Les codes de conduite des entreprises multinationales pharmaceutiques en Allemagne et en France : exemples Bayer AG et Servier.
Ces dernières décennies, le fonctionnement des entreprises multinationales a subi des critiques. Ainsi, certaines organisations internationales ont vu émerger des principes applicables à ces sociétés. Ainsi, celles-ci vont ancrer ces principes dans des codes de conduites ou encore des chartes éthiques. Cela a notamment été le cas pour les multinationales pharmaceutiques françaises et allemandes. Nous pouvons parmi elles citer Arkopharma, SANOFI ainsi que les laboratoires Servier du côté français, mais aussi les entreprises allemandes telles que Bayer, Boehringer Ingelheim ou encore Fresenius.
Différents organismes ont défini les codes de conduite. Le Conseil Economique et Social des Nations Unies explique que « le but de tout code de conduite est de réglementer la conduite des entités auxquelles il s’applique. La réglementation pourra être plus ou moins rigoureuse selon les objectifs particuliers recherchés et selon que ses auteurs seront ou non disposés à promulguer des règles spécifiques plutôt que des directives générales et à faire un effort résolu pour appliquer ces règles quel que soit leur caractère juridique officiel »[1]. L’OCDE rapporte qu’il s’agit d’« engagements souscrits volontairement par les entreprises, associations ou autres entités qui fixent des normes et des principes pour la conduite des activités des entreprises sur le marché. »[2] Les codes de conduite peuvent ainsi remplir un objectif de protection de l’environnement ou encore de protection des droits de l’Homme.
Il convient alors de comparer le rapport qu’ont les entreprises multinationales pharmaceutiques allemandes et françaises aux codes de conduite, en prenant l’exemple de la société allemande Bayer AG et du groupe de recherche français Servier. La première est spécialisée dans le domaine de la santé et de l’agriculture et est implantée dans 79 Etats[3]. La seconde agit principalement dans le domaine de la recherche et du développement de médicaments. Elle possède quinze centres de recherches thérapeutiques et seize sites de production chimique et pharmaceutiques dans divers Etats[4]. Se pose ainsi la question de savoir quel impact les codes de conduite ont dans l’ordre juridique dans lequel ils se situent.
Pour ce faire, il s’agira de distinguer les codes de conduite produits par les deux entreprises ainsi que la force qui leur est accordée dans l’Etat auquel ces multinationales sont rattachées. Certaines limites sont cependant observables.
I. La mise en place des codes de conduites dans les sociétés Bayer AG et Servier.
Les entreprises Bayer AG et Servier ont mis en place des codes de conduites dans l’objectif de respecter certains principes proposés par des organisations internationales auxquelles elles sont parties. Cette initiative intervient en raison d’une volonté de transparence à l’égard du public qui permet à des entreprises multinationales d’améliorer une image qui a pu être auparavant fragilisée par différentes affaires.
A. La participation des entreprises multinationales pharmaceutiques dans les organisations internationales.
Les multinationales Bayer AG et Servier ne sont pas parties aux mêmes organisations internationales. Le rapport des deux entreprises au Pacte Mondial des Nations Unies s’avère différent. Si Bayer AG fait partie des membres fondateurs de celui-ci, étant signataire depuis le 26 juillet 2000[5], le groupe de recherche Servier a rejoint ce Pacte le 3 avril 2003. Ce dernier a en revanche été exclu du Pacte Mondial quatre ans plus tard car il n’a pas respecté son obligation de communication de progrès[6]. Ce terme a été défini par le Pacte Mondial comme une « déclaration publique annuelle publiée par les Parties prenantes concernant la progression d’une entreprise Participante dans la mise en œuvre des dix principes du Pacte Mondial des Nations Unies et dans le soutien aux objectifs de développement plus large des Nations Unies. »[7] Cela signifie que le groupe pharmaceutique Servier n’a pas répondu à cette obligation qui lui incombe annuellement. Parmi les principes proposés par le Global Compact, nous retrouvons le respect des droits de l’Homme et de l’environnement, ou encore la lutte contre la corruption[8]. En règle générale, la France compte davantage de participants au Pacte Mondial que l’Allemagne, représentant 1210 entreprises actives contre 485 du côté allemand.
Ces deux multinationales ont un rapport différent envers les organisations internationales. En effet, Bayer AG a rejoint la Pharmaceutical Supply Chain Initiative (PSCI) ou encore de l’initiative Together for Sustainability (TfS) [9]. Cette dernière reprend notamment les principes établis par le Pacte Mondial des Nations Unies[10]. Dans ce cadre, les entreprises endossent une responsabilité quant à l’environnement. Bayer fait également mention de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) qui est une agence appartenant à l’ONU. En revanche, le groupe pharmaceutique Servier ne mentionne pas explicitement les organisations internationales qu’il a rejoint. Cette entreprise fait cependant partie d’une organisation à part entière.
Les multinationales pharmaceutiques Bayer AG et Servier ont toutes deux mis en place leurs codes de conduite.
B. La mise en place de différents codes de conduite par les entreprises multinationales pharmaceutiques.
Une distinction peut être faite tout d’abord dans la mesure où le vocabulaire employé est différent. Bayer emploie le terme « Verhaltenskodex » qui signifie code de conduite, alors que Servier a publié une « charte éthique » complétée par un code de conduite. Le président de cette dernière entreprise distingue ces deux termes. Il qualifie le terme d’éthique comme des « valeurs, comme les lois collectives, les bonnes pratiques et les dispositions déontologiques »[11] qui doivent amener des comportements responsables du groupe Servier à l’égard de l’entreprise et de personnes tierces dans l’ensemble des Etats dans lesquels elle opère. Dans son code de conduite, la société fait référence aux règles de « compliance » qui lui sont applicable, ainsi que la responsabilité qui incombe à l’entreprise.
La société Bayer a mis en place deux codes de conduite. Le premier s’adresse à ses fournisseurs qui s’engagent alors à respecter les principes de l’entreprise. Le second vise à apporter plus de transparence sur ses opérations de lobbying[12]. Le groupe pharmaceutique Servier a quant à lui adopté une charte éthique mentionnant ses relations de travail avec ses collaborateurs ou encore ses concurrents. Celle-ci est complétée par un code de conduite qui traite des règles de compliance applicables à l’entreprise et de la responsabilité qui lui incombe.
II. Principes présents dans les codes de conduite des entreprises Bayer AG et Servier
Les entreprises multinationales pharmaceutiques Bayer AG et Servier ont inclus divers principes au sein de leurs codes de conduite. Cependant, il est possible de constater des limites à ceux-ci.
A. Le contenu des codes de conduites des entreprises multinationales française et allemande.
Dans son code de conduite à destination des fournisseurs, Bayer mentionne au sein du préambule le fait que la société se doit de respecter les principes établis par diverses organisations auxquelles elle est partie, telles que la Pharmaceutical Supply Chain Initiative (PSCI) ou encore de l’initiative Together for Sustainability (TfS) qui est davantage présente dans le domaine chimique. L’entreprise approuve la volonté de ces organisations de mettre en place des règles d’éthique afin de protéger l’environnement ou encore la santé des consommateurs. De plus, la société mentionne des sources, telles que les règles applicables aux entreprises multinationales, apportées par l’OCDE. Ce code de conduite regroupe divers types de règles à respecter, comme les règles d’éthique parmi lesquelles on retrouve la protection des animaux ou encore les règles relatives à la protection des données et à la libre concurrence. Les réglementations applicables aux employés de l’entreprises sont mentionnées dans un deuxième temps. Parmi celles-ci, on retrouve des règles de l’ILO comme l’interdiction du travail des enfants. Ensuite, nous retrouvons des principes de protection de l’environnement, de la santé et de la sécurité. Par cela, on entend qu’il doit exister des conditions de travail décentes pour les salariés ou encore que les usines doivent respecter l’environnement en ayant par exemple recours au recyclage. Il est également fait mention d’un principe de qualité. La gouvernance de l’entreprise fait également l’objet de cette transparence.
Le groupe pharmaceutique Servier, dans sa charte éthique, définit tout d’abord la notion d’éthique puis va mentionner le public visé par ce texte. La société s’adresse tout d’abord à ses patients en évoquant notamment la transparence des essais cliniques, à la qualité des produits proposés. Sont ensuite mentionnés les principes applicables aux personnels de santé, comme la protection des données personnelles ou à nouveau la transparence des essais cliniques. L’entreprise rappelle des principes similaires à Bayer AG pour ses collaborateurs, comme la sécurité et la protection de la santé sur le lieu de travail. Les règles de concurrence et de lutte contre la corruption sont mentionnées dans la partie relative aux fournisseurs et concurrents. Les principes environnementaux sont ensuite évoqués, suivis par les modalités de mise en œuvre. En revanche, l’entreprise ne cite pas ses sources et ne dit pas faire partie de certaines organisations internationales ayant pu émettre ces principes.
Malgré la présence de ces principes dans des textes visibles par une grande partie du public, il existe des limites à leur mise en œuvre.
B. Les limites des codes de conduite des entreprises multinationales pharmaceutiques françaises et allemandes.
L’efficacité et le respect des codes de conduite sont régulièrement remis en cause. En effet, les textes émanant des Nations Unies ne présentent pas de force obligatoire. C’est également le cas en matière de droit de l’environnement, la majorité des textes sont du droit souple afin d’alléger la pression sur les divers acteurs impliqués. Ils n’ont donc pas non plus de force obligatoire.
En France, les entreprises sont également soumises à une obligation de transparence, depuis le début des années 2000, avec l’entrée en vigueur de la loi n°2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques[13], et plus particulièrement son article 116 codifié à l’article L. 225-102-1 du Code de commerce[14]. Ce texte est applicable depuis la publication du rapport de gestion de l’exercice ouvert le 1er janvier 2001. Le Code de Commerce impose à ces entreprises d’indiquer leurs actions ayant provoqué notamment une influence sur l’environnement ou les droits de l’Homme, ce qui s’insère dans une volonté de transmission d’informations concernant les actes des multinationales en particulier.
Certaines affaires ont également relativisé l’engagement envers les principes défendus par les deux entreprises. En effet, Bayer a été critiquée en raison de son implication dans l’affaire du glyphosate. Le groupe de recherche Servier a également fait usage de tests sur des animaux et a commercialisé des médicaments ayant eu des effets néfastes sur la santé des patients. Cette entreprise a notamment été condamnée le 22 octobre 2015 dans l’affaire du Mediator.
Bibliographie :
Codes de conduites :
Codes de conduite de la société Bayer AG :
Fournisseurs : https://www.bayer.de/de/lieferanten-verhaltenskodex.aspx (traduction française disponible)
Lobbying: https://www.bayer.de/de/verhaltenskodex-fuer-verantwortungsvolles-lobbyi...
Charte éthique du groupe pharmaceutique Servier :
https://servier.com/wp-content/uploads/2018/07/CHARTE_%C3%89THIQUE_2018-...
Lois :
Loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, 15 mai 2001, Article 116
Code de commerce, Article L225-102-1
Rapports :
OCDE :
http://www.oecd.org/fr/industrie/inv/responsabilitedesentreprises/353160...
ONU :
Conseil Économique et Social des Nations Unies, Sociétés transnationales : l'élaboration d'un code de conduite et les questions qu'elle soulève. Rapport du secrétariat, New York, ONU, 1976
Le Pacte Mondial des Nations Unies :
« Politique relative à l’utilisation des logos du Pacte mondial des Nations Unies », Mars 2015
Sites internet :
Bayer :
https://www.bayer.de/de/global-compact.aspx
Pacte Mondial :
https://www.unglobalcompact.org
https://www.unglobalcompact.org/what-is-gc/participants/4500-Groupe-de-R...
https://www.unglobalcompact.org/what-is-gc/mission/principles
Together for Sustainability (TfS) :
https://tfs-initiative.com/vision/
[1] Conseil Économique et Social des Nations Unies, Sociétés transnationales : l'élaboration d'un code de conduite et les questions qu'elle soulève. Rapport du secrétariat, New York, ONU, 1976, p. 12
[2] OCDE, Responsabilités des entreprises, initiatives privées et objectifs publics, 2001, p.53
[3] https://career.bayer.com/de/career/working-at-bayer/meet_our_employees
[4] https://servier.com/fr/entreprise/chiffres-cles
[5] https://www.bayer.com/en/global-compact.aspx
[6] https://www.unglobalcompact.org/what-is-gc/participants/4500-Groupe-de-R...
[7] Le Pacte Mondial des Nations Unies, Mars 2015, « Politique relative à l’utilisation des logos du Pacte mondial des Nations Unies », page 5
[8] https://www.unglobalcompact.org/what-is-gc/mission/principles
[9] https://www.bayer.de/de/lieferanten-verhaltenskodex.aspx
[10] https://tfs-initiative.com/vision/
[11] https://servier.com/wp-content/uploads/2018/07/CHARTE_ÉTHIQUE_2018-VFinale-1.pdf ; page 3
[12] https://www.bayer.de/de/verhaltenskodex-fuer-verantwortungsvolles-lobbyi...
[13] https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do;jsessionid=C4DC310A...
[14] https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=C4DC310A3...