La lutte contre la discrimination dans la ville de New York et en France, le cas de la discrimination capillaire

Le 19 février 2019, la NYCCHR (New York City Commission on Human Rights, Commission des droits de l'homme de la ville de New York) a publié des recommandations contre la discrimination fondée sur les cheveux et les styles capillaires. Ces recommandations se concentrent sur les cheveux des personnes noires, mais elles couvrent également les cas de discrimination fondée sur des obligations religieuses capillaires. L’ordre juridique de la ville de New York approche la question de la lutte anti-discrimination différemment que l’ordre juridique français, même si les deux présentent plusieurs similarités. Les sources ainsi que les procédures auxquelles les victimes de discrimination doivent se soumettre diffèrent et ces sources sont diverses dans les deux systèmes (I), et le système New Yorkais a tendance à isoler davantage certains cas précis de discrimination, avec par exemple le cas de la discrimination capillaire (II). 

 

 

I. Les lois, organismes et recours anti-discrimination dans la ville de New York et en France

 

 

A. Une approche propre à la ville de New York et une approche influencée par l'Union Européenne

 

 

Les Etats-Unis disposent de lois fédérales, de lois d'Etats, et de lois locales pour lutter contre la discrimination. Chaque Etat des Etats Unis peut voter des lois pour protéger ses citoyens de cas de discrimination. Les villes peuvent également choisir de fournir des protections plus importantes à leur citoyens. La ville de New York fournit une protection supplémentaire plutôt importante à ses habitants en matière de discrimination. Le Titre 8 du New York City Administrative Code (Code contenant une codification des lois locales de la ville de New York) couvre la discrimination et les droits de l'homme. La NYCHRL (New York City Human Rights Law, loi sur les droits de l'homme de la ville de New York) est codifiée dans ce Titre 8. La NYCHRL s'applique aux employeurs ayant au moins quatre employés. Elle s'applique aussi aux agences d'emploi privées et aux organisations du travail. La section 8-101 crée la NYCCHR, une agence civile chargée de protéger les citoyens contre toute discrimination.

 

En France, le Code du travail interdit les cas de discrimination. Par exemple l'article L1132-1 interdit la discrimination à l'embauche. Le Code Pénal dispose dans son article 225-3 que la discrimination consistant à refuser d'embaucher, à sanctionner, ou à licencier une personne sur le fondement des caractéristiques énoncées dans l'article 225-1 est puni d'une amende de 45 000 euros et de trois ans d'emprisonnement. Des directives de l'Union Européenne anti-discrimination ont également été incorporées par les Etats membres de l’Union, France incluse. En matière de discrimination, la France a incorporé la directive du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, et la directive du 29 juin 2000 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique.

 

Ces systèmes possèdent donc tous deux des sources légales à la portée variable. Cependant, alors que les lois d'Etat et les lois fédérales sont directement applicables à la ville de New York, les directives européennes doivent être adaptées par chaque Etat membre.

 

 

B. Les recours disponibles en cas de discrimination auprès de la NYCCHR et en droit français

 

 

Dans la ville de New York, une personne victime de discrimination peut déposer une plainte auprès du Law Enforcement Bureau de la NYCCHR dans un délai d'un an suivant le dernier acte discriminatoire subi ou observé. Ce délai est étendu à trois ans en cas de discrimination fondée sur le genre. Le Law Enforcement Bureau est chargé d'appliquer la NYCHRL. Après une enquête, le Law Enforcement Bureau peut décider de soumettre l'affaire à l'OATH (Office of Administrative Trials and Hearings, une cour administrative de la ville de New York). Un avocat du Law Enforcement Bureau va argumenter pour la ville de New York devant l'OATH. Cet avocat ne représentera pas la personne ayant initialement déposé une plainte auprès du Law Enforcement Bureau. Le juge de l'OATH va ensuite transmettre l'enregistrement de l'audience, son rapport et ses recommandations à l'Office of the Chair de la NYCCHR (le bureau de la Présidente de la Commission). L'Office of the Chair rend une décision finale adoptant ou rejetant, partiellement ou entièrement, le rapport et les recommandations transmises par le juge de l'OATH.

 

Le site officiel de la ville de New York présente une liste des décisions finales rendues par la Commission. Dans l'affaire Commission on Human Rights ex rel. Thomas Gibson v. N.Y.C. Fried Chicken Corp, le défendeur a été déclaré coupable de discrimination fondée sur le handicap après avoir dit à une personne qu'elle n'était pas la bienvenue dans le restaurant du défendeur, en raison du chien d'aveugle accompagnant cette personne. La Commission a accordé au demandeur 13 000 dollars de dommages. Elle a également imposé une pénalité civile de 18 000 dollars au défendeur et a ordonné au défendeur de modifier la politique de son restaurant et de suivre une formation sur la loi des droits de l'homme de la ville de New York.

La Commission peut également aider les victimes de discrimination à obtenir des accords conciliatoires. En janvier 2019, dans le cas d'une femme victime de discrimination fondée sur sa grossesse de la part de son employeur, après que le Law Enforcement Bureau soumette l'affaire à l'OATH, la victime et l'employeur ont signé un accord. L'employeur a accepté de verser 17 000 dollars de dommages à la victime, et de se soumettre à une formation sur la loi des droits de l’homme de la ville de New York, tout comme le défendeur dans l'affaire concernant N.Y.C. Fried Chicken Corp. citée plus haut.

La Commission offre un service gratuit de médiation au travers de l'Office of Mediation and Conflict Resolution (bureau de médiation et de résolution des conflits, indépendant des autres services de la Commission). Le recours à la médiation est facultatif.

 

Une personne victime de discrimination en France a plusieurs options à sa disposition. Elle peut porter plainte au pénal et se constituer en partie civile. Elle peut saisir le conseil des Prud'hommes, l'inspection du travail, ou le défenseur des droits. Le défenseur des droits pourra désigner un médiateur, négocier une transaction avec l'auteur des discriminations, ou saisir le Procureur de la République. Si une personne est victime de discrimination au sein d'une entreprise faisant partie du secteur public, cette personne peut également saisir le tribunal administratif.

 

Le système New Yorkais et le système français offrent donc plusieurs recours aux victimes de discrimination.

 

 

II. Le cas de la discrimination capillaire

 

 

A. Un type de discrimination répandu

 

 

La Commission remarque qu'il existe une croyance assez répandue aux Etats-Unis selon laquelle les coiffures des personnes noires ne seraient pas adaptées à des situations professionnelles ou habillées, ou que ces coiffures seraient sales et négligées. Certaines de ces croyances sont aussi plus ou moins répandues en France. La publication de la Commission fait référence à plusieurs affaires juridiques. La décision EEOC v. Catastrophe Mgmt. Solutions rendue en 2016 est citée. Dans cette affaire, la cour a déclaré qu'un employeur n'était pas coupable de discrimination raciale en refusant d'engager une femme noire qui portait des dreadlocks pour la raison que ce style capillaire violerait la politique de l'entreprise.

 

La Commission rappelle qu'en 2014 le Département de la Défense des Etats-Unis avait émis une interdiction générale des styles capillaires typiques des personnes noires, notamment les coupes afro et les tresses. La Commission note un changement progressif des mentalités américaines en prenant l'exemple de l'armée américaine levant l'interdiction du port de dreadlocks pour les femmes soldats, même si les cas de discrimination fondée sur les cheveux des noirs ou sur des coiffures typiquement afro-américaines persistent.

 

La Commission souligne que les personnes noires font face à une pression de la part de la société qui les pousse à se lisser ou à s'attacher les cheveux pour se conformer à des standards adaptés aux cheveux typiques des personnes blanches et européennes. Se lisser ou s'attacher les cheveux de façon récurrente peut fragiliser les cheveux et même mener à des cas de perte de cheveux.

 

 

B. Des recommandations conçues pour la discrimination capillaire et à la portée étroite

 

 

Les recommandations publiées par la NYCCHR le 19 février 2019 ont pour but de protéger le droit de maintenir des "cheveux naturels" pour les personnes noires. Les cheveux naturels y sont définis comme étant des cheveux ayant leur texture naturelle, sans traitement par la chaleur ni usage de produits capillaires. Cependant, ces recommandations visent aussi à protéger des styles capillaires non naturels. La publication évoque notamment les tresses, les coupes afro, les dégradés, et les dreadlocks. La Commission note que les politiques d'entreprise concernant l'apparence et le toilettage qui visent les minorités ethniques ou religieuses protégées par la NYCHRL sont généralement illégales. La Commission utilise plusieurs exemples, incluant celui d'un candidat Sikh voyant sa candidature rejetée par un employeur en raison de ses cheveux non coupés pour des raisons religieuses. La Commission évoque aussi le cas d'un vendeur noir forcé de raser sa barbe malgré une condition médicale rendant le rasage difficile. Ces cas seraient en violation de la NYCHRL.

 

Un employeur peut imposer des obligations de maintenir une apparence professionnelle au travail, mais il ne peut pas les imposer de façon discriminatoire ni viser des types spécifiques de cheveux ou coiffures. Une obligation de maintenir une apparence professionnelle et interdisant les tresses dans une entreprise seraient donc illégales. Il est interdit pour un employeur d'exercer des politiques d'entreprise forçant ses employés noirs à se lisser les cheveux. Le cas de restrictions dues à des besoins liés à la sécurité ou à la santé sont également mentionnés. Dans de tels cas, l'employeur doit considérer des moyens alternatifs de pallier ces besoins avant d'imposer une interdiction capillaire. L'employeur peut par exemple fournir des casques, ou des filets à cheveux.

 

Les recommandations en plus d’interdire la discrimination capillaire dans le domaine de l’emploi et du travail, interdisent également la discrimination dans les "public accommodations", des lieux (privés ou publics) utilisés par le peuple. Des exemples de public accommodations sont les magasins et les établissements scolaires. Les recommandations se concentrent sur les établissements scolaires car de nombreux signalements de politiques discriminatoires concernant l'apparence physique proviennent du milieu scolaire. Une école interdisant le port de tresses ou d'une coupe afro par les élèves serait en violation avec la NYCHRL. En dehors du milieu scolaire, un bar interdisant l'entrée à une cliente noire aux cheveux naturels car sa coiffure ne conviendrait pas au code vestimentaire du bar serait également en violation de la loi.

Bibliographie :