Analyse comparative des dispositifs de quotas de genre dans les conseils d’administration et de surveillance en France et en Allemagne

Analyse comparative des dispositifs de quotas de genre dans les conseils d’administration et de surveillance en France et en Allemagne – Benjamin Bazot

 

 

Bien avant la crise financière et économique de 2008 un désir de diversification, y compris de féminisation, des instances de gouvernance des entreprises se faisait déjà ressentir en Occident. En revanche, c’est depuis la crise que cette aspiration a connu un nouvel essor. Il se traduit par un assentiment progressif des sphères économiques et politiques à faire évoluer le statu quo sur cette question.

 

Le monde économique prends peu à peu conscience que la parité a un impact direct sur la rentabilité des entreprises, au fur et à mesure que se multiplient les études établissant des convergences entre bonne gestion d’entreprise et gouvernance hétérogène.i

Par ailleurs, la parité devient mesurable et son ratio influe directement sur les marchés financiers, le Sarbanes Oxley Act (SOX) aux Etats Unis étant un exemple type de cette évolution. Cette loi à portée extra territoriale oblige les entreprises cotées à publier des rapports sociaux, notamment en matière de diversité et de parité. Ces rapports sont ensuite repris par des analystes financiers qui utilisent ces données afin d’en déduire une notation de l’entreprise. Ces notations étant très influentes sur le cours de l’action en bourse, les entreprises cotées aux Etats Unis, même françaises, sont ainsi motivées à instaurer des politiques de diversité et de parité en leur sein, afin d’influer positivement sur le cours de l’action.ii
Néanmoins il doit être précisé que, malgré une évolution des mentalités considérable et une acceptation grandissante, tous les acteurs du monde des affaires ne sont pas encore favorables à la mise en place de mesures de discrimination positives et que celles-ci restent encore largement critiquées.

 

Il sera tout d’abord effectué une comparaison des dispositifs législatifs français et allemands de quotas de genre dans les conseils d’administrations et de surveillance (I). Dans un second temps, sera analysé l’évolution de la législation concernant la parité (II), pour finalement étudier les limites de telles politiques de discrimination positive.(III).

 

 

I) Dispositifs législatifs similaires différenciés par leur mise en place progressive

Le 29 janvier 2011 est entrée en vigueur en France la loi dite Copé-Zimmermann1 qui instaure des quotas de genre dans les conseils d’administration et de surveillance des sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé. Sont concernées parmi les sociétés cotées, celles qui emploient plus de 500 salariés et réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 50M d’euros2.
L’Allemagne a également voté, le 6 mai 2015, une loi3 instaurant un quota de genre dans les conseils de surveillance4 des sociétés allemandes cotées en bourse et employant plus de 1000 salariés5.

 

Les stratégies diffèrent d’un pays à l’autre. La France a instauré un premier palier de 20 % minimum d’administrateurs de chaque genre à partir de 2014. Puis, d’ici 2017, ce quota est porté à 40 % des administrateurs. 
L’Allemagne, quant à elle, impose un quota de 30 % à partir de 2016. Les entreprises ont donc un an, à partir de la promulgation de la loi, pour atteindre, lors des prochaines assemblées générales des actionnaires, à compter de 2016, au moins 30 % de femmes au conseil de surveillance. La France, quant à elle, procède par étapes : elle laisse 3 ans aux conseils pour être constitués au minimum à 20 % de chaque genre, puis double ce taux après 3 ans ; soit 6 ans après l’entrée en vigueur de la loi, ce qui correspond à la durée d’un mandat d’administrateur. Le processus français, plus long, laisse donc plus de temps aux entreprises pour planifier la conformation au nouveau cadre légal mais place des attentes plus hautes que le législateur allemand.

Concernant les sanctions applicables, les réglementations des deux pays sont très similaires. Aucun des deux systèmes ne prévoit l’annulation des décisions prises par le conseil illégalement constitué. En revanche, tous deux prévoient l’annulation des nomination de nouveaux membres élus au mépris des règles de parité67. Le système français prévoit également un gel temporaire des jetons de présence, ce qui revient à suspendre la rémunération des administrateurs8. Ces sanctions ont été élaborées pour obliger les entreprises à respecter les quotas, sans bloquer entièrement leur activité. Elles sont tout de même assez handicapantes pour contraindre les sociétés concernées.

Dans les deux pays, la législation sur la parité femmes-hommes dans les conseils d’administration et de surveillance ne s’arrête pas aux dispositions énoncées précédemment. 

La même loi allemande9 prévoit également que les sociétés employant plus de 500 salariés et les sociétés cotées, publient des objectifs de représentation des genre dans les conseils de surveillance. Ces objectifs sont à atteindre en 5 ans. Si le taux de femmes dans les conseils de surveillance est inférieur à 30 %, les objectifs publiés ne peuvent être inférieurs au taux actuel. Néanmoins, la simple obligation de justification prévue en cas de non-respect de la disposition légale paraît être une sanction peu contraignante.
En France c’est une seconde loi, celle dite « pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes », publiée en 2014, qui est venue étendre les dispositions de la loi Copé-Zimmermann aux sociétés de plus de 200 salariés et ayant plus de 50M de chiffre d’affaires. Ces sociétés sont donc, à partir de 2020, tout autant soumises au quota de 40 % de représentation de chaque genre dans les conseils d’administration.

 

 

II) Evolutions historiques de la législation sur la parité

 

En France, le principe républicain d’égalité inhérent à la Constitution a longtemps empêché la mise en place de mécanismes de discrimination positive, notamment en matière de parité.
Une réforme de la Constitution a eu lieu en 1999 pour remédier en partie à ce problème. Il fut ajouté à l’article 3 de la Constitution un alinéa qui dispose que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ». A partir de cette réforme ont pu être adoptées des lois instaurant des quotas de femmes dans l’administration publique. 

Cependant, dans la sphère économique, la Constitution interdit toujours la discrimination positive. C’est en ce sens qu’en 2006, le Conseil constitutionnel censure un projet de loi précurseur de la loi Copé-Zimmermann, visant à instaurer un ratio de minimum 80/20 dans certaines instances du monde du travail, notamment les conseils d’administration et de surveillance10. Selon le Conseil constitutionnel, le projet de loi fait primer l’appartenance à un genre sur la compétence des personnes ou sur l’utilité commune, ce qui est contraire aux articles 1 et 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. Le genre peut être pris en compte, mais ne doit pas prévaloir sur les autres qualités. Ainsi, le précurseur de la Loi Copé-Zimmermann est déclaré inconstitutionnel par le Conseil constitutionnel. 
En 2008, la situation se débloque à travers une seconde réforme constitutionnelle introduisant un alinéa second à l’article premier de la Constitution11. Celui-ci dispose que : “la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales”. Cette révision ouvre la voie à l’instauration de quotas afin de favoriser l’accès égal des femmes et des hommes aux fonctions électorales mais aussi professionnelles. Suite à cette révision, la loi Copé-Zimmermann pourra être adoptée en 2011.

 

En Allemagne le Bundesverfassungsgericht, équivalant du Conseil Constitutionnel, n’a jamais encore eu à statuer sur la constitutionnalité des quotas de genre. Cela n’empêche pas les constitutionnalistes allemands d’être divisés au sujet de cette question. 

Tout d’abord le §3 (3) de la loi fondamentale (Grundgesetz) interdit toute discrimination, même positive, basée sur le critère du sexe.
Concernant les quotas dans les conseils de surveillance, ces réglementations pourraient de même être en contradiction avec les §§ 14, 12 et 9 du Grundgesetz, qui protègent respectivement la propriété, la liberté d’exercice de métier et la liberté de rassemblement.iii
Un principe constitutionnel ne pouvant être enfreint que dans le but de permettre l’application d’un autre principe à valeur constitutionnelle, les défenseurs des quotas, ainsi que la majeure partie de la doctrine, se fondent donc sur le §3 (2) du Grundgesetz qui donne pour mission à l’État de promouvoir la parité et de d’abolir les discriminationsiv.
 

Au fil des ans, le changement opéré par les lois instaurant des quotas de genre dans les conseils d’administrations est nettement observable dans les deux pays.
En France en 2010, le taux d’administratrices dans le SBF120 était de 12,5 %v, en 2020, soit 10 ans après, il est de 44,6 %vi, ce qui représente une augmentation de 32,1 points en 10 ans. 
En 2011, lors de l’adoption de la loi, ce taux était à 14,8 %. Trois ans après, lors du premier palier législatif en 2014, ce taux était déjà passé à 27 %, pour finalement atteindre 42 % au moment de parvenir au deuxième palier en 2017vii.

 

Du côté allemand, la contrainte législative a également porté ses fruits. En 2012, le taux de féminisation des conseils de surveillance du DAX30 était de 19,5 %, en 2019, soit 7 ans plus tard, il est de 35,4 %. On assiste à une augmentation de 15,9 points en 7 ans. En 2015, soit un an avant l’adoption de la loi allemande, ce taux était à 26,8 %, puis en 2016 il s’élevait à 30,2 % pour se conformer au cadre légalviii.
 

Bien que la plupart des entreprises acceptent désormais la parité au sein des organes de gouvernance, il existe nombre de stratégies de contournement, de limites et d’effets pervers aux réglementations en vigueur. 

 

III) Des quotas qui ne font pas l’unanimité

 

Les lois imposant des quotas de femmes dans les conseils ne font pas l’unanimité. Avant leur entrée en vigueur, tout autant que maintenant, les quotas essuient de nombreuses critiques.
Sans surprise, l’argument proéminent est celui du recul du critère de compétence. Il est reproché aux quotas de fausser un jeu de concurrence sain où seule la compétence serait déterminante. 

Par exemple, il est craint que les quotas aient pour effet que le genre prenne le dessus sur les compétences d’un individu dans sa nomination.

Un autre exemple est constitué par la crainte d’une déconstruction du principe républicain d’égalité au profit de catégories de la populations jugées comme étant dignes de protections particulièresix.

Ces critiques sont également faites de la part de femmes exerçant elle mêmes des fonctions à hautes responsabilités au sein de grandes entreprises. C’est le cas de Patricia Barbizet, ayant été membre des conseils d’administration de Total, Axa et Pernod Ricardx; ou encore de Marie-Claire Capobianco membre du conseil d’administration de la banque BNPxi, étant toutes deux des femmes dans un domaine largement dominé par des hommes.

De plus ces réglementations peuvent mener à des situation inconfortables pour les entreprises tel que devoir provoquer le départ d’un administrateur masculin compétent dans le seul but de respecter les quotas. 

 

Certaines entreprises ne s’en tiennent pas aux critiques et vont jusqu’à élaborer des stratégies de contournement. Certainesdiminuent le nombre d’administrateurs pour entrer dans les quotas, sans avoir à donner de mandats supplémentaires à des femmes. D’autres encore multiplient les cercles de discussion informels afin de continuer à prendre les décisions stratégiques entre hommesxii.
 

Par ailleurs, il est important de rappeler que la loi Copé Zimmermann ne concerne que les sociétés ayant leur siège social en France. Ainsi, elle ne s’applique pas aux sociétés de tradition française ayant leur siège social à l’étranger comme c’est le cas notamment des sociétés Airbus, Lafarge Holcim et Arcelor Mittal.

 

Mais aussi parmi les entreprises qui se plient au cadre légal, certaines limites sont apparues. 

On pourrait croire que la nomination de femmes au sein du conseil d’administration se révèlerait bénéfique à l’avancement de la parité dans le monde du travail. Au contraire, selon l’étude de Zweigenhaft et Domhoffxiii, les personnes discriminées positivement ont tendance à se fondre dans le « business as usual » et en adoptant un comportement conformiste. Elle ne cherchent donc pas à mettre en avant d’autres femmes et ainsi continuer le processus dont elles ont elles-mêmes bénéficiéxiv. Ce genre de comportements est doublement contre productif car, d’un côté il stoppe la logique de cercle vertueux qui favoriserait la progression de femmes vers des positions de pouvoir, et de l’autre, ces personnes ayant bénéficié des politiques de discrimination positive sont elles même la caution morale de l’entreprise et, en un certain sens, ne font ainsi que légitimer le statu quo. Ceci est problématique car il ne peut s’installer ainsi une situation de parité naturelle, si ces comportements ne changent pas, les quotas seront toujours nécessaires à la parité.

 

Par ailleurs, les femmes sont sous-représentées dans les comités prestigieux et stratégiques des conseils d’administration. Au contraire, elles sont bien représentées dans les comités d’éthique ou de RSE qui, malgré le gain d’importance de ces domaines au cours des dernières années, ont une importance moindre. Ainsi, la parité dans les conseils d’administration n’est pas forcément traduite par une parité du pouvoirxv.
Enfin cette dernière observation lance le sujet de la représentation des femmes dans les comités exécutifs et de direction. On observe qu’au sein de ces organes, les femmes occupent une part encore très faible par rapport à celle qui est la leur dans les conseils d’administration. Certes, la mise en place de quotas dans les conseils d’administrations et de surveillance a favorisé la nomination de femmes à de tels postes, néanmoins les avancées restent épisodiques.
Ainsi, les gouvernements des différents pays européens réfléchissent déjà à la mise en place de quotas de femmes dans les comités exécutifs et de direction, comme c’est le cas en Allemagne ou un tel projet de loi est actuellement en discussion au Parlement.

1 Loi n° 2011-103 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance et à l'égalité professionnelle.

2 Articles L225-18-1 C.com pour le conseil d’administration et L225-69-1 C.com pour le conseil de surveillance.

3 Gesetz für die gleichberechtigte Teilhabe von Frauen und Männern an Führungspositionen in der Privatwirtschaft und im öffentlichen Dienst.

4 En Allemagne, il ne peut s’agir que d’un conseil de surveillance. En France, bien que les deux formes soient possibles, la plupart des sociétés choisissent le conseil de d’administration.

5 § 96 II Aktiengesetz

6Articles L225-20 C.com pour le conseils d’administration et L225-76 C.com pour le conseil de surveillance des sociétés anonymes françaises

7§ 96 II Aktiengesetz

8Article L225-45 C.com pour le conseil d’administration et L225-83 C.com pour le conseil de surveillance.

9 Gesetz für die gleichberechtigte Teilhabe von Frauen und Männern an Führungspositionen in der Privatwirtschaft und im öffentlichen Dienst.

10 C.constit., décision n° 2006-533 DC du 16 mars 2006,, Loi relative à légalité salariale entre les femmes et les hommes.

11 Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République

i Georges Desvaux, Sandrine Devillard, Sandra Sancier-Sultan. Women Matter 3 : Women leaders, a competitive edge, in and after the crisis,McKinsey, 2009.

ii Anne-Françoise Bender, Isabelle Berrebi-Hoffmann, Philippe Reigné : La controverse française sur la loi de représentation équilibrée entre les femmes et les hommes dans les conseils d’administration des sociétés, Hal, (2006-2013). 2017. pp.16-19.

iii Hans-Jürgen Papier, Martin Heidebach, « Die Einführung einer gesetzlichen Frauenquote für die Aufsichtsräte deutscher Unternehmen unter verfassungsrechtlichen Aspekten », ZGR 2011, p.305.

iv Hans-Jürgen Papier, Martin Heidebach: « Mehr Frauen in Führungspositionen des öffentlichen Dienstes durch Fördermaßnahmen – verfassungs- und europarechtliche Bewertung », DVBl 2015, p.125.

v « La mixité dans les instances dirigeantes du SBF120 », Ethics § Boards, 2020.

vi « Board Index, 2020 France » Spencer Stuart, 2020.

vii « La mixité dans les instances dirigeantes du SBF120 », Ethics § Boards, 2020.

viii J. Rudnicka: « Frauenanteil in Aufsichtsräten der DAX-Unternehmen bis 2020 » DIW Berlin, 2020.

ix Renaud Mortier :« La féminisation forcée des conseils d’administration », Droit des sociétés, avril 2011, p.27.

x Valerie Lion :, « Ou sont les femmes ? » L’express, 13 Janvier 2010.

xi Soraya Haquani : « Egalité Hommes-femmes, le combat continue », Agefi, 17.12.2009.

xii Marion Rabier : « Les quotas du gotha », Manière de voir, 2016 N°150.

xiii Zweigenhaft Richard L., Domhoff William G., Diversity in the Power Elite, How it Happened, Why it Matters, Lanham (États-Unis), Rowman & Littlefield Publishers, 2006 [1998]. cité par : Marion Rabier : « Les quotas du gotha », Manière de voir, 2016 N°150.

xiv Marion Rabier : « Les quotas du gotha », Manière de voir, 2016 N°150.

xv Marion Rabier : « Les quotas du gotha », Manière de voir, 2016 N°150.