Le “Deferred Prosecution Agreement” et la Convention Judiciaire d’intérêt public: mécanismes de justice négociée dans la lutte contre la corruption, par Oriana Castelli.

Introduction: 

 

     “À la débauche et à la corruption on oppose la rigueur” Jean Dutourd. Si la rigueur s’oppose à la corruption, elle permet aussi de combattre ce fléau, comme le prouvent depuis les années 1970 les États-Unis. En 1977, la loi fédérale américaine intitulée “Foreign Corrupt Practices Act” (FCPA) est entrée en vigueur et a eu un impact international. Elle a dominé l’application internationale de la lutte contre la corruption jusqu’au milieu des années 2000, lorsque d’autres pays ont introduit des législations similaires. En ce sens, en France, la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, plus connue sous le nom de Loi Sapin II, a modifié et fortifié la législation française relative à la lutte contre la corruption. La loi Sapin II insère dans le Code Pénal l’article 41-1-2 et crée ainsi le mécanisme de convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). Ce nouveau mécanisme permet au procureur de la République de proposer à une personne morale mise en cause pour des faits de corruption et autres, de conclure une convention qui aura pour effet d’éteindre l’action publique.  

    Par l’intégration d’un tel mécanisme, la France créée de nouvelles exigences dans la lutte contre la corruption. Ce mécanisme est fortement inspiré du “deferred prosecution agreement” (DPA) instauré aux États-Unis depuis 1974 par le Speedy Trial Act. Le DPA n’a toutefois été étendu aux personnes morales que depuis 1997 par le US Sentencing Guidelines Manual et le US Attorney’s Manual § 9-22.010. Par cet accord, une personne physique ou morale reconnaît les faits commis et se soumet à un certain nombre d’obligations en contrepartie de l’abandon des poursuites à son encontre si la personne a satisfait aux obligations qui lui étaient imposées. À travers l’étude du DPA conclu entre HSBC USA et les autorités américaines le 11 Décembre 2012, cet article exposera le champ d’application d’un tel accord (I) ainsi que les conséquences de sa conclusion (II). Cette analyse s’opèrera dans une prospective comparative du droit américain et du droit français. 

 

 

I. Le champ d’application d’un DPA et d’une Convention Judiciaire d’intérêt public. 

 

    HSBC (Hong Kong & Shanghai Banking Corporation) est un groupe bancaire international britannique présent dans plus de 84 pays et comptant plus de 60 millions de clients. La renommée mondiale du groupe bancaire ne tient toutefois pas qu’à son activité financière. En effet, HSBC a régulièrement été impliquée dans divers scandales politico-financiers qu’il s’agisse d’évasion fiscale massive, de financement du terrorisme ou de blanchiment d’argent. Le groupe a fait ainsi l’objet de nombreuses condamnations mais a également conclu un certain nombres de Deferred Prosecution Agreement aux États-Unis, et récemment une convention judiciaire d’intérêt public en France. Afin de comprendre ce qu’est ce mécanisme, il convient en premier lieu de déterminer à qui il s’applique et pour quelles infractions (A). Il semble ensuite pertinent de se pencher sur le concept de coopération (B). 

 

 

A) Les personnes et les infractions concernées par un DPA et une CJIP. 

 

    L’article a mentionné dans son introduction que la conclusion d’un DPA était possible aux États-Unis à la fois pour une personne physique et pour une personne morale. A contrario, en France la conclusion d’une CJIP n’est réservée qu’aux personnes morales dont le siège social est en France et dont l’effectif est de plus de 500 personnes et le chiffre d’affaire de plus de 100 millions d’Euros. Le champ d’application d’une CJIP est d’autant plus restrictif quant à aux infractions pour lesquelles elle est disponible. En effet, alors qu’un DPA peut avoir lieu pour un très large nombre d’infractions et ce à la discrétion du Department of Justice (DOJ), une CJIP ne se conçoit que pour certains délits limitativement énumérés dans le code pénal. 

    En l’espèce HBUS (filiale américaine de HSBC) ainsi que Grupo Financiero HSBC (HSBC Mexico) ont conclut un DPA en tant que personnes morales. Ce DPA a ainsi été rédigé conformément aux US Sentencing Guidelines Manual et aux US Attorney’s Manual § 9-22.010. Les faits  de blanchiment d’argent reprochés à HBUS et HSBC Mexico se sont déroulés entre 2007 et 2008. Selon le Statement of Facts, HBUS aurait agi en violation du Bank Secrecy Act, Title 31, United states Code, Section 5311 et seq and Title 31, Section 5318 (h) (1) and Title 12, Code of Federal Regulations, section 21.21. Ces faits de blanchiment d’argent avaient été portés à la connaissance du DOJ suite à une enquête du Sénat américain. Dans un rapport de 335 pages, HSBC était accusée d’avoir laissé transiter par ses coffres aux États-Unis de l’argent provenant à la fois de cartels Mexicains et Colombiens (respectivement le cartel Sinaloa et le carte Norte del Valle) et d’organisations suspectées de soutenir le terrorisme international ou de faire affaire avec l’Iran. Le rapport souligne qu’un grand nombre d’avertissements quant à la défaillance et la non-conformité des programmes anti-corruption mis en place au sein de ces filiales avait été fait aux personnes en charge mais qu’aucune mesure n’avait été prise. Les autorités mexicaines avaient par exemple fait part au CEO de HSBC Mexico, qu’elles disposaient d’un enregistrement d’un baron de la drogue mexicain affirmant que HSBC Mexico était “the place to launder money” (l’endroit où blanchir de l’argent.) Bien que les banques n’aient pris aucune mesures afin de mettre un terme à la commission de ces infractions entre 2007 et 2008, elles ont grandement coopéré avec les autorités américaines lors de la conclusion du DPA et lors de son application. 

 

 

B)  La coopération des personnes morales: une condition à la conclusion d’un DPA aux États-Unis mais une condition encore incertaine en France. 

 

    Aux États-Unis, dès que l’autorité en charge du dossier propose à une personne morale de conclure un DPA, cette personne morale doit coopérer. C’est une condition à la mise en place du mécanisme. Cette coopération prend la forme d’une enquête interne confiée à un cabinet d’avocats. Cette enquête permet d’établir quels sont les aspects défaillants du dispositif anti-corruption de la personne morale et quelles améliorations qui seront alors monitorés, faute de quoi un DPA ne pourrait être conclu. Ces enquêtes internes ont un coût relativement important pour la personne morale mais elles sont souvent préférées à des poursuites judiciaires et à l’impact que de telles poursuites auraient sur la réputation de la personne morale. La coopération passe également par la promesse faite par la personne morale qu’elle respectera les termes du DPA. En effet, l’autorité américaine en charge (DOJ ou SEC) ne différera les poursuites judiciaires qu’à la condition que la personne morale coopère en se conformant à son nouveau cadre réglementaire. Afin de contrôler les agissements de la personne morale, l’autorité américaine agira en “monitor.” La personne morale s’engage ainsi pour une période déterminée à se conformer aux recommendations des monitors, sous peine d’agir en contradiction avec les termes du DPA. Ce système est assez distinct du système français mis en place par la loi Sapin II. En effet, la loi Sapin II et son décret d’application ne semblent pas ériger la coopération de la personne morale comme condition de la conclusion d’une CJIP. La conclusion d’une CJIP est davantage conditionnée au respect de certaines obligations de conformité au cadre réglementaire. L’Agence Française Anti-Corruption, créée par la loi Sapin II joue en France le rôle de monitor. 

    En l’espèce, HSBC Mexico et HBUS ont accepté de coopérer avec le DOJ dès lors qu’un DPA leur avait été proposé jusqu’au 11 Décembre 2017. À cette même date, HSBC Holdings Plc a présenté une requête auprès de la District Court de New York (eastern district), afin de mettre fin à cet accord et aux poursuites judiciaires différées qui pesaient sur le groupe depuis 5 ans. La District Court ayant considéré que HSBC Mexico et HBUS avaient respecter les termes de leur accord, a ainsi mis fin au DPA. Le DOJ a reconnu les efforts de HSBC “Ces efforts du management ont permis d’améliorer considérablement les programmes de conformité d’HSBC Bank USA et du Groupe HSBC en matière de secret bancaire, de lutte anti-blanchiment et règles édictées par l’OFAC, Office of Foreign Assets Control.”

 

 

 

 

 

II. Les conséquences de la conclusion d’un DPA ou d’une CJIP. 

 

    Aux États-Unis comme en France, la conclusion d’un DPA ou d’une CJIP ne nécessite pas que la personne morale reconnaisse sa culpabilité pour les faits qui lui sont reprochés. De ce fait, ces mécanismes ne s’inscrivent pas ou ne créent pas de casier judiciaire à la personne morale, elles figurent simplement sur le site internet du DOJ aux États-Unis, et sur le site de l’Agence Française Anti-Corruption en France. Néanmoins, la conclusion d’un DPA ou d’une CJIP fait peser sur la personnes morales de lourdes obligations (A) et souvent des sanctions pécuniaires (B). 

 

 

A) Les obligations de mise en conformité. 

 

    En France et aux États-Unis, la conclusion d’une CJIP ou d’un DPA fait naitre une obligation de mettre en place un programme de compliance effective. Comme l’article l’a précisé ci-dessus, ce programme est contrôlé soit par le monitor désigné aux États-Unis (le DOJ ou la SEC), et par l’Agence Française Anti-Corruption en France. Ces programmes ont les mêmes objectifs: prévenir et détecter la corruption tout en tenant compte des risques auxquels les personnes morales sont exposées. En France, le programme de conformité tel que prévu par la loi Sapin II et inséré dans le code pénal, repose sur 8 piliers: la cartographie des risques, un code de conduite, des procédures d’évaluation, des procédures de contrôles comptables internes ou externes, un dispositif de formation, un dispositif d’alerte interne, un régime disciplinaire et un dispositif de contrôle et d’évaluation interne des mesures mises en oeuvre. La personne morale concluant la CJIP peut se voir imposer de satisfaire toutes ces mesures ou seulement quelques unes. Pour se faire, elle est entourée d’une équipe de compliance officer. Cette obligation de mise en conformité est similaire aux États-Unis. La distinction en ce qui concerne cette obligation de mise en conformité réside purement dans le fait que si la personne morale ne met pas en place un programme de compliance effectif, le DOJ ou la SEC peuvent poursuivre la personne morale pour les faits qui lui étaient reprochés. A contrario en France, une fois que le juge a homologué la CJIP, l’action publique contre l’entreprise est éteinte. Aux États-Unis l’action publique demeure tant que l’obligation de mise en conformité n’a pas été pleinement satisfaite. 

    En l’espèce, HSBC Amérique du Nord a mis en place des mesures correctives telles qu’il lui était requis dans son DPA: HSBC a multiplié par neuf ses dépenses en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux entre 2009 et 2011; multiplié par près de 10 le nombre de collaborateurs chargés de la lutte contre le blanchiment de capitaux entre 2010 et 2012; restructuré son programme de connaissance du client (KYC) et décidé de considérer les entités non américaines affiliées au Groupe HSBC comme des tiers, soumis aux mêmes procédures de due diligence que ses autres clients; mis un terme aux relations qu’elle entretenait avec 109 correspondants en raison des risques qu’ils représentaient; repris les bonus de plusieurs cadres dirigeants; dépensé plus de 290 millions de dollars dans le cadre de mesures correctives. Le Groupe HSBC a réorganiser sa structure, ses contrôles et ses procédures. Par ailleurs, le Conseil d’administration de HSBC Holdings Plc a mis en place des nouvelles équipes de direction en 2011 au sein de HSBC Amérique du Nord. Le 11 Décembre 2017, soit à la date déterminée à laquelle le DPA devait prendre fin, Stuart Levey, le Chief Legal Officer de HSBC a déclaré “bien que certaines améliorations doivent encore être apportées, ce qui a été achevé jusqu’ici montre que le DPA a fonctionné de la manière voulue et a ainsi transformé la façon dont HSBC gérait les risques de criminalité financière.”

 

 

B) Les sanctions. 

 

    La conclusion d’une CJIP et d’un DPA entraine également des sanctions pécuniaires. L’article 22 de la loi Sapin II prévoit en ce sens que la personne morale verse une amende d’intérêt public au Trésor public. “Le montant de cette amende est fixé de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30% du chiffre d’affaires moyen annuel calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date du constat de ces manquements.” Par ailleurs, si la victime est identifiée, la personne morale peut se voir imposer une obligation de l’indemniser. En France, la première CJIP a été signée le 30 octobre 2017 entre le procureur national financier et la banque HSBC. Elle a fait l’objet d’une ordonnance de validation par le Président du Tribunal de Grande Instance de Paris le 14 novembre 2017. La banque a reconnu les faits qui lui était reprochés et a accepté les qualifications pénales retenues. Au total, HSBC devait restituer 300 millions d’euros (l’amende d’intérêt public s’élevait à 158 millions d’euros et les dommages et intérêts au profit de la victime et des parties civiles s’élevaient à 142 millions d’euros). Aux États-Unis, il convient de noter que les montants des amendes imposées à la suite de la conclusion de certaines DPA sont relativement plus élevés qu’en France. En l’espèce, HSBC s’est vu imposée en 2012 une amende s’élevant à 1.92 billion de dollars. La banque a également payer 665 millions de dollars de pénalités civiles au Comptroller of the Currency (Contrôleur de la Monnaie), à la Federal Reserve (la réserve fédérale des États-Unis est la banque centrale des États-Unis and au Treasury Department (Trésor Fédéral Américain).

 

 

Conclusion: 

 

    Le DPA est un mécanisme établi aux États-Unis depuis de nombreuses années et semble avoir fait ses preuves. A contrario, la CJIP a été introduite très récemment et suscite quelques interrogations. En effet, à l’issue de la première conclusion de CJIP entre le procureur national financier et HSBC, la question demeurait toujours de savoir si la coopération de la personne morale avec le procureur pouvait être pris en compte dans le calcul du montant de l’amende. 

 

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Bibliographie: 

- D. Rebut, Droit pénal international, op.cit., n° 90.

- Agence Française Anti-Corruption, Recommandations, Décembre 2017. 

- Astrid Mignon-Colombet, La Convention Judiciaire d’intérêt public : vers une justice de coopération?, AJ Pénal 2017, p.68.

- Court E. Golumbic et Albert D. Lichy, The "Too Big to Jail" effect and the Impact on the Justice Department's Corporate Charging Policy, Hasting Law Review, 2014. 

HSBC News release 11 Décembre 2012. 
La première convention judiciaire d’intérêt public, 12 aout 2017, Skadden. 
Dossier Loi Sapin II: la nouvelle procédure de “convention judiciaire d’intérêt public,” Stéphane Bonifassi, avocat à la Court, Bonifassi Avocats et Gabrielle Massoulier, Avocat à la Cour, Cohen et Gresser, Journal des Société, N°149 février 2017. 
U.S Department of Justice: https://www.justice.gov 
Deferred Prosecution Agreements: Law and practice negotiate corporate criminal penalties, Sweet & Maxwell. 

 

Un grand merci à mon professeur Court Golumbic.