L'accord collectif: comparaison franco-allemande

L’accord collectif, producteur de la norme sociale, est au cœur de l’actualité. D’un côté, nombreux sont ceux qui remettent en question un Etat trop impliqué : François Hollande préconisait, en 2011, de « laisser une plus grande place aux partenaires sociaux dans la définition et l’élaboration des normes sociales ». De l’autre, l’Allemagne, par l’instauration d’un salaire minimum en 2015, semble vouloir limiter le rôle des partenaires sociaux, trop influents. Assiste t-on progressivement à une convergence des deux systèmes en matière de conclusion et d’application de l’accord collectif? 

 

L’ACCORD COLLECTIF : COMPARAISON FRANCO-ALLEMANDE

 

La négociation collective constitue un chapitre incontournable en droit du travail français. Jouant un grand rôle dans la production de la norme sociale, l’accord collectif, est au cœur d’un débat qui oppose continuellement employeurs et syndicats. Fixant les règles relatives aux conditions de travail, à l’emploi ou aux garanties sociales des salariés, l’accord collectif est à l’origine d’une architecture complexe des normes juridiques propres au droit du travail.

Peut être même trop complexe, rigide et gouvernée pour certains par un principe de faveur excessif à l’égard du salarié, la législation française en matière du droit du travail fait l’objet de critiques permanentes. « Illisible et confus », ce sont les mots prononcés par le premier ministre, Manuel Valls, au sujet du code du travail. « Il s’agit de construire le code du travail du XXIème siècle » : le but est dorénavant de le simplifier et d’encourager le dialogue social. 

Si la France a déjà instauré depuis 1951 le SMIG, devenu plus tard l’actuel SMIC, l’Allemagne a depuis peu, à l’été 2014, adopté un salaire minimum unique, entré en vigueur en janvier 2015. Fruit d’un long processus initié dès le début des années 2000, le législateur allemand est enfin parvenu à lutter contre un dumping social croissant, dont les règles étaient fixées par les partenaires sociaux. Force est de constater l’impossibilité de garantir des conditions de travail décentes, obligeant l’Etat à intervenir et à règlementer la matière. Cette insertion d’un salaire minimum marque un tournant dans le droit du travail allemand, il porte en effet atteinte à l’autonomie collective des partenaires sociaux.

Dans la conclusion de l’accord collectif, quel est alors le rôle respectif de l’Etat et des partenaires sociaux ? Assiste t-on à un rapprochement des deux systèmes : un Etat doté de plus grands pouvoirs ? Quelles sont les différences propres aux deux pays quant à l’application de l’accord collectif sur le contrat de travail ?

A la lumière de cette nouvelle loi allemande, il convient alors de définir quel est le rôle tenu par l’Etat et les partenaires sociaux dans les deux systèmes de droit. (I).  Même si plusieurs principes en matière de droit du travail sont communs aux deux pays, l’application de l’accord collectif suit un cheminement différent (II).

 

I. La conclusion de l'accord collectif: un compromis entre Etat et partenaires sociaux

 

La nouvelle loi relative à l’insertion d’un salaire minimum en Allemagne a une incidence dans le rôle des acteurs de la négociation collective : Etat (A.) comme partenaires sociaux (B.); la législation allemande converge t-elle peu à peu vers le système français ?

 

A. Influence de l’Etat et droit à la négociation collective

 

En France, le droit à la négociation collective et le droit du travailleur à cette dernière sont garantis respectivement par le préambule de la Constitution de 1946 et par l’article L.2221-1 du code du travail. Le législateur a en principe un rôle limité et ne peut toucher à la liberté contractuelle au centre de la négociation collective ; il ne détient pas le monopole de la production des normes sociales. En pratique, l’Etat détient un rôle majeur : il régule les relations de travail et est souvent amené à « forcer » le dialogue social entre syndicat et patronat.

A contrario, la loi allemande détermine les dispositions minimales en matière de relations et de conditions de travail (délais de licenciement, durée du travail et des congés, par exemple). Ce sont les accords collectifs qui améliorent la loi de façon considérable. La législation allemande consacre en effet dans son article 9, alinéa 3 de la loi fondamentale, la liberté dite de coalition : les partenaires sociaux disposent ainsi de l’autonomie collective. Le pouvoir normatif qui leur est conféré est capital, c’est à eux que revient la décision exclusive du contenu des conditions individuelles de travail. L’Etat est, quant à lui, uniquement présent pour poser le cadre et permettre le fonctionnement de l’autonomie collective. L’Etat intervient ainsi que dans le cas où l’autonomie collective ne parviendrait pas à fonctionner. Son intervention doit être justifiée, et reste limitée à des cas spécifiques (concurrence de droits fondamentaux). La nouvelle loi en Allemagne sur l’insertion d’un revenu minimum, entrée en vigueur le 1er janvier 2015, marque une rupture dans le paysage du droit du travail allemand. Dans le but de renforcer l’autonomie collective, beaucoup d’auteurs soulignent au contraire l’immixtion du législateur dans la négociation collective qui porterait atteinte à la liberté normative des partenaires sociaux. La nouvelle loi affaiblirait l’autonomie collective: « Tarifautonomieschwächungsgesetz »

En dépit de cette nouveauté allemande, si le travail des partenaires sociaux complète la loi en droit français, c’est l’inverse en droit allemand. Malgré l’instauration d’un salaire minimum en Allemagne, si l’Etat voit son rôle s’accroître, les partenaires sociaux garderont toujours un rôle décisif et central dans l’établissement de l’accord collectif.

 

B. Le rôle des partenaires sociaux

 

Les partenaires sociaux ont le privilège de la négociation collective, cependant quelques exceptions importantes demeurent.

Les partenaires sociaux disposent ainsi en Allemagne d’un pouvoir normatif autonome, défini par la loi et la jurisprudence. En premier lieu, ils doivent être « tariffähig », selon l’article 2 TVG (Tarifvertragsgesetz : loi allemande sur les conventions collectives de travail), c’est à dire qu’ils ont le droit de conclure des conventions collectives, mais doivent aussi être « tarifzuständig » : ce qui signifie qu’ils doivent avoir la compétence pour signer une convention collective. L’article 2, alinéa 1 du TVG se contente de mentionner quelles sont les parties à la convention : « les syndicats, les employeurs individuels ou les organisations d’employeurs ». Les syndicats sont donc des coalitions dotées de la « capacité conventionnelle ». L’absence légale de définition a été palliée par la jurisprudence qui exige non seulement du syndicat qu’il remplisse les conditions posées pour former une coalition, il doit également avoir la volonté de conclure des conventions collectives dans ses statuts, et reconnaître le droit des conventions collectives et des conflits. Dernière exigence, et pas des moindres, le syndicat doit avoir la « puissance sociale », c’est à dire qu’il doit être en mesure d’exercer une pression et contre pression face à la partie patronale, notamment grâce au moyen de la grève. La puissance syndicale, est une notion qui a également été reprécisée par la jurisprudence. Les tribunaux, grâce au moyen du faisceau d’indices, ont donné plusieurs critères : les ressources financières dont dispose le syndicat, qui déterminerait son efficacité organisationnelle, le nombre d’adhérents et leurs positions dans l’entreprise. Avoir conclu une convention collective dans le passé est également un facteur à prendre en compte. Le syndicat, ne représentant alors juridiquement que ses membres, n’a aucun besoin d’être représentatif, contrairement au droit français.

L’accord collectif en France doit ainsi être conclu par un ou plusieurs syndicats, qui doivent non seulement être représentatifs, mais également majoritaires. L’accord collectif doit ainsi être conclu par un syndicat ayant réuni 30% des suffrages. Il ne doit pas avoir fait l’objet de l’opposition d’une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli 50% des suffrages.  Pour certains accords, comme les accords de maintien de l’emploi créés par la loi de sécurisation de l’emploi en juin 2013, la majorité à 50% est exigée.

Usuellement, ce sont syndicats et organisations patronales qui sont parties à l’accord collectif. Au niveau de l’entreprise, il existe en France comme en Allemagne, la possibilité de négocier des accords collectifs en l’absence de délégués syndicaux.

Pour valoriser la négociation collective dans les entreprises qui ne disposent pas de délégués syndicaux, un accord collectif peut être conclu par des représentants élus du personnel au comité d ‘entreprise ou à la délégation unique du personnel  ou toute autre instance prévue à l’article L. 2391-1 du code du travail. Les délégués du personnel, tout comme des salariés mandatés (même un suffit) par une organisation syndicale, peuvent négocier et conclure des accords collectifs, à des conditions particulières. Le législateur a créé ces possibilités, mais ces dernières restent dérogatoires.

L’Allemagne connaît une exception notable, grâce au Betriebsrat (conseil d’établissement qui représente les salariés au niveau de l’entreprise) à qui d’importantes prérogatives sont confiées. Ainsi, le conseil ne dispose pas seulement des droits d'information et de consultation, mais également des droits de codétermination sur certaines questions : les horaires, l'augmentation ou la réduction provisoires de la durée du travail, selon les dispositions de l’article 87-I BetrVG (loi constitutionnelle de l’entreprise). Si la convention collective prime sur l’accord d’entreprise (article 77-3 BetrVG), la loi accorde souvent par le biais de « clauses d’ouverture » (Öffnungsklausel), la possibilité d’application de ces accords. Ces conventions d'établissement déploient alors un effet normatif sur les contrats de travail de tous les salariés de l'établissement. De plus en plus souvent, les partenaires sociaux réservent le soin aux accords d’entreprise de « légiférer » en la matière.

 

II. Application de l’accord collectif

 

Compte tenu de l’explosion du nombre des conventions collectives, en France comme en Allemagne, la difficulté suivante se pose : quel est donc l’accord finalement applicable aux salariés, dans l’hypothèse où plusieurs conventions collectives sont envisageables (A) et quel est son effet sur le contrat de travail ? (B).

 

  1. L’accord collectif applicable en cas de concours de conventions collectives

 

Si le problème de « pluralité conventionnelle » ne se pose a priori pas en France, en Allemagne, une nouvelle réforme modifie les critères déterminant la convention applicable au sein de l’établissement.

En France, c’est le Code APE (Activité principale exercée), devenu depuis la réforme de 2008, le Code NAF (Nomenclature d’activités françaises), qui détermine la convention collective qui s’applique dans l’entreprise. Attribué par l’INSEE, ce code est accordé en fonction de l’activité principale exercée par l’entreprise.

Au contraire, en Allemagne, déterminer la convention applicable à l’entreprise n’a pas toujours été aussi simple. Avant les réformes, le principe de spécialité était appliqué conformément à l’article 9 al.3 du GG (loi fondamentale), au respect du choix syndical du salarié. L’employeur se voyait alors appliquer la convention collective en fonction de l’appartenance syndicale de son salarié, entraînant des disparités au sein de l’entreprise et même des différents établissements. Le nouveau paragraphe 4 a du TVG, entré en vigueur en juillet 2015, dispose que la convention collective sera applicable en fonction du syndicat majoritaire (en terme de nombre de syndiqués) dans l’établissement. C’est donc le syndicat, réunissant le plus grand nombre de syndiqués dans l’établissement, qui verra sa convention collective s’appliquer.

En cas de « concurrence conventionnelle », c’est à dire quand plusieurs conventions collectives ont des champs d’application qui se recoupent, c’est le principe de spécialité qui s’applique. Différence notable, le niveau interprofessionnel (à l’échelle nationale) n’existe pas en Allemagne. On appliquera ainsi en France entre un accord de branche national et un accord de branche de région, l’accord de région. En France comme en Allemagne, entre une convention de branche et un accord d’entreprise, c’est l’accord d’entreprise sera appliqué.

Dernier élément qui joue quant à l’application de l’accord collectif final, est le principe de faveur, dit « Günstigkeitsprinzip » prévu à l’article 4 III TVG. Ce principe, existant dans les deux systèmes de droit, permet au salarié de se voir appliquer la norme la plus favorable : cela signifie qu’une norme inférieure peut déroger à une norme supérieure dès lors que cette dérogation est plus favorable au salarié. Cependant, les dérogations à ce principe se sont multipliées : en Allemagne, par le biais des clauses d’ouverture (Öffnungsklausel), en France par d’autres mécanismes permettant de déroger à une convention collective de branche, à condition que celle-ci n’en dispose pas autrement. Le risque qui se présente est la pratique de plus en plus courante d’accords d’entreprise moins favorables dans le but de bien se placer au sein de la concurrence. Ce phénomène a pu être constaté dans les accords d’entreprises Low Cost. 

 

  1. Effets sur le contrat de travail

 

D’application directe et impérative, la différence fondamentale est que, juridiquement, en droit allemand, l’accord collectif s’applique qu’aux salariés syndiqués. Ce n’est que par procédure d’extension que l’accord collectif s’appliquera à tous les salariés. 

D’effet impératif, la convention recevra application dès le jour qui suit son dépôt, indépendamment de la volonté des parties. Par conséquent, le salarié ne peut renoncer aux stipulations d’une convention collective, l’accord collectif s’applique sans avoir besoin d’être inséré dans le contrat.

Ceci nous amène au point majeur qui différencie les deux droits en la matière. En effet, en France, l’accord collectif s’applique à tous les salariés liés à l’employeur signataires ou adhérents au groupement signataire par un contrat de travail qu’il soit ou non membre du ou des syndicats signataires à l’accord. Il s’appliquera donc erga omnes, indépendamment de leur appartenance à un syndicat.

En Allemagne, l’effet normatif de la convention collective est en principe limité aux contrats de travail des salariés syndiqués : il s’agit de l’application directe. La liaison conventionnelle est alors limitée aux salariés syndiqués, selon les dispositions de l’article 3 du TVG. Est également d’application directe, la norme conventionnelle qui a été étendue par le ministre fédéral du travail. Le cas se présente lorsque les employeurs liés par l’accord collectif emploient au moins 50% des salariés relevant du champ d’application de l’accord. L’accord collectif deviendra applicable à l’ensemble des entreprises du secteur d’activité. Spécificité allemande, l’article 5 du TVG permet en effet à l’employeur l’application indirecte de l’accord collectif. Dans la pratique, l’employeur appliquera la convention collective à tous les salariés par le biais de clauses du contrat de travail qui y renvoient. Les motivations sont diverses : la crainte du départ ses salariés, la peur de porter atteinte à la paix sociale, le souhait de ne pas accroître la puissance du syndicat, l’envie d’être à parité de niveau avec ses concurrents. 

 

Droit allemand

  • RICHARDI, WISSMANN, WLOTZKE, OETKER, MÜNCHENER Handbuch zum Arbeitsrecht, Band II Kollektivarbeitsrecht/ Sonderformen, 3. Auflage, Verlag C.H.Beck München 2009.
  • ERFURTER Kommentar zum Arbeitsrecht, 16. Auflage 2016
  • BECK’SCHER Online-Kommentar Arbeitsrecht, 2015, (TVG, §4a Tarifkollision)
  • SCHAUB, Arbeitsrecht von A-Z, 19. Auflage 2014.
  • ABBO JUNKER, Grundkurs Arbeitsrecht, 14.Auflage, Verlag C.H.Beck
  • LÖWISCH, CASPERS, KLUMPP, 10. Auflage, Verlag Franz Vahlen
  • Article 9 III Grundgesetz, Loi fondamentale allemande
  • Tarifvertragsgesetz
  • Betriebsverfassungsgesetz
  • Tarifeinheitsgesetz

 

Droit français

  • J. PELISSIER, G. AUZERO et E. DOCKES, Droit du travail, précis dalloz 28ème édition
  • ANTOINE MAZEAUD, Droit du travail, Montchrestien 8ème édition
  • FRANCOIS DUQUESNE, Droit du travail, Gualino 8ème édition
  • Mémento pratique FRANCIS LEFEBVRE, Droit social 2014

 

Doctrine

  • Patrick Rémy, Revue de droit du travail 2012, p. 133 « Les accords collectifs sur l’emploi en Allemagne : un modèle pour le droit français ? ».
  • Ulrike Wendeling-Schröder, Guylaine Vallée, Patrick Rémy, Revue de droit du travail 2006, p.408 « Représentativité syndicale et négociation collective (suite). »
  • Martin Henssler, Patrick Rémy, Revue du droit du travail 2015, p. 562, « La réforme allemande du droit des conventions collectives, le pluralisme syndical est-il compatible avec l’autonomie collective ? ».
  • Patrick Rémy, Revue du droit du travail 2014, p. 774, « La loi allemande sur le salaire minimum : Le SMIC en Allemagne ? »
  • Pascal Lokiec, Revue droit du travail 2014, « Avis de tempête sur le droit du travail », p. 738
  • Pr. Dr. Rolf Wank, Ruhr-Universität Bochum, RdA 2015, « Der Mindestlohn »
  • Dr. Gerrit Forst, RdA 2015, « Die Allgemeinverbindlicherklärung von Tarifverträgen nach dem sogenannten Tarifautonomiestärkungsgesetz »
  • Dr. Martin Henssler, RdA 2015, p.43, « Mindestlohn und Tarifrecht »
  • Dr. Hans-Jürgen Kalb, p. 226, « Tarifpluralität und Arbeitskampfeinheit im Betrieb »

 

Sites internet