A propos du financement participatif par souscription de titres financiers en droit français et en droit des États-Unis

Le 13 mars 2013, Rob Thomas lançait une campagne de financement participatif sur le site américain Kickstarter afin de donner une fin digne de ce nom à Veronica Mars, la série télévisée dont il était le créateur. En 11 heures seulement, les 2 millions de dollars nécessaires à la réalisation du film avaient été récoltés – un record – et un mois plus tard la barre des 5 millions avait été dépassée, avec l’aide de plus de 90 000 contributeurs.

Cet exemple frappant n’en est qu’un parmi d’autres. Tant dans l’industrie cinématographique que dans le cadre de la restauration de monuments historiques ou du développement d’entreprises innovantes, nombreux sont les exemples de recours fructueux au financement participatif afin de donner le jour à des projets à court d’investissement. Ce phénomène s’inscrit dans un essor global de l’économie collaborative observé au cours des dernières décennies avec, notamment, la création de nombreuses plate-formes telles que eBay ou Airbnb.

Suite à la crise bancaire et financière de 2008, les personnes en recherche d’investissement se sont confrontées à la réticence des établissements bancaires, soucieux de limiter leur prise de risque. Le financement participatif est venu remédier à cette situation et a pris une importance croissante en tant que mode alternatif de financement. Ce type de financement a pour particularité de permettre une mise en relation rapide, le plus souvent via Internet, d’investisseurs et de porteurs de projet, afin de récolter une multitude de petites sommes provenant d’un grand nombre d’investisseurs.

Le financement participatif se présente sous plusieurs formes, principalement sous forme de don, de prêt ou de souscription de titres financiers. Le principal avantage de ce mode de financement est qu’il permet un accès facilité à l’investissement pour les petits investisseurs, ainsi qu’une réduction des coûts associés aux intermédiaires financiers classiques. Toutefois, il existe des inconvénients et plusieurs problèmes se posent tels que la conciliation du financement participatif sous forme de prêt avec le principe du monopole bancaire ou encore celui de la protection des investisseurs.

Face à ces interrogations, le législateur n’a pas tardé à agir. Les États-Unis, précurseurs en la matière, ont légiféré en 2012 afin d’encadrer la pratique du financement participatif, avec le Jumpstart Our Business Startups Act (JOBS Act). Celui-ci a donné compétence à la Securities Exchange Commission (SEC), l’autorité américaine de contrôle des marchés financiers, pour édicter des règles précises en la matière. C’est dans ce cadre que s’inscrit l’article 227.100 de la réglementation sur le financement participatif (ou Regulation Crowdfunding), émise par cette autorité et entrée en vigueur en mai 2016.

La France n’a pas été en reste, puisque le 30 mai 2014 a été promulguée l’ordonnance n°2014-559 relative au financement participatif ; ordonnance, qui a depuis été complétée par d’autres textes législatifs visant à intégrer des problématiques actuelles à la réglementation, notamment en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

L’étude comparative des systèmes français et américain de réglementation du financement participatif, et plus particulièrement du financement participatif par souscription de titres financiers, semble s’imposer, car il semblerait que face à la nécessité d’une protection des investisseurs, ces deux systèmes aient mis en place des méthodes différentes, imposant des restrictions d’accès soit aux investisseurs, soit aux porteurs de projets.

Comme évoqué précédemment, un des défis posé par la réglementation du financement participatif consiste à concilier des objectifs divergents. La question se pose alors de savoir : en droit français et en droit américain, quels sont les moyens juridiques mis en œuvre afin de concilier la volonté de simplification de l’accès à l’investissement et celle de protection des investisseurs dans le cadre du financement participatif par souscription de titres ?

Il convient de répondre à cette question en abordant tout d’abord un des éléments majeurs de la réglementation, à savoir la simplification de l’accès à l’investissement (I), puis la question de la régulation des acteurs du financement participatif par souscription de titres financiers (II).

 

I. La simplification de l’accès à l’investissement dans le cadre du financement participatif par souscription de titres financiers

Un des avantages majeur du financement participatif par souscription de titres financiers est de permettre une simplification de l’accès à l’investissement pour les émetteurs de titres, en ce qu’ils se trouvent exemptés de l’obligation d’établir un prospectus (A) ; obligation qui d’ordinaire engendre des coûts considérables. Mais, en contrepartie de cette simplification, des restrictions ont été introduites portant sur la nature des titres financiers pouvant être proposés par le biais du financement participatif (B).

 

A. L’exemption de l’obligation d’établissement d’un prospectus

En France et aux États-Unis, l’établissement d’un prospectus est obligatoire en cas d’offre au public de titres financiers. Mais, dans le cas du financement participatif par souscription de titres financiers, les régimes français et américains ont exempté les émetteurs de titres de cette obligation.

En France, l’exemption de l’obligation d’établissement d’un prospectus se justifie par le fait que, selon l’article L411-2 I bis du code monétaire et financier, l’offre de titres financiers dans le cadre du financement participatif ne constitue pas une offre au public. L’absence de prospectus apparaît alors comme la conséquence logique de cette qualification et a été consacrée par l’ordonnance du 30 mai 2014 n°2014-559. Aux États-Unis, cependant, l’exemption de l’obligation d’établissement d’un prospectus est perçue comme une exception au régime classique d’offre au public de titres financiers. De fait, l’article 227.100 de la réglementation sur le financement participatif est identifié comme une exception à l’article 4(a)(6) du Securities Act de 1933 qui pose l’obligation d’établissement d’un prospectus en cas d’offre au public de titres financiers.

Néanmoins, afin de conserver un semblant de protection des investisseurs, les émetteurs de titres doivent fournir un certain nombre d’informations. En effet, aux États-Unis, l’article 227.100(a)(4) renvoie aux exigences posées par l’article 77d-1(b) du Securities Act de 1933. Celui-ci pose l’obligation pour les émetteurs de titres de fournir des informations diverses portant sur l’identité et l’activité de l’émetteur, le projet que l’émetteur se propose de mener, les titres financiers proposés, etc. De même, en France, l’article 217-1 du règlement général de l’Autorité des marchés financiers (AMF), impose à l’émetteur de fournir une description de son activité et de son projet, une information exhaustive sur les droits attachés aux titres, une description des risques spécifiques à l’activité et au projet de l’émetteur, etc.

Ainsi, l’objectif de simplification de l’accès à l’investissement pour les émetteurs de titres est satisfait par l’exemption de l’obligation d’établissement d’un prospectus, sans toutefois renoncer à la protection des investisseurs. Toujours dans cette perspective, cette simplification a aussi eu pour conséquence l’imposition de restrictions en matière de titres financiers pouvant être proposés dans le cadre du financement participatif.

 

B. Les restrictions portant sur les titres financiers

En France comme aux États-Unis, la réglementation sur le financement participatif par souscription de titres introduit des restrictions portant sur les titres financiers pouvant être proposés au public ; principalement des restrictions relatives au montant de l’offre.

Ainsi, aux États-Unis, le montant global des titres financiers proposés ne peut pas excéder 1,07 million de dollars par an. En France, la limite était auparavant de 1 million d’euros, mais le décret n°2016-1453 du 28 octobre 2016 relatif aux titres et aux prêts proposés dans le cadre du financement participatif a modifié ce plafond, le portant à 2,5 millions d’euros par an.

De même, ce décret a aussi modifié les exigences en termes de nature des titres financiers pouvant être proposés dans le cadre du financement participatif. Auparavant, ne pouvaient être proposées que des actions simples ou des obligations à taux fixe ; désormais, peuvent aussi être proposés des actions de préférence, des titres participatifs et des obligations convertibles. Cette restriction sur la nature des titres financiers ne semble toutefois pas exister en droit américain.

 

Ainsi, en France comme aux États-Unis, la réglementation en matière de financement participatif par souscription de titres financiers satisfait l’objectif de simplification de l’accès à l’investissement par l’exemption, pour les émetteurs de titres, de l’obligation d’établissement d’un prospectus. Néanmoins, la nécessité d’une protection des investisseurs a mené ces deux pays à imposer une obligation d’information aux émetteurs de titres, ainsi que des restrictions portant sur les titres financiers proposés. Toujours dans cette perspective, l’accès à ce type de financement a été restreint à un certain nombre d’acteurs, restrictions qui diffèrent de part et d’autre de l’Atlantique.

 

II. La protection effective des investisseurs par la régulation des acteurs du financement participatif par émission de titres financiers

En France comme aux États-Unis, la protection effective des investisseurs en matière de financement participatif par souscription de titres passe par une régulation des acteurs ayant accès à ce type de financement ; à savoir, les investisseurs et/ou les émetteurs de titres financiers (A), mais aussi les plate-formes de financement participatif (B).

 

A. Les investisseurs et les émetteurs de titres financiers

Une différence majeure entre le droit français et le droit américain, en matière de réglementation du financement participatif par souscription de titres financiers, consiste dans le fait que le droit américain a imposé des restrictions aux investisseurs, quand le droit français s’est plutôt focalisé sur les émetteurs de titres.

En effet, l’article 227.100(2)(i) et (ii) de la réglementation américaine sur le financement participatif impose que le montant des titres financiers proposés ne dépasse pas, pour un investisseur personne physique, 2200 dollars ou 5 % de ses revenus annuels ou de ses fonds propres, si la valeur de ses revenus annuels ou de ses fonds propres est inférieure à 107 000 dollars ou 10 % de ses revenus annuels ou de ses fonds propres, sans toutefois excéder un montant de 107 000 dollars, si la valeur de ses revenus annuels ou de ses fonds propres est égale ou supérieure à 107 000 dollars. Il paraît intéressant de noter qu’avant l’édiction de cette réglementation, les seules personnes autorisées à acquérir des titres financiers ne faisant pas l’objet d’un prospectus, étaient les investisseurs qualifiés, définis comme des personnes physiques possédant des fonds propres d’une valeur supérieure à 1 million de dollars. Cette réglementation était donc peu adaptée à la particularité du financement participatif, visant de manière générale les petits investisseurs.

En France, il n’existe pas de telles restrictions. Le seul élément pouvant s’en rapprocher repose dans l’obligation pour les plate-formes de financement participatif de vérifier le niveau de connaissance, d’expérience et les objectifs de financements des investisseurs. Toutefois, le droit français impose des restrictions quant aux destinataires du financement. En effet, l’ordonnance du 30 mai 2014 n°2014-559 a limité la possibilité de bénéficier d’un financement participatif par émission de titres financiers aux sociétés anonymes (SA) et aux sociétés par actions simplifiées (SAS). Aux États-Unis, la forme de la société semble importer peu. Les seules précisions en la matière sont la nécessité d’une immatriculation sur le territoire américain et que la société ne soit pas une entreprise d’investissement.

Le droit français et le droit américain divergent donc sur la question de la régulation des acteurs directs du financement participatif par souscription de titres ; toutefois ces deux droits convergent s’agissant de la question des plate-formes de financement participatif.

 

B. Les plate-formes de financement participatif

De part et d’autre de l’Atlantique, le lieu du financement participatif par souscription de titres est limité aux espaces offerts par les plate-formes de financement participatif.

En France, les plate-formes de financement participatif par souscription de titres financiers doivent être immatriculées auprès de l’Organisme pour le registre unique des intermédiaires en assurance, banque et finance (ORIAS), en tant que conseiller en financement participatif (CIP). Une autre option leur est offerte : ces plate-formes peuvent aussi opter pour le statut de prestataire de services d’investissement (PSI) fournissant le service de conseil en investissement ; auquel cas, un agrément de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) sera nécessaire. Ces plate-formes ont alors des obligations envers les potentiels investisseurs et doivent notamment leur fournir certaines informations, parmi lesquelles l’activité et le projet de l’émetteur ainsi que les risques associés, les derniers comptes de l’émetteur et des éléments prévisionnels, le détail des frais supportés par l’investisseur lors de la souscription et ultérieurement, etc.

Le droit de l’Union européenne n’est pas en reste en la matière. En effet en mars 2018, la Commission européenne a dévoilé une proposition de règlement visant à instaurer un label européen optionnel accessible aux plate-formes de financement participatif. Ce label faciliterait l’accès des plate-formes au marché intérieur européen en leur épargnant la tâche fastidieuse de se conformer à chaque cadre réglementaire national au sein de l’Union. Par ailleurs, les exigences d’information des investisseurs imposées aux plate-formes de financement participatif semblent faire écho à l’inquiétude manifestée par la Commission face aux risques posés par le financement participatif.

Aux États-Unis, l’article 227.100(a)(3) de la réglementation sur le financement participatif édictée par la SEC, prévoit également que le financement participatif par souscription de titres doit s’effectuer par le biais d’une plate-forme de financement participatif. L’intermédiaire en charge de la plate-forme doit être un courtier en valeurs mobilières ou un portail de financement immatriculé auprès de la SEC et de la Financial Industry Regulatory Autority (FINRA). Là encore, la plate-forme se voit obligée de transmettre un certain nombre d’informations aux potentiels investisseurs portant sur la future transaction.

 

Ainsi, la réglementation du financement participatif par souscription de titres, en France comme aux États-Unis, tend à simplifier l’accès à l’investissement tout en assurant une protection des investisseurs. Si les solutions trouvées par ces systèmes divergent, ils restent très similaires dans leur globalité.