environnement au niveau communautaire. Dans son arrêt du 13 septembre 2005 (C-176/03), la CJCE affirme que « la protection de l’environnement constitue un des objectifs essentiels de la Communauté ». Cependant, les différentes sanctions en vigueur dans les Etats membres ne sont pas suffisantes pour mener cette « politique dans le domaine de l’environnement » (article 3 du traité CE) et pour promouvoir un « niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement » (article 2 du traité CE). Dans l’exposé des motifs de la proposition de directive du 9 février 2007 (2007/0022 (COD)), le Parlement européen et le Conseil condamnent en effet les différences importantes entre les droits pénaux des Etats membres, qui ne permettent pas de résoudre le problème de la délinquance écologique transfrontalière. Lorsque les législations des Etats membres sont insuffisantes, le principe de subsidiarité prévu à l'article 5 § 2 du traité CE autorise la Commission à intervenir dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive. Sur ce fondement, la Commission a édicté de nombreuses directives en matière d’environnement. Toutefois, en 2004, 30 % des procédures engagées par la Commission correspondaient à des infractions à la législation environnementale (« Europe Environnement » n°669 du 10 décembre 2004) reflétant les difficultés de la Commission à imposer la transposition de directives. Ces lacunes ont amené la CJCE à étendre aux directives l’obligation de prévoir des sanctions nationales, comme dans l'arrêt Von Colson du 10 avril 1984 (aff. C-14/83) ( M. Poelemans « La sanction dans l'ordre juridique communautaire »). Imposer des sanctions pénales aux Etats membres par des directives n'est donc pas entièrement nouveau.

L'insuffisance des législations nationales, le principe de subsidiarité et la jurisprudence antérieure de la CJCE qui étend aux directives l'obligation de prévoir des sanctions nationales peuvent justifier l'harmonisation pénale introduite par la décision C-440/05. Mais cette mesure d'harmonisation pénale doit respecter le principe de proportionnalité d'après l'article 5 § 3 du traité CE. Selon ce principe, l'action de la Communauté ne doit pas excéder ce qui est nécessaire à la réalisation de ses objectifs (C. CALLIES et M. RUFFERT, Kommentar zur Eu-Vertrag und EG-Vertrag). Il convient de vérifier si les atteintes aux intérêts des Etats membres qui résultent de l'intervention de la Communauté dans le domaine pénal n'excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre le but visé, à savoir une protection de l'environnement efficace.

Les limites de la décision C-440/05 garantissent à la France et à l'Allemagne le respect de leur souveraineté, et du principe de proportionnalité. Tout d’abord, la décision C-440/05 ne s'applique qu'au droit de l'environnement. Le pouvoir reconnu à la Commission de prendre des directives obligeant les Etats membres à prévoir des sanctions repose sur le premier pilier, relatif entre autres à la protection de l’environnement. Ainsi, cette décision n'a aucun impact sur le droit pénal général des Etats membres, et ne concerne pas la coopération policière et judiciaire en matière pénale, relevant du troisième pilier. La décision C-440/05, comme la décision C-176/03, est un phénomène isolé, qui ne remet pas en cause la compétence des Etats membres en matière pénale (M. Nord-Wagner « Commentaire de la décision C-176/03 »). Par ailleurs, la décision C-440/05 donne aux Etats membres la priorité pour sanctionner des infractions à l’environnement. Les sanctions pénales nationales doivent être efficaces, proportionnelles et dissuasives conformément à la décision du 13 septembre 2005 (C-176/03). Le législateur communautaire n’est autorisé à prendre des mesures en rapport avec le droit pénal des Etats membres, que si son intervention est indispensable et nécessaire (C. HAGUENEAU-MOIZARD, « Décision du 13 septembre 2005 »). Il doit donc fournir la preuve de cette insuffisance, ce qui diminue considérablement son intervention. Enfin, la détermination du type et du niveau des sanctions pénales ne relève pas de la compétence de la Commission, mais de la compétence des Etats membres. Le principe des compétences d’attribution est respecté selon la CJCE tant que la Commission ne fixe pas un minimum à respecter en matière de peines de prison ou d’amendes (I. E. FROMM « Urteilsanmerkung »). La CJCE estime que les Etats membres sont les mieux placés pour déterminer le montant des amendes et la durée des peines de prison. Elle témoigne ainsi du souci de respecter la souveraineté des Etats membres en matière pénale.

La décision C-440/05 a donné naissance à la directive 2008/99/CE adoptée le 19 novembre 2008. Cette directive ne fixe aucune peine de prison ou amende minimales. L’article 3 dispose par exemple que les Etats membres « font en sorte que les actes suivant constituent une infraction pénale » : la directive détermine les comportements qui doivent être sanctionnés, comme par exemple « le rejet de substances » entraînant une dégradation substantielle de l'air. Mais elle laisse aux Etats membres la liberté de déterminer l'intensité des sanctions. Ainsi, l'action de la Commission définie par la décision C-440/05 est proportionnelle aux objectifs poursuivis. La liberté laissée aux Etats membres concernant la détermination des sanctions concilie les exigences communautaires et nationales et semble capable d’apaiser les réticences de la France et de l’Allemagne envers une intervention de la Communauté en matière pénale.

Bibliographie :

Ouvrages allemands :

- Kommentar Grundgesetz, Artikel 23, Schmidt-Bleibtreu, Hofman, Hopfauf, Carl Heymanns Verlag, 11. Auflage, 2008, - Internationale und Europäisches Strafrecht, Prof. Dr. Helmut SATZGER, 2. Auflage, Nomos 2008 - Zeitschrift für Internationale Strafdogmatik, Urteilsanmerkung EuGH, Urt. V. 23.10.2007 – C-440/05, Dr. Ingo E. Fromm - Europarecht, Ulrich Haltern, 2. Auflage, Mohr Siebeck, 2007 - Grundgesetz für die Bundesrepublik Deutschland Kommentar, 9. Auflage C.H. Beck München, 2007 - Kommentar zu EU-Vertrag und EG-Vertrag, Christian Callies und Matthias Ruffert, 2. Auflage, Luchterhand 2002

Ouvrages français :

- Les grands arrêts du droit pénal général, Jean PRADEL, André VARINARD, Dalloz, 2007 - Commentaire de la décision C-176/03, Magalie NORD-WAGNER, Revue juridique de l’environnement, 2006 - Arrêt du 13 septembre 2005,Catherine HAGUENEAU-MOIZARD, Revue trimestrielle de droit européen, Dalloz, avril à juin 2006 - L’intégration pénale indirecte, Geneviève GIUDICELLI-DELAGE, Stefano MANACORDA, 2006 o L’intégration européenne et le droit pénal français, Juliette TRICOT o European Integration and german criminal law, Joachim VOGEL, Ali B. NOROUZI - Droit constitutionnel, Bernard CHANTEBOUT, Sirey 2006 - La sanction dans l'ordre juridique communautaire, Maiténa POELEMANS, 2005, Bruylant Bruxelles Vocabulaire juridique Gérard CORNU, PUF, 2004 - Europe Environnement n°669 du 10 décembre 2004 - Droit pénal européen Jean PRADEL, Geert CORSTENS, Dalloz 2002

Sites internet :

www.conseil-etat.fr

www.courdecassation.fr

www.zis-online.com

www.bundeskanleramt.at

www.ec.europa.eu

www.eur-lex.europa.eu