Copyright et Droit d'auteur, la même originalité ?

La définition, le principe et l’objet de la protection du droit d’auteur sont règlementés, inter alia, par les articles L.111-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle (CPI). En effet, tout d’abord l’article L.111-1 du CPI définit ce qu’est le droit d’auteur. Le droit d’auteur est le droit dont jouit l’auteur d’une œuvre de l’esprit sur cette œuvre. C’est un droit de propriété sur l’œuvre en question qui est accordé à son auteur du seul fait de la création de cette œuvre. En ce sens, l’article L.111-2 vient préciser que c’est la réalisation de la conception de l’auteur qui engendre sa création, « indépendamment de toute divulgation publique ». Le droit d’auteur est un droit de propriété incorporelle exclusif, opposable à tous, et conformément au deuxième alinéa de l’article L.111-1, il « comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial ». Puis, c’est l’article L.112-1 du CPI qui dote de la protection du droit d’auteur toutes les œuvres de l’esprit, qu’importe le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination de ces œuvres. Alors que le présent code n’indique pas ce qu’il convient de comprendre par le terme ‘œuvre de l’esprit’, il fournit une longue liste non limitative des créations qui, puisqu’elles sont considérées comme des œuvres de l’esprit, sont pourvues de la protection du droit d’auteur. L’énumération de ces créations, par l’article L.112-2, comprend les œuvres littéraires, dramatiques, musicales, chorégraphiques, cinématographiques, graphiques et photographiques, ainsi que les logiciels (depuis la Loi n°94-361 du 10 mai 1994). Conformément à l’article L.112-3, sont aussi protégés les anthologies, les recueils d’œuvres ou de données diverses, « tels que les bases de données, qui, par le choix ou la disposition des matières, constituent des créations intellectuelles ». On l’aura compris, le droit d’auteur a pour titulaire l’auteur de l’œuvre, il a pour objet toute œuvre de l’esprit, et il est accordé par principe indépendamment de toute formalité. Outre-Manche, l’« équivalent » du droit d’auteur en droit anglo-saxon est le copyright. Le copyright est la protection de toute création intellectuelle « of human beings ». Elle est accordée à l’auteur de cette création, elle apparaît sans aucune exigence de formalisme, et elle concerne, au sens de la section 3 (1) du Copyright, Designs and Patents Act 1988, huit différentes catégories d’œuvres. Ainsi, dans les droits de la propriété intellectuelle auxquels ils appartiennent respectivement, droit d’auteur et copyright sont des concepts très proches quant à leur nature, leur principe et leur objet. Toutefois, ces deux protections « jumelles » n’ont, depuis leur apparition au cours du même siècle, cesser de se différencier l’une et l’autre de par leur essence, leur orientation et leur application. En effet, bien que droit d’auteur et copyright fassent tout deux usage, dans la réalisation de leur nature, la mise en œuvre de leur principe et la visée de leur objet, du fameux critère d’originalité afin de déterminer si une œuvre est ou non susceptible d’entrer dans leurs champs d’application respectifs, l’interprétation qui en est faite par le droit d’auteur diverge de celle retenue par le copyright.

En quoi l’interprétation anglo-saxonne traditionnelle du critère d’originalité se distingue t-elle de l’interprétation française ? Quelle évolution récente face au développement de la société de l’information ?

C’est effectivement cette divergence d’interprétation de l’originalité des œuvres que nous nous proposons d’analyser ici, pour voir ensuite comment la conception traditionnelle de l’originalité en droit anglo-saxon a récemment évolué.

 

Le critère de l’originalité dans le droit anglo-saxon est présenté depuis près d’un siècle comme il a été présenté en 1916 dans une décision par conséquent majeure, University of London Press v. University Tutorial Press (1916). Dans cette dernière, où il était question de sujets d’examen de mathématiques qui avait été publiés accompagnés de réponses types, les juges ont en effet pourvu le droit du copyright avec une définition de l’originalité qui dès lors n’a cessé d’être appliquée. Il y a autant de décisions postérieures à University of London Press qui témoignent de cette jurisprudence constante que de manuels sur le copyright au Royaume-Uni qui exposent cet héritage (Colston & Middleton, « Modern Intellectual Property Law », 2e édition, Cavendish Publishing, London 2005; Cornish & Llewelyn, « Intellectual Property: Patents, Copyright, Trade Marks and Allied Rights », 6e édition, Sweet & Maxwell, London 2007; Torremans, « Holyoak and Torremans: Intellectual Property Law », 4e édition, OUP, Oxford 2005). Cette définition est la suivante : une œuvre est originale lorsqu’elle est n’est pas la réplique d’une œuvre antérieure et fait preuve d’un minimum de compétence, de travail et de réflexion (‘skill, labour and judgment’). C’est précisément cette exigence d’un minimum de compétence, de travail et de réflexion qui nous importe ici.

Selon certains auteurs (Cornish & Llewelyn, « Intellectual Property : Patents, Copyright, Trade Marks and Allied Rights, 6e édition, Sweet & Maxwell, London 2007), cette traditionnelle conception anglo-saxonne de l’originalité en copyright remonteraient même aux tout premiers arguments avancés en Angleterre en faveur de la création d’une protection des œuvres de l’esprit. Ils opèrent pour cela un retour en arrière de plus de trois cent ans. En effet, c’est au tout début du XVIIIe siècle, avec le Statute of Anne 1710, que le droit anglo-saxon a légiféré pour la première fois sur le droit de la propriété intellectuelle des œuvres de l’esprit. Cette loi avait pour dessein de protéger les efforts consentis et investis dans la création intellectuelle par certains auteurs contre d’autres qui ne se donnaient pas tant de peine. Cornish & Llewelyn explique que cette idée de dur labeur est toujours au cœur de l’interprétation de l’originalité aujourd’hui.

Depuis University of London Press, d’autres décisions de premier rang sont venues conforter cette conception, et quelques unes sont également venues préciser l’interprétation spécifique à chaque cas étudié que cette conception sous-entend. En effet, comme l’a précisé Lord Atkinson dans Macmillan v. Cooper (1923), dans chaque affaire l’interprétation de l’originalité « doit dépendre principalement des faits en l’espèce et doit toujours être une question de degré ». La jurisprudence, ou plutôt case law, de University of London Press, détient toujours une place indéniable dans l’interprétation contemporaine qui est faite du critère d’originalité en droit anglo-saxon. Il est même arrivé qu’une illustration de cette influence aille encore plus loin. Dans Express Newspaper Plc. v. News (UK) Ltd. (1990), V-C Sir Nicolas Browne-Wilkinson a même cité aux visas l’affaire Walter v. Lane (1900) dans laquelle il fut retenu que le critère d’originalité est satisfait dès lors qu’un degré suffisant (supérieur au minimum) de compétence, de travail et de réflexion est atteint. En ce sens, le compte rendu écrit d’un discours fut considéré comme ‘copyrightable’ aux motifs que la transcription mot pour mot d’un discours dénote d’un niveau élevé de compétence, de travail et de réflexion.

 

Cette interprétation anglo-saxonne traditionnelle du critère d’originalité surprend lorsque l’on lui juxtapose l’interprétation française qui est faite du même critère. En France, le droit d’auteur concerne lui aussi les œuvres de l’esprit. Il accorde les mêmes droits et ces deniers sont l’apanage des mêmes titulaires. Pourtant, le critère d’originalité est sur le fond bien différent de celui mis en œuvre au Royaume-Uni.

 

Le droit d’auteur offre sa protection aux œuvres de l’esprit à condition d’originalité. Cependant cette originalité s’entend au sens d’empreinte de la personnalité de l’auteur. En ce sens, Christiane Féral-Schuhl (Christiane Féral-Schuhl, « Cyberdroit, le droit à l’épreuve de l’Internet », 6e édition, Praxis Dalloz, Paris 2010) explique que « l’œuvre de l’esprit doit être marquée d’un apport intellectuel de l’auteur, c’est à dire de l’effort intellectuel de l’auteur ». Bien que l’on retrouve ici la notion d’effort, la conception française insiste, comme la Cour de cassation est venue le préciser rappelle Féral-Schuhl, qu’il convient d’aller au delà de la simple « mise en œuvre d’une logique automatique et contraignante » (Cass., ass. plén. 7 mars 1986 n°83-10.477).

Ainsi, la Cour d’appel de Rennes (CA Rennes, 13 mai 2014, Naviciel c/Mme R.), dans une affaire qui opposait une infographiste et son ex-employeur qui exploitait sans son autorisation des œuvres créées dans le cadre de son contrat de travail, s’est penchée sur la question de la reconnaissance ou non d’un savoir-faire technique. Les juges ont admis que les œuvres témoignaient d’une « technicité graphique et un savoir-faire certains » et que le choix des couleurs et des ambiances par l’infographiste résultait d’une « certaine autonomie », mais selon eux cette autonomie « étaient tout de même limitée en raison des ‘instructions très précises’ des clients » et les sites internet de facture très classique, comme le rapporte Carine Bernault, professeur à l’Université de Nantes (L’Essentiel Droit de la propriété intellectuelle, 01 juillet 2014 n°7, P.2). Il convient en ce sens de ne pas confondre la technicité fonctionnelle avec l’originalité.

 

En France, la bonne application du critère d’originalité est surveillée de près par la Cour de cassation, notamment en ce qui concerne les sites Internet. Dans l’affaire Vente privée.com c/ Club-privé (Cass. 1ère Civ.,12 mai 2011, n°10.17-852 (Propr. intell. 2011, n°40, p. 286, obs. Bruguière), les juges du fond avaient rejeté la demande d’une société qui reprochait à une autre d’avoir reproduit l’architecture de son site aux motifs que la fenêtre d’identification, la bande annonce animée et le choix des couleurs ne démontraient pas un effort créatif particulier, « qu’ils soient pris séparément ou combinés dans leur ensemble », et de ce fait ils ne satisfaisaient pas le critère d’originalité. Cet arrêt fut cassé par les juges de cassation qui requiert plus d’analyse sur la combinaison des différentes composantes du site. En effet, ce que demande la Cour de cassation c’est d’aller plus loin dans la recherche de l’originalité, celle-ci pouvant tout à fait transpirer du choix ou de la disposition des éléments, c’est à dire dans la manière d’agencer ces éléments. Il semble alors que l’originalité française comprend un élément supplémentaire, une empreinte de la personnalité, ce qui nécessite d’avantage d’attention.

L’interprétation française du critère d’originalité est en effet applicable aux nouvelles formes d’œuvres qui sont apparues ces dernières années avec le développement de l’Internet. Depuis 1998 (Tribunal de commerce de Paris, 9 février 1998), le site Internet est considéré comme une œuvre de l’esprit et est donc doté de la protection du droit d’auteur. Cette protection est d’autant plus importante qu’elle revêt sur un site Internet de multiples et diverses formes. Le titre du site est protégeable comme l’est le titre de toute autre œuvre (sans même parler de nom de domaine); le contenu du site est également protégeable de par son logiciel (articles L.122-6 et suivants du CPI), ses textes, images, sons, vidéos, mais aussi ses bases de données (si le site ne constitue par dans sa globalité une base de données, Tribunal de grande instance de Caen, 15 septembre 2005), ou encore sa page d’accueil (Tribunal de grande instance de Paris, 29 mai 2001). Les juridictions françaises ont aussi reconnu que l’architecture du site est susceptible d’être pourvue de la protection du droit d’auteur si elle témoigne d’un apport créatif. C’est cet apport créatif que l’interprétation française semble considérer comme une preuve d’originalité. Dans cette affaire, le juge a accordé la protection des œuvres de l’esprit à un site Internet qui, offrant des crédits immobiliers, démontrait un caractère d’originalité suffisant (Tribunal de grande instance de Lille, 24 février 2005) : « sa présentation et ses divers éléments, c’est à dire une page-écran (avec son assemblage de textes, d’images et de liens), un graphisme, une animation ou une arborescence » fut jugé comme étant le « résultat d’une recherche visant à proposer un site web facilement consultable par tous grâce à un agencement réfléchi et une mise en forme particulière des différentes informations qu’il contient ». Plus tôt dans l’année, la Cour d’appel de Paris, avait, concernant les sites Internet de deux exploitants concurrents de sites pour adultes (CA, 12 janvier 2005, Kaligona c/ Dreamnex), pris le soin, d’exclure du champ de la protection du droit d’auteur des éléments techniques des sites Internet comme les données brutes et les langages de programmation (qui peuvent cependant être protégés en tant que tels), alors qu’elle a retenu comme étant protégeables certains éléments distinctifs du site du demandeur.

 

Par conséquent, l’interprétation française de l’originalité contraste beaucoup avec la tradition anglo-saxonne de la « sueur du front » (‘sweat of the brow’) qui semble reconnaître dans une œuvre la présence d’originalité dès lors qu’elle a requis un effort suffisant sur le plan intellectuel. La conception française de l’originalité va plus loin en comprenant l’originalité d’une œuvre comme l’expression d’une capacité créative.

De plus, on ne peut que constater que, quelles que soient la forme de ces nouvelles formes d’œuvres apparues avec le développement des réseaux numériques (site Internet, blog, jeu en ligne, encyclopédie collaborative, etc), le droit français a su adapter les articles du CPI et leur interprétation à la société de l’information. Le critère d’originalité n’a pas changé, il s’applique simplement et sans remous à une nouvelle face du droit d’auteur.

 

De ce fait, il convient de revenir au droit anglo-saxon afin de voir en quoi la conception traditionnelle de l’originalité a évolué de par, notamment, les vagues récentes d’harmonisation européenne relative à l’évolution du droit face au développement de l’Internet (Directive 91/250/EEC to 14 Mai 1991, Directive 92/100/EEC to 19 Novembre 1992, Directive 93/98/EEC to 29 Octobre 1993, Directive 96/9/EC du 11 Mars 1996, Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information).

Cependant, tout d’abord il convient à présent de nuancer la susmentionnée influence de University of London Press v. University Tutorial Press (1916) dans le paysage juridique anglais contemporain de l’interprétation du critère d’originalité. En effet, depuis quelques années, des auteurs mais aussi des Lords ont fait connaître leurs opinions dissidentes à ce propos (Lord Olivier of Aylmerton dans Interlego v. Tyco Industries (1989) : « un test se voulant universel (…) mais qui est injustifié (…) et manifestement erroné »). Par la suite de décisions telles que Designers Guild Ltd. v. Russell Williams (Textiles), Ltd., (2000) qui fut jugée par la House of Lords (qui fut alors toujours la juridiction suprême du Royaume-Uni), mais aussi Newspaper Licensing Agency Ltd. v. Marks & Spencer (2001), certains auteurs parlent de l’avènement d’une nouvelle approche concernant le critère d’originalité qui serait ‘original skill and labour’. Ceci amènerait une conception de l’originalité bien plus proche de celle du droit français mais aussi bien plus proche de la « créativité intellectuelle » exigé par les Directives européennes.

En effet, des Directives de l’Union européenne ont harmonisé le concept d’originalité, et ce en suivant la tradition du droit d’auteur. Cette harmonisation a pour but d’encourager l’innovation afin the développer la création, la circulation and la propagation du savoir dans tout le marché intérieur. En ce sens, Charlie McCreevy, ancien commissaire européen au marché intérieur, parlait de la libre circulation du savoir et de l’innovation comme étant la « cinquième liberté » (« Un Marché Unique for l’Europe du 21e siècle », Communication de la Commission au Parlement européen, 20 novembre 2007).

 

Par conséquent, nous assistons à une évolution de la conception du droit anglais en faveur du critère d’originalité provenant des pays continentaux européens et retenu par le droit communautaire. Cette évolution résulte du processus d’harmonisation lancé par le droit de l’Union européen mais aussi par un grandissant mécontentement avec la traditionnelle conception de l’originalité. Pour le moment, il coexiste donc deux critère divergents d’originalité dans le droit anglo-saxon et comme expliqué par MacQueen et al. (MacQueen et al. « Contemporary Intellectual Property Law and Policy », OUP, Oxford 2008) cette présence simultanée peut être propice à la réflexion sur lequel des deux critères est le plus adapté au monde du numérique. Ainsi, l’harmonisation européenne sur le model du droit d’auteur pourrait permettre au droit anglo-saxon « d’aller de l’avant ».