Commentaire des articles 49 et 50 du Traite de Lisbonne du 13 décembre 2007: une redéfinition de l’appartenance a l’Union Européenne ? par Adeline Petre
L’étude des articles 49 et 50 du nouveau Traité sur l’Union Européenne montre, pour la première fois depuis le début de la construction de l’Union Européenne (UE), un certain recul de l’intégration politique communautaire.
Une évolution se dégagerait à la fois vers une transformation de l’UE en “contrat”, ou en simple traité entre Etats - avec l’article 50 du Traité de Lisbonne, qui permet aux Etats membres de se retirer unilatéralement de l’Union - et à la fois vers des conditions d’entrées dans ce “contrat” plus strictes - avec l’article 49 du Traite de Lisbonne, qui requiert le respect de certaines « valeurs » aux Etats voulant adhérer à l’Union. Cette évolution est compréhensible suite au refus d’une Constitution pour l’Europe, en 2004, et face aux élargissements successifs de l’UE, sujet à de nombreuses critiques, telles que celle d’une “Europe sans frontières”. L’évolution des procédures d’adhésion (art. 49) ainsi que de retrait (art. 50) de l’UE, avec le Traité de Lisbonne, marque certainement un nouveau tournant pour l’UE, et pourrait avoir des conséquences sur les futures négociations d’adhésion avec les Etats candidats, ainsi que sur la définition de l’appartenance à l’UE et la notion même de « Communauté » européenne.
Les travaux de la Convention en 2002-2003, puis de la Conférence intergouvernementale qui l’a suivie, en 2003-2004, se sont conclus par la signature du projet de Traité constitutionnel, en octobre 2004 à Rome. Malgré sa ratification par dix-huit des vingt-cinq Etats membres d’alors, les référendums négatifs de 2005 aux Pays-Bas et en France ont empêché l’entrée en vigueur de ce texte.
A l’issue d’une période d’incertitude de deux ans, le Conseil Européen a décidé, en juin 2007, de relancer un processus de discussions destiné à aboutir avant la fin de 2007 afin de permettre une ratification avant les élections au Parlement européen de juin 2009. Le Traité de Lisbonne est l’aboutissement de cette relance. A la différence du Traité constitutionnel de 2004, qui remplaçait les deux grands traités par un texte nouveau, le Traité de Lisbonne conserve les traités existants tout en les modifiant en profondeur. Le traité instituant la Communauté européenne de 1957 est renommé en « traité sur le fonctionnement de l’Union », ou Traité sur l’Union, (TUE). Les articles 49 et 50, qui permettent d’apprécier une évolution en ce qui concerne l'adhésion et le retrait de l'Union. Le texte du Traité de Lisbonne doit maintenant être ratifié par l’ensemble des Etats membres. A la fin de l’année 2008, 25 Etats membres sur les 27 avaient ratifiés le Traité. L’Irlande est le seul pays à avoir rejeté le traité par référendum et les procédures de ratification sont en cours notamment en République Tchèque. Ce nouveau traité marque la fin de la phase d’intégration politique controversée, qui avait débuté avec la Convention sur la Charte des droits fondamentaux en 1999, et s’était développée ensuite avec le Traité de Nice, en 2000, la Déclaration de Laeken, en 2001 et la Convention sur l’avenir de l’Europe en 2002-2003, et encore renforcée avec le Traité établissant une Constitution pour l’Europe en 2004, puis les référendums en France et aux Pays-Bas en 2005. Le Traité de Lisbonne est donc le résultat d’un compromis entre le besoin d’une avancée institutionnelle pour l’Union, élargie à 27 membres, et l’impossibilité d’une intégration politique plus poussée, après le rejet d’une « Constitution » européenne.
L’article 49 du Traité sur l’Union Européenne modifié par le Traité de Lisbonne : la procédure d’adhésion à l’UE renforcée
Le Traité de Lisbonne a modifié l’article 49 du TUE qui régule la procédure d’adhésion à l’Union Européenne. Il consacre expressément des critères déjà existants, qui sont les « critères de Copenhague », et y ajoute l’appartenance à un système de valeurs, en vertu du nouvel article 2 du TUE. On peut voir dans cette modification de la procédure d’adhésion un renforcement des critères d’accession à l’Union européenne, qui pourrait rendre les futures adhésions à l’UE plus difficiles.
Le nouveau TUE, issu du Traité de Lisbonne, établit, en son article 49, que tout Etat européen qui respecte les valeurs visées à l’article 2 et s’engage à les promouvoir peut demander à devenir membre de l’Union. Or, l’article 2 du TUE prévoit que « l’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’Etat de droit, ainsi que le respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux Etats membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes ». Le TUE, avant Lisbonne, stipulait que tout Etat européen qui respecte les principes énoncés à l’article 6 §1 du TUE, pouvait demander à devenir membre de l’Union. Cet article ne mentionnait pas directement les critères mais utilisait la formule suivante : « les critères d’éligibilité approuvés par le Conseil Européen sont pris en compte ». Ceci renvoyait aux conclusions du Conseil de Copenhague des 21 et 22 juin 1993, où les Etats membres de l’Union avaient affirmé que « les pays associés de l’Europe centrale et orientale qui le désirent pourront devenir membres de l’Union Européenne. L’adhésion aura lieu dès que le pays membre associé sera en mesure de remplir les obligations qui en découlent, en remplissant les conditions politiques et économiques requises ». Les critères politiques de Copenhague demandent que les Etats candidats disposent « d’institutions stables garantissant la démocratie, la primauté du droit, les droits de l’homme, le respect des minorités et leur protection ». Les critères économiques, quant à eux, stipulent que l’adhésion nécessite « une économie de marché viable ainsi que la capacité de faire face à la pression concurrentielle et aux parts de marché à l’intérieur de l’Union ». Ainsi, premièrement, le nouveau TUE, en son article 49, consacre de manière explicite, et pour la première fois, les critères de Copenhague, et leur donne une valeur normative, car l’article 2, auquel il fait référence, les mentionne expressément. Il y a donc une certaine cristallisation de ces critères pour le futur. Deuxièmement, le nouveau TUE renvoie désormais expressément, dans son nouvel article 49, aux valeurs communes de l’Union, définies par l’article 2 du nouveau TUE. En effet, en plus du simple critère géographique, de surcroît non tranché, que renferme la formule « tout Etat européen », le Traité de Lisbonne a rajouté un critère « de valeurs partagées ». Cela semble en réalité souligner l’importance d’une appartenance à des valeurs communes, déjà exigées par le premier des critères de Copenhague, expliquées ci-dessus et de plus en plus revendiquées suite aux élargissements successifs de l’UE. Le nouvel article 49 du TUE établit ainsi un lien entre l’adhésion à l’UE et les valeurs de cette dernière : l’intégration ne peut fonctionner qu’entre Etats démocratiques respectueux des droits de l’homme. Ce lien s’explique par le passage de l’article 6 §1 du TUE (avant Lisbonne) à l’article 2 du TUE (après Lisbonne) et marque ainsi un renforcement du « standard » européen exigé. En effet, l’article 6 ne faisait que renvoyer à des critères assez généraux, tandis que l’article 2 établit un système de valeurs précises, et y ajoute les « droits des minorités » ainsi que « l’égalité entre les hommes et les femmes », critères non existants (pour l’égalité homme/femme), ou sous d’autres termes (le « respect » des minorités), dans l’ancien TUE. Dans le contexte actuel, cette modification de l’article 49 du TUE affectera l’adhésion potentielle de futurs Etats candidats, notamment de la Turquie. En effet, outre les réticences concernant l’adhésion de la Turquie en raison des droits de l’homme (la situation de la Turquie avec la population kurde, notamment en ce qui concerne l’usage de la langue kurde, le refus de cette dernière d’admettre le génocide arménien et ses revendications territoriales sur Chypre étant les principaux aspects de ce débat) la Turquie ne respecte pas l’égalité entre les femmes et les hommes, comme le mentionne le nouvel article 2 du TUE, auquel l’article 49 fait référence pour l’adhésion à l’Union Européenne. Dans son rapport du 11 janvier 2007 sur le rôle des femmes en Turquie dans la vie sociale, économique et politique, le Parlement Européen souligne diplomatiquement « le ralentissement du processus de réforme au cours de l’année dernière et la persistance des problèmes dans le domaine des droits de la femme ». Le rapport condamne en particulier les violences commises envers les femmes, et notamment les violences domestiques, les mariages forcés et la polygamie. La mise en vigueur du nouveau TUE issu du Traité de Lisbonne aurait donc une conséquence directe sur les négociations menées entre l’UE et la Turquie et sur l’adhésion potentielle de cette dernière. La modification de l’article 49 du TUE sur la procédure d’adhésion est donc le signe d’un renforcement des critères de l’Union Européenne. Ce renforcement est porteur d’une volonté de créer une Europe homogène et unie, ce qui semble paradoxal avec la modification apportée par le Traité de Lisbonne à l’article 50 du nouveau TUE, qui permet expressément aux Etats membres de se retirer unilatéralement.
I.L’article 50 du Traite de Lisbonne: la procédure de retrait de l’UE simplifiée
Les traités originaires, de même que les traités successifs qui les ont modifiés, ne prévoyaient aucune disposition sur le retrait de l’UE. L’absence d’une telle disposition soulignait l’engagement pris par les Etats membres de l’Union Européenne, et des Communautés européennes. Selon l’article 54 de la Convention de Vienne sur le droit des Traités, lorsqu’un traité ne contient aucune disposition concernant la dénonciation ou le retrait, ceux-ci ne sont possibles que si toutes les parties y consentent. Cette règle n’a cependant jamais été revendiquée par un Etat membre de l’UE. La procédure prévue par l’article 50 du nouveau TUE déclare que «Tout Etat membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l’Union ». L’article explique également l’ensemble de la procédure à suivre et les effets d’un éventuel retrait, pour l’Etat membre se retirant ainsi que pour l’Union. A la différence de l’adhésion, l’Etat qui souhaite se retirer négocie avec l’Union et non avec les autres Etats séparément. Le retrait de l’Union est uniquement volontaire. En effet, aucune procédure d’exclusion n’existe, même en cas de violation grave des valeurs de l’Union. L’article précise même que la procédure prévue par l’article 49 s’appliquerait à un ex-Etat membre qui voudrait à nouveau rejoindre l’UE, ce qui paraît étrange car si un Etat se retirait de l’Union et qu’il revenait sur sa propre décision, cela constituerait un frein à son retour au sein de l’Union car il devrait repasser par l’ensemble du processus de la procédure d’adhésion, avec les risques de refus que cela comporte. La modification de l’article 50 du TUE, issue du Traité de Lisbonne, est étonnante en ce sens qu’elle insère une disposition propre à un contrat ou aux statuts d’une Organisation internationale, ou encore propre a un traité, dans le système institutionnel des Communautés européennes. Ceci remet en question la notion elle-même de « Communauté » européenne. En effet, si un Etat peut se retirer sans contrainte, c’est qu’il n’existe plus de lien entre les Etats membres et qu’il n’existe plus de sentiment de « famille européenne », comme l’avait qualifié des ses mots le fondateur des Communautés Européennes. Dans le contexte actuel, la nouvelle possibilité de retrait, prévue à l’article 50 modifié, pourrait être utilisée, hypothétiquement, par l’Irlande, par exemple, qui a refusé par référendum de ratifier le Traité de Lisbonne, et serait ainsi le seul pays réfractaire, si les autres membres ratifient le traité. Dans une autre hypothèse, la procédure de retrait unilatéral pourrait également être utilisée par La Belgique, si le conflit politique persistait, et que les volontés wallonnes indépendantistes aboutissaient.
La modification de l’article 50 du TUE marque ainsi un recul de l’intégration politique de l’Union Européenne, tout comme la modification de l’article 49 marque un frein aux adhésions futures de l’Union. L’ensemble n’est autre que la manifestation d’un recul de l’enthousiasme pour l’Union Européenne, ainsi que pour la notion de Communauté européenne. Ainsi, les modifications apportées par le Traité de Lisbonne marquent bien la prise en compte des ces réticences, et semblent trouver un compromis, dans l’attente, certainement, d’un nouveau départ.