S’exprimer par ses propres moyens : découverte du zine avec Untitled (Brouillon)

 


Untitled n°1, couverture

Comment transmettre son travail ? Comment se faire entendre ? Voilà des problématiques qui travaillent tout créateur. Bien sûr il y a les musées, les expositions, les galleries et les foires d’art mais encore faut-il être assez reconnu pour y entrer.  On peut également songer à publier son travail sur Twitter, Instagram, Facebook ou son propre blog, sauf que cela sous-entend de se contenter du virtuel. Alors, si l’on souhaite du réel et du matériel, que faire ? Il existe plusieurs solutions mais, aujourd’hui, nous n’en verrons qu’une : le zine.

Le zine c’est quoi ? C’est un ouvrage auto-édité à petit tirage. Il peut prendre toutes les formes : du petit livret agrafé à la main en format A5 au livre imposant en papier glacé. Il peut présenter le travail d’un ou d’une artiste ou être le fruit d’une collaboration. Il peut simplement vouloir montrer des œuvres ou avoir une portée politique et sociale. Très souvent, le zine est le fruit d’un travail maison et d’un assemblage artisanal. Gratuit ou très peu cher, on peut le commander ou bien le croiser au détour d’un salon artistique ou d’une manifestation. Peu connu du grand public, le zine se retrouve, en général, dans les milieux militants où l’art s’est depuis longtemps imposé comme un moyen d’action.

En avril, j’ai eu l’occasion de participer à l’un d’eux : Untitled. Untitled est un zine collaboratif regroupant des témoignages de personnes ayant des troubles et/ou des maladies mentales. On y retrouve des textes, des dessins, des photos et des collages. Mais plutôt que de vous en parler moi-même, j’ai préféré laisser la parole à Loé, son créateur, que j’avais interviewé au moment de notre collaboration.
 


Untitled n°1, par Loé

 

- Qui es-tu Loé ?

Je suis un artiste trans de 22 ans. J’ai commencé à dessiner enfant, et je crois que je ne me suis jamais vraiment arrêté. J’ai pris conscience que le dessin précède mes pensées et mes mots, il est une manière de les sortir par l’image pour que je puisse ensuite les comprendre. Il me permet d’explorer mon monde intérieur, mais aussi de mieux regarder autour de moi et de militer. Je travaille le plus souvent à l’encre noire et de couleur, à la peinture acrylique ou aux crayons de couleur. Je questionne le corps, l’identité, l’intimité, le queer ; je dessine l’anxiété, l’affirmation, la tristesse, la révolte, et je dessinerai sûrement beaucoup d’autres sentiments au cours de ma vie.

 

- D'où t'es venu l'idée d'Untitled ?

Je ne me souviens pas exactement, mais je pense que j’ai eu l’idée à un moment où je me posais pas mal de questions sur ma propre santé mentale. Quand je m’intéresse à un sujet, j’aime avoir des avis personnels en complément des informations factuelles que je peux trouver dans des recherches. Je pense que j’en parlais pas mal avec des ami.e.s et que j’avais envie d’amplifier leurs paroles que je trouvais intéressantes et surtout importantes et invisibilisées. J’aurais pu créer un blog ou des vidéos mais je pense que le format papier est celui avec lequel je suis le plus à l’aise et qui me semblait le mieux convenir pour mes textes à moi. C’est un format très simple et flexible et qui ne nécessite vraiment pas beaucoup de ressources et pas forcément de régularité. C’est aussi un objet, ce qui me plait beaucoup, qui peut passer de mains en mains, s’abimer, se trouver au hasard dans une bibliothèque…

 

 - Pourquoi ce titre : « Untitled » ?


Untitled n°1, par Salomé(e)

Je ne trouvais pas d’idée de titre satisfaisante. Je voulais quelque chose de sobre et qui fonctionne pour d’autres thèmes que celui du premier numéro. Je voulais que le titre reflète la démarche plutôt que le contenu du zine. « Untitled » m’évoque des productions disparates, écrites sur le vif et qu’on n’a pas forcément pris la peine de nommer. Je trouve qu’il y a quelque chose de libérateur dans le fait d’être anonyme, de ne pas produire quelque chose de formel, construit, avec un début et une fin. C’est un peu la façon dont j’écris : ce sont des textes bruts, sortis en une fois, sur lesquels je reviens à peine. C’est quelque chose que j’ai aussi retrouvé dans certaines productions qu’on m’a envoyées.

 

- En quoi Untitled est-il quelque chose de nouveau (ou non) dans ta démarche de création ? Comment s'insère-t-il dans ce que tu fais d'autre ?

J’ai toujours été fasciné par les choses que les gens écrivent et dessinent en secret, dans leurs moments sombres, les choses brutes. Ce sont des choses que les gens montrent rarement. Dans ma pratique, ce sont mes productions les plus puissantes. Ce zine, c’est aussi une manière de publier mes propres textes, que je ne montre nulle part ailleurs. Je trouve que c’est plus facile que de les publier de manière individuelle, car ils sont intégrés à d’autres productions du même type qui à la fois renforcent le sens et brisent l’isolation, qui peut être impressionnante. Ce format de zine permet un certain anonymat sans pour autant perdre l’individualité. Du coup c’est clairement quelque chose de nouveau dans ma pratique artistique. Je n’avais jamais vraiment travaillé avec d’autres personnes. Ici, le fait de travailler aussi pour d’autres gens m’a permis de mener le projet à bien, ce que je n’aurais peut-être pas fait si ça ne concernait que moi. Ça faisait longtemps que j’avais envie de travailler sur le thème de la santé mentale de façon frontale, mais je ne savais pas vraiment comment m’y prendre. Maintenant que j’y pense, je vois vraiment ce zine comme un moyen d’aller plus loin dans ma pratique et de faire de quelques bribes vouées à rester secrètes un vrai projet cohérent et durable, tant pour moi que pour d’autres personnes.

 

- Pourquoi ce choix de témoignages et de dessins plutôt que, par exemple, des faits précis sur les maladies et troubles mentaux ?

Déjà parce que je ne pense pas avoir de connaissances particulières sur le sujet ! Je n’avais pas envie de répéter des choses qu’on peut trouver sur internet et que je n’aurais pas la légitimité d’écrire. Si une personne qui a fait des recherches approfondies faisait ça, je suis sûr que ce serait très intéressant mais moi je n’ai pas de raison de faire ça. Et puis, toujours dans un souci de légitimité, je voulais vraiment faire un zine collaboratif, qui parle de plein de choses différentes, car le thème de la santé mentale est très large. Je ne voulais pas parler de mon expérience mais des multiples expériences. D’une manière générale, le format de témoignage me parle beaucoup. Je trouve que c’est très sincère et parlant, que c’est un bon moyen de sensibiliser les gens qui ne sont pas concernés par un sujet. C’est aussi un format qui se transforme très facilement en art (ici, en poésie, en dessin, en prose poétique…) et c’est quelque chose qui était très important dans ma démarche. Pour moi, transformer mon expérience en art est vraiment un moyen efficace de la comprendre, de l’accepter, de vivre avec. C’est un processus magique et je voulais aussi capturer ça.

 


Untitled n°1, anonyme

- As-tu rencontré des difficultés particulières en construisant ce projet ? (Trouver des gens pour participer, l'impression, la diffusion...)

Je n’ai pas rencontré de difficultés particulières. Je dirais que le principal obstacle a été ma propre santé mentale qui parfois m’empêche de poursuivre mes projets au rythme que je voudrais. Du coup, j’ai pris pas mal de temps pour éditer le zine : environ six mois. Mais finalement c’est plutôt une bonne chose. J’ai beaucoup repoussé la deadline pour soumettre des participations, et ça m’a permis d’avoir des choses venant de plus de personnes. J’ai aussi suivi le rythme des personnes qui étaient intéressées mais qui ne pouvaient pas forcément produire quelque chose rapidement. J’ai aussi pris mon temps pour la mise en page et l’impression, mais je me dis que ce n’est pas grave, car je ne devais pas respecter une deadline obligatoire. J’ai préféré ne pas me mettre la pression et faire les choses quand je le sentais. Ensuite pour la diffusion, je cherche encore des endroits où mettre en vente le zine, mais je trouve ça bien aussi de garder des exemplaires pour les vendre plus tard, même si d’autres numéros sortent.

- Qui espères-tu toucher/aider ?

J’ai distribué Untitled pour le moment dans des espaces queer et via mon compte Instagram (mes followers sont majoritairement des artistes et des personnes queer). C’est le milieu dans lequel j’aime évoluer, car il s’agit de ma communauté. Ce sont des personnes qui me ressemblent et qui sont susceptibles de comprendre mon travail. C’est aussi une communauté de personnes qui ont très souvent des troubles mentaux, notamment car elles font partie d’une minorité. J’espère donc toucher des personnes queers, concernées ou non par les maladies et troubles mentaux. Si je peux toucher d’autres personnes, je serais très content aussi ! Je vois vraiment ce projet comme un corpus d’expériences auxquelles s’identifier. J’aimerais toucher des gens qui ont besoin de savoir qu’ils ne sont pas seul.e.s.

 

- Penses-tu qu'il y aura une suite ou que ce projet va se développer d'une façon ou d'une autre ? (Distribution à plus ou moins large échelle, un site autour, d'autres formats...)

Il existe déjà un compte instagram où j’ai pour projet de poster du contenu tels que des textes et images présentes dans le zine, d’autres œuvres des artistes qui ont participé, ou encore des œuvres d’autres artistes sur les thèmes abordés. Je suis aussi en train de commencer à travailler sur un deuxième numéro en récoltant des contributions. Et je vais continuer à distribuer le premier dans différents endroits et il est toujours disponible en commande sur internet.

 


Untitled n°1, par Loé

 

Aujourd’hui, Untitled en est à son troisième numéro. Loé a continué et plusieurs personnes se sont jointes à lui. Ce projet lui a permis, et lui permet encore, de faire entendre sa voix, de rencontrer d’autres artistes et de partager son univers. En somme, c'est une belle illustration de ce qu'est un zine et de ce qu'il peut permettre de construire en dehors des sentiers battus. 

Si tu souhaites soutenir Loé dans son travail, tu peux le suivre sur son compte instagram

Perrine Marquesuzaa