Sur l'affaire Karmann :discrimination à raison de l’âge et protection des salariés contre le licenciement en Allemagne, par Monika Breitkopf

La loi générale allemande relative à l’égalité de traitement transpose la directive 2000/78/CE portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi. Cette loi exclut explicitement de son champ d’application les licenciements alors que la directive inclut explicitement dans son champ d’application les licenciements. Le juge allemand est donc confronté à une loi qui paraît s'écarter du droit communautaire. Peut-il procéder à une interprétation conforme au droit communautaire ?

Le 18 septembre 2006, 619 salariés d’une entreprise allemande ont été licenciés collectivement pour motifs économiques. L’ordre des licenciements a été fixé sur la base de critères sociaux, conformément au § 1 Al. 3 de la loi relative à la protection des salariés licenciés (Kündigungsschutzgesetz, KSchG). Afin de fixer la liste des salariés à licencier, l’employeur et le conseil d’entreprise (Betriebsrat) ont divisé les salariés en groupes d’âge. Au sein de ces groupes d’âge, les salariés présentant des caractéristiques sociales telles que mentionnées au § 1 Al. 3 du KSchG rendant leur situation professionnelle et une éventuelle réinsertion professionnelle la moins difficile ont été licenciés. Suite à cette procédure, un salarié licencié a considéré que la détermination de l’ordre des licenciements notamment en fonction de l’âge est nulle suite à la violation du § 7 Al. 2 de la loi générale relative à l’égalité de traitement (Allgemeines Gleichbehandlungsgesetz, AGG). Cette disposition de l’AGG prévoit la nullité des actes qui violent l’interdiction de discrimination selon l’âge notamment. Ce salarié soutient que son licenciement est nul. Le Tribunal du travail de première instance (Arbeitsgericht) d’Osnabrück a rendu son jugement dans cette affaire Karmann le 5 février 2007 (Aff. 3 Ca 724/06). Le Tribunal a considéré que le licenciement du salarié est nul. Il s’agit de la première décision concernant le § 2 Al. 4 de l’AGG. En appel, le Tribunal supérieur du travail (Landesarbeitsgericht, LAG) de la Basse-Saxe a jugé le 13 juillet 2007 (Aff. 16 Sa 274/07) que l’ordre des licenciements n’est ni contraire à l’AGG ni au principe d’interdiction de discrimination et que le licenciement est valable. Les juges allemands ont confronté leurs dispositions nationales relatives à la protection du salarié licencié avec le principe de non-discrimination issu du droit communautaire afin d’interpréter le droit national conformément au droit communautaire.

Les systèmes mis en comparaison dans la présente étude de l’affaire Karmann sont la France et l’Allemagne. Ces deux Etats membres de l’Union Européenne ont dû transposer, conformément à l’article 249 § 3 du Traité CE, la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi (JOCE L 303, 2 décembre 2000). Cette étude de la décision du tribunal d’Osnabrück permet de voir comment les juges ont procédé à l’interprétation du droit national et comment ils ont mis en œuvre le droit communautaire.

Le champ d’application du principe de non-discrimination. Le § 2 Al. 4 AGG prévoit que les dispositions relatives à la protection générale et particulière du salarié sont « exclusivement » applicables aux licenciements alors que dans le projet de loi, l’adverbe utilisé était « principalement ». Cette modification crée une hiérarchie stricte entre l’AGG et les dispositions relatives à la protection générale et particulière du salarié : la loi dispose précisément et inconditionnellement que l’AGG n’est pas applicable aux licenciements. La doctrine allemande considère l’exception à l’application de l’AGG contenue dans cette disposition comme contraire au droit communautaire. En effet, l’article 3 § 1 sous c de la directive 2000/78/CE prévoit explicitement que son champ d’application recouvre les conditions de licenciement et la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) a confirmé cela dans l’arrêt Chacon Navas du 11 juillet 2006 (Aff. C-13/05, point 36). En vertu du principe de primauté du droit communautaire posé dans l’arrêt de la CJCE du 15 juillet 1964 (Aff. 6/64 Costa c. E.N.E.L.), les normes communautaires priment toutes les normes nationales. De plus, grâce à l’effet direct du droit communautaire, le juge national doit interpréter le droit national à la lumière du texte et de la finalité de la directive (CJCE, arrêt Marleasing du 13 novembre 1990, Aff. C-106/89, point 8). Le tribunal d’Osnabrück a donc écarté l’application du § 2 Al. 4 AGG au vu de sa non-conformité avec le droit communautaire. En contournant le § 2 Al. 4 AGG, les juges ont intégré les licenciements dans le champ d’application de l’AGG.

L’influence de l’arrêt Mangold dans l’affaire Karmann. Si le juge estime qu’une disposition pose un problème d’interprétation alors il doit sursoir à statuer et adresser une demande préjudicielle à la CJCE. Cependant, l’Arbeitsgericht est un tribunal de première instance, le juge est donc dispensé de l’obligation de poser une question préjudicielle à la CJCE car l’appel est possible et le LAG pourra poser une question préjudicielle. De plus, depuis l’arrêt Van Duyn de la CJCE du 4 décembre 1974 (Aff. 41/74), le juge peut écarter l’application d’une disposition nationale si cette disposition est contraire au droit communautaire et ce afin de garantir l’effet utile du droit communautaire (op. cit. point 12). Dans l’arrêt Mangold (CJCE, 22 novembre 2005, Aff. C-144/04), la Cour a justifié la mise à l’écart de l’application d’une norme nationale contraire au droit communautaire (op. cit. point 77) en disposant que le principe général d’interdiction de discrimination selon l’âge est un principe général du droit communautaire (op. cit. point 75) qui fait donc partie du droit communautaire primaire. Or, le droit communautaire a priorité sur le droit national. A la fois dans l’arrêt Mangold et dans l’affaire Karmann, il s’agit de relations entre particuliers ; les juges d’Osnabrück se sont fondés sur l’arrêt Mangold pour déclarer inapplicable – sans développements plus précis – le § 2 Al. 4 AGG. A cet égard, les juges auraient certainement dû considérer l’absence d’effet direct horizontal des directives. Le principe d’absence d’effet direct entre particuliers d’une directive a été posé par la CJCE en 1994 dans l’arrêt Faccini Dori (Aff. C-91/92,14 juillet 1994). Les dispositions nationales ne laissent pas place à une interprétation lorsqu’elles sont précises et inconditionnelles. Il semble que la CJCE ait modifié sa position avec l’arrêt Mangold en imposant au juge national de laisser inappliquée toute disposition de la loi nationale éventuellement contraire au principe de non-discrimination selon l’âge. Cependant, une différence importante existe entre l’affaire Mangold et l’affaire Karmann : dans l’affaire Mangold, la disposition nationale en question – le § 14 Al. 3 Phr. 4 de la loi sur le travail à temps partiel et les contrats à durée déterminée (Teilzeitbefristungsgesetz, TzBfG) – contenait le critère discriminatoire de l’âge qui subordonnait l’application de la loi à la condition que le salarié ait au moins 52 ans. Contrairement à cette disposition du TzBfG, le § 2 Al. 4 AGG ne se rattache à aucun critère discriminatoire : il ne fait que renvoyer vers les dispositions générales et spéciales de protection du salarié et exclut ainsi les licenciements du champ d’application de l’AGG. La condition de l’arrêt Mangold pour que le juge national puisse déclarer une disposition comme inapplicable n’est donc pas remplie. Le § 2 Al. 4 AGG demeure applicable et il n’est pas contraire en soi au principe de non-discrimination à raison de l’âge. Il est donc nécessaire de déterminer si les dispositions générales et spéciales de protection du salarié auxquelles le § 2 Al. 4 AGG renvoie sont suffisamment protectrices contre les discriminations selon l’âge pour être compatibles avec le droit communautaire.

L’interprétation conforme au droit communautaire. En excluant les licenciements du champ d’application de l’AGG, le législateur allemand a dû supposer que les salariés sont suffisamment protégés – notamment au regard d’une éventuelle discrimination – par les dispositions générales et spéciales de protection du salarié (A. Hamacher / C. Ulrich, « Die Kündigung von Arbeitsverhältnissen nach Inkrafttreten und Änderung des AGG », NZA, 2007, p. 658) qui existent déjà. En effet, conformément à l’article 249 § 3 TCE, l’Etat a le choix des mesures de transposition ; l’obligation de transposer n’implique pas une nouvelle loi. Le juge communautaire ne se borne donc pas à considérer le seul acte de transposition, il considère toutes les dispositions du système juridique en question et exige une interprétation conforme au droit communautaire de toutes ces dispositions (Aff. C-397/01, Pfeiffer, arrêt du 5 octobre 2004, point 115). Le législateur français a procédé à des modifications ponctuelles des dispositions qui existaient déjà dans le Code du travail (CT) avant la directive 2000/78/CE. Le législateur allemand a quant à lui été critiqué pour avoir créé une nouvelle loi indépendante des dispositions déjà existantes : le législateur a prévu que l’AGG « diffuse » ses dispositions dans l’ensemble du système juridique allemand (A. Hamacher / C. Ulrich, op. cit., p. 660). Les dispositions générales pertinentes de protection du salarié contre les licenciements sont contenues dans la loi relative à la protection des salariés contre les licenciements (KSchG) et dans le Code civil allemand (Bürgerliches Gesetzbuch) – le § 626 (licenciement sans préavis pour faute grave) et les clauses générales du § 138 (bonnes mœurs) et du § 242 (bonne foi). Les dispositions spéciales sont celles qui ne concernent que certaines personnes comme les dispositions de la loi sur la protection de la maternité (Mutterschutzgesetz), de la loi fédérale sur l’allocation parentale d’éducation (Bundeserziehungsgeldgesetz) et du Code social IX pour la promotion de la participation de personnes handicapées au marché du travail (Sozialgesetzbuch IX zur Rehabilitation und Teilhabe behinderter Menschen) (BT-Drucksache 16/2022, p. 12). L’effet direct d’interprétation a vu le jour en 1990 dans l’arrêt Marleasing (Aff. C-106/89, 13 novembre 1990) : le juge national doit procéder à une interprétation conforme au droit communautaire de son droit national. Le juge allemand peut rencontrer des difficultés pour procéder à une telle interprétation car avant l’AGG, il ne devait que considérer les causes objectives ayant conduit l’employeur à prononcer un licenciement. Dorénavant, il doit aussi prendre en considération la motivation subjective de l’employeur. En effet, l’employeur tentera de justifier le licenciement autrement qu’en invoquant un critère directement discriminatoire même si telle est sa motivation réelle. Un licenciement n’est valable que s’il est justifié socialement, conformément aux dispositions du KSchG. En France, un licenciement n’est valable conformément à l’article L 122-14-4 CT que s’il se fonde sur une cause réelle et sérieuse. Si l’employeur n’invoque pas de cause réelle et sérieuse, le licenciement n’est pas justifié et le salarié peut soit être réintégré si l’employeur et le salarié sont d’accord, soit obtenir une indemnité. Cependant, la nullité de plein droit du licenciement ne sera prononcée que dans le cas d’un licenciement discriminatoire, article L 122-45 Al. 1 CT et le salarié aura alors le choix entre la réintégration et l’indemnisation. Grâce à une interprétation conforme au droit communautaire, les dispositions relatives à la protection des salariés ont le potentiel de protéger les salariés contre les discriminations. Le droit communautaire requiert en outre que les sanctions soient « dissuasives » (article 17 de la directive 2000/78/CE). La question qui se pose est de savoir si le droit allemand prévoit de telles sanctions dissuasives en cas de licenciement discriminatoire. Pour l’employeur, la combinaison de la nullité du licenciement et d’une sanction pécuniaire peut avoir un effet dissuasif. Un licenciement prononcé pour des raisons directement discriminatoires est nul conformément aux § 138 et § 242 BGB. Le § 15 AGG contient deux bases juridiques pour la demande d’indemnisation : d’une part le premier alinéa pour les dommages et intérêts et d’autre part le deuxième alinéa pour l’indemnisation du dommage immatériel subi par le salarié discriminé. Cependant, conformément au § 2 Al. 4 AGG, le § 15 devrait être exclu lorsqu’il s’agit d’un licenciement. Toutefois, dans le cadre d’une interprétation conforme au droit communautaire, l’application de cette disposition doit être simplement limitée pour les licenciements (S. Kamanabrou, « Europarechtskonformer Schutz vor Benachteiligungen bei Kündigungen », RdA, 2007, p. 204). En effet, le salarié a la possibilité d’obtenir des dommages et intérêts en dehors de l’AGG grâce aux dispositions générales et spéciales de protection du salarié licencié. De plus, si le salarié est réintégré dans l’entreprise, il ne subit pas de dommage matériel et l’inapplicabilité du § 1 Al. 1 AGG n’est pas problématique. Par contre, l’application du § 15 Al. 2 AGG ne doit pas être exclue car seule cette disposition du droit allemand relatif à la protection du salarié licencié prévoit une indemnisation du dommage immatériel. Le droit allemand ne prévoit donc pas de sanction expressément dissuasive, mais la combinaison de la réintégration du salarié et du paiement d’une indemnisation pour dommage immatériel satisfait l’exigence de dissuasion. Il n’en demeure pas moins que le droit allemand ne possède pas de norme claire édictant l’interdiction de discrimination à l’occasion d’un licenciement. Cela pose un problème de transparence (S. Kamanabrou, op. cit., p. 205). Ainsi, la CJCE considère que lorsque seule l’interprétation conforme au droit communautaire accorde aux normes nationales leur caractère conforme au droit communautaire, une norme spéciale est nécessaire pour que le droit national « garantisse effectivement la pleine application de la directive » et pour que les « bénéficiaires soient mis en mesure de connaître la plénitude de leurs droits » (Aff. C-144/99, Commission c. Pays-Bas, 10 mai 2001, point 17). Ce problème de transparence s’est déjà posé en Allemagne : ni la doctrine ni les juges (par exemple, les juges de l’Arbeitsgericht ont considéré qu’il y avait discrimination à raison de l’âge alors que les juges du LAG ont décidé le contraire) n’arrivent à déterminer quand une discrimination à raison de l’âge est commise. De plus, les critères sociaux de détermination de l’ordre des licenciements demeurent potentiellement discriminants. Si l’AGG n’excluait pas les licenciements de son champ d’application, la situation aurait pu être claire. A défaut, la protection du salarié licencié contre des discriminations est certes garantie par les dispositions générales et spéciales de protection du salarié licencié mais elles doivent être interprétées pour être conformes au droit communautaire (par exemple, le § 1 Al. 3 KSchG). En outre, le manque de codification du droit du travail pose des problèmes de compréhension pour le non-juriste (contrairement à la situation française, les diverses lois de protection du salarié ne sont pas intégrées dans un code). L’AGG pouvait être une loi de référence contenant les bases juridiques contre tous les cas de discrimination mais le législateur a décidé d’en exclure les licenciements. Par ailleurs, si l’AGG était applicable aux licenciements, une discrimination à raison de l’âge pourrait être plus facilement constatée : en principe, un licenciement faisant référence à l’âge du salarié serait discriminatoire, sauf dans les cas prévus au § 10 AGG qui prévoit des possibilités de déroger au principe d’interdiction de discrimination à raison de l’âge.

Le critère social de l’âge. L’employeur est obligé d’utiliser des critères sociaux pour fixer l’ordre des licenciements lors d’un licenciement collectif pour motifs économiques. Conformément au § 1 Al. 3 Phr. 1 KSchG – disposition générale de protection des salariés –, l’ancienneté de service, l’âge, les charges de famille et l’handicap grave sont des critères dont l’employeur doit tenir compte. Dans l’affaire Karmann, il a été jugé en première instance que l’ordre des licenciements fixé par l’employeur avec le conseil d’entreprise est nul conformément au § 7 Al. 3 AGG car il a été pris sur la base de groupes d’âges ce qui a conduit à licencier plus de salariés âgés que dans le cas où l’ordre aurait été fixé sans créer des groupes d’âges. Le principe d’interdiction de discriminer du § 7 Al. 1 AGG a donc été enfreint. Néanmoins, l’âge n’est qu’un critère parmi d’autres. De plus, le § 10 Nr. 1 AGG prévoit la possibilité de procéder à des différences de traitement selon l’âge. Même dans le cas où l’AGG n’est pas applicable (solution retenue par le LAG de Basse Saxe), le juge doit vérifier dans le cadre d’une interprétation conforme au droit communautaire si l’employeur n’a pas accordé plus d’importance au critère de l’âge qu’aux autres (A. Hamacher / C. Ulrich, op. cit., NZA, 2007, p. 662). La disposition de référence de la directive 2000/78/CE est l’article 6 § 1 sous a. L’utilisation du critère de l’âge peut donc être justifiée et le § 1 Al. 3 Phr. 1 KSchG demeure ainsi conforme au droit communautaire. Le critère de l’âge doit alors être utilisé avec précaution : en créant des groupes d’âges, l’employeur doit orienter la détermination de l’ordre des licenciements en fonction des chances des salariés sur le marché du travail et non, comme l’employeur en cause dans l’affaire Karmann, en fonction d’éventuelles difficultés économiques. Le processus de fixation de l’ordre ne doit pas être discriminatoire et l’argument selon lequel les salariés plus âgés sont moins performants que les plus jeunes est un préjugé que la directive 2000/78/CE veut éliminer. Le critère social de l’âge n’est pas contraire au droit communautaire, mais il ne doit pas être prépondérant dans le processus de fixation de l’ordre des licenciements. La législation française peut paraître plus discriminatoire à raison de l’âge car l’article L 321-1-1 CT mentionne parmi les critères sociaux le critère « salariés âgés ». En Allemagne, la loi ne mentionne que l’ « âge ». Cependant, en France, le principe de non-discrimination de l’article L 122-45 CT est explicitement applicable aux licenciements. Le critère « salariés âgés » est donc atténué. Au regard de la jurisprudence Mangold, l’expression « salariés âgés » est quand même contraire au droit communautaire : le principe de non-discrimination à raison de l’âge comprend à la fois l’âge élevé et le jeune âge. Le jeune salarié peut avoir des difficultés à trouver une place sur la marché du travail équivalentes à celles que pourrait rencontrer un salarié âgé. Il n’est donc pas justifié de doter le salarié âgé d’une protection plus élevée que le salarié jeune. La politique de l’emploi – telle qu’initiée au niveau communautaire conformément aux articles 125 et suivants TCE – vise non seulement l’augmentation du taux d’emploi des « seniors » (55-64 ans), mais aussi celle des jeunes (décision du Conseil, 12 juillet 2005, ligne directrice 18 pour les politiques de l’emploi des Etats membres 2005-2008, page 24).

Le maintien d’une structure équilibrée du personnel. Le critère de l’âge se retrouve indirectement au § 1 Al. 3 Phr. 2 KSchG : afin de garantir le maintien d’une structure équilibrée du personnel, l’employeur peut exclure des salariés de la procédure de fixation de l’ordre des licenciements. Ces salariés restent donc employés dans l’entreprise grâce à un intérêt particulièrement justifié de l’employeur. Le problème qui se pose est de déterminer quel intérêt de l’employeur peut être qualifié de particulièrement justifié. La directive 2000/78/CE, l’AGG et le KSchG nomment des objectifs de politique de l’emploi, du marché du travail, les connaissances spécifiques de certains salariés. La Cour suprême fédérale du travail (Bundesarbeitsgericht) a développé une jurisprudence qui approuve la création de groupes d’âges dans le but du maintien d’une structure équilibrée du personnel. Aujourd’hui, cette jurisprudence continue d’exister, mais le maintien de la structure doit être justifié de surcroît par des considérations autres que le maintien de la structure en place ou de pures raisons économiques. Dans l’affaire Karmann, l’employeur a expressément soutenu dans ses conclusions qu’il avait fixé l’ordre des licenciements de manière à avoir la moyenne d’âge la moins élevée possible au sein de l’entreprise. Au lieu de justifier qu’une structure d’âge plus jeune est une condition pour l’exercice de l’activité, il a uniquement invoqué qu’à moyen terme, le rythme de production ne pourra pas être maintenu à cause de la moyenne d’âge. Son but constituait une discrimination à raison de l’âge des salariés âgés. L’employeur a tenté de contourner l’interdiction de discriminer à raison de l’âge en invoquant des raisons économiques. Les objectifs de production ne seraient pas atteignables avec des salariés plus âgés. Il doit en être déduit que l’employeur assignait à chaque salarié un certain objectif de production à atteindre et cet objectif variait en fonction de l’âge. Un salarié âgé n’aurait pas les mêmes capacités qu’un salarié plus jeune. Certes, une structure d’âge élevée pourrait avoir un impact négatif sur le rythme de production, mais il n’a pas été démontré que l’exercice de l’activité aurait été menacé. L’employeur a donc basé son argumentation sur des objectifs de production qu’il a fixés et qui ne seraient pas atteignables avec du personnel âgé. Cette argumentation possède aussi le désavantage de se baser sur la « diminution » de la moyenne d’âge et non le maintien de la moyenne d’âge actuelle. L’argumentation de l’employeur est donc critiquable sous deux angles : la tentative de diminuer la moyenne d’âge du personnel en procédant à des licenciements et l’invocation d’objectifs économiques qui ne paraissent pas de nature à justifier le traitement moins favorable des salariés les plus âgés (conformément au § 1 Al. 2 KSchG, l’employeur ne peut invoquer que des intérêts urgents de l’entreprise – « dringende betriebliche Erfordernisse ». Le simple intérêt de l’entreprise ou de simples objectifs économiques sont insuffisants).

L’arrêt Palacios de la Villa (Aff. Félix Palacios de la Villa c. Cortefiel Servicios SA C-411/05) du 16 octobre 2007 est un arrêt récent de la CJCE concernant le critère de l’âge. La Cour a estimé qu’une convention collective espagnole prévoyant la mise à la retraite des salariés ayant atteint l’âge de 65 ans n’est pas contraire au principe de non-discrimination à raison de l’âge. Les partenaires sociaux espagnols poursuivaient en effet des objectifs de politique de l’emploi et du marché du travail tels que mentionnés à l’article 6 de la directive 2000/78/CE. La politique nationale en cause visait à promouvoir l’accès à l’emploi par une meilleure distribution de celui-ci entre les générations et poursuivait ainsi un objectif d’intérêt général qui est la promotion d’un niveau d’emploi élevé. Le contexte dans lequel la Cour a pris son arrêt mêle le droit et la politique : d’une part le principe juridique de non-discrimination et d’autre part l’objectif politique de plein emploi. Une disposition directement discriminatoire a ainsi été justifiée par un objectif politique. Dans le cadre de l’étude du droit allemand, il est intéressant de se demander quelle influence peut avoir cet arrêt sur les juges allemands confrontés au problème de la conformité de la création de groupes d’âges pour déterminer l’ordre des licenciements avec le principe de non-discrimination à raison de l’âge. Le § 1 Al. 3 KSchG ne fait pas référence à la promotion de l’emploi. Cependant, la Cour a précisé dans l’arrêt Palacios de la Villa (op. cit., point 55) que « la disposition ne doit pas nécessairement faire référence à un objectif de promotion de l’emploi ou à un autre objectif tel que proposé à l’article 6 de la directive 2000/78/CE ». La question est de savoir quel objectif poursuivait le législateur en intégrant le critère de l’âge dans le KSchG. La détermination de l’ordre des licenciements selon les critères prévus par le § 1 Al. 3 KSchG se nomme « Sozialauswahl » (choix social). Ce choix social doit permettre au salarié le plus fragile socialement de bénéficier d’une protection accrue de son poste par rapport à d’autres salariés moins vulnérables. Cette motivation du législateur allemand est purement sociale et ne poursuit pas l’objectif de plein emploi. En protégeant le salarié dont l’âge pourrait représenter un désavantage sur le marché du travail, la loi ne promeut pas une meilleure distribution de l’emploi entre les générations. Le § 1 Al. 3 KSchG poursuit avant tout la protection du salarié en tant qu’individu. Les critères sociaux (ancienneté de service, âge, charges de famille, handicap grave) supposent une individualisation des salariés afin de déterminer lesquels seront licenciés. Etant donné qu’il s’agit de critères « sociaux », le législateur a souhaité accorder du poids au salarié en tant qu’individu. Il ne s’agit donc pas de l’objectif d’intérêt général de la politique de l’emploi qui est l’atteinte du plein emploi.

Conclusion. Malgré l’existence de dispositions générales et spéciales de protection du salarié licencié, la contradiction du § 2 Al. 4 AGG avec le droit communautaire constitue un déficit de transposition dont l’Etat est responsable. La Commission Européenne a introduit au cours du deuxième semestre 2007 un recours en manquement devant la CJCE contre l’Allemagne. Les juges allemands de première instance ont pallié cette situation avec l’effet direct d’interprétation, mais les juristes hésitent entre l’application des dispositions claires et précises du droit national ou l’interprétation, voire la mise à l’écart de ces dispositions. Les juges de l’OLG n’ont pas explicitement écarté l’application du § 2 Al. 4 AGG. Ils ont décidé que l’AGG sert entre autres la transposition de la directive 2000/78/CE et que donc malgré l’exclusion de l’application de l’AGG aux licenciements, le KSchG doit être interprété à la lumière des dispositions de la directive 2000/78/CE.

BIBLIOGRAPHIE

ARTICLES Hamacher, Anno / Ulrich, Christoph, « Die Kündigung von Arbeitsverhältnissen nach Inkrafttreten und Änderung des AGG », Neue Zeitschrift für Arbeitsrecht, 2007, pp. 657-663. Kamanabrou, Sudabeh, « Europarechtskonformer Schutz vor Benachteiligungen bei Kündigungen », Recht der Arbeit, 2007, pp. 199-207.

TEXTES OFFICIELS Décision 2005/600/CE relative aux lignes directrices pour les politiques de l’emploi des Etats membres, 12 juillet 2005, JOCE L 205 du 6 août 2006. Directive 2000/78/CE portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi, 27 novembre 2000, JOCE L 303 du 2 décembre 2000. Loi 402-40, Allgemeines Gleichbehandlungsgesetz (loi générale allemande relative à l’égalité de traitement), 14 août 2006, BGBl. I p. 1897. Loi 85-3, Bundeserziehungsgeldgesetz (loi fédérale sur l’allocation parentale d’éducation), 9 février 2004, BGBl. I p. 206. Loi 800-2, Kündigungsschutzgesetz (loi allemande relative à la protection des salariés licenciés), 25 août 1969, BGBl. I p. 1317. Loi 8052-1, Mutterschutzgesetz (loi sur la protection de la maternité), 20 juin 2002, BGBl. I p. 2318. Loi 860-9, Sozialgesetzbuch IX zur Rehabilitation und Teilhabe behinderter Menschen (Code social IX pour la promotion de la participation de personnes handicapées au marché du travail), 19 juin 2001, BGBl. I p. 1046. Loi 800-26, Teilzeitbefristungsgesetz (loi sur le travail à temps partiel et les contrats à durée déterminée), 21 décembre 2000, BGBl. I p. 3002. Rapport du comité juridique du Bundestag, BT-Drucksache 16/2022.

DECISIONS Arbeitsgericht d’Osnabrück (tribunal du travail de première instance) 5 février 2007, Aff. Karmann, 3 Ca 724/06. Landesarbeitsgericht Basse-Saxe (tribunal supérieur du travail) 13 juillet 2007, Aff. Karmann, 16 Sa 274/07. Cour de cassation 12 février 2002, chambre sociale, RJS 5/02, n° 543. Cour de Justice des Communautés Européennes 15 juillet 1964, Aff. Costa c. E.N.E.L. 6/64, rec. 1141. 4 décembre 1974, Aff. Van Duyn 41/74, rec. 1227. 13 novembre 1990, Aff. Marleasing C-106/89, rec. I-4135. 14 juillet 1994, Aff. Faccini Dori C-91/92, rec. I-3325. 10 mai 2001, Aff. Commission contre Pays-Bas C-144/99, rec. I-7567. 5 octobre 2004, Aff. Pfeiffer C-397/01, rec. I-8835. 22 novembre 2005, Aff. Mangold C-144/04, rec. I-9981. 11 juillet 2006, Aff. Chacon Navas, C-13/05, rec. I-6467.