Analyse comparative du droit dérogatoire adopté par les législateurs allemand et français en réponse à l’impact du COVID-19 sur le droit commun des contrats

 

Depuis son apparition à la fin de l’année 2019, le virus COVID-19 a profondément perturbé notre vie sociale, en montrant à quel point la population humaine est vulnérable à une pandémie et à quelle vitesse un virus aéroporté peut se propager dans le monde entier. 

Le 11 mars 2020, l’épidémie de COVID-19 a été qualifiée officiellement de « pandémie » par l’Organisation Mondiale de la Santé. En réaction, des mesures restrictives telles que la distanciation sociale, la fermeture de tous les commerces et entreprises non essentiels ou encore des quarantaines ont été mises en place afin d’empêcher la propagation du virus. Par conséquent, le commerce international, et même national, a été fortement entravé et s'est parfois trouvé complètement suspendu pendant plusieurs mois. 

Si la pandémie de COVID-19 représente avant tout un risque pour la vie et l'intégrité physique, les conséquences économiques et juridiques des restrictions imposées par les États à ses résidents et entreprises ne doivent pas être sous-estimées non plus. En effet, une conséquence particulière de la crise sanitaire est liée au fait que beaucoup d’opérateurs économiques se trouvent dans l’impossibilité d’exécuter leurs obligations contractuelles ; soit parce qu’ils ont subi en tant que salariés une réduction de salaire ou ont perdu leur travail, soit en tant qu’indépendants parce qu’ils n’ont pu exercer leur métier à cause des restrictions nationales sanitaires et économiques. Il s’ensuit que la règle pacta sunt servanda est devenue intenable pour une grande partie des opérateurs économique pendant cette crise sanitaire. 

Ainsi, les législateurs nationaux ont été confrontés à l’impact de la crise dans le monde juridique. Leur intervention est devenue nécessaire pour assurer la continuité et le bon fonctionnement de leurs systèmes juridiques en toutes circonstances ainsi que pour remédier aux incertitudes juridiques qui sont apparues entre-temps à cause de la crise. En réponse, beaucoup d’États ont mis en place une lex epidemia, c’est-à-dire un « droit dérogatoire destiné à gérer l’urgence pendant une durée déterminée […] qui se superpose au droit commun en vigueur ».[i] L'intervention des législateurs nationaux vise principalement à réinstaurer la sécurité juridique et à éclairer sur les nouvelles circonstances de la crise du COVID-19 afin de rétablir la confiance dans le système juridique national. 

Du fait de la mondialisation, du commerce international et à de nombreux traités internationaux, ces restrictions sanitaires et économiques n’affectent toutefois pas uniquement les résidents nationaux mais de multiples autres États, entreprises et résidents. Ceci est encore plus important à l’intérieur de l’Union européenne. Ce serait manquer de perspicacité d’analyser l’impact du COVID-19 et le droit dérogatoire adopté par le législateur en réponse à la pandémie au seul niveau national de chaque État Membre. Il faut plutôt faire cette analyse en tenant compte des États Membres de l’Union européenne comme formant une unité intrinsèquement liée. 

Ce billet n’est toutefois pas en mesure d’offrir une analyse comparative de l’impact du COVID-19 sur le domaine juridique dans tous les États Membres de l’Union européenne. Mais en raison de l’importance économique réciproque de l’Allemagne et la France, étant donné qu’ils sont les plus importants partenaires commerciaux de l’un de l’autre, et des nombreux contrats franco-allemands qui en découlent, le présent billet se focalise sur une analyse comparative détaillée des interventions législatives concernant le droit des contrats visant à atténuer les effets de la pandémie de COVID-19 tant en Allemagne qu’en France. 

Ainsi, ce billet présente et compare dans un premier temps les lois dérogatoires adoptées en Allemagne et leurs pendants en France ainsi que leurs objectifs envisagés par les législateurs nationaux (I), avant de s’interroger sur la protection permise par ces lois dérogatoires aux débiteurs en difficulté d’exécuter leurs obligations contractuelles (II) en se consacrant à une analyse critique des critères d’application de ces droits dérogatoires (A) et de la pertinence d’un report des délais contractuels en période de crise sanitaire persistante (B). 

 

I. Lex epidemia en France et en Allemagne : des dérogations distinctes pour des effets similaires

De l’autre côté du Rhin, l'intervention du législateur allemand en droit des contrats a eu lieu dès le 27 mars 2020, avec l'adoption de la Loi visant à atténuer les conséquences de la pandémie de Covid-19 en matière de droit civil, d'insolvabilité et de procédure pénale. C’est seulement un jour après que le législateur français ait lui-même introduit un droit dérogatoire avec l’ordonnance 2020-306 du 26 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence. Il est apparent que l’Allemagne et la France ont parallèlement développé ces droits dérogatoires visant à faire face aux difficultés juridiques liées à la crise sanitaire. Mais malgré le fait que l’Allemagne et la France ont réagi simultanément, les solutions apportées diffèrent significativement dans leur approche et dans leurs objectifs. 

L'article 5 de la Loi visant à atténuer les conséquences de la pandémie de Covid-19 en matière de droit civil […], qui a introduit l’article 240 EGBGB, revêt une importance particulière car il amende significativement les délais et échéances en droit des contrats allemand, même si cet amendement n’est que temporaire[ii]. En effet, l’article 240 § 1 EGBGB établit un droit dérogatoire au droit des contrats, visant à renforcer la protection non seulement des consommateurs (alinéa 1) mais également des petites et moyennes entreprises (PME)[iii](alinéa 2) étant affectés gravement par la crise sanitaire et se trouvant en impossibilité de respecter leurs obligations contractuelles. Ainsi, cette norme contient un moratoire accordant aux consommateurs et PME le droit de refuser d’exécuter leurs prestations pendant la durée déterminée par la loi, c’est-à-dire du 1er avril 2020 jusqu’au 30 juin 2020 inclus. De plus, l’article 240 EGBGB protège ces acteurs économiques du fait d’être confrontés à des créances secondaires (Sekundäransprüche) qui sont liées à l'inexécution des obligations contractuelles (p.ex. demandes de compensation, paiement d’intérêts, etc.).[iv]

Comme le droit commun allemand connait le « principe de la responsabilité patrimoniale illimitée » (Prinzip der unbegrenzten Vermögenshaftung) le législateur allemand envisage d’accorder une possibilité extraordinaire de reporter l’exécution des obligations aux consommateurs qui ont perdu (une partie de) leur revenu à cause de la pandémie de COVID-19 et aux PME qui, par exemple, n’ont pas pu fabriquer la contrepartie désignée dans le contrat suite aux restrictions gouvernementales qui ont interdit entre-autre pendant une certaine période aux employés de se rendre au travail.[v] Il s’ensuit qu’ils sont susceptibles d’avoir de graves difficultés financières, ce qui les empêche par conséquent de remplir leurs obligations contractuelles.[vi] L'intention du législateur allemand est donc de réduire autant que possible la charge financière pesant sur les consommateurs et les PME pendant la durée de la crise sanitaire en leur permettant, sous certaines conditions, de proroger l’exécution de leurs obligations contractuelles. 

En France, le droit dérogatoire introduit avec l’ordonnance 2020-306 du 26 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence, complétée par l’ordonnance n°2020-427 du 15 avril 2020, connait également un champ d’application temporel limité en ce sens que l’ordonnance ne s’applique que pendant la « période juridiquement protégée », commençant le 12 mars 2020 et se terminant le 23 juin 2020 (article 1, alinéa 1).[vii]

L’ordonnance 2020-306 prévoit dans son article 4 que seuls les effets sanctionnant l’inexécution des obligations du débiteur, dont les délais ont expiré pendant la période juridiquement protégée, sont suspendus et ne recommencent qu’à partir du 24 juin 2020. Ainsi, le report de ces délais est égal « au temps écoulé entre, d'une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l'obligation est née et, d'autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée »[viii]. Par conséquent, les effets d’une clause sanctionnant l’inexécution d’une obligation contractuelle qui doit produire ses effets, par exemple, le 1er avril 2020 sont reportés de 20 jours (jours écoulés entre le 12 mars et l’échéance de l’obligation contractuelle) après la fin de la période juridiquement protégée. Dans cet exemple précis, la clause en question ne prendra effet que le 13 juillet 2020 (sous condition que le débiteur n’ait toujours pas exécutée ses obligations jusqu’à cette date). 

Le délai initial d’exigibilité de l’obligation du débiteur n’est donc pas prorogé comme en Allemagne, mais la date à laquelle le créancier peut invoquer l’exception d’inexécution ou des intérêts pour le retard de paiement uniquement est reportée. 

Il y a donc une différence apparente entre l’approche choisie par le législateur français et celle du droit dérogatoire allemand qui, comme exposé ci-dessus, vise à protéger le débiteur particulièrement affecté par la crise sanitaire. Le droit dérogatoire français cependant ne s’adresse pas à un acteur économique spécifique (p.ex. consommateurs ou PME comme en Allemagne) mais prévoit que toutes « [l]es astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu'elles ont pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n'avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période [juridiquement protégée]».[ix]

Le droit français n’estime donc pas qu’un groupe d’acteurs économiques est particulièrement vulnérable et par conséquent digne de protection pendant cette période d’urgence à cause de leur position économique plus faible sur le marché. Il semble plutôt viser à dissuader les parties contractuelles de résilier leurs contrats pendant la crise sanitaire. Ceci s’explique par la crainte qu’une résiliation de masse de contrats français et internationaux pourrait déstabiliser l’économie française qui doit déjà faire face à des difficultés extraordinaires liées à la pandémie de COVID-19, en plus d’aggraver l’incertitude et même la méfiance dans le système juridique français. Il paraît aussi compréhensible que le législateur français ait voulu dissuader les créanciers de poursuivre de manière précipitée des actions en justice pour inexécution de l’obligation contractuelle du débiteur pendant la crise, sous crainte de surcharger les juridictions françaises encore davantage.

Cependant, en disposant que les effets sanctionnant l’inexécution de l’obligation contractuelle du débiteur ne prennent effet qu’après la fin de la période juridiquement protégée, le droit dérogatoire français accorde indirectement un délai supplémentaire aux débiteurs pour exécuter leurs obligations contractuelles. Dans cette perspective, alors que les intentions des législateurs français et allemands peuvent différer, les solutions apportées en Allemagne comme en France ont des effets similaires sur les débiteurs en question. 

 

Il convient de s’interroger par la suite sur l’efficacité et la nécessité de ces lois dérogatoires, notamment au vu du nombre de conditions d’application de la protection dans la loi allemande afin de déterminer si ces nombreux critères ne compromettent pas la protection envisagée par le législateur en faveur des débiteurs se situant en difficulté financière. 

 

II. Interrogations sur la protection permise par les lois dérogatoires 

A. Des critères d’application de la lex epidemia trop rigoureux ? 

Afin que le moratoire envisagé au paragraphe 1er de l’article 240 EGBGB soit applicable aux consommateurs, il faut d’abord que le contrat en question soit un contrat de consommation (défini en droit allemand par § 310 BGB comme contrat entre entrepreneur et consommateur), mais également que ce soit un « contrat à exécution successive » (Dauerschuldverhältnis). L‘article 240 § 1 EGBGB requiert en plus que le contrat à exécution successive soit « essentiel », c’est-à-dire qu’il soit nécessaire à la couverture des biens et services existentiels. Le projet de loi donne les exemples de contrats à exécution successive essentiels portant sur l’électricité, le gaz, les services de télécommunications, l’internet ou encore l’approvisionnement en eau.[x] De plus, l’exécution de l’obligation contractuelle (notamment le paiement du prix) doit être devenu impossible pour le consommateur, en ce sens qu’il risque de mettre en péril ses moyens de subsistance (angemessener Lebensunterhalt) ou des personnes à charges s’il est forcé d’exécuter l’obligation contractuelle pendant la durée de la crise sanitaire.[xi]

Le deuxième paragraphe de l’article 240 EGBGB suit la même structure que le premier mais est dédié aux PME qui se trouvent dans l’impossibilité de respecter leurs obligations contractuelles sans mettre en péril la base de l’activité économique et commerciale de l’entreprise (wirtschaftliche Grundlagen des Erwerbsbetriebs des Unternehmens).[xii]

Le droit dérogatoire français diffère donc substantiellement du droit allemand, comme il s’applique potentiellement à tout contrat relevant du champ d’application du droit français, sans restriction liée à la forme ou à la substance du contrat. Il s’ensuit que le champ d’application de l’article 4 de l’ordonnance n°2020-306 est beaucoup plus large que celui de l’article 240 EGBGB. 

En outre, il est nécessaire pour l’application de l’article 240 EGBGB que ce contrat allemand ait été conclu avant le 8 mars 2020. Avec cette délimitation temporelle de l’application de l’article 240 EGBGB, le législateur allemand a délimité la période pendant laquelle le débiteur est digne de protection jusqu’au 8 mars 2020, moment à partir duquel il estime que l’ampleur de la crise sanitaire était prévisible pour les parties au contrat.[xiii]

L‘ordonnance n°2020-306 ne requiert pas explicitement que le contrat en question ait été conclu avant un délai fixe, mais s’adresse par contre « aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus » (article 1, alinéa 1). Toutefois, l’article 4, alinéa 3, de l’ordonnance n°2020-306 s’applique également aux astreintes et clauses sanctionnant l’inexécution d’une obligation contractuelle prenant effet après la période juridiquement protégée. L’alinéa 3 prévoit que les délais d’astreinte et clauses sanctionnant l’inexécution d’obligations contractuelles sont reportées « d'une durée égale au temps écoulé entre, d'une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l'obligation est née et, d'autre part, la fin de cette période ». Pour illustrer, les effets d’une clause stipulée dans un contrat conclu le 1er mars 2020 sanctionnant l’inexécution d’une obligation contractuelle qui devait produire ses effets le 30 juin 2020, sont reportés 104 jours (soit la durée de la période juridiquement protégée). 

Préoccupé par le fait de ne pas déséquilibrer les intérêts des parties au contrat, le législateur allemand a veillé à introduire un mécanisme de protection dans son droit dérogatoire pour balancer les intérêts du débiteur avec ceux du créancier. L’article 240, § 1, alinéa 3 EGBGB permet d’arbitrer entre les intérêts du débiteur et ceux du créancier en prévoyant que dans des cas précis – notamment dans les cas où le report d’exécution de l’obligation par le débiteur conduit à ce que le créancier est en risque de mettre en péril ses propres moyens de subsistance ou des personnes à charge, ou encore met en péril la base de l’activité économique et commerciale de l’entreprise – le débiteur ne puisse pas bénéficier du droit de proroger à l’exécution de son obligation contractuelle.[xiv] Dans de tels cas, le débiteur ne peut que résilier le contrat. 

Une telle préoccupation pour l’intérêt du créancier est absente dans le droit dérogatoire français. 

Finalement, afin de pouvoir bénéficier du moratoire prévu à l’article 240 EGBGB, le débiteur doit invoquer explicitement ce droit[xv] et doit prouver en plus qu’il existe un lien de causalité[xvi]  entre son impossibilité d’exécution et la pandémie de COVID-19.[xvii]

Le droit français ne requiert aucune preuve du lien de causalité, comme ce n’est pas le débiteur qui invoque le report des délais sanctionnant l’inexécution de l’obligation contractuelle et que la loi ne reporte pas l’échéance même de l’obligation contractuelle comme en Allemagne, mais uniquement les délais des astreintes ou clauses sanctionnant l’inexécution de cette obligation. 

L’analyse des critères d’application et de l’objectif de l’article 240 EGBGB ainsi que son comparaison avec le droit dérogatoire français a permis de constater que même si les mécanismes choisis par le législateur français et le législateur allemand différent, ils aboutissent à des solutions assez similaires, en ce sens que le débiteur ne peut pas être poursuivi en justice pour l’inexécution de son obligation contractuelle, et ne doit pas payer des intérêts pendant la période juridiquement protégée. 

Toutefois, la protection offerte par la lex epidemia française est beaucoup plus vaste, étant donné qu’elle ne s’applique pas uniquement aux contrats de consommation essentiels à exécution successive et ne s’adresse pas seulement à des destinataires précis. Le droit dérogatoire français offre une protection universelle applicable aux débiteurs de tout contrat entrant dans le champ d’application du droit français. Par comparaison, l'article 240 EGBGB n'est applicable que dans des cas très spécifiques et limités, et uniquement lorsque l'équilibre des intérêts entre débiteur et créancier le permet. Ainsi, on peut dire que la protection apportée en Allemagne cible plutôt les acteurs qui en ont absolument besoin. Par conséquent, il est envisageable que le législateur allemand a voulu éviter de paralyser potentiellement l’économie allemande pendant la durée de la crise sanitaire en accordant un report de toutes obligations contractuelles à une date ultérieure. 

Il n’est cependant pas surprenant que la lex edipemia, même si elle semble à première vue être très avantageuse pour les débiteurs, ait fait l’objet de critiques. 

 

B. La pertinence d’un report des délais contractuels en période de crise persistante ? 

Une première critique faite envers les droits dérogatoires est relative à la nécessité de l’intervention du législateur national dans le domaine du droit des contrats avec l’adoption d’une lex epidemia. La question se pose si le report des délais contractuels est une solution adéquate, efficace et surtout nécessaire pour la protection des débiteurs pendant une crise persistante. Il convient de rappeler ici que le droit dérogatoire est un droit optionnel qui ne se substitue pas au droit commun mais s’y superpose[xviii], signifiant que le droit commun reste applicable. Et même si la pandémie COVID-19 a ébranlé le monde juridique et a provoqué un état d'urgence dans lequel l'incertitude juridique a prévalu pendant plusieurs semaines, on peut argumenter que le droit commun des contrats prévoit d’ores et déjà des mécanismes de protection qui sont à la disposition des parties contractuelles. D’abord, le droit allemand (§ 313 BGB) comme le droit français (article 1195 Code civil, applicable seulement aux contrats conclus à compter du 1 octobre 2016) donnent aux parties contractantes la possibilité de renégocier le contrat pour imprévision en cas d’un changement de circonstances imprévisible ou de résilier le contrat en cas d’échec de la négociation.  De plus, le recours à la force majeure[xix] reste ouvert au débiteur pour s’exonérer de son obligation[xx]. Ainsi, le report des délais (date d’échéance de l’obligation ou des actions en justice sanctionnant l’inexécution de l’obligation), alors que peut-être pas forcément nécessaire, peut néanmoins apporter une protection supplémentaire des débiteurs tant en France qu’en Allemagne. 

Cependant, il faut également noter que cette protection supplémentaire apportée par le droit dérogatoire n’est pas une solution parfaite. Ainsi, beaucoup de débiteurs qui sont susceptibles de profiter de la prorogation de l’échéance de leurs obligations continuent à avoir des dépenses financières continues (nourriture, loyer, etc.) qui se sont accumulées au cours des derniers mois. Surtout pour les débiteurs qui disposaient déjà de peu de ressources financières avant la crise, le fait de simplement reporter l'échéance de l’obligation ou de reporter les clauses sanctionnant l’inexécution de l’obligation ne fera que repousser la détresse financière du débiteur à une date ultérieure, comme il reste tenu d’exécuter son obligation après la période juridiquement protégée prévue par la lex epidemia allemande et française. Ainsi, la propagation des délais permet de maintenir la grande majorité des contrats conclus avant le début de la pandémie de COVID-19 et protège ainsi peut-être plus l’économie générale national que le débiteur individuel en question. 

Il faut cependant aussi souligner que le législateur a dû agir rapidement pour atténuer l’impact de la crise sanitaire sur le système légal national. Le processus de l’adoption du droit dérogatoire a été précipité afin d’apporter rapidement une aide dans les domaines affectés sévèrement par la crise sanitaire et le législateur national n’a donc pas eu le temps de trouver une solution adaptée à toutes les situations. La dérogation de l’échéance des obligations ou de l’action en justice par le créancier n’est donc peut-être pas une solution tout à fait adéquate pour la protection de tous les débiteurs, en particulier ceux qui avaient déjà des difficultés financières. Mais elle permet quand même aux débiteurs de mieux utiliser leurs ressources pendant la crise sanitaire et de se concentrer sur leurs besoins essentiels.

 

 

 

Bibliographie

 

Textes législatifs

  • Artikel 240 EGBGB (Einführungsgesetz zum Bürgerlichen Gesetzbuch – Loi d’introduction au code civil allemand) 
  • Artikel 5 Gesetz zur Abmilderung der Folgen der Covid-19 Pandemie im Zivil-, Insolvenz- und Strafverfahrensrecht vom 27. März 2020 – Loi visant à atténuer les conséquences de la pandémie de Covid-19 en matière de droit civil, d'insolvabilité et de procédure pénale
  • Deutscher Bundestag, Drucksache 19/18110 (Entwurf eines Gesetzes zur Abmilderung der Folgen der COVID-19 Pandemie im Zivil-, Insolvenz- und Strafrecht – Projet de loi visant à atténuer les conséquences de la pandémie de Covid-19 en matière de droit civil, d'insolvabilité et de procédure pénale)
  • § 310, alinéa 3, BGB (Bürgerliches Gesetzbuch – Code civil allemand)

 

  • Article 1218 Code civil
  • Ordonnance n° 2020-306 du 26 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence et à l'adaptation des procédures pendant cette même période 
  • Ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l'épidémie de covid-19
  • Ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020 fixant les délais applicables à diverses procédures pendant la période d’urgence sanitaire
  • Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020
  • Loi n° 2020-546 du 11 mai 2020

 

Conventions

  • Règlement (CE) N°593/2008 du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I)

 

Jurisprudence

  • Amtsgericht Homburg, 2 septembre 1992 – 2 C 1451/92-18
  • Amtsgericht Augsburg, 9 septembre 2005  – 14 C 4608/03

 

  • Cour d’Appel Colmar, 23 mars 2020, n° 20-01207

 

Ouvrage spécial

  • Hubert Schmidt,  COVID-19: Rechtsfragen zur Corona-Krise, 1. édition (2020).

 

Articles

  • Martin  Schmidt-Kessel et Christina Möllnitz, Coronavertragsrecht – Sonderregeln für Verbraucher und Kleinstunternehmen, Neue Juristische Wochenschrift (NJW) 2020, Vol.16, p.1103.
  • Sabine Otte-Gräbener, Auswirkungen der Covid-19-Pandemie auf Lieferverträge, Gesellschafts- und Wirtschaftsrecht (GWR) 2020, p.147.

 

  • Mustapha Mekki, De l’urgence à l‘imprévu du Covid-19 : quelle boîte à outils contractuels ?, Actualité Juridique Contrat 2020 N°4, p.164.
  • Xavier Delpech, Lex epidemia, Actualité Juridique Contrat 2020 N°4, p.157. 

 

 

 

[i] Delpech, Lex epidemia, p.157.

[ii] Cette norme juridique devait s'appliquer du 1 avril jusqu'au 30 juin 2020 inclus (Article 240, § 1, alinéa 1, EGBGB). Cependant, elle prévoie également la possibilité de prolonger son application jusqu’au 30 septembre 2020 si les circonstances l’avèrent nécessaire (Article 240 § 4, alinéa 1, n° 1). 

Mise à jour : Le gouvernement allemand a décidé le 1 juillet 2020 de ne pas prolonger l’application de l’article 240 EGBGB.  

[iii] Le législateur allemand suit la définition donnée dans l’article 2 de la recommandation de la Commission du 6 mai 2003 concernant la définition des micro, petites et moyennes entreprises (2003/361/CE).

[iv] Bundestag-Drucksache 19/18110, S.34.

[v] Bundestag-Drucksache 19/18110, S.33.

[vi] Bundestag-Drucksache 19/18110, S.33.

[vii] Alors que la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 proroge l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet, la période juridiquement protégée et donc le champ d’application temporelle de l’ordonnance n°2020-306 n’a pas été prolongé.

[viii] Article 4, alinéa 2, de l’ordonnance n°2020-306.

[ix] Article 4 de l’ordonnance n°2020-306.

[x] Bundestag-Drucksache 19/18110, S.33.

[xi] Bundestag-Drucksache 19/18110, S.33.

[xii] Bundestag-Drucksache 19/18110, S.34.

[xiii] Bundestag-Drucksache 19/18110, S.34.

[xiv] Bundestag-Drucksache 19/18110, S.35.

[xv] Schmidt-Kessel/ Möllnitz, Coronavertragsrecht p.1105.

[xvi] Schmidt-Kessel/ Möllnitz, Coronavertragsrecht, p.1104.

[xvii] Bundestag-Drucksache 19/18110, S.34.

[xviii] Mekki, De l’urgence à l‘imprévu du Covid-19 : quelle boîte à outils contractuels ?, p.164.

[xix] Alors que le BGB ne contient pas explicitement la notion de ‘force majeure’ (höhere Gewalt), ses conséquences sont envisagées et régies par le paragraphe 275 dont le premier alinéa dispose que « Le droit à la prestation est exclu si elle est devenue impossible pour le débiteur ou toute autre personne ».

[xx] En ce qui concerne la qualification de pandémie comme force majeure en droit français et en droit allemand : 

  • Cour d’Appel de Colmar, 23 mars 2020, n° 20-01207. 
  • Amtsgericht Augsburg, 9 septembre 2005  – 14 C 4608/03 (SARS). 
  • Amtsgericht Homburg, 2 septembre 1992 – 2 C 1451/92-18 (Cholera).