La protection de la liberté religieuse en Allemagne

La liberté religieuse ainsi que la liberté de conscience bénéficient d’une protection constitutionnelle en Allemagne.

La liberté religieuse est constituée en Allemagne de trois dimensions : la liberté religieuse « positive », la liberté religieuse « négative » et l’obligation de neutralité de l’Etat.

Comment l’exercice de la liberté religieuse est-il encadré par la Cour Constitutionnelle Fédérale ? Par la Cour européenne des droits de l’homme ?

 

 

 

  1. Une large protection de la liberté religieuse par la Loi Fondamentale

 

  1. Au niveau fédéral, une protection assurée par la Loi Fondamentale

 

En Allemagne, la protection de la liberté religieuse a été consacrée pour la première fois par la Constitution dite de « Weimar »[1].

Il convient avant tout de préciser que l’Eglise et l’Etat sont séparés, il n’y a pas de religion d’Etat : c’est ce que proclame l’article 137 de la Constitution dite de Weimar, auquel renvoie l’article 140 du GG (GG « Grundgesetz », la loi fondamentale, plus loin : LF). Depuis la promulgation de la Loi Fondamentale allemande en 1949, la liberté religieuse est garantie par l’article 4, alinéa 1er.

La LF ne pouvait prétendre garantir la liberté religieuse sans consacrer le droit à la pratique religieuse.

Les rédacteurs de la LF ont considéré que la liberté religieuse était fondamentale dans une société démocratique : ni elle, ni le droit à la pratique religieuse ne sont expressément limités par ce texte. Une limite est cependant apportée par l’article 2, qui garantit à chacun « le libre épanouissement de sa personnalité » en interdisant les atteintes aux « droits des autres et à l’ordre constitutionnel ».

 Personne ne peut limiter les droits et libertés constitutionnels d’un autre par l’exercice de sa liberté religieuse.

D’autres articles viennent parachever la protection de la liberté religieuse. Peuvent être cités l’article 3 de la Loi qui garantit l’égalité de traitement entre tous : nul ne peut être discriminé pour ses opinions religieuses, ainsi que les articles 33 de la Loi Fondamentale et 136 alinéa 2 de la Constitution de « Weimar » qui garantissent l’égalité de la jouissance des droits civiques et dans l’accès aux fonctions publiques.

 

  1. Trois dimensions de la liberté religieuse selon la Loi Fondamentale

 

La doctrine allemande distingue entre la liberté religieuse « positive » et la liberté religieuse « négative ».

La liberté religieuse et le droit à la pratique religieuse englobent le droit à avoir une croyance religieuse et à la manifester, à faire partie d’une communauté religieuse dont les membres partagent les mêmes croyances et pratiques religieuses, ainsi que le droit à avoir des pratiques religieuses.

La liberté religieuse « négative » autorise toute personne à n’avoir aucune croyance religieuse, ou à ne pas la manifester, à ne reconnaître aucune religion en particulier, à ne faire partie d’aucune communauté religieuse, et à ne participer à aucune pratique religieuse. Cet aspect négatif avait déjà été reconnu par la Constitution de Weimar qui consacre à l’article 136 alinéa 4 le droit à ne pas participer à « des pratiques ou à des fêtes religieuses ».

La Cour Constitutionnelle allemande (BverfG, « Bundesverfassungsgericht », plus loin la Cour) précise qu’aucune de ces deux dimensions n’est supérieure à l’autre. Les deux doivent être également respectées et protégées pour pouvoir garantir la liberté religieuse de chacun.

Enfin, une obligation de neutralité religieuse de l’Etat est déduite de l’article 4. L’Etat ne peut pas avantager une religion par rapport à une autre. Sans cette neutralité, la liberté religieuse de chacun ne pourrait être garantie.

 

  1. La compétence des Etats Fédéraux en matière de liberté religieuse

 

La République Fédérale d’Allemagne est comme son nom l’indique une fédération composée de 13 Etats fédéraux et de 3 Cités-Etats.

 La Loi Fondamentale allemande reconnaît des compétences propres aux états fédéraux dans certains domaines (Art. 70 de la Loi). C’est notamment le cas de la compétence législative en matière religieuse.

Chaque Etat Fédéral a sa propre Constitution, dans laquelle est également consacrée la liberté religieuse. Ainsi, l’article 19 de la Constitution de l’Etat libre de Saxe[2] proclame que la liberté religieuse,  la liberté de conscience et le droit à la pratique religieuse sont des droits inviolables.

Certains Etats ont choisi d’utiliser cette compétence pour conclure des accords dans le domaine de la liberté religieuse. La Cité-Etat libre et Hanséatique de Hambourg a conclu un tel accord avec trois associations musulmanes de la ville. Cet accord a permis de consacrer de nouveaux droits dans le domaine de la liberté religieuse.

Cet accord fixe le cadre légal dans lequel les associations parties à l’accord peuvent régler toute affaire concernant le domaine religieux, et ce en toute autonomie, dans la limite des lois en vigueur.

Pour citer les points les plus marquants de cet accord, trois jours fériés sont aménagés en fonction de fêtes religieuses musulmanes, les jours précis sont déterminés par ces associations parties.

Les associations concernées peuvent également mettre en place des projets dans le milieu éducatif ou culturel.

Toutefois, l’exercice de ces droits est limité par les moyens financiers des associations parties.

 

 

  1. La  protection de la liberté de conscience

 

La liberté de conscience est protégée par le même article 4 alinéa 1er de la LF.

Elle englobe avant tout une dimension « intérieure » autorisant chacun à s’en tenir à sa conscience intérieure et personnelle : c’est le « forum internum ».

Comme pour la liberté religieuse, chacun a le droit, de manifester sa conscience à l’extérieur, c'est-à-dire ici de guider ses actes en fonction de sa conscience.

Quelle est l’étendue de ce  droit ? Le législateur peut parfois adapter les textes, de façon à ce qu’ils soient en conformité avec la conscience de chacun. L’article 12 alinéa 1er du SchKG (« Gesetz zur Vermeidung und Bewältigung von Schwangerschaftskonflikten », loi portant solution aux conflits relatifs à la grossesse) est un exemple parmi d’autres. Ce texte autorise notamment un médecin à refuser à certaines conditions de pratiquer un avortement.

Une partie de la doctrine considère que ce droit peut aller plus loin que la simple « résistance » comme dans le cas de l’avortement. Elle estime que le simple motif de vouloir se mettre en conformité avec sa conscience autoriserait même d’outrepasser des interdictions légales.

La Cour Constitutionnelle n’a pas suivi ce courant de pensée. Les juges constitutionnels estiment que personne «ne peut interpréter les lois de façon à ce qu’elles soient en conformité avec sa conscience ». Ainsi, un citoyen ne peut donc pas prétendre refuser de payer ses impôts, au motif qu’une partie de l’argent public va ensuite financer la construction de centrales nucléaires, politique qui serait contraire à sa conscience.

Enfin, à la différence de la protection relative à la liberté religieuse, il appartient à celui qui prétend agir en conformité avec sa conscience de prouver aux juges que sa conduite est réellement exigée par sa conscience. Le requérant devra au moins rendre cette hypothèse plausible.

 

  1. Aperçu du périmètre de la liberté religieuse à travers trois arrêts de la Cour Constitutionnelle Fédérale

 

  1. Un exemple d’aménagement en matière de liberté religieuse, 1 BvR 1783/99 (15.01.2002)

 

La volonté de protéger les animaux peut-elle avoir pour conséquence de restreindre la liberté religieuse ? Une « communauté religieuse » peut-elle être définie de façon restrictive, ce qui aurait pour conséquence de limiter la liberté religieuse de ses membres ?

 Dans cette affaire, la Cour Constitutionnelle Fédérale a été confrontée à une décision administrative qui avait pour conséquence de restreindre la liberté religieuse d’une partie de la communauté musulmane.

Il s’agissait en l’espèce du propriétaire d’une boucherie confessionnelle (musulmane sunnite) qui faisait face à une interdiction administrative, confirmée par la Cour Administrative du Land de Hesse, qui l’empêchait de pratiquer l’abattage rituel, c'est-à-dire sans utilisation d’anesthésie.

 

  1. Une définition restrictive de la « communauté religieuse »

 

La méthode évoquée contrevenait à l’article 4a alinéa 2 du TierSchG (« Tierschutzgesetz » loi relative à la protection des animaux, plus loi : TierSchG). Ce même article autorise cependant des exceptions pour motifs religieux. Pour cela, il faut que les membres « d’une communauté religieuse particulière» soient confrontés à une interdiction religieuse « impérieuse », qui ne les autorise pas à manger une autre viande.

Sur cette affaire, la Cour Administrative Fédérale explique, dans un arrêt rendu le 15.06.1995 (références de l’arrêt BVerwG 3 C 31.93), comment doit être définie  une « communauté religieuse particulière ». Elle reprend ici la définition de l’article 137, alinéa 5 de la constitution dite de « Weimar » (qui fait partie intégrante de l’article 140 de la Loi Fondamentale). Une telle communauté est alors constituée par un ensemble de personnes ayant les mêmes croyances religieuses, ou à défaut partageant des croyances religieuses similaires. Selon cette définition, une communauté religieuse est constituée par la communauté musulmane entière.

L’interdiction en cause de consommer de la viande ne provenant pas de l’abattage rituel ne concernait que les croyants sunnites. Les conditions données par la Cour Administrative Fédérale pour autoriser l’abattage rituel n’étaient alors pas remplies.

 

  1. Aucune discrimination n’est autorisée entre les religions

 

 L’article 4a alinéa 2 du TierSchG validant l’exception pour motif religieux, ne peut en aucun cas être interprété d’une façon qui aurait pour conséquence la limitation de la liberté religieuse ou du droit à la pratique religieuse. Bien que la volonté de protéger les animaux soit une noble cause, le législateur allemand a privilégié la liberté religieuse en l’inscrivant dans l’article 4 de la Loi Fondamentale.

Cette définition trop restrictive, avait pour conséquence, selon la Cour Constitutionnelle Fédérale de porter atteinte à la liberté religieuse et au droit à la pratique religieuse de la communauté musulmane sunnite.

De plus, elle provoquait une discrimination de ces croyants par rapport aux autres religions. Ainsi, d’autres communautés religieuses remplissant les conditions énoncées par la Cour Administrative pouvaient recourir à l’abattage rituel : c’était notamment le cas de la communauté juive.

Enfin, cette restriction, en privilégiant certaines religions par rapport à d’autres, portait également atteinte à la neutralité religieuse de l’Etat.

 Dans un arrêt rendu le 23 novembre 2000, la Cour Administrative Fédérale assouplit sa position. Il suffit maintenant de faire partie d’un groupe de personnes pratiquant la même religion, et d’expliquer au tribunal la nécessité du recours à l’abattage religieux.

La Cour Constitutionnelle Fédérale estime dans cet arrêt que l’interprétation de l’article 4a alinéa 2 du TierSchG faite par les autorités administratives du Land de Hesse constituait une  atteinte à la liberté religieuse et au droit à la pratique religieuse, et n’était donc pas en conformité avec la Loi Fondamentale.

 

  1. La vaste protection de la liberté religieuse dans les relations de travail, 1 BvR 792/03 (30.07.2003)

 

Quelle est l’étendue de la liberté religieuse « positive » d’un salarié sur son lieu de travail ? L’employeur peut-il restreindre la liberté religieuse de ses salariés ?

La liberté religieuse d’une personne ne peut être limitée que si son exercice empêche un autre d’exercer ses droit et libertés constitutionnels.

 

En l’occurrence, une salariée d’un magasin est licenciée après avoir signifié à son employeur qu’elle souhaitait travailler voilée. Le licenciement est considéré comme injustifié par le Tribunal Fédéral du Travail.

L’employeur saisit la Cour car il considère que le comportement de la salariée était nuisible à l’entreprise et que la décision du Tribunal Fédéral est une entrave à la liberté d’entreprendre, protégée par l’article 12 de la LF.

 

L’employeur considérait qu’une vendeuse au rayon parfumerie de son magasin devait arborer une tenue vestimentaire conforme à l’image du magasin[4] ; et particulièrement en parfumerie, une tenue adéquate au contact avec la clientèle.

Or, le contrat de travail de la salariée précisait juste qu’elle était employée au poste de « vendeuse ». Elle pouvait donc être déplacée à un autre poste de travail, où elle serait moins en contact avec les clients et dans lequel sa tenue vestimentaire traditionnelle gênerait moins. La tenue vestimentaire de la salariée ne suffisait donc pas en elle-même à constituer une atteinte à la liberté d’entreprendre

 

De plus, des personnes privées  ne peuvent pas invoquer directement, à l’occasion d’un conflit qui les oppose entre elles, des dispositions de la Loi Fondamentale. Les Juges constitutionnels ont toutefois vérifié si les lois directement applicables sont interprétées de façon conforme à la Loi Fondamentale. Selon l’article 315 du code civil allemand, un employeur a le droit de donner des consignes à ses salariés. La salariée avait été licenciée car elle n’avait pas respecté les consignes de l’employeur relatives à la tenue qu’elle devait porter sur son lieu de travail.

Toutefois, la salariée, qui portait un voile pour des motifs religieux, bénéficiait  de la protection de l’article 4 alinéa 1er de la Loi Fondamentale.

L’employeur n’avait alors aucun motif valable pour limiter la liberté religieuse de sa salariée. Son utilisation de l’article 315 n’était pas conforme à la LF.

 

Saisi de l’affaire, la Cour Constitutionnelle valide le raisonnement des juges du travail et rejette le recours en inconstitutionnalité.

 

  1. Les limites de la liberté religieuse dans le milieu scolaire,  arrêt « crucifix » 1 BvR 1087/91 (16.05.1995)

 

Un crucifix peut-il être considéré comme un objet traditionnel faisant partie du patrimoine culturel ? Son placement dans les salles de classes constitue-t-il une atteinte à la neutralité de l’Etat ? Doit-il être toléré par les élèves et les parents ?

Dans cet arrêt qui a provoqué un réel déchirement au sein de la société bavaroise, la Cour Constitutionnelle Fédérale a été saisie de l’ensemble de ces questions.

Lorsque l’Etat est directement concerné, comme ici à travers un établissement scolaire public, la liberté religieuse peut également être limitée par la nécessaire neutralité religieuse de l’Etat.

Jusqu’à cet arrêt, un crucifix était  placé dans chaque salle de classe de chaque école de l’Etat Libre de Bavière (« Freistaat Bayern » : Etat Libre de Bavière, plus loin la Bavière).

Cette obligation ressortait de l’article 13 du code de l’éducation bavarois (dans sa rédaction antérieure à l’arrêt).

Des parents ont introduit une requête devant la Cour Constitutionnelle Fédérale car ils estimaient que l’article 13 alinéa 1er du Code de l’Education Bavarois constitue une atteinte aux articles 4 alinéa 1er et 6 alinéa 2 de la Loi Fondamentale.

Selon la position officielle de la Bavière, la présence du crucifix n’aurait aucune influence sur les enseignements dispensés, qui demeurent neutres du point de vue religieux.

De plus, les crucifix ne peuvent être considérés comme des objets religieux, ils doivent être considérés comme des objets traditionnels, faisant partie du patrimoine culturel bavarois.

 

  1. Une atteinte à la liberté religieuse

 

Les juges de la Cour Constitutionnelle Fédérale relèvent que, lors des cours de religion, le crucifix présent dans la salle de classe revêt un caractère religieux. Comment cet objet peut-il alors ne pas avoir de caractère religieux lors des autres cours dispensés dans la même salle de classe ? Ils estiment que cet objet a bien un caractère religieux.

Ainsi, imposer aux élèves  la présence de ce crucifix dans les salles de classe constitue une atteinte à leur liberté religieuse « négative ». La présence imposée de cet objet à caractère religieux constitue en effet une atteinte à la liberté de n’avoir aucune croyance religieuse et/ou de ne reconnaître aucune religion.

Les juges constitutionnels rappellent qu’aucune des deux dimensions de la liberté religieuse ne doit être avantagée par rapport à l’autre et que le compromis entre les deux doit toujours être recherché.

La présence de cet objet avantage la liberté « positive » des élèves catholiques au détriment de la liberté négative des élèves athées ou des élèves faisant partie d’une autre communauté religieuse. Les juges constitutionnels estiment donc que l’interprétation de l’article 13 du code de l’éducation bavarois donnant lieu au placement d’un crucifix dans chaque salle de classe constitue une atteinte à la liberté religieuse.

 

  1. Le droit des parents à choisir l’éducation de leurs enfants ne prime pas

 

Selon l’article 6 de la Loi Fondamentale « l’éducation des enfants est un droit naturel des parents », qui est accompli avec la participation de l’Etat.

En Bavière, l’éducation dans les écoles, se fait selon la tradition chrétienne (article 135 de la Constitution bavaroise). Les représentants officiels de la Bavière rappellent que la constitution bavaroise a fait l’objet d’un vote populaire, et que la population a donc choisi, conformément à l’article 6 de la Loi Fondamentale, quelle éducation elle voulait donner à ses enfants.

Les juges de Karlsruhe opposent aux parents catholiques, le droit des parents athées ou membres d’une autre communauté religieuse, à également choisir la façon dont ils veulent éduquer leurs enfants. Eux aussi bénéficient de la protection de la liberté religieuse !

De plus, ils estiment que dans cette affaire l’Etat n’avait pas respecté son obligation de neutralité. En effet, il s’agissait d’un crucifix dans une école publique. Or, selon l’article 7 de la LF, l’enseignement dans les écoles publiques est organisé par l’Etat. Cet enseignement doit donc respecter l’obligation de neutralité religieuse. Cette obligation est transgressée  lorsque des symboles religieux sont posés dans les écoles par les autorités étatiques.

 

Les juges constitutionnels estiment que l’article 13 du code de l’éducation bavarois, et de l’article 135 de la constitution bavaroise, doivent être réinterprétés d’une autre façon, conforme à la Loi Fondamentale, respectueuse de la liberté religieuse de chacun et en conformité avec l’obligation de neutralité religieuse de l’Etat.

 

 

  1. Articulation du concept allemand de la liberté religieuse avec la Convention EDH

 

  1. Autonomie des Eglises allemandes et droit à la vie privée, affaire Obst c/ Allemagne, requête n° 425/03 (23.09.2010)

 

Les Eglises et autres communautés religieuses qui bénéficient de la personnalité morale de droit public peuvent-elles imposer un certain mode de vie à leurs salariés ? De telles clauses sont-elles en conformité avec le droit à la vie privée consacré par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme  (plus loin : la Convention EDH) ?

 

Dans cette affaire, ce n’est pas le requérant qui se prévaut de son droit à la liberté religieuse, mais une organisation religieuse, l’Eglise mormone. Quant au requérant, il invoque son droit à la vie privée, protégé par l’article 8 de la Convention EDH.

Dans cette affaire, il s’agissait d’un cadre de l’Eglise mormone, monsieur Obst (plus loin : le requérant) qui avait été licencié, après avoir révélé à son employeur qu’il avait commis un adultère.

Le requérant estimait que ce licenciement était illicite.

 

  1. L’autonomie de l’Eglise mormone

 

Les Eglises allemandes qui bénéficient de la personnalité morale de droit public peuvent prélever l’impôt cultuel et mettre en place des cours de religion dans les écoles.

L’article 137, alinéa 3 de la Constitution de « Weimar » (repris par l’article 140 de la Loi Fondamentale) leur accorde également une autonomie, en droit allemand est utilisé le terme de « Selbstbestimmungsrecht » (le droit à l’auto-détermination).

L’Eglise mormone pouvait faire figurer dans les contrats de travail des clauses particulières, qui pouvaient avoir pour conséquence de restreindre la liberté et la vie privée du salarié concerné.

Dans cette affaire, le contrat de travail de monsieur Obst précisait qu’il devait « s’abstenir de comportements aptes à nuire à la réputation de l’Eglise ».

L’acte d’adultère étant un comportement grave et nuisible à l’Eglise mormone, l’employeur a estimé qu’il était en droit de mettre fin au contrat de travail du requérant.

 

  1. Le licenciement en droit allemand

 

Le 4 juin 1985, la Cour Constitutionnelle Fédérale rend un arrêt (dans une autre affaire !), dans lequel elle précise que le droit du travail « classique » doit être appliqué lors de conflit avec une Eglise en tant qu’employeur, mais il doit être analysé à l’aune des prescriptions religieuses, lorsqu’il est appliqué aux contrats de travail « religieux ».

Il s’agissait en l’espèce d’un licenciement motivé par le comportement du salarié, dont l’employeur considérait qu’il était incompatible avec la poursuite du contrat de travail. En droit du travail allemand, le terme utilisé est « verhaltensbedingte Kündigung » (licenciement inhérent au comportement).

En droit du travail allemand, le licenciement doit être le dernier recours. L’employeur doit dûment avertir le salarié au préalable, en lui notifiant des avertissements « Abmahnung ». Avant de pouvoir procéder au licenciement, il faut au minimum que le salarié réitère un comportement pour lequel il a déjà reçu au moins un avertissement.

Il y a cependant des exceptions à cette procédure d’avertissement. Lorsque l’employé commet un acte dont il ne pouvait ignorer la gravité et le caractère particulièrement nuisible, l’employeur peut le sanctionner d’un licenciement, sans « Abmahnung » préalable.

 

 

  1. L’avis du « Bundesarbeitsgericht »

 

Le « Bundesarbeitsgericht » est le tribunal fédéral du travail, c’est la juridiction suprême en droit du travail allemand.

Les juges du BAG rappellent que l’Eglise mormone bénéficie d’un certain nombre de dérogations, qui l’autorise notamment à restreindre la liberté de ses salariés.

Mais, une clause « religieuse » présente dans le contrat de travail est limitée par « les principes fondamentaux de l’ordre juridique » elle ne peut être contraire aux bonnes mœurs et au principe de bonne foi (consacré par l’article 242 du Code Civil allemand).

Les juges du travail démontrent que le requérant, membre de l’Eglise mormone depuis son enfance, devait pouvoir prévoir la gravité de son acte et la répercussion qu’il pouvait avoir sur la poursuite de son contrat de travail. De plus, il occupait une position de cadre et était responsable de l’encadrement d’autres employés. Il avait donc une certaine influence au sein de cette Eglise, ce qui amplifiait encore plus l’effet nuisible de son acte sur l’image de cette Eglise.

Les juges suprêmes estiment que le licenciement immédiat, sans aucun avertissement préalable, n’était pas ici contraire aux « principes fondamentaux de l’ordre juridique ».

 

  1. Pas d’atteinte au droit du respect à la vie privée

 

Monsieur Obst soutient de son côté que ce licenciement constitue une atteinte à son droit à la vie privée, garanti par l’article 8 de la Convention EDH. Il estime également que le licenciement serait contraire à la doctrine de l’Eglise mormone, qui accepte le pardon de l’adultère.

 La Cour européenne des droits de l’homme (plus loin : la Cour EDH) suit le raisonnement du Tribunal Fédérale du Travail, qui a estimé que ce licenciement n’était pas abusif : les obligations imposées au salarié par le contrat de travail étaient dans la limite de l’acceptable et le salarié ne pouvait ignorer les conséquences négatives que ses actes pouvaient entraîner sur l’image de l’Eglise mormone.

Le licenciement était justifié par la protection de la liberté religieuse de l’Eglise mormone et était en conformité avec le droit du travail allemand. Cette mesure était nécessaire pour garantir la liberté religieuse de l’Eglise mormone. Les juges strasbourgeois estiment donc qu’il n’y a pas eu atteinte à l’article 8 de la Convention EDH.

La Cour EDH prévient que cet arrêt ne valide pas de façon générale un acte d’adultère, ou un autre acte relevant de la vie privée, comme une cause de licenciement.

Dans cette affaire, le salarié était employé par l’Eglise mormone et été averti dans son contrat de travail sur le fait qu’il devait avoir un comportement compatible avec la religion mormone.

La décision aurait été différente si l’employeur n’avait pas été une communauté religieuse protégée par la Loi Fondamentale.

Aussi, le salarié était membre de l’Eglise mormone, il est possible que la solution ait été moins «sévère » s’il n’avait pas été membre de cette Eglise.

 De plus, les juges allemands ont relevé que  l’âge du requérant (37 ans au moment du licenciement) n’empêchait pas son licenciement, et que sa fonction d’encadrement constituait un caractère aggravant. Il est probable, que les juges allemands, auraient considéré que le licenciement était disproportionné, si Monsieur Obst avait eu un âge plus avancé au moment du licenciement. En effet, les salariés de plus de 55 ans bénéficient d’une protection particulière en Allemagne. De même, il est fort probable que la Cour EDH aurait considéré que ce licenciement était disproportionné si le requérant avait été employé à un poste hiérarchique subalterne.

Enfin, les juges strasbourgeois rappellent que le mariage bénéficie d’une protection particulière en Allemagne, puisqu’il est protégé par l’article 6, alinéa 1er de la Loi Fondamentale. Il est possible que la Cour ait donné une autre solution à une affaire similaire, mais qui aurait eu lieu dans un autre pays que l’Allemagne, dans lequel le mariage ne jouit pas d’une protection constitutionnelle.

 

  1. Impôt allemand destiné aux Eglises et liberté religieuse « négative », affaire Wasmuth c/ Allemagne, requête n° 12884/03 (17.02.2011)

 

L’obligation de déclarer son appartenance ou non à une église à son employeur constitue-t-elle une atteinte à la Convention européenne des droits de l’homme (plus loin : la Convention EDH) ?

Les juges de Strasbourg semblent privilégier dans cet arrêt la protection du modèle allemand de collaboration entre l’Etat et les Eglises, au détriment de la liberté religieuse « négative » des individus.

 

  1. Contexte de l’affaire

 

En Allemagne, les Eglises sont financées par un impôt spécial, prélevé par l’Etat, sur la base du volontariat. Il correspond selon les différents Etats fédéraux à 7% ou 8% de l’impôt sur le revenu.

A l’occasion de son embauche, le salarié doit remettre à son employeur une carte d’imposition. Il doit mentionner sa religion en cochant le case correspondant à sa religion, ou la case « --» s’il est athée.

Le requérant protestait contre cette obligation, et avait demandé à sa commune une carte ne comportant aucune mention religieuse. Cette demande est refusée le 10 octobre 1996, refus confirmé par  le tribunal des finances de la ville de Munich. Le pourvoi en cassation de Monsieur Wasmuth est  également refusé le 9 août 2000 par la Cour Fédérale des Finances, au motif que ce système de carte d’imposition a déjà été jugé conforme à la Loi Fondamentale.

Le requérant engage une procédure devant la Cour européenne des droits de l’homme (plus loin : la Cour).

Il estime que cette obligation de renseignement des autorités fiscales constitue une atteinte à sa liberté religieuse, garantie par l’article 9 de la Convention. De plus, cela constitue selon lui un soutien indirect aux Eglises.

 

  1. Ce système constitue-t-il une atteinte à la liberté religieuse ?

 

La liberté religieuse ne peut être limitée que par une autre disposition de la Loi Fondamentale. En l’espèce, l’article 136, 3è alinéa, de la Constitution de « Weimar », partie intégrante de la Loi Fondamentale, autorise des atteintes si elles sont justifiées par « des droits ou des libertés ». L’Etat peut alors questionner les citoyens sur leur appartenance à telle ou telle religion.

L’atteinte est justifiée par le devoir de chaque croyant de payer l’impôt cultuel, qui est consacré par l’article 137, alinéa 6 de la Constitution de « Weimar ». Ce système permet aux Eglises de se financer, et il constitue également une source de revenus pour l’Etat qui prélève une commission sur les sommes levées.

L’atteinte religieuse provoquée par la demande de ce renseignement ne constitue  pas une atteinte à la liberté religieuse selon les juges allemands.

De plus, le gouvernement allemand estime qu’il ne pouvait être déduit de la mention « --» que le requérant n’appartenait à aucune communauté religieuse. En effet, il pouvait appartenir à une communauté qui ne disposait pas de la personnalité morale de droit public et ne pouvait donc pas prélever l’impôt cultuel, selon l’article 137, alinéa 6 de la Constitution de « Weimar ».

 

  1. La prétendue illégalité du système

 

Le requérant estime pour sa part que la Loi Fondamentale autorise l’Etat seul l’Etat à obtenir ces informations relatives à l’appartenance religieuse des salariés. Or, ces informations sont remontées aux administrations par l’employeur. Ce système serait alors illégal.

Le gouvernement allemand explique que seul ce système permet un prélèvement efficace, sans engendrer de coûts supplémentaires. Concernant les informations remontées, étant de nature fiscale, elles sont confidentielles par nature, et ne sont destinées qu’à l’administration fiscale. L’employeur n’est que l’intermédiaire entre le salarié et l’administration qui recense ces informations, ces renseignements ne sont en aucun cas destinés à l’employeur.  

La Cour explique ici qu’il ne lui appartient pas de juger si ce système est légal ou non par rapport à la loi allemande, ce rôle revient uniquement aux juges allemands.

Le requérant estime également que ce questionnaire constitue un soutien indirect à l’Eglise. Le gouvernement explique que, au contraire grâce à ce formulaire, le contribuable n’aura pas à financer une communauté religieuse qu’il ne reconnaît pas. Grâce à cela, sa liberté religieuse « négative », consacrée par l’article 4 de la Loi Fondamentale sera ainsi protégée.

 

 

  1. Les limites de la décision de la Cour

 

La Cour estime que ce système de prélèvement n’est pas contraire à l’article 9 de la Convention, qui protège la liberté religieuse. Cet article admet des restrictions à condition qu’elles soient « prévues par la loi », ce qui est le cas en l’espèce et qu’elles « constituent des mesures nécessaires ».

La Cour rappelle que ce système est conforme à la loi allemande. Elle suit l’avis du gouvernement, en estimant que le document litigieux est confidentiel, ne permet pas de déterminer avec précision la religion du titulaire et ne constitue pas en soi un soutien des Eglises allemandes.

Elle en conclut que la limitation de la liberté religieuse causée par ce système de prélèvement était nécessaire et avait un effet limité.

 Les juges de Strasbourg préviennent cependant qu’ils n’auraient pas accepté  davantage de limitation de la liberté religieuse, dans une situation « plus significative ».

Ils distinguent ce cas d’espèce de l’affaire « Sinan Isik c/ Turquie ». Dans cette affaire, la Turquie avait été condamnée pour atteinte à la liberté religieuse, car elle faisait figurer la religion effective, ou l’absence de religion, de ses nationaux sur leurs cartes d’identité. Ces renseignements étaient alors visibles de tous et portait atteinte à la liberté religieuse « négative » des intéressés.

Il s’agissait dans ces affaires d’une limitation de la liberté religieuse « négative ». Dans une opinion dissidente à l’arrêt, certains juges pointent cette atteinte à la liberté religieuse « négative », qui leur paraît inacceptable.

La solution aurait-elle été la même en cas de restriction portant sur l’aspect «positif » de la liberté religieuse ? La réponse des juges allemands aurait été probablement différente, car la liberté religieuse «positive» possède un champ d’exercice assez vaste (voir à ce titre le point III.B)

Enfin, on peut se demander si la Cour a souhaité privilégier le modèle allemand de financement des Eglises, consacré par la Loi Fondamentale allemande, quitte à sacrifier la liberté religieuse.

La solution aurait-été la même concernant les mêmes faits, mais dans un autre pays, n’ayant pas le même système de « collaboration » entre l’Etat et les Eglises ? On ne peut pour le moment que spéculer sur la réponse à donner à cette question.

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

OUVRAGES :

  • Mangoldt, Klein, Starck ; « Bonner Grundgesetz – Kommentar », Verlag C. H. Beck
  • Maunz, Dürig ; « Grundgesetz – Kommentar », Verlag C. H. Beck

 

JURISPRUDENCE:

  • Cour Constitutionnelle Fédérale, Première Chambre, 16 mai 1995, n° 1 BvR 1087/91
  • Cour Constitutionnelle Fédérale, Première Chambre, 15 janvier 2002,  n° 1 BvR 1783/99
  • Cour Constitutionnelle Fédérale, Première Chambre, 30 juillet 2003, n° 1 BvR 792/03

 

  • CEDH, « Obst c/ Allemagne », 23 septembre 2010, requête n° 425/03
  • CEDH, « Wasmuth c/ Allemagne », 17 février 2011, requête n° 12884/03

 

CONFERENCES DE PRESSE :

  • Conférence de presse de la Cour Constitutionnelle Allemande du 15 janvier 2002, n° 2/2002
  • Conférence de presse de la Cour Constitutionnelle Fédérale du 21 août 2003, n° 68/2003

 

ARTICLES :

  • Serge Slama, « Droit de ne pas être contraint à révéler ses convictions religieuses à son employeur et à l’administration fiscale et prélèvement à la source de l’impôt cultuel », CREDOF, 22 février 2011
  • C. Schurrer, « Liberté religieuse et obligation de déclarer à son employeur son absence d’appartenance à une Eglise », Dalloz Actualité, 11 mars 2011

 

ACCORDS :

 

 

 


[1] Entrée en vigueur le 14 août 1919

[2]  Article 19 de la Constitution de l’Etat Libre de Saxe, promulguée le 05.06.1992 (ancienne région de la RDA)

[3] « (…)dem Stil des Hauses entsprechend gepflegt und unauffällig zu kleiden » : l’employeur explique que les salariés devait arborer une tenue vestimentaire discrète et soignée, conforme à l’image du magasin.