Les sûretés associées aux contrats de financement des productions cinématographiques, par Agathe Boursier

« Le cinéma c’est une industrie, mais malheureusement, c’est aussi un art ». Ces mots de Jean Anouilh illustrent la dualité qui entoure le septième art : une rencontre entre création et réalité économique. En France comme en Allemagne, cette ambivalence se traduit dans les mécanismes de financement, dans lesquels le producteur occupe un rôle central. Il est ainsi chargé du montage financier du film, à commencer par son apport personnel. Point de départ du financement, cet apport assied l’implication du producteur et permet de lever des financements externes auprès d’acteurs publics ou privés.

S’agissant des financements publics, en France comme en Allemagne, les institutions jouent un rôle majeur dans le soutien financier du cinéma national. En France, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) en tant qu’organisme sous tutelle du ministère de la culture, permet un financement par le biais de taxes, notamment celles prélevées sur les places de cinéma, qui sont par la suite distribuées aux producteurs de films français[1]. Cela finance de manière automatique la création de nouvelles œuvres cinématographiques françaises.[2] Il s’agit ainsi des aides automatiques, par oppositions aux aides sélectives accordées sous certaines conditions aux films étrangers par le CNC. En Allemagne, la Filmsförderungsanstalt (FFA) s’apparente au CNC par son rôle de soutien à la création mais également par son mode de financement par la taxation des places de cinéma. En revanche, l’Allemagne étant un Etat fédéral, l’implication de la FFA est moindre car le système connait une plus grande décentralisation qu’en France. Les Länder prennent part aux financements de films, comme le feraient les régions françaises dans une moindre mesure. S’agissant des chaines de télévisions françaises, elles sont légalement tenues d’investir dans la production cinématographique au nom de l’exception culturelle française. En Allemagne, l’implication financière des chaines relève plus de la participation volontaire que d’une réelle obligation.

Concernant les financements privés, ils peuvent provenir des distributeurs, de fonds d’investissements privés ou de partenaires bancaires. À la différence des financements publics, qui prennent la forme d’une aide unilatérale, les financements privés font l’objet d’un remboursement. Comme tout prêt bancaire, la mise en place de sûretés est nécessaire aux contrats de financements de productions cinématographiques afin d’assurer le remboursement du créancier. Néanmoins, des difficultés apparaissent en raison de la complexité du marché cinématographique et de l’unicité de son modèle économique incertain marqué par des flux financiers non linéaires.

Il conviendra de déterminer dans quelles mesures les mécanismes de sûretés accordés aux financements des productions en France et en Allemagne sont adaptés à l’instabilité inhérente marché cinématographique.

Pour cela, il s’agira d’étudier, dans un premier temps, la réponse partielle apportée par les sûretés fondées sur les flux futurs, avant d’analyser, dans un second temps, les garanties portant sur les actifs existants, qui tendent à offrir une sécurité renforcée aux créanciers.

 

Les mécanismes de sûretés : une réponse partielle aux spécificités économiques et juridiques des productions cinématographiques

 

Il s’agira ici de s’intéresser aux différentes sûretés axées sur les flux futurs, d’une part, et d’autre part de constater les limites dont elles font l’objet.

 

Les garanties portant sur les flux futurs : une protection conditionnelle pour les créanciers

Dans l’optique de rassurer les créanciers, certaines sûretés trouveront un fondement sur les flux financiers futurs, en France comme en Allemagne. En effet, là où les financeurs privés allemands opteront pour la souscription à un completion bond, la délégation de recettes sera utilisée par les investisseurs français. Ces deux modes de sûretés ont en commun qu’elles misent sur un remboursement qui se fera par l’achèvement du film, et donc sur les recettes que ce dernier génèrera.

Le completion bond ne trouve pas de définition légale explicite, mais pourrait s’appuyer sur le fondement de l’article 1 de la Versicherungsvertragsgesetz (Loi relative aux contrats d’assurance). En effet, ce mode de sûreté consiste en la souscription à une garantie couvrant les risques de non achèvement du film, et ceci avant même de contracter un accord de financement[3]. Cette assurance se porte ainsi garante de la livraison finale du film. Concrètement, si les fonds avancés par l’investisseur privé se révèlent insuffisants, en raison par exemple d’un accident sur le tournage impliquant un retard et donc un complément financier, alors le completion bond assure de compléter le budget nécessaire à l’achèvement du film. Cela permet donc d’assurer la production du film, satisfaisant les intérêts de toutes les parties, dans la mesure où un film inachevé représente un coût de production élevé et ne fournit aucun revenu. Le créancier est alors assuré de la livraison du film, et entrevoit une plus grande chance de voir sa créance remboursée.

Dans cette même optique de création de revenus par l’achèvement du film, le système français privilégiera une sûreté par délégation de recette[4]. Cela consiste en un contrat de délégation au sens du régime général de l’obligation et ainsi de l’article 1336 du Code Civil. Le créancier devient alors le nouveau bénéficiaire des recettes générées par le film, en remboursement de l’avance qu’il avait consentie. Cela permet au producteur, en tant que débiteur, un investissement moindre, laissant une opportunité aux productions à plus petit budget de pouvoir produire un film.

Le completion bond allemand repose donc sur une assurance garantissant l'achèvement du film. Ce mécanisme vise à rassurer les créanciers en leur offrant une garantie sur les flux futurs du film, en cas de surcoût ou de retard dans la production. De la même manière, en France, le système de délégation de recettes fonctionne sur un principe comparable : le créancier devient bénéficiaire des recettes générées par le film une fois celui-ci achevé.

Ainsi, là où le completion bond repose sur un contrat d’assurance contractualisant une garantie d’achèvement, la délégation de recettes s’analyse comme une cession contractuelle de créance, transférant au créancier un droit réel sur les flux financiers futurs générés par l’exploitation du film.

Ces deux modes de sûretés sont ainsi basés sur un modèle de revenus futurs, en ce que le film une fois achevé génèrera des recettes qui assureront un remboursement du créancier. Cela constitue une sécurité pour les investisseurs, qui pourraient s’avérer réticents à l’idée de financer un film.

 

Une réponse imparfaite aux spécificités du marché cinématographique

De manière générale, les financements privés faisant l’objet de remboursements sont associés à des sûretés garantissant au créancier la possibilité de recevoir une compensation à hauteur des fonds engagés. Cependant, dans le contexte du marché cinématographique, la difficulté réside dans la recherche de sûretés juridiquement solides, permettant de rassurer les créanciers quant à la viabilité de leur investissement. En effet, une sûreté efficace offre au créancier une garantie d’être prioritairement remboursé en cas de défaillance du débiteur. Cette sécurité juridique réduit l’aléa économique de l’opération, et constitue ainsi un levier essentiel pour convaincre les financeurs privés d’accompagner les projets les plus risqués. Cela s’articule difficilement compte tenu du risque inhérent au marché cinématographique. Associer des garanties à un marché instable et incertain semble constituer un paradoxe réticent pour les créanciers : l’imprévisibilité s’oppose à la garantie. L’objet même du financement constitue un montant clair, faisant partie d’un budget lié à la production et à la promotion du film. En revanche, son rendement est extrêmement incertain et volatile.

En France comme en Allemagne, les créanciers dépendent du succès du film. Toutefois, par la nature du marché cinématographique, le succès dépend lui-même de facteurs exogènes et difficilement prévisibles : qu’il s’agisse des tendances du marché, du comportement des spectateurs et leurs appétences du moment, l’efficacité de la distribution ou encore la date de sortie du film. A cela s’ajoute la promotion du film, qui constitue une part importante du budget. Cet investissement complémentaire accroit le risque pour le créancier.

En outre, dans les deux systèmes, les financements font appel à de nombreux acteurs, chacun exigeant ses propres sûretés, les productions à gros budget ajoutant donc à la complexité du montage. Il est alors nécessaire d’assurer une sécurité contractuelle pour que chacun des intervenants puisse voir ses intérêts garantis et de définir quel droit est engagé en tant que sûreté. Par exemple, dans le cas de la délégation de recettes, il est indispensable de définir le cadre de ces dernières. S’agissant des recettes provenant des droits de distribution, il faut préciser si cela concerne la distribution dans les salles nationales ou étrangères, voire exclusivement sur les plateformes de streaming.

Ce sont donc des problématiques inhérentes au marché du cinéma qui se doivent d’être traitées par le système de sûretés. Ces sûretés permettant actuellement de rassurer les créanciers dans une mesure encore trop insuffisante, il est indispensable de maintenir un équilibre entre sécurité financière du créancier et survie de la créativité artistique.

 

Un équilibre fragile entre sécurité financière et créativité artistique

 

Il conviendra ici de s’intéresser, dans un premier temps, aux sûretés portant sur des actifs réels, puis dans un second temps aux conséquences relatives à la créativité artistique.

 

Des sûretés tendant vers une efficacité optimisée

Afin de pallier les incertitudes liées aux spécificités du marché cinématographique, deux sûretés fondées sur des actifs plus stables ont vu le jour. En effet, en France, le mécanisme de nantissement du droit d’auteur est appliqué, tandis qu’en Allemagne il est possible d’y retrouver le système de Sicherungsübereignung. Ces deux systèmes de sûretés opèrent selon un mode d’application similaire, en ce qu’ils se fondent sur une mise en garantie de droits ou d’actifs relatifs à l’œuvre.

La Sicherungsübereignung consiste en un transfert d’un droit ou d‘un bien en échange d’un financement. Cela fonctionne comme une forme de gage au sens de l’article 1204 du Bürgerliches Gesetzbuch (Code civil allemand), à la différence que la propriété est transférée, tandis que l’usage peut demeurer au débiteur.[5] Ce mécanisme se distingue du nantissement de droit d’auteur français, qui, conformément à l’article 2355 du Code civil, consiste en une sûreté réelle portant sur un bien incorporel, en l’occurrence les droits patrimoniaux d’une œuvre, sans transfert de propriété au créancier. Le débiteur conserve donc la titularité du droit, mais concède au créancier une garantie en cas de défaillance. À l’inverse, la Sicherungsübereignung allemande opère un transfert fiduciaire de propriété, par lequel le créancier devient temporairement titulaire du bien ou du droit concerné, tout en laissant la jouissance au débiteur, ce qui renforce considérablement la position du créancier en cas de non-remboursement.

En effet, ce mode de sûreté offre au créancier un droit direct sur les recettes futures générées par l’exploitation de l’œuvre. Il est possible de constater des similarités entre les deux systèmes, dans la mesure où chacune de ces deux sûretés se fonde sur la mise en garantie des droits patrimoniaux de la production cinématographique.

Néanmoins, une différence majeure reflète les différences culturelles nationales. En effet, la Sicherungsübereignung ne porte pas uniquement sur des droits patrimoniaux, comme le nantissement de droit d’auteur, mais peut également concerner le matériel et les équipements de production par exemple. Cela constitue donc une plus grande sécurité pour le créancier, puisqu’il se trouve propriétaire de ces biens et le transfert de propriété ne s’inverse qu’en cas de remboursement intégral des fonds avancés. Cette sûreté reflète une approche plus protectrice du créancier allemand, en ce qu’elle se base sur des équipements actuels et que la sûreté se trouve entre les mains du créancier avant même le début du film. Au contraire en France, seuls les droits patrimoniaux sont concernés par le nantissement - les droits moraux n’étant pas cessibles - le créancier bénéficie ainsi d’un droit sur les recettes futures. De cette manière, le transfert de propriété ne se fait que si la sûreté est activée, donc si le débiteur manque à son obligation de remboursement. Ce mécanisme ne s’applique pas en Allemagne car le transfert de propriété s’y fait de manière automatique dès qu'un accord est conclu entre les parties. En effet, le droit allemand des contrats en son article 929 du BGB (Code Civil allemand) est tel que si les conditions d’un contrat sont remplies, la propriété est immédiatement transférée à la partie bénéficiaire, et ce sans besoin d’un événement déclencheur comme le défaut de paiement du débiteur dans le cas d’espèce. Cela signifie que, dans les contrats allemands, il n’est pas nécessaire d’attendre qu’une sûreté soit activée (par exemple, en cas de non-remboursement) pour que la propriété soit transférée, contrairement à d’autres systèmes où ce transfert est conditionné par le manquement du débiteur à ses obligations.

Ces deux modes de sûretés se fondent donc sur un même mécanisme de mise en garantie des droits patrimoniaux, permettant une certaine efficacité dans la prise en compte des risques inhérents au marché cinématographique tout en assurant un financement nécessaire au débiteur.

L’impact sur la créativité et l’innovation

Une des problématiques relatives à la mise en place de sûretés dans le cadre des productions cinématographiques concerne la recherche d’un équilibre entre sécurité financière pour le créancier et le maintien de la liberté de création artistique. En effet, l’aspect concret et pragmatique du financement par les créanciers se heurte parfois à l’imagination des producteurs face aux besoins et souhaits du réalisateur.

En ce sens des différences émergent entre la France et l’Allemagne dans le mode de réflexion s’agissant de ces questions. En effet, l’Allemagne aborde une approche plus pragmatique en privilégiant des sûretés portant sur des actifs tangibles ou un transfert de propriété des droits patrimoniaux se faisant de manière immédiate. A l’inverse, les sûretés françaises n’offrent pas toujours une sécurité aussi grande au créancier, puisque la créativité est parfois privilégiée au rendement. Cela s’explique par le principe de l’exception culturelle française : un ensemble de mesures visant à soutenir et protéger la production cinématographique française, en considérant le cinéma comme un bien culturel distinct des autres industries commerciales, ce qui permet de promouvoir la diversité des œuvres, d’assurer un financement public. Cela s’illustre également par la classification du CNC de certains films comme étant destinés à avoir un rendement faible et une rentabilité moindre, l’exception culturelle française s’intégrant également dans le mode de sûreté associée au financement.

En Allemagne, le pragmatisme influe donc sur la créativité puisque les producteurs sont parfois contraints de se plier à des exigences externes de la part des financeurs privés afin de garantir un succès en restant dans les sentiers battus. Cela transparait dans les modes de sûretés utilisés, privilégiant celles basées sur des actifs réels ou futurs, et la priorité sera donnée aux projets semblant financièrement sûrs selon les codes du moment. Seront ainsi privilégiées des productions prévoyant des acteurs populaires, un genre de film plutôt en vogue ou un réalisateur à la mode. De cette manière, cela constitue un frein à l’innovation et à la liberté créative des producteurs de film et donc des réalisateurs.  En France, une liberté artistique est permise dans une plus grande mesure, en ce que la majorité des projets ont des chances de voir le jour du fait de l’exception culturelle française. Toutefois, l’Allemagne accorde également une part de souplesse dans ses modes de sûreté notamment par la Sicherungsübereignung dans la mesure où le gage ne se fait pas forcément en suppression de l’usage des biens ou des droits. Par exemple, une caméra d’une grande valeur étant mise en garantie au titre de la Sicherungsübereignung peut rester entre les mains du réalisateur, lui permettant ainsi une meilleure qualité de réalisation et donc une créativité accrue.

En définitive, les différentes sûretés en France et en Allemagne apportent une réponse partielle aux spécificités du marché cinématographique, en offrant une sécurité aux créanciers tout en assurant la viabilité des projets. Ces mécanismes se heurtent à l’instabilité inhérente au secteur, soulignant la nécessité d’un équilibre entre sécurité financière et adaptation aux risques.

 

 

Bibliographie

Ouvrages généraux :

Von Reden - Lütcken, K., & Thomale, P.-C. (2003). Der Completion Bond.

 

Legeais, D. (2024). Droit des sûretés et garanties du crédit (16e éd.). LGDJ.

 

Beucher, K., & Freiherr Raitz Von Frentz, W. (2001). Kreditsicherung bei Filmproduktionen (LSK). CH Beck.

 

André, E. (2020). Les actifs incorporels de l’entreprise en difficulté (n°1, Vol. 191). Dalloz.

 

Articles de doctrine :

Les aides publiques au cinéma en France - Sénat. (s. d.). Sénat. https://www.senat.fr/rap/r02-276/r02-27617.html

 

Les sûretés cinématographiques, un mécanisme inoxydable | La base Lextenso. (n.d.). https://www-labase-lextenso-fr.faraway.parisnanterre.fr/gazette-du-palais/GP20050510003

 

Textes officiels :

Titre I : OBJET ET CHAMP D’APPLICATION (Articles 110-1 à 110-5) Annexe du Règlement général des aides financières du CNC, Code du cinéma et de l’image animée - Légifrance. (s. d.).

 

§ 1 VVG - Einzelnorm. (s. d.). https://www.gesetze-im-internet.de/vvg_2008/__1.html

 

Article 1336 - Code civil - Légifrance. (s. d.). https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000032042070

 

§ 1204 BGB - Einzelnorm. (n.d.). https://www.gesetze-im-internet.de/bgb/__1204.html

 

Article 2355 - Code civil - Légifrance. (s. d.). https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000044071500

 

Pages internet officielles :

Missions. (s. d.). CNC. https://www.cnc.fr/a-propos-du-cnc/missions - consultée le 20/11/2024

 

FFA Filmförderungsanstalt - German Federal Film Board. (s. d.). https://www.ffa.de/filmfoerderungsgesetz.html - consultée le  20/11/2024

 


[1] Les aides publiques au cinéma en France - Sénat. (s. d.). Sénat. https://www.senat.fr/rap/r02-276/r02-27617.html

[2] Titre I : OBJET ET CHAMP D’APPLICATION (Articles 110-1 à 110-5) Annexe du règlement général des aides financières du CNC, Code du cinéma et de l’image animée - Légifrance. (s. d.).  

[3] Von Reden - Lütcken, K., & Thomale, P.-C. (2003). Der Completion Bond.

[4] Legeais, D., Droit des sûretés et garanties du crédit, 16e éd., LGDJ, 2024

[5] Beucher, K., & Freiherr Raitz Von Frentz, W. (2001). Kreditsicherung bei Filmproduktionen (LSK). CH Beck