La question de la Gestation pour autrui en Russie : les difficultés juridiques face à l’intérêt supérieur de l’enfant
La gestation pour autrui, appelée plus communément GPA, est une méthode de procréation qui consiste pour une « gestatrice » (la mère porteuse) à porter un embryon formé par les gamètes d’un tiers, puis de renoncer à tout droit sur l’enfant et le "rendre" au tiers concerné.
Souvent objet de polémiques, la GPA est interdite dans la plupart des pays, au mieux tolérée. Trois grandes catégories de pays peuvent être établies en fonction de leur position sur la question. Un premier groupe de pays prohibe entièrement la GPA sous toutes ses formes (La France, l’Allemagne, l’Italie…). D’autres tolèrent la GPA dite « altruiste », donc seulement à caractère non- commercial (le Royaume-Uni, le Canada ou l’Israël). Enfin, une troisième catégorie de pays autorise la GPA et lui donne un cadre juridique précis (la Russie, le Kazakhstan, l’Afrique du Sud etc. En ce qui concerne les Etats-Unis, ce pays regroupe des Etats fédérés autorisant, prohibant, ou limitant la GPA dans sa pratique.
Depuis la loi du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain, que nous retrouvons dans l’article 16-7 du Code Civil, la France a ainsi prohibé toute possibilité de conclure une convention de GPA.
Au contraire, la Russie est considérée aujourd’hui comme l’un des pays les plus libéraux et avancés en matière de procréation artificielle et de Gestation pour autrui.
Selon un sondage réalisé en 2013 par le Centre de recherche sur l'opinion publique russe (WCIOM), la majorité des russes acceptent l’idée de la GPA. En effet, 75% des russes considèrent qu’il est tout à fait normal de faire appel à une mère porteuse et 25% d’entre eux étant dans l’impossibilité d’avoir un enfant, utiliseraient ce moyen de procréation en premier lieu.
La loi fédérale russe du 21 novembre 2011 « Sur les fondements de la protection de la santé publique dans la Fédération de Russie » [1] (citée désormais loi sur la santé), crée le droit pour un couple ou une femme célibataire, qui sont dans l’impossibilité d’avoir un enfant, d’établir une convention de gestation pour autrui avec une mère porteuse.
Néanmoins, le cadre législatif établi reste à ce jour insuffisant pour répondre à toutes les questions qui se posent face la conclusion quotidienne de conventions de GPA, à savoir quel est le statut juridique d’une convention de GPA en Russie et quelle protection elle apporte aux intéressés (à l’enfant à naître, à la mère porteuse et au bénéficiaire). Un certain vide juridique s’est créé autour de la question de la GPA en Russie et a laissé place à de nombreuses interprétations jurisprudentielles et doctrinales (Partie 1).
En effet, depuis l’entrée en vigueur de la loi sur la santé, la GPA est devenue une matière très scrutée par les juristes et les professionnels du droit. Un vif intérêt est apporté à l’objet de la convention formée entre les parties. Il est essentiel d’essayer de comprendre quel type d’engagement lie les parties et quelles sont les conséquences de leur engagement. La convention de GPA ressemblerait à un contrat de prestation de service, prévu par l’article 779 du Code civil russe, mais l’objet même d’une convention de GPA est trop délicat pour pouvoir être la classé dans une catégorie de contrats déjà existante.
Tant en France qu’en Russie, la GPA pose en outre des questions de bioéthique et de moralité, que nous n’étudierons pas ici. Néanmoins, la France accueille aujourd’hui d’une nouvelle manière le débat sur la GPA, cette fois-ci autour de la question de la transcription des actes d’état civil des enfants nés légalement par GPA à l’étranger. Le Service central de l’Etat civil ainsi que les juges ont longtemps refusé de reconnaitre ces actes. Cependant, depuis peu et sous la pression de la Cour Européenne des droits de l’Homme, la Cour de Cassation a procédé à un revirement de jurisprudence. La raison principale de ce revirement étant la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant (Partie 2).
- L'encadrement de la gestation pour autrui en Russie
A.Les dispositions légales
La Russie connait aujourd’hui un décalage entre le développement de ces pratiques, leur acceptation morale (éthique) et leur encadrement juridique. De nombreuses questions se posent quant à la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant à naître, les droits des parents génétiques de l’enfant, ainsi que ceux de la mère porteuse.
Le Code de la Famille et ses actes subordonnés, comme la loi sur la santé de 2011, font partie de la base juridique permettant de légaliser l’activité de mère porteuse en Russie.
De cette manière, le droit russe autorise le port d’un enfant qui n’est génétiquement pas le sien.
1.Comment devenir mère porteuse ?
En principe, une femme célibataire ou mariée peut devenir candidate à la gestation, si elle remplit la liste des critères précisément établis dans l’article 55 de la loi de 2011.
Ainsi, une femme souhaitant devenir mère porteuse doit :
- Avoir entre 20 et 35 ans ;
- Avoir accouché et être mère d’un enfant en bonne santé ;
- Avoir une bonne santé psychologique et somatique ;
- Faire acte d’un consentement écrit et éclairé ;
- Si elle est mariée, obtenir un accord écrit de son époux ;
- Ne pas être parallèlement donneuse de gamètes.
La législation précise que l’enfant à naître est l’enfant de la mère qui l’a mis au monde. Lorsque la mère porteuse s’est engagé à « donner » l’enfant, elle doit signer un document par lequel elle renonce à ses droits et accepte par ce biais que des tierces personnes deviennent officiellement les parents du bébé.
2.Qui peut être bénéficiaire de ce service ?
En principe, seuls les couples mariés civilement, sont autorisés à conclure une convention de GPA avec une mère porteuse, selon l’article 51.4 du Code de la Famille de la fédération de Russie.
La loi sur la santé est venue élargir le champ de bénéficiaires de la GPA. Ainsi, elle précise qu’un couple marié ou non marié civilement, mais aussi une femme célibataire, peuvent devenir bénéficiaires de la GPA.
Un second critère, médical, est établi par l’ordonnance du Ministère de la santé du 30 août 2012. La femme célibataire, ou en couple, doit être dans l’impossibilité (médicalement prouvée) d’avoir un enfant.
B. Les lacunes laissées par la loi
La pratique de la GPA prenant de l’ampleur en Russie, de nombreuses questions se sont posées au juge.
1.La question des hommes célibataires
Aux termes de la loi de 2011, les femmes ont pu bénéficier de la GPA, sans avoir à être civilement mariées, ou même en couple. Une première entorse avait donc déjà été faite au Code de la Famille, n’accordant ce bénéfice qu’aux couples mariés civilement.
La question s’est tout naturellement posée pour la première fois devant le juge, pour un homme célibataire, qui avait conclu un accord de GPA. Une fois l’enfant né, la mère a renoncé à tout droit sur l’enfant et n’a pas été inscrite en tant que mère de l’enfant. Néanmoins, les registres d’état civil ont refusé d’y inscrire le nom du père de l’enfant, l’enfant se trouvant sans parents.
Le juge a légalisé cette situation, en se fondant sur l’article 19.3 de la Constitution de la Fédération de Russie selon lequel aucune discrimination devant la loi ne peut être fondée sur le sexe. Le tribunal de la ville de Moscou[2] a ainsi établi que la loi autorisant la GPA aux femmes célibataires, devait aussi s’appliquer aux hommes célibataires.
2.Des questions d’ordre contractuel
Bien que des contrats de GPA soient conclus pratiquement tous les jours en Russie, la nature de cette convention n’est pas définie juridiquement et les droits de chacune des parties ne sont pas clairement encadrés. Ainsi, en cas de chantage, d’escroquerie, de non-exécution de la convention, le juge doit trouver des mécanismes ressemblant à ceux du droit des contrats.
La question est de savoir si une convention de GPA peut être considérée comme un contrat unilatéral ou synallagmatique, si on doit lui appliquer des règles générales du droit des contrats, ou des règles spéciales ?
Différents éléments de réponse ont été apportés par la doctrine russe. La majorité considère qu’une convention de GPA crée des droits et obligations entre les parties, il s’agit donc d’un contrat. Par ailleurs, les juges russes ont tendance à se référer à des règles générales du droit civil des contrats, plutôt qu’à des règles spéciales, dans les litiges portant sur l’inexécution d’une convention de GPA. Seulement, dans ce type de contrats, il ne pourra en aucun cas être considéré que l’enfant en est l’objet. Cela pour des raisons qui rejoignent des principes bien connus en droit français : selon le Code civil français, il faut que la chose soit dans le commerce (art. 1128 du C. civ.), pour faire l’objet d’un contrat. En ce qui concerne les attributs de la personne, la Cour de cassation a jugé illicite le contrat de mère porteuse, par lequel une femme accepte de porter, même gratuitement, un enfant pour un couple qui ne peut en avoir (AP, 31 mai 1991, Bull. civ. n°4).
Ainsi, aucune exécution en nature ne peut être demandée en cas d’inexécution de cette convention, car il est difficilement envisageable que l’enfant fasse l’objet d’une transaction forcée, ou que des parents soient inscrits contre leur volonté sur le registre d’état civil de l’enfant.
Il est néanmoins proposé par la doctrine russe que le manquement aux obligations de la convention de GPA engage la responsabilité civile et contractuelle des parties. Une responsabilité pénale pourrait également être envisagée : l’article 156 du Code Pénal de la fédération de Russie prévoit une sanction en cas de d’abandon de l’enfant par l’un des parents. Cette situation pourrait se présenter dans les cas où les demandeurs de la GPA changent d’avis et que la mère porteuse n’a pas envisagé de garder l’enfant pour elle. Néanmoins, ce mécanisme semble difficile à mettre en place, la mère porteuse étant considérée comme sa mère légale jusqu’à la signature du document de renonciation à ce rôle.
Dans la pratique russe, le contrat de GPA est réalisé sous forme écrite et signé par les parties devant un notaire, une formalité qui n’est pas précisée par la loi et qui s’est instaurée seulement par la pratique. Ainsi, la convention de GPA étant un contrat, les parties à la GPA protégeraient au mieux leurs intérêts mutuels, en prenant le soin d’énumérer en amont et de manière précise toutes les obligations de faire et de ne pas faire, selon les principes généraux d’un contrat de droit civil de droit russe. De ce fait, il faut prévoir par écrit l’obligation pour la mère porteuse de suivre un examen médical tout le long de sa grossesse. Les bénéficiaires de la GPA doivent quant à eux s’engager à respecter leurs obligations pécuniaires. Les parties pourraient également prévoir à l’avance la nullité de l’obligation de rémunération de la mère porteuse en cas de refus de laisser l’enfant aux parents. Enfin, il est possible d’envisager des dommages et intérêts compensatoires à hauteur des frais engagés par les parents biologiques tout le long de la grossesse.
- La mise en balance des différents droits dans le cadre de la réalisation d’une convention de GPA
A.L’obligation d’exécution du contrat et les droits personnels des parties
1.Le refus de la mère porteuse de délivrer l’enfant
Une mère porteuse peut tout à fait refuser de rendre l’enfant au tiers. Cette option est prévue par l’article 51.4 du Code de la Famille de la Fédération de Russie : « Le couple ayant conclu un accord écrit avec une mère porteuse, sera inscrit comme étant les parents de l’enfant dans le registre des naissances seulement avec l’accord de la mère porteuse ».
La loi du 15.11.1997 « sur les actes de l’état civil », confirme cette possibilité et dispose dans son article 16 que : « Lors de l’établissement de la filiation dans l’acte de l’état civil de l’enfant venant de naitre par GPA, les parents doivent pouvoir présenter, en plus du document justifiant la naissance de l’enfant, un document prouvant le consentement de la mère porteuse pour l’établissement de cette filiation ».
Ainsi, la législation russe privilégie les droits de la mère porteuse face aux droits des parents géniteurs, en lui accordant le choix de garder l’enfant.
Il suffit pour le justifier que la mère porteuse évoque un sentiment maternel vis-à-vis de l’enfant, ou tout autre motif de refus de renoncer à ses droits personnels et subjectifs. Cela risque même de devenir un argument de chantage vis-à-vis des parents biologiques, dans le but d’augmenter le prix du service.
La loi va plus loin dans la protection de la mère porteuse, car même après l'établissement de la filiation de l’enfant avec ses parents biologiques, la mère porteuse a la possibilité de revenir sur son consentement, selon l’article 52 du Code de la Famille de la Fédération de Russie.
Suivant la législation, les juges se rangent très souvent du côté de la mère porteuse en cas de conflit entre les parties. Ainsi, la Cour Constitutionnelle russe a estimé, dans sa décision du 15 mai 2012 n°880-O, que le droit subjectif des parents d’élever un enfant n’a pas été violé, suite à la reconnaissance du droit pour la mère porteuse de garder l’enfant et d’être la seule à figurer sur son registre d’état civil.
2.La décision de la mère porteuse d’interrompre la grossesse
Un vide juridique existe quant à cette question. En effet, la loi russe autorise toutes les femmes à décider seules d’interrompre leur grossesse jusqu’à la 12ème semaine (article 56 de la loi sur la Santé de 2011). Ce droit, personnel, ne pourrait être paralysé par un contrat de GPA. Néanmoins, la question se pose de savoir comment et selon quels critères il faut mesurer le préjudice causé aux parents géniteurs, et quels sont leurs droits sur cet enfant ?
B.L’intérêt supérieur de l’enfant : la question de la filiation des enfants nés par GPA (le cas de la France)
Comme nous l’avons rappelé, la gestation pour autrui, qu’elle soit rémunérée ou non, demeure interdite en France. Néanmoins, on estime à 2 000 le nombre d’enfants issus de la GPA, nés à l’étranger et vivant en France, avec dans la plupart des cas une nationalité étrangère.
De ce fait, les parents ayant eu des enfants par GPA à l’étranger se sont vus systématiquement opposé un refus de transcription de leurs actes d’état civil en France. Cela était justifié par la fraude à la loi. La position des juges de la cour de Cassation a longtemps été immuable sur ce point, malgré une indécision des cours des différents ressorts.
La première étape dans le changement de la pratique française sur cette question, a été la circulaire de la Garde des Sceaux de janvier 2013 visant à harmoniser la pratique judiciaire Elle demande explicitement d’accorder les actes d’état civil aux enfants nés par GPA à l’étranger, afin qu’ils puissent se voir reconnaitre leur filiation vis-à-vis de leurs parents.
La Cour Européenne des droits de l’Homme, condamne depuis longtemps cette réticence des Etats à reconnaitre ces enfants sur leur territoire et à leur accorder un état civil. Ce fut le cas dans deux arrêts du 26 juin 2014, Menesson et Labassé, par lesquels la CEDH a condamné la France en lui rappelant qu’il était nécessaire de respecter l’intérêt supérieur de l’enfant. La Cour a souligné qu’elle n’encourageait nullement la pratique de la GPA et laissait chaque Etat libre de fixer son cadre législatif sur la question. Néanmoins, l’approche dans laquelle les enfants nés par GPA se voyaient condamnés et privés d’état civil, les privait de leur « identité » et allait à l’encontre leur intérêt supérieur.
La Cour de cassation, qui considérait encore dans son arrêt du septembre 2013[3] que ces demandes de reconnaissance étaient « l’aboutissement d’un processus frauduleux qui ne pouvait produire aucun effet », a changé de position de manière conséquente. Jean-Claude Marin, le procureur général de la Cour, reconnaît désormais l’importance de protéger l’identité et la vie privée de l’enfant, selon les termes de la CEDH.
Les deux arrêts du 3 juillet 2015 ont été rendus sur des cas semblables : dans les deux arrêts, il s’agissait d’un père, français, qui s’était rendu en Russie (où une convention de GPA peut légalement être passée entre une mère porteuse russe et un citoyen étranger). Les deux enfants étaient nés en Russie et les citoyens français ont choisi d’inscrire le nom de la mère porteuse en tant que mère légale de l’enfant sur son acte de naissance. Une fois rentrés en France, la transcription de l’acte de naissance des enfants a été refusée, et ainsi les pères des enfants ne pouvaient pas être considérés comme tels sur le territoire français. Avec son revirement de jurisprudence, la Cour de cassation explique que la transcription de l’état civil des enfants doit être établie en France, dès lors que cet état civil a été obtenu légalement et sans aucune fraude à l’étranger. Le lien de filiation doit pouvoir être prouvé entre l’enfant et le parent, et être ni falsifié, ni contraire à la réalité, ce qui fut le cas en l’espèce.
Cette évolution jurisprudentielle révèle un changement de conception et tient compte de la place des enfants dans le processus de la GPA. L’influence très forte de la CEDH et l’application directe de la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989 conduisent à laisser une place plus importante à la notion de l’intérêt supérieur de l’enfant, allant même parfois à l’encontre des règles nationales. Ainsi, la balance entre les intérêts « collectifs » et « particuliers » est mesurée différemment.
Bibliographie
Constantin Svitnev, directeur du cabinet « Rosurconsulting », article : « Les aspects juridiques de la gestation pour autrui »
http://www.surrogacy.ru/legal_aspeccts.php
Consulté en avril 2016
Centre de recherche sur l'opinion publique russe (WCIOM) http://wciom.ru/index.php?id=236&uid=114646
Consulté en avril 2016
http://surrogacy-rus.com/surrogatnoye-materinstvo-v-rossii.html consulté le 20.04.2016
Gerasimov Alexandr, Afanasieva Anastasia « Les problèmes posés par la gestation pour autrui dans le droit russe »
http://cyberleninka.ru/article/n/problemy-surrogatnogo-materinstva-po-rossiyskomu-zakonodatelstvu
Consulté en avril 2016
Afanasiava I.V “la nature juridique et le contenu de la convention de GPA”
Consulté en avril 2016
Catherine Heath, James Stewart, Family Law, a Global guide from practical law, Thomson Reuters
Hugues Fulchiron, Recueil Dalloz 2014 p.905 "L'enfant de la fraude… reflexions sur le statut des enfants nés avec l'assistance d'une mère porteuse"
Fliagin A.A "La gestation pour autrui: la jurisprudence et la pratique étrangère"
http://xn----7sbbaj7auwnffhk.xn--p1ai/article/9409
Consulté en avril 2016