Man, Woman and Human : Venez entendre la voix des Hommes à la Fondation Goodplanet
Exposition Human à la Fondation Goodplanet
C'est au fond d'un bois gardé par les chênes que la fondation Goodplanet héberge le travail du reporter et écologiste français Yann Arthus Bertrand. Crée en 2005 à son initiative, la fondation souhaite placer l'écologie au coeur de la conscience collective ; derrière l'emblématique château du domaine de Longchamp qui héberge les actions du projet se dessine l'ambition d'agir concrètement pour le maintien de la vie sur terre.
Un parcours poétique en plein coeur de la nature
L'exposition Human se dévoile au détour d'un parcours parmi les arbres et les ruches; poétique clin d'oeil au combat que Yann Arthus Bertrand aura mené toute sa vie durant pour redonner à l'homme la place qui lui échoit au sein de la nature. C'est bercés par les rayons du soleil qui tentent une dernière percée au seuil de l'hiver que nous entamons la visite par le petit sentier bordant le site. Nous aurons soin de garder l'oeil bien ouvert. Nos sens mis en éveil par l'odeur de l'humus et le clapotis de l'eau, nous pourrons jouer à trouver les sculptures dissimulées dans la verdure. Puis, à notre rythme, nous laisserons derrière nous les bosquets fleuris et les rires d'enfants pour sortir du sentier couvert et nous retrouver face au château. Nous quitterons les bois et nous pénétrerons plus avant dans l'édifice qu'il renferme pour accéder à l'exposition.
Qu'est-ce alors que cette exposition Human au titre ambitieux ? ... Un gigantesque témoignage à notre attention.
Un voyage au pays des mille et une réalités de l'homme
Le long des escaliers qui nous conduisent progressivement vers l'oeuvre, des messages : "805 millions de personnes souffrent de la faim dans le monde ; 1 personne sur 9 se couche le ventre vide", "100 millions d'enfants ne sont pas scolarisés dans le primaire". Les chiffres et les statistiques habillent le long mur blanc, comme des avertissements clairs au curieux qui s'avance : toi qui quitte à peine l'alcôve rassurante du sous-bois, il est temps maintenant de t'éveiller. Le visiteur ne doit pas s'effrayer de ces révélations : elles sont simplement là pour lui rappeler, lorsqu'il rentrera chez lui, qu'il fait partie d'un tout. Lorsque d'autres parties du tout vont mal, cela le concerne aussi.
L'exposition se présente sur un étage, au détours de 5 salles avec chacune un thème touchant aux différents aspects de la vie humaine. L'amour, le coup de foudre, le chagrin, le deuil, la séparation, la naissance d'un enfant, le pardon,... Nous y rencontrons par exemple ce russophone d'une soixantaine d'années qui parle de Natasha, l'amour de sa vie pour lequel il aura marché un soir de Nouvel an une dixaine de kilomètres dans le froid. Assis là à l'écouter, son temps et le nôtre se confondent. L'azur glacé dans les yeux du vieil homme nous emmène si loin ; ses soixantes ans semblent en peser vingt tant son sourire est léger.
Le leitmotiv de cette exposition est le portrait : portrait d'hommes et de femmes qui nous observent le long des murs, portraits sur grand écran qui nous dévisagent de leur intringante proximité. Ils sont là, partout. Les humains. Leur présence et leurs paroles soulèvent en trame de fond une unique et récurrente question, celle du choix : le choix de les voir, de les écouter, de rester. Tel qu'est conçu le dispositif de l'exposition, nous pouvons à tout moment choisir de détourner notre regard, de nous asseoir ou de quitter la salle. Se reproduit alors en huis-clos l'incessant ballet du dehors : se rencontrer, s'éviter, se parler, s'ignorer, agir. Durant cette exposition personne ne nous demande jamais rien ; nous restons maîtres de notre temps et de notre niveau d'attention. Pourtant c'est justement dans ce rien que réside le formidable tour de passe-passe de l'exposition Human : parce que rien ne nous est jamais demandé, parce que personne ne nous oblige à dire "bonjour", "adieu" ou même à écouter jusqu'au bout, nous restons. Nous restons présents pour partager des histoires d'hommes. Plus question de donneurs et de receveurs, les regards s'échangent entre humains et à hauteur d'yeux.
Des visages photographiés grandeur nature, troublantes effigies, gardent l'accès aux salles. Ils nous encouragent à franchir la limite qui nous sépare des écrans géants, à venir voir de nouveaux visages et écouter de vieilles histoires. Elles sont anciennes comme le monde, ces histoires. Nous les avons déjà entendues mille fois et traduites dans toutes les langues. Mais la mille et unième version, celle de Yann Arthus Bertrand, s'écoute encore. Les acteurs sont si différents et si semblables à la fois. Le décor est immuable : fait d'eau et d'espoir, fait de terre et de larmes. Ainsi nous ne pouvons nous lasser d'entendre la voix des hommes. Elle est celle qui ne disparait jamais, celle qui amasse en chapelets les souvenirs épars de vies pleines de peine et de joie. Nous, visiteurs, nous sommes ceux qui viennent un temps poser nos doigts frileux sur les perles du chapelet et dévider le fil d'une existence prise au hasard. Que vais-je offrir à mes enfants ? Que vais-je leurs laisser ? Quel est le sens de mon travail et de quoi suis-je responsable ? Dans l'une des trois salles défilent les lieux du monde : déchetterie, usines, bicoques et ruelles. A la fin de la vidéo, les hommes ne parlent plus parce que l'image fait sens par sa seule présence. Ce que les humains "de l'autre côté" nous montrent ne s'explique pas, en effet. Et la force évocatrice du voir rencontre la puissance du dire.
Le dispositif de la troisième salle du parcours est particulier. Le seul et unique écran des deux autres salles a été remplacé par trois écrans conjoints, sur lesquels apparaissent des dizaines de vignettes colorées. Au milieu de ce kaléidoscope figuratif, plusieurs portraits s'agrandissent tour à tour et viennent à notre rencontre. Des femmes et des hommes nous racontent alors la mort, la guerre, le racisme et la haine. Ils nous disent aussi le plaisir qu'ils ont eu de voir naître leur premier enfant. Un père nous parle de la mort de sa femme et de sa fille, emportées par un tsunami. Il a planté des tournesols sur les restes de leur maison devastée par les eaux ; il les regarde grandir, offrir leurs regards au soleil. Vers la fin de la diffusion, tous rient de concert, autour de nous. Nous voilà soudain encerclés. Enfin ils disparaissent, reprenant leur place dans l'anonymat de la foule.
Dialogue à trois et ouverture sur le monde
Il nous faut maintenant terminer la visite avec la dernière salle de notre parcours ; elle se cache derrière la projection en vase clos des images impressionantes du documentaire Vu du Ciel réalisé par Yann Arthus Bertrand entre 2006 et 2011. Dans cette salle se côtoient 2 écrans au format LCD. Y débute un dialogue à trois, entre les deux portraits accrochés au mur et le visiteur. La rencontre n'est plus seulement frontale : tout le monde s'écoute et se dévisage. Ce sont des bilans qui sont présentés. Comment en suis-je arrivé là ? Quels ont été mes choix et leurs conséquences ? Au fur et à mesure de la discussion, des liens apparaissent parfois entre les conteurs. Un policier et un braqueur nous narrent ainsi leurs trajectoires respectives durant plusieurs minutes, quand tout à coup nous comprenons qu'elles n'ont jamais été qu'une seule et unique vie expérimentée de deux points de vue différents. Quand personne ne parle plus, nous nous dévisageons en silence l'air de dire : "Qu'est-ce que tu en penses, toi ?". Nous prenons en réalité la mesure de la part d'ombre et de lumière en chacun de nous. Nous effectuons notre propre bilan, tirons nos propres conclusions. Nous empruntons à nouveau les escaliers, en sens contraire. Et alors, la tête emplie d'existences que nous n'avons jamais vécues, nous retournons à l'anonymat de la foule. Boris Vian disait que n'importe quel objet peut être un objet d'art pour peu qu'on l'entoure d'un cadre. Encore faut-il le trouver, ce cadre. En usant de la photographie et du cinéma, Yann Arthus Bertrand aura réussi cette prouesse : il aura subblimé le monde de son regard attentif et profondément humain. Cependant ne nous y trompons pas : pour saisir la beauté du monde et des hommes il faut savoir ouvrir les yeux, faire silence. Il faut sortir du brouhaha de la foule et commencer à entendre la voix des hommes. En serez-vous capables ?
Venez partager cette expérience incroyable à la fondation Goodplanet. La Fondation vous accueille gratuitement pour l'exposition du mercredi au vendredi de 12h à 18h et du samedi au dimanche de 11h à 19h, jusqu'au 13 mai 2019.