« La Fed augmente ses taux directeurs : les politiques monétaires menées par les banques centrales européennes et américaines aujourd’hui »

          En décembre 2015, la Réserve Fédérale des États-Unis et la BCE ont annoncé leur nouvelle politique monétaire. Les deux institutions et leur moyen d’actions se ressemblent beaucoup, mais accusent également quelques différences significatives. Ce qui a marqué le monde économique au cours de ce mois tient à l'opposition des politiques monétaires conduites par ces deux institutions. Cette opposition s’explique par des situations économiques nationales ou régionales déphasées.         

           Le 16 décembre 2015, la Réserve Fédérale des États-Unis tenait une conférence de presse au cours de laquelle Janet Yellen, Présidente du Conseil des Gouverneurs de la Fed, annonçait que son taux directeur principal serait revu à la hausse et passerait ainsi de 0.25% à 0.50%. Une telle hausse n’avait pas eu lieu depuis le 29 juin 2006. À l’époque, le taux avait été fixé à 5.25% avant de suivre une baisse constante et de tomber le 16 décembre 2008 à 0.25%. Cette décision intervenait juste après celle de la Banque Centrale Européenne annoncée par son président Mario Draghi le 5 décembre 2015 et consistant à laisser inchangé son taux. Ce taux, lui aussi extrêmement bas, était fixé à 0.05% depuis le 10 octobre 2014, en constante baisse depuis le 09 juillet 2008. Quels sont les ressorts de ces deux politiques et comment s’explique un tel décalage à la sortie de la crise de 2008 ?

                   L’importance des politiques monétaires, qui passent par l’évolution des taux directeurs, et leur impact sur la globalité de l’économie nationale ou régionale en font un thème particulièrement intéressant, mais ce qui est davantage captivant est cette variation entre les tendances des banques centrales de deux des plus grandes puissances mondiales qui, pourtant, interagissent étroitement.

                   L’essentiel de la comparaison entre la France, ou plutôt l’Union Européenne, et les États-Unis gravite autour d’un système quasi-identique, même s’il est marqué de certaines fortes particularités, de prise de décision et de mise en oeuvre de ces politiques (I) mais aussi de l’évident écart entre chacune selon les situations et les besoins économiques de chaque pays et ce que cela implique (II).

 

I – Des politiques monétaires aux grandes lignes identiques nettement identifiées et aux différences peu perceptibles

 

                   La comparaison entre les systèmes européen et américain permet d’établir que les institutions et le modus operandi qui caractérisent leur régulation bancaire et monétaire sont très semblables. Cependant, si l’on s’intéresse au système français en particulier, le niveau de hiérarchie du pouvoir national n’est alors plus le même.

 

A – Le taux d’intérêts, outil analogue au service de banques centrales puissantes

                   Au premier abord, la comparaison semble simple. Ces deux systèmes bancaires sont gérées par des institutions nationales, ou régionales pour ce qui est de l’UE. Respectivement, la Réserve Fédérale Américaine, aussi appelée Fed, et la Banque Centrale Européenne (BCE). Ces banques centrales ont pour fonction principale d’appliquer des politiques monétaires en augmentant ou en réduisant la masse monétaire, ce qui passe essentiellement par les taux d’intérêts.

Dans la première, un organe spécialisé est dédié à la détermination du sens des politiques monétaires, il s’agit du Comité Fédéral d’Open Market ou « Federal Open Market Committee » (FOMC). Au sein de l’UE c’est le Conseil des Gouverneurs qui prend directement cette décision. Le fonctionnement et le résultat semblent ne pas différer en ce que les Présidents de ces deux institutions sont présents, et participent, à la prise de décision.

                   Par ailleurs, afin d’atteindre leur objectif de politique monétaire, ces deux institutions ont le même instrument instigateur, celui qui fait l’objet de notre discussion : le taux directeur principal, nommé « federal funds rate » en anglais.

Dans l’UE comme aux États-Unis, il s’agit du taux de refinancement bancaire. Cette notion bénéficie de la même définition dans les deux systèmes, taux auquel les banques centrales accordent aux banques commerciales majeures des prêts à court terme, au cours d’une nuit par exemple. Ce taux est alors une base et détermine ceux qui seront utilisés dans les transactions subséquentes au sein de l’économie américaine ou de la zone euro. Si ce taux est plutôt bas, les agents économiques auront tendance à emprunter, et dépenser, cette hausse de demande entraine alors une hausse des prix. Logiquement, l’effet est inverse si le taux directeur monte.

                   Aux États-Unis, on note une légère flexibilité concernant la détermination des taux puisque la Présidente de la Fed fait état d’une ‘fourchette de fluctuation’ ou « target range » situé entre 0.25 et 0.50% tandis qu’en Europe le taux est ferme. Cette particularité dans la politique américaine est récente, jusqu’à la décision de 2008 les taux étaient fixes.

 

B – Une plus grande complexité du système en France, soumis aux exigences de la BCE dans le cadre de la zone euro

                   La première grande différence entre le système américain et le système français de banque centrale tient au fait que la Banque de France est elle-même soumise à une organisation interétatique dont elle est le relais, la Banque Centrale Européenne. La Réserve Fédérale, quant à elle, n’est sous l’égide d’aucune institution supérieure.

En effet, l’Eurosystème se compose de la BCE mais aussi des banques centrales nationales (BCN) des membres de la zone euro. Celles-ci doivent donc agir conformément aux orientations et instructions de la BCE en exécutant les opérations de politique monétaire que cette dernière a établies. Au sein même du système européen, il y a une hiérarchie complexe. Le Conseil des Gouverneurs a le pouvoir notamment de prendre les décisions relatives aux taux directeurs de la BCE et ainsi d’en définir la politique monétaire. L’Eurosystème, lui, a pour mission de mettre en œuvre ces politiques.

Il y a donc un écart majeur en termes d’indépendance entre la Banque de France et la Réserve Fédérale, ce qui explique que cet exercice de comparaison des politiques monétaires soit axé sur la BCE et non la Banque de France. Malgré l’existence aux États-Unis de 12 banques régionales composant le « Federal Reserve System » avec le FOMC, qui atteste d'une convergence avec la hiérarchie existante au sein de la zone euro, il est notoire que le pouvoir monétaire de la Banque de France est aujourd'hui fort réduit, l'essentiel de ce pouvoir étant désormais dévolu à la BCE.

                   L’autre distinction majeure tient aux taux d’intérêts utilisés dans le cadre des politiques monétaires. Malgré l’utilisation du taux de refinancement comme taux directeur principal, en Europe d’autres y sont associés de façon quasi-égale.
Le taux de facilité du prêt marginal en France, ou « discount rate » aux États-Unis, est celui qui est appliqué à une banque commerciale pour les emprunts qu’elle effectue auprès de la Banque Centrale Européenne. Seule la BCE le considère comme faisant partie des taux directeurs orientant la politique monétaire. Ce taux fait l’objet d’une fluctuation plus fréquente, et est aujourd’hui de 0.30% à la BCE et de 1% à la Fed.

Le troisième taux utilisé par la BCE n’existe pas dans le système américain : le taux de facilité de dépôt aussi appelé taux de rémunération des dépôts. Il s’agit là du taux auquel sont rémunérés les liquidités déposées par les banques ou établissements financiers à la BCE. De tels dépôts ne sont pas rémunérés aux États-Unis. En réalité, ils ne le sont plus non plus en Europe puisque les dépôts subissent désormais un taux d’intérêt négatif, qui a encore été abaissé le 3 décembre par la BCE pour atteindre -0.30%.

 

                   Globalement, malgré un schéma initial simple et identique, on perçoit de nombreuses différences dans l’étude tant des institutions gérantes que des instruments utilisés dans le cadre de la mise en place des politiques monétaires.

                   Au delà de cette comparaison, une question fondamentale se pose : pourquoi ces deux économies pourtant si liées, empruntent des chemins divergents en matière de politique monétaire.

 

II – Deux économies aux tendances opposées

 

                   L’explication d’un tel déphasage est d’importance majeure. Il semblerait que les décisions prises par les organes de gestion suivent des nécessités économiques divergentes. D’un côté elles sont soumises à la santé des économies qu’elles régissent, d’un autre elles traduisent une volonté d'orientation du marché.

 

A – La signification de ces politiques monétaires et leur implication en termes d’économie régionale et mondiale

                   Les directives données par les banques centrales ont généralement pour objectif principal la stabilité des prix, c’est pourquoi elles s’adaptent au contexte économique du pays ou de la région afin d’être plus adaptées. Le fait que l’Europe et les États-Unis prennent des chemins opposés dans leur décision concernant les taux d’intérêts est nouveau et reflète un certain décalage entre leur situation économique. Cela s’explique probablement par la crise des subprimes, dont l’origine provenait des États-Unis et dont l’impact ne s’est fait ressentir en Europe qu’environ un an plus tard. Néanmoins, dans son communiqué, la Présidente de la Fed fait état d’un « progrès considérable en matière de création d’emplois, d’augmentation des revenus et d’allègement des difficultés économiques » justifiant une hausse modeste du taux directeur. Au sein de la zone euro, la récupération économique est plus lente, justifiant une stagnation du taux directeur principal et une aggravation du taux de la rémunération des dépôts. L’Europe peut se réjouir d’une hausse de 0.3% en trimestriel du PIB, qui n’est néanmoins pas comparable aux 2.25% relevés aux États-Unis.

Les taux d’intérêts sont donc fonction des économies mais aussi indispensables à elle, ils vont permettre de conforter une reprise économique. Dans l’UE, les taux d’intérêts demeurent très bas afin de permettre aux banques de se financer, mais le taux de facilité de dépôt est négatif, pénalisant les banques qui laisseraient dormir leurs liquidités et les poussant à prêter ou investir afin de maximiser la relance et assurer un retour à un niveau d’inflation d’environ 2%. À l’inverse, aux États-Unis, ces taux sont revus à la hausse. En effet, vu l’élan positif de l’économie, des taux plus élevés permettront de réduire les liquidités et maintenir l’inflation à cet objectif de 2% mais aussi de donner à la Fed une marge de manœuvre à l’avenir en cas de ralentissement économique. 

                   Par ailleurs, il est expliqué dans le rapport du Comité Fédéral d’Open Market que cette hausse du taux directeur intervient en amont dans la perspective d’effets sur l’économie qui n’interviendront que bien plus tard. Il s’agit donc d’une politique anticipatrice et de hausse graduelle, dont le but est d’éviter un changement radical trop abrupt qui aurait un effet dévastateur sur l’économie.

 

B – Un impact sur le cours de l’Euro vis-à-vis du dollar : autre fondement à la politique européenne ? 

                   En décembre 2015, l’euro a chuté particulièrement bas face au dollar, tombant quasiment à 1.06. Il n’est pas avantageux pour l’Union Européenne que l’euro soit trop fort face au dollar, mais il ne l’est pas non plus qu’il soit trop faible. Il en va de même pour les États-Unis, qui préfèrent garder un dollar fort mais de manière modérée afin de continuer à attirer les investisseurs et conserver un pouvoir d’achat raisonnable. Ainsi, il est probablement concevable que les politiques monétaires des différentes banques centrales aujourd’hui soient axées sur des objectifs eu égard la valeur de leur monnaie. Il s’agirait alors de « politiques de change ». Le dollar étant la monnaie de réserve et la plus utilisée dans le commerce international, il est alors très intéressant pour les Européens de disposer d’une monnaie plus forte.

                   Effectivement, lorsque l’euro a chuté en décembre 2015, un grand débat agitait la planète économique à savoir quelles actions allaient être prises par la BCE, et à savoir si la parité euro-dollar allait être atteinte.
L’importance du cours de l’euro vis-à-vis de l’économie globale et des investissements extérieurs est primordiale pour une relance de l’activité, c’est pourquoi les politiques monétaires doivent être très attentives aux impacts sur la force de l’euro.

                   Même si l’Union Européenne est aujourd’hui soumise au mécanisme de change européen et au Pacte de stabilité et de croissance, elle semble être plus sujette aux influences des diverses devises mondiales. Malgré le fait que certains changements de politiques monétaires aient été suivis très rapidement par une hausse de l’euro, tel qu’il a été le cas en 2008 lorsque l’écart entre les taux d’intérêts en Europe et aux États-Unis avait été agrandi, il semblerait qu’une réelle corrélation ne puisse être établie car les cours de changes sont trop volatiles et soumis à un certain aléa.

                   On peut supposer que ces politiques monétaires auront néanmoins un impact sur les cours de devises, même s'il ne s'agit pas de leur objectif principal. Il semblerait par ailleurs que cela ait fonctionné positivement pour l’Union Européenne, puisqu’en date du 11 avril 2016, 1€ représente désormais 1.14$ .

 

                   Le simple fait qu’à deux semaines d’écart, les deux plus importantes banques centrales mondiales aient pris des décisions radicalement opposées n’est pas commun. Cela révèle des situations économiques très différentes malgré des similarités flagrantes entre les systèmes de ces deux pays et une puissance inégalée. Par ailleurs, l’éventuelle explication de telles divergences par une volonté européenne de mettre en œuvre des « politiques de change » ne semble pas être avérée, d’autant plus que ce sont les États-Unis qui ont révélé leur politique monétaire en dernier. 

Bibliographie :

Ouvrages

Agnès Bénassy-Quéré, Laurence Boone, Virginie Coudert. Les taux d’intérêt. La Découverte, 2015.

Christian Bordes. La politique monétaire. La Découverte, 2008.

Edward Elgar Cheltenham. Banking, monetary policy and the political economy of financial regulation : essays in the tradition of Jane D’Arista. UK, 2014.

Martin Mayer. The Fed : the inside story of how the world’s most powerful financial institution drives the markets. NY : Free Press, 2001.

DeRosa & Stern. In the name of money. McGraw-Hill Inc. 1981.

Michel Didier, Agnès Bénassy-Quéré, Gilles Bransbourg et Alain Henriot. Politique de change de l’euro. La Documentation française. 2008.

 

Articles

Daniel L. Thornton. Open Market Operations and the Federal Funds Rate. Ann Arbor, MI : Inter-University Consortium for Political and Social Research, 2007

Current Federal Reserve policy under the lens of economic history : essays to commemorate the Federal Reserve System’s centennial. NY Cambridge University Press, 2015