La discrimination des personnes transgenres

La discrimination des personnes transgenres

La lutte contre toute forme de discrimination fait partie des objectifs de l’Union européenne (UE), ainsi l’article 10 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) de 1992 dispose que « dans la définition et la mise en œuvre de ses politiques et actions, l'Union cherche à combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle ». C’est dans ce cadre que se pose la question de la discrimination des personnes transgenres. Au sens strict, une personne transgenre est une personne qui ne se sent pas appartenir au genre assigné à la naissance (masculin ou féminin) mais ne se sent pas non plus appartenir à l'autre genre et une personne transsexuelle comme une personne ayant le sentiment d’appartenir au sexe opposé. Ces définitions différencient la personne transgenre de la personne transsexuelle toutefois dans l’étude qui suit c’est une définition plus large du terme transgenre permettant d’englober ces deux réalités sous une même définition qui sera retenue, une personne transgenre est une personne dont l’identité de genre, l’expression et/ou le comportement sont différents par rapport à ceux qui sont typiques de son sexe biologique. Mais la discrimination de ces personnes est-elle prohibée par les ordres juridiques européens et italiens ? Sous quelles formes se manifestent les discriminations dont elles sont victimes ? Nous tenterons de répondre à ces questions en commençant par lister les normes européennes et italiennes en matière de discrimination (I), puis en définissant ce qu’est une discrimination et quels critères de discrimination sont interdits (II), en étudiant ensuite les cas particuliers de la discrimination des personnes transgenres et de la discrimination au sein de la fonction publique (III) et enfin en identifiant les discriminations effectivement subies par les personnes transgenres en Italie (IV).

I) Les normes européennes et italiennes applicable en matière de discrimination

Nous listerons ici les normes européennes (1) puis les normes italiennes (2) applicables en matière de discrimination.

1) Les normes européennes

L’interdiction de toutes formes de discrimination est contenue, au niveau européen, à la fois dans les normes du Conseil de l’Europe (l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales) et de l’Union Européenne. Nous nous intéresserons toutefois ici avant tout à ces dernières. C’est dans l’article 19 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) de 1992 qu’il faut aller chercher le fondement de la législation européenne en matière de lutte contre les discriminations. En effet cet article dispose que l’Union européenne « peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination ». Bien que libre de choisir sous qu’elle forme prendre ces dispositions, le législateur européen n’a adopté que des directives sur la base de l’article 19. Directives qui sont l’instrument laissant le plus de marge de manœuvre aux Etats membres dans leur application, celle-ci ne contenant que des objectifs à atteindre ce qui laisse aux instances nationales la liberté de choisir la forme et les moyens pour atteindre cet objectif. Les quatre directives européennes en vigueur en matière de discrimination sont la directive 2000/43/CE du conseil du 29 juin 2000 « relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique », la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 « portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail », la Directive 2004/113/CE du Conseil du 13 décembre 2004 « mettant en œuvre le principe de l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l’accès des biens et services et la fourniture de biens et services » et la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 « relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail ».

2) Les normes italiennes

La majorité des textes législatifs italiens en matière de lutte contre les discriminations sont des transpositions de normes européennes. Ainsi les décrets législatifs n. 215 et N. 216 du 9 juillet 2003 viennent transposer respectivement la directive 2000/43/CE du conseil du 29 juin 2000 « relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique » et la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 « portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail », le décret législatif n.196 du 6 novembre 2007 la Directive 2004/113/CE du Conseil du 13 décembre 2004 « mettant en œuvre le principe de l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l’accès des biens et services et la fourniture de biens et services », et le décret législatif n.5 du 25 juillet 2010 la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 « relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail ».

L’interdiction de discrimination par la législation italienne ne passe toutefois pas uniquement par la transposition des différentes normes européennes en la matière, on peut ainsi la retrouver dans la Constitution italienne de 1946 (notamment en son article 3), mais aussi dans le Statut des Travailleurs de 1970 (adopté à travers la loi n.300/70), dans le décret législatif n.286/98 (Texte unique sur l’Immigration) et la loi n.183/2010 notamment ou encore à travers la création du Code de l’égalité des chances à travers le décret législatif n.198 du 11 avril 2006.

Nous allons maintenant étudier plus en détail ces normes et définir ce qu’est une discrimination aux vues de celles-ci et quelles sont les critères de discriminations qui sont interdits

II) Définition du terme discrimination et critères de discrimination prohibés

Nous commencerons ici par donner une définition de la discrimination dans sa forme directe et dans sa forme indirecte (1) et nous identifierons par la suite les critères de discrimination interdits dans l’UE et en Italie (2).

1) Définition du terme discrimination, la discrimination directe et indirecte

Dans le cadre de la législation européenne il faut distinguer deux formes de discrimination. La discrimination directe qui se produit « lorsque [...] une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un [des critères visés par les directives]» et « une discrimination indirecte [qui] se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes [...] par rapport à d’autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires » tel que dispose l’article 2 alinéa 2 a) et b) de la directive 2000/43/CE.

Une définition assez semblable de ces deux formes de discriminations est présente dans la législation italienne. Cette distinction a été introduite dans l’ordre juridique italien par le Texte unique sur l’Immigration de 1998. La discrimination directe est aujourd’hui ainsi définit par le décret législatif n.215 de 2003, il y a discrimination directe quand « une personne est traitée moins favorablement que ne l’est, ne l’a été ou ne devrait l’être une personne dans une autre situation analogue ». Ces deux formes de discriminations sont interdites par l’ordre juridique européen et italien bien que la portée de cette interdiction varie en fonction des critères de discrimination prohibés

2) Critères de discrimination prohibés

Les critères de discrimination prohibés au niveau européen sont « le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle » tels que listés dans l’article 19 du TFUE. On peut noter que ces critères sont énoncés sans que leur soit offerte une définition de la part du TFUE, définition également absente des directives susmentionnées. Il incombe ainsi à la jurisprudence de juger au cas par cas des situations apportées à sa connaissance et éventuellement de donner une définition générale à ces notions. Il est également important de noter que cette liste est plus courte que celle d’autres instruments européens tels que la Charte des droits fondamentaux de l’UE, celle-ci interdit explicitement également les discriminations liées à « la couleur, l’origine sociale, les caractéristiques génétiques, la langue, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune et la naissance ».

L’alinéa 1 de l’article 3 de la Constitution italienne affirme que « tous les citoyens ont une même dignité sociale et sont égaux devant la loi, sans distinction de sexe, de race, de langue, de religion, d’opinions politiques, de conditions personnelles et sociales. ». L’alinéa 2 dispose lui qu’il est un devoir de la République italienne de s’assurer que « tous les citoyens ont une même dignité sociale et sont égaux devant la loi, sans distinction de sexe, de race, de langue, de religion, d’opinions politiques, de conditions personnelles et sociales. ». Ce texte sert de base aux législations italiennes en matière de discrimination mais n’est toutefois pas suffisant pour définir le champ d’application de l’interdiction de discrimination par les normes italiennes. Comme dans le cas de la législation européenne cette liste n’est pas exhaustive et d’autres critères ont été mis en évidence par la suite par la jurisprudence.

 

III) Cas particuliers de la discrimination dans la fonction publique et de la discrimination des personnes transgenres.

Nous étudierons ici dans un premier temps dans quelle mesure l’interdiction de discrimination d’applique également à la fonction publique (1), puis nous parlerons du cas particulier de la discrimination des personnes transgenres (2).

1) L’interdiction de discrimination dans la fonction publique

Il existe dans le droit européen une série d’exception à l’application des normes antidiscriminatoires. Ainsi en leur article 4 les directives 2000/78 CE et 2004/113 CE dispose qu’une différence de traitement, basée sur les critères contenus dans ces directives, ne constitue pas « une discrimination lorsque, en raison de la nature d'une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l'objectif soit légitime et que l'exigence soit proportionnée ». De même une différence de traitement en fonction de la nationalité reste consentie par ces deux directives. Ces exceptions ne visent toutefois pas directement la fonction publique, même si on peut imaginer que dans la pratique il lui sera plus facile de justifier de l’existence d’un objectif légitime capable de justifier une différence de traitement (en se référant à la notion d’ordre public par exemple). On peut par exemple citer le critère de résidence dans une certaine commune ou région comme critère pour différencier la différence de traitement dans la fonction publique. La loi italienne n.183/2010 dispose, elle, que « la fonction publique garanti l’égalité de traitement et l’égalité des chances entre les femmes et les hommes et l’absence de toute discrimination, directe ou indirecte, relative au genre, à l’âge, à l’orientation sexuelle, à la race, à l’origine ethnique, au handicap, alla religion ou à la langue, dans l’accès au travail » etc… Bien que n’instaurant pas un régime spécial, à la fonction publique, en matière de discrimination cette loi met en évidence l’intérêt tout particulier que la fonction publique doit porter à la lutte contre les discriminations.

2) L’interdiction de discrimination des personnes transgenres

Les droits antidiscriminatoires européens et italiens n’incluent pas expressément l’identité de genre ou l’expression de genre dans les facteurs de discrimination prohibés. Cependant la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a reconnu que la discrimination des personnes transsexuelles rentre dans le cadre des discriminations basées sur le genre et donc est interdite par les normes européennes. Toutefois l’arrêt P. c. S. et Cornwall County Council du 30 avril 1996 ne prévoit cette interdiction que dans le cas de « conversion sexuelle de l’intéressée » que celle-ci ait déjà eu lieu ou soit encore en cours. Cette jurisprudence n’interdit toutefois pas toutes les discriminations en matière d’identité de genre, en effet celle-ci n’inclut pas les personnes ne désirant pas procéder à une quelconque conversion sexuelle mais expriment leur genre par d’autres moyens tels que le langage, l’apparence vestimentaire etc. Dans un rapport du 5 mai 2015 la Commission européenne précise toutefois que la discrimination fondée sur l’identité de genre devrait être traité de la même manière que celle relative au changement de sexe. Il semble ainsi que l’ordre juridique européen offre enfin sa protection à l’ensemble des personnes transgenres au sens de la définition que nous avons choisis en introduction et non pas aux seules personnes transsexuelles.

IV) La discrimination des personnes transgenres

1) Les discriminations subies par les personnes transgenres

La première forme de discrimination subie par les personnes transgenres est probablement celle liée à la reconnaissance de leur identité de genre. En effet une confusion est encore trop souvent faite entre personne transsexuelle et personne transgenre. D’autre part il est important de souligner que l’interdiction de la discrimination des personnes transgenres n’ont même pas été pris en compte par les textes législatifs qu’ils soient européens ou italien.

Il y a assez peu, voir pas, de recensement officiel des cas de discriminations de personnes transgenres. Toutefois les divers témoignages que l’on peut trouver en ligne ou dans différents articles de presse semblent montrer que cette forme de discrimination est présente dans tous les aspects de la vie d’une personne, de l’accès à l’emploi, au logement ou bien même dans la simple reconnaissance de notre identité personnelle. Cette absence de donnée n’est toutefois pas particulièrement étonnante quand on sait que cette forme de discrimination n’a été reconnu comme tel que par voie jurisprudentielle dans les ordres juridiques européens et italiens.

On peut toutefois noter que cette discrimination semble particulièrement forte en Italie. En effet on peut voir dans une étude 2015 (Special Eurobarometer 437: Discrimination in the EU in 2015) que si 56% du panel interrogé considère que les discriminations liées à l’identité sexuelle sont répandues dans leur pays d’origine, ce pourcentage s’élève à 71% dans le cas de l’Italie. Bien que cette étude ne se base que sur le ressentie des personnes interrogées il est intéressant de constater que le pourcentage italien est bien plus élevé que celui de la moyenne européenne ce qui nous laisse à penser que ce genre de discriminations est plus présente en Italie qu’ailleurs.

2) Exemples de cas de discrimination de personnes transgenres en Italie.

Nous parlerons ici de deux cas caractéristiques des discriminations que peuvent subir les personnes trans.

a) Discrimination dans le cadre de l’accès au logement

Il s’agit d’un cas de discrimination d’une personne transgenre dans le cadre de l’accès à un logement. Au milieu du mois d’août 2016 Andrea Martinelli avait signé un accord de principe avec une société immobilière la Toxon s.p.a pour la location d’une chambre dans une résidence de Trento à partir du 1er octobre de la même année. Peu de temps avant la remise du bien la société immobilière en question se rend compte qu’Andrea a sur sa carte d’identité une apparence plus féminine et refuse finalement de lui louer la chambre prétextant que Andrea n’est pas inscrite à l’université. Malgré les tentatives de défense de la Toxon s.p.a le tribunal de Trento a finalement retenu qu’il y a eu discrimination en effet le motif du refus était difficilement défendable de la part de la société immobilière celle-ci étant au courant depuis le début que Andrea n’était pas étudiante. Cette décision de justice, en plus de mettre en évidence la discrimination dans l’accès au logement par les personnes transgenres, est historique sur le plan national. En effet il s’agit de la première décision italienne reconnaissant que ne sont pas protégées par la loi uniquement les personnes ayant eu recours à une intervention chirurgicale mais toutes les personnes transgenres quelle que soit leur intention de subir ou non une opération. Ainsi l’avocat en charge du dossier a dit que « c’est une décision historique, la première dans l’absolu qui concerne la discrimination envers les personnes transgenres et une des très rares en matière de bien et de services pour motif de genre. »

b) Décision du 11 octobre 2018 de la part de la CEDH

Le 11 octobre 2018 l’Italie a été condamnée pour la première fois par la CEDH dans le cadre de sa protection des personnes transgenres. En l’espèce une personne transgenre avait demandé la modification de son prénom à l’état civil afin que celui-ci soit plus en adéquation avec son apparence physique de l’époque, apparence « féminine », afin d’éviter une situation constante d’humiliation et d’embarras. Cette personne s’était vu refuser sa demande au motif que la modification chirurgicale du sexe de l’intéressée n’avait pas eu lieu. Cette décision est d’une importance cruciale dans le processus de reconnaissance des discriminations envers les personnes transgenres. En effet bien que celles-ci en subissent dans tous les aspects de leur vie, professionnelle ou privée, la première des discriminations à leur encontre est probablement la non prise en considération de leur identité de genre, les obstacles qui sont posés à leur autodétermination en tant que personne. On peut toutefois dire que cette décision n’est qu’un premier pas vers une reconnaissance des multiples identités de genre qui peuvent exister, en effet aujourd’hui encore le concept « transgénérité » est trop souvent confondu avec celui de transsexualité alors que celui-ci est bien plus large et englobe des réalités très diverses.

 

 

Bibliographie

La condizione transessuale : profili giuridici, tutela antidiscriminatoria e buone pratiche, de WALTER CITTI, PATRIZIA FIORE, ANNA LORENZETTI, FEDERICO SANDRI, GIACOMO VIGGIANI, in Regione Autonoma Friuli Venezia Giulia, en 2017. (3. LA TUTELA CONTRO LE DISCRIMINAZIONI NEI CONFRONTI DELLE PERSONE TRANSESSUALI E TRANSGENDER di Walter Citti pages 33 à 50) ;

L’action juridique de l’union européenne dans la lutte contre les discriminations, de Elise Muir, in Migrations Société 2010/5 (N° 131). (pages 87 à 104) ;

Manuel de droit européen en matière de non-discrimination, de Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, 2010.

http://schuster.pro/cs-donna-transgender-discriminata-condannata-s-p-a-i...

http://gaynews.it/primo-piano/item/1649-strasburgo-cedu-condanna-per-la-...

Special Eurobarometer 437: Discrimination in the EU in 2015

https://www.avvocatodistrada.it/materiali/sentenze-e-leggi/discriminazioni/