L'union entre personnes de même sexe en Italie : législation et jurisprudence
Le droit au mariage en Italie.
Avant toute chose, il convient de préciser qu’en Italie, il existe deux types de mariage, le mariage « concordataire », et le mariage civil. Une brève présentation du mariage concordataire sera effectuée, mais, par la suite, on entendra par le terme « mariage » uniquement le mariage civil, étant donné que nous nous interrogerons sur les unions homosexuelles, et que le mariage concordataire est un mariage religieux, catholique qui plus est.
Le mariage concordataire est ainsi entré en vigueur avec le Concordat de 1929, modifié par la loi n 898 du 1er décembre 1970, puis successivement par l’accord du 18 février 1984 conclu entre le Saint-Siège et le Gouvernement Italien. Il permet de doter d’effets civils, juridiques, un mariage célébré par un ministre de culte catholique, par le biais d’une simple transcription de ce dernier dans les registres d’état civil. Cette possibilité a par la suite était étendue à d’autres religions.
Le mariage est un droit garanti par la Constitution italienne aux articles 29 et 30 et le mariage civil (mais aussi celui religieux) est encadré par le code civil italien par les articles 79 à 230 (Livre 1- Titre 6). Aucune définition précise du mariage n’est donnée par le Code civil Italien, omission que certains considèrent volontaire (G. Autorino, Diritto di famiglia, 2eme édition, p 158). C’est la doctrine qui est venue apporter cette dernière. Elle s’accorde pour dire que la notion de mariage est caractérisée par sa double signification, premièrement en tant qu’acte juridique stricto sensu, et deuxièmement en tant que rapport entre deux personnes.Elle définit l’acte de mariage comme étant « un acte juridique solennel, bilatéral, de nature familiale, par le biais duquel un homme et une femme s’engagent à vivre ensemble de manière stable et à se soutenir mutuellement » (G Autorino Stanzione, diritto di famiglia, 2eme édition, Torino 2003). Le mariage en tant qu’acte est aussi appelé « matrimonium in fieri ».
Le mariage en tant que rapport découlant de cet acte est appelé « matrimonium in facto » et survient dès lors que le consentement mutuel des parties est donné.
On vient de voir que le code civil italien (il en va de même pour la Constitution) ne donne pas de définition précise du mariage, mais qu’en revanche, la doctrine, dans sa définition, précise qu’il ne peut être contracté que par deux personnes de sexe opposé. Cette précision est justifiée par le fait que le code civil fait explicitement référence « au mari » et à « la femme », par exemple à l’article 143 : «avec le mariage, mari et femme acquièrent les mêmes droits et devoirs ».
De plus dans le l’ordre juridique italien, la notion de mariage est étroitement liée à la notion de famille (art 29 de la constitution). La doctrine s’accorde pour dire que ce lien étroit implique nécessairement que le mariage soit le fait d’un homme et d’une femme (nous verrons ci-après que cette position est partagée par la Cour Constitutionnelle)
De nombreuses décisions juridictionnelles (de première et deuxième instance, mais aussi des décisions de la Cour de Cassation) viennent confirmer que le mariage doit être entendu comme le fait d’un homme et d’une femme.
Dans sa décision du 24 février 2009, le Tribunal de Trento a confirmé que, bien que la Constitution ne fasse pas expressément référence à l’opposition des sexes de deux personnes souhaitant se marier, il n’en était pas de même pour le code civil, qui lui prévoyait expressément que les époux soient de sexe opposé. Cette décision a été confirmée par la Cour d’appel de Trento.
Le Tribunal de Milan a lui aussi émi une décision confirmant l’impérativité du critère du sexe opposé parmi les conditions nécessaires pour se marier.
La Cour de Cassation, dans son arrêt n° 4184 du 15 mars 2012, a confirmé que le mariage ne pouvait être contracté que par deux personnes de sexe opposé. Dans cette affaire, la Cour a considéré que deux personnes de même sexe s’étant mariées à l’étranger ne pouvaient obtenir une transcription de l’acte dans les registres de l’Etat Civil italien, non pas pour cause de nullité ou d’invalidité, mais parce que ce dernier ne pouvait produire aucun effet juridique dans l’ordre juridique italien, le mariage entre personnes du même sexe n’étant pas reconnu.
2. La position de la Cour constitutionnelle sur les questions relatives à l'homosexualité
Dans son Arrêt n°138 du 15 Avril 2010, la Cour constitutionnelle a confirmé que le mariage doit être entendu comme étant le fait d’un homme et d’une femme. Tout d’abord, parce que le code civil le dispose expressément. Mais aussi, et surtout, parce que la Cour considère que l’examen des travaux préparatoires de la Constitution révèle que le thème des unions homosexuelles n’a pas été traité. Cela est dû non pas au fait que l’on ignorait ces situations de fait à l’époque, mais parce que lors de la rédaction de l’article 29, la commission a volontairement choisi de s’appuyer sur la notion de mariage « définie » par le code civil de 1942, et a donc délibérément choisi de le considérer comme le fait d’un homme et d’une femme.
Un autre arrêt de la Cour Constitutionnelle, le n°170 de 2014, vient confirmer une nouvelle fois l’impossibilité d’un mariage homosexuel en Italie. Il s’agit d’ici du cas où l’un des conjoints d’un couple marié décide de changer de sexe. Dans cette situation, le système italien prévoit un « divorce forcé », étant donné qu’il ne peut reconnaître le mariage entre deux personnes du même sexe.
Mais le travail de la Cour Constitutionnelle ne se limite pas à confirmer l’impossibilité, pour deux personnes du même sexe, de se marier en Italie.
En effet, dans son arrêt n°138/2010, la Cour met en évidence les lacunes de la législation italienne sur la question des unions homosexuelles. L’article 2 de la Constitution prévoit que l’Etat doit reconnaître et garantir les droits fondamentaux de chaque personne, parmi lesquels le droit à vivre en société de manière adéquate à favoriser l’épanouissement de chacun. La Cour considère que l’union homosexuelle, définie comme étant une situation où deux personnes du même sexe vivent ensemble et ont une relation stable, doit pouvoir jouir de ces mêmes garanties. Elle reconnaît donc à ces deux personnes le droit fondamental de vivre ensemble librement, et la possibilité d'obtenir la reconnaissance juridique de cette situation, et ainsi tous les droits et devoirs qui s’en suivent. Toutefois la Cour précise que cette reconnaissance ne doit pas forcément passer par le mariage et qu’au regard d’autres systèmes juridiques de pays européens il existe aussi d’autres solutions. Elle ajoute par ailleurs que cette initiative ne peut être prise que par le Parlement, qui seul peut discipliner, en toute discrétionalité, le cadre juridique de cette situation.
Dans son arrêt n°170/2014, La Cour demande expressément au législateur de remédier, au plus vite, aux lacunes caractérisées par l’absence de cadre juridique des couples homosexuels.
3. Les projets de lois ouvrant la possibilité d'une Union civile ou du mariage entre personne du même sexe
L’un des premiers instruments que l’Italie à utiliser pour tenter de remédier à son absence totale de législation en la matière fut le « contrat de connivence » (connivence entendue comme étant le fait de vivre ensemble). Depuis le 2 décembre 2013, la possibilité a été donnée aux couples homosexuels de signer un acte sous seing privé par le biais duquel ils établissaient qu’ils vivaient ensemble, sous le même toit. L’utilité d’un tel instrument est toutefois très relative, iI est en effet limité aux couples vivant ensemble - Or il a été démontré, pour ce qui est des couples hétérosexuels, que le fait de vivre sous le même toit n’était pas une condition sine qua non de l’exercice de droits et devoirs découlant de leur union - Par ailleurs, il ne confère absolument pas aux couples l’utilisant des droits et devoirs semblables à ceux octroyés par une union entre deux personnes de sexe opposé, pour la simple et bonne raison que le système juridique italien ne prévoit aucune alternative au mariage, que ce soit pour les couples homosexuels comme hétérosexuels.
L’évolution de la législation italienne en la matière vient à peine d’être entamée, et elle est loin d’être finie. Les instigateurs de ce processus furent les juges, et principalement la Cour Constitutionnelle, qui plusieurs fois demanda au législateur de remédier à cette situation. Le Juge F.Gallo, président de la Cour à l’époque, appelait en 2013 le Parlement à se pencher sur le sujet, étant donnée l’impuissance sa propre Cour en raison de la compétence exclusive de ce dernier sur la question.
Par ailleurs, quelques villes d’Italie, parmi lesquelles Milan, Florence, Naples, Pise, commencèrent à enregistrer des unions civiles homosexuelles dans leurs registres, mais cet acte n’avait qu’une portée symbolique.
Au cours de cette dernière année, aussi bien le Sénat que l’Assemblée ont examiné plusieurs propositions de loi (n°197,239 et 242 de 2014, et n°14 et 15 de 2015) ayant à d’objet la modification du code civil sur la question des unions civiles homosexuelles. Un projet de loi reprenant toutes les idées pertinentes contenues dans les diverses propositions de loi a été adopté par le Senat le 26 mars 2015. Les amendements ont été présentés à l’Assemblée, qui s’est prononcé le 10 juin 2015 en faveur de l’adoption d’une loi sur les unions civiles, se concentrant particulièrement sur les unions homosexuelles.
Le projet de loi s’articule en 2 parties. La première porte exclusivement sur les unions entre personnes du même sexe, et la deuxième, dédiée aux situations de concubinage, s’adresse aussi bien aux couples homosexuels qu’hétérosexuels.
La première partie du projet Cirinnà bis (projet initial plus modifications) donnerait naissance à un nouvel institut de droit public, « l’union civile », destiné exclusivement aux « formations sociales spécifiques » (traduction officielle du site du Quirinale pour l’expression « formazione sociale » de l’article 2 de la Constitution), c’est-à-dire aux couples homosexuels. Cet institut a pour but d’octroyer à ces derniers certains des droits qui étaient jusqu’à présent réservés aux couples mariés (et donc hétérosexuels).
Les articles 3 et 4 du projet de loi attribuent aux couples homosexuels des droits et devoirs faisant référence à la vie familiale, aux obligations d’assistance mutuelle, à la contribution aux besoins communs et aux droits sociaux dérivant de la situation de couple. Sont ainsi octroyés des droits successoraux, la possibilité de toucher la pension de réversion. Par ailleurs, l’article 5 permet l’adoption de l’enfant de l’un des conjoints par le deuxième. Toutes les lois, actes ayant force de loi, règlements et contrats collectifs faisant référence au mariage et aux conjoints s’appliqueront également aux parties de l’union civile
La deuxième partie du projet Cirinnà ayant pour objet l’encadrement du concubinage n’autorise les couples de fait, aussi bien hétérosexuelles qu’homosexuelles, ni à adopter l’enfant du conjoint, ni à bénéficier de la réversion de la retraite. Elle reconnaît en revanche à un conjoint le droit de désigner l’autre comme ayant les pleins pouvoirs en cas de nécessité pour des raisons de santé, ou en cas de décès. Elle permet également le transfert automatique d’un contrat de location, et l’obtention de droits concernant une activité commerciale.
L’adoption de ce projet de loi est devenue d’autant plus indispensable que l’Italie s’est faite condamnée par la CEDH le 21 juillet 2015, dans le cadre de l’affaire « Oliari et autres c/ Italie », en raison de son absence totale de législation ayant à objet la protection des droits des couples homosexuels).
Il convient toutefois de faire remarquer que l’Italie, bien que décidée à palier cette situation de vide juridique, en instaurant la possibilité d’une union civile pour les couples de même sexe, a clairement exprimé sa position défavorable, quant à l’éventualité d’un mariage homosexuel, que ce soit aussi bien le législateur que la Cour Constitutionnelle, dans son arrêt n°138 de 2010, que la Cour de cassation, plus récemment dans son arrêt du 9 février 2015. Cette position défavorable est, dans chacun des arrêts précédemment cités, défendue en invoquant que la jurisprudence de la CEDH reconnaît à chacun des pays une liberté de choix quant au statut des droits des couples de même sexe, et que ce statut ne doit pas obligatoirement passer par le mariage.
4. Etat des principales positions doctrinales sur la possibilité d'une Union civile ou du mariage entre personne du même sexe.
En ce qui concerne l’Union civile, la doctrine est, depuis quelques années, unanime sur le besoin d’instaurer en Italie un mécanisme de tutelle des droits des couples homosexuels. Cette position a été rappelée récemment par Davide Ponte, magistrat et auteur italien, dans l’hebdomadaire « Guida al diritto », n°47 du 21 novembre 2015, à l’occasion d’un commentaire d’une décision du Conseil d’Etat. L’auteur lance un énième appel au législateur italien quant à la nécessité urgente d’approuver le projet de loi Cirinnù. Il se qualifie lui même de « répétitif », en raison du nombre conséquent d’initiatives semblables, de la part « aussi bien des plus hautes instances juridiques du pays que de la doctrine ». Cette position unanime s’explique par l’accord des divers auteurs sur l’interprétation de l’art. 2 de la constitution, qui garantissant les droits fondamentaux des citoyens, implique nécessairement une protection des droits des couples de même sexe.
Comme le fait remarquer Filippo Romeo, « pour les couples gays et lesbiens le concubinage est un passage obligatoire ». L’auteur parle ici de concubinage car en 2014, les solutions envisagées par la doctrine pour encadrer ces situations comprenaient aussi un concubinage ad hoc, basé sur le modèle allemand du « partenariat enregistré ». Il fait référence ici à la thèse soutenue par Matteo Winker dans « L’abominevole diritto » en 2011, pour qui les couples hétérosexuels non mariés le faisait car ils l’avaient choisi, et donc en exercice d’une « liberté de choix », contrairement aux couples homosexuels dans la même situation qui n’ont aucune possibilité de choix. Cette différence constitue selon l’auteur une atteinte au principe d’égalité.
C’est sur ce même principe qu’est fondé le débat concernant la possibilité du mariage homosexuel en Italie. En effet, une partie de la doctrine, s’appuyant sur la décision de la CEDH du 21 juillet 2015, et soutenant les décisions des cours nationales, s’accorde pour dire que cette possibilité ne doit pas être envisagée. Elle base son argumentation sur la position de la CEDH, qui bien qu’ayant clairement précisé l’obligation pour chaque pays d’encadrer et de garantir les droits des couples homosexuels, a ajouté que la forme choisie par le législateur nationale était à son entière discrétion, et que le mariage n’était pas la seule solution possible. Cette position est pour l’instant constamment partagée par la Cour de cassation, par le Conseil d’Etat, qui dans sa décision du 26 octobre 2015 confirme l’impossibilité de transcription des mariages homosexuels célébrés à l’étranger, comme par la Cour Constitutionnelle, qui a plusieurs fois précisé que l’art 29 de la Constitution ne pouvait inclure les couples de même sexe.
Une autre partie de la doctrine souhaiterait une évolution de l’interprétation par les juges de l’article 29 de la Constitution. Elle considére que ce texte doit être pris en considération en incluant l’évolution des mœurs et de la société au fil des ans, et que son interprétation ne peut être immuable. Par ailleurs, elle fait remarquer que ce « pas en avant » a déjà effectué par nombre de pays européens. Elle rappelle que le Parlement de l’Union européenne a déclaré, au 162ème point de son rapport annuel sur les droits de l’homme et la démocratie dans le monde, encourager les gouvernements et les institutions à se pencher sur la reconnaissance des unions civiles et du mariage entre personnes du même sexe.
Bibliographie
- Il matrimonio- Le unioni di fatto- I rapporti personali (seconda edizione), Gabriella Autorino Stanzione, G.Giappichelli Editore. 2011
- Le relazioni affettive non matrimoniali, Filippo Romeo, UTET Giuridica, 2014
- L’abominevole diritto, Matteo M. Winkler e Gabriele Strazio, Il Saggiatore, 2011
- Commentaire de l’arrêt du 26/10/15 – Davide Ponte, « Guida al diritto », n°47 du 21/11/15
- Communiqué de presse du Greffier de la Cour EDH, n°254 CEDH, 21/0715
- Arrêt de la CEDH, Oliari et autres c/ Italie, 21/07/15
- Constitution italienne, Gazetta Ufficiale, n°298 de 1947