ALLEMAGNE - La possibilité d’obtenir réparation d’un préjudice moral pour mauvaise exécution d’un contrat liant un client à son avocat ? Commentaire de l’arrêt du 9 juillet 2009 de la Cour fédérale de Justice allemande - Par Hélène SCHIELLEIN

« La mauvaise exécution d’un contrat qui lie l’avocat à son client et qui n’a pas pour objet la protection d’intérêts extrapatrimoniaux tels que ceux désignés au §253 II ne peut en principe donner lieu à une action en indemnisation. » La réparation d’un préjudice moral est doublement limitée : par la lettre du nouveau §253 II d’une part et par les caractéristiques (notamment le « Schutzzweck der Norm ») que doit remplir le dommage pour être réparable d’autre part.

C’est lors de la grande réforme du droit des obligations opérée en 2002 que le législateur allemand décide d’introduire dans le BGB (Code civil allemand) un deuxième alinéa au §253. Cette disposition – qui remplace l’ancien §847 – permet à celui qui l’invoque de demander l’indemnisation d’un préjudice moral quelque soit la responsabilité mise en jeu (délictuelle ou contractuelle). Il devient donc possible de demander réparation d’un préjudice moral né de la mauvaise exécution contractuelle. Le droit allemand – d’ordinaire peu favorable à la réparation pécuniaire d’un tel préjudice – semble s’adoucir un peu. Nous verrons toutefois qu’en pratique, comme en droit français, les éléments qui caractérisent le dommage réparable limitent la portée du §253 II.

Un avocat avait été engagé pour conseiller des époux dans une affaire concernant le droit des assurances. Il a commis une erreur de droit en leur expliquant que les dommages matériels subis sur leurs biens lors d’un incendie ne seraient pas assumés par leur assurance responsabilité civile. Les clients, croyant devoir assumer seuls les frais de reconstruction de leur habitation, épuisés, se sont alors sentis profondément découragés. Ils demandent, en invoquant l’altération de leur santé, des dommages et intérêt pour préjudice moral. Ni le tribunal de première instance ni la Cour d’appel de Francfort sur le Maine (OLG) n’ont fait droit à la demande des clients. Ceux-ci se présentent alors devant la Cour fédérale de Justice allemande (BGH) qui confirme les décisions des juridictions inférieures.

Le raisonnement de la Cour se décompose ainsi : les juges contrôlent d’abord qu’il y a eu manquement contractuel (=fait générateur du dommage) puis se conforment à l’arrêt de la Cour d’appel quant à l’existence d’un dommage. Enfin, la Cour s’attache à vérifier l’existence d’un lien de causalité entre le fait générateur et le dommage. C’est sur ce dernier point que l’on insistera particulièrement dans notre commentaire. En effet, c’est à cette étape du raisonnement des juges que de bonnes perspectives de comparaison entre les droits français et allemand s’offrent à nous.

On doit tout d’abord apporter quelques précisions sur le fait générateur de l’espèce qui consiste en une mauvaise exécution, par l’avocat, du contrat qui le lie à son client. Ce dernier l’avait engagé pour le conseiller dans une affaire l’opposant à son bailleur : En droit français, l’information donnée en exécution d’une obligation de renseignement doit être exacte (à condition qu’elle puisse être découverte !) et oblige également celui qui la donne à s’informer lui-même. En effet, selon la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 19 juin 1996 « celui qui a accepté de donner des renseignements a lui-même l’obligation de s’informer pour informer en connaissance de cause  ; le fait de donner une information inexacte est constitutif d’une faute ». Le poids de cette obligation semble d’autant plus important depuis l’arrêt de la première chambre civile du 14 mai 2009, qui fait peser sur l’avocat une sorte d’obligation de compétence. Pour la BGH, qui se base également sur une jurisprudence constante, « un avocat se voit contraint, dans les limites de son mandat, de renseigner en détail et de façon exhaustive son client, afin de lui permettre de prendre une décision responsable et appropriée quant aux intérêts qu’il peut vouloir faire valoir d’un point de vue juridique et économique ». Les juges d’appel ont donc retenu à raison, selon la BGH, que l’avocat a violé son obligation principale de conseil en ce sens qu’il a donné à son client une information erronée. Sur ce point, les deux droits – français et allemand – s’accordent donc parfaitement.

Il s’agit ensuite pour le demandeur de démontrer l’existence d’un dommage réparable. Sur ce point, ce sont les observations de la Cour d’appel qui se substituent à celles des juges fédéraux : après un enchainement de considérations très pratiques, il est affirmé que les clients ont bien subit un préjudice moral. Si le principe veut qu’en droit allemand la réparation d’un tel dommage soit refusée – selon la lettre du §253 I du BGB : « un dommage qui n’est pas de nature patrimoniale ne peut être réparé par l’octroi de dommages et intérêts que dans les cas prévus par la loi » - la loi de 2002 réformant le droit des obligations y apporte une exception : « Une indemnisation pécuniaire modérée peut être demandée pour un dommage non patrimonial en cas d’atteinte à l’intégrité corporelle, à la santé, à la liberté ou à l'autonomie sexuelle. ». Il devient donc envisageable, à la condition de voir violé un des domaines protégés par le §253 II, de demander réparation d’un préjudice moral. Le fait que la réparation soit l’exception se justifie notamment par l’appréciation difficile de l’étendue d’un tel préjudice et par l’idée, bien compréhensible, « qu’un intérêt purement moral, qui, par définition, n’a pas de valeur marchande, ne peut s’évaluer en argent. ». Il faut préciser que la réparation sera encore limitée par le fait qu’elle n’a pas vocation à être intégrale, mais équitable (« billige Entschädigung »). Les juges fixeront donc le montant de l’indemnisation en fonction notamment de la situation financière des parties et de la gravité de la faute : la réparation fait ouvertement office de peine privée. En droit français, même si le principe est la réparation intégrale, on a longtemps discuté le fait de savoir si – dans les cas de responsabilité contractuelle – l’indemnisation du préjudice constituait une réparation par équivalent (le préjudice consisterait seulement dans l’inexécution de l’obligation contractuelle) ou une véritable réparation (le préjudice comprendrait également les conséquences de l’inexécution). Le préjudice moral de l’espèce, dans le premier cas de figure, ne serait donc pas susceptible d’indemnisation, en ce sens qu’il est une conséquence de la mauvaise exécution de l’obligation de conseil. Mais la discussion est dépassée puisque les juridictions s’accordent aujourd’hui sur la possibilité d’obtenir réparation d’un préjudice moral autant dans le domaine de la responsabilité délictuelle que dans celui de la contractuelle.

L’existence d’un lien de causalité entre le préjudice moral subit et la mauvaise exécution contractuelle. C’est ici que la comparaison entre les droits allemand et français semble la plus intéressante. En effet, alors qu’en droit français, dans le domaine de la responsabilité contractuelle, l’existence d’un lien de causalité est recherchée dans les caractéristiques que le dommage doit remplir pour être réparable :est-il direct ? (= le dommage résulte bien de l’inexécution), le droit allemand n’opère pas – à ce niveau – de distinction entre responsabilité délictuelle et contractuelle et organise la recherche d’un tel lien entre inexécution et dommage selon une méthode bien ordonnée, après que l’existence du dommage ait été démontrée :

En droit français, pour que le dommage soit réparable, il doit être certain, direct et prévisible. Le caractère certain du dommage ne fait pas de doute en l’espèce, et il en est ainsi dans la plupart des cas. Le lien entre ce dommage et l’inexécution contractuelle doit ensuite être direct. Or, ce n’est pas contesté en l’espèce, le préjudice moral qu’ont subit les demandeurs découle directement de l’annonce erronée de l’avocat selon laquelle ils devraient payer une énorme somme d’argent pour reconstruire leur habitation. En droit français, le lien de causalité est bien établit. C’est le caractère prévisible du dommage, exigé par le législateur à l’article 1150 du Code civil («Le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n’est point par son dol que l’obligation n’est point exécutée ») qui pose question.

En droit allemand, une fois le dommage établit, c’est à la recherche du lien de causalité que l’on s’attelle. Selon une méthode bien précise, le juge se demandera d’abord si selon le principe de l’équivalence des conditions (« Äquivalenztheorie ») il est envisageable que le supposé fait générateur – la mauvais inexécution contractuelle en l’espèce – ait pu participer à la réalisation du dommage – en l’espèce, les altérations de la santé des époux. Comme une responsabilité uniquement fondée sur ce principe irait beaucoup trop loin (on devrait alors également mettre en cause le géniteur de l’auteur du dommage !), d’autres mécanismes viennent se greffer au raisonnement prétorien. On doit alors utiliser la causalité adéquate (« Adäquanztheorie ») afin de déterminer précisément quel évènement est le plus susceptible d’avoir causé le dommage. En l’occurrence, et même si l’incendie de leur habitation les avait déjà fragilisés, la Cour s’appuie sur l’avis des experts médicaux pour valider l’erreur juridique de l’avocat comme déclencheur du mal être de ses clients. L’avocat devrait alors être jugé responsable et avoir à verser des dommages et intérêts aux demandeurs. Mais si le droit allemand n’exige pas du dommage qu’il soit prévisible comme en droit français, il arrive à un résultat similaire (ce serait vraisemblablement le cas en l’espèce) en appliquant une méthode particulière qui a pour objet de déterminer l’étendue de la responsabilité (« Haftungsausfüllende Kausalität »). C’est la méthode de la relativité acquilienne (« Schutzzwecklehre » ou « Schutzzweck der Norm »), empruntée ici par les juges fédéraux, qui nous intéresse particulièrement. Dégagée initialement dans des cas de responsabilité délictuelle, cette méthode consiste à vérifier que le dommage qui survient concerne un bien protégé par la loi violée et que la victime du dommage fait bien partie des personnes que la loi entendait protéger. C’est la jurisprudence qui a étendu ce mode de raisonnement au domaine contractuel : la Cour s’appuie d’ailleurs sur ses décisions antérieures pour énoncer que « la responsabilité de l’auteur du dommage est limité par le «Schutzzweck » but de la protection de l’obligation contractuelle violée. Le «Schutzzweck» de l’obligation de conseil découle ici du but que le client recherchait en engageant l’avocat et doit être objectivement déterminée à partir du contenu et du but de la tâche que devait effectuer l’avocat ». Autrement dit, si le « Schutzzweck » de l’obligation de conseil de l’avocat (en l’espèce : donner une réponse à la question de savoir si les clients devaient assumer seuls les frais de reconstruction de leur habitation) touchait l’un des domaines protégés par le §253 II (intégrité corporelle, santé, liberté ou autonomie sexuelle), le préjudice moral aurait pu être réparé. Ce n’est pas le cas. Les juges refusent donc de déclarer l’avocat responsable pour le préjudice moral subit par ses clients. Et la Cour de citer un exemple de cas où la réparation d’un préjudice moral a été acceptée: celui d’un avocat qui, commettant une erreur juridique, envoie son client en prison : le « Schutzzweck » du contrat, l’enjeu de l’obligation est en effet la liberté, domaine protégé par le §253 II. On a donc, en droit allemand, un double niveau de « prévisibilité » : le premier, dans le cas où il n’y a pas de préjudice moral : pour être réparable, le dommage doit aller contre le « Schutzzweck » du contrat. Le deuxième, dans le cas où on demande réparation d’un préjudice moral : le dommage doit porter atteinte au « Schutzzweck » du §253 II en plus de toucher celui du contrat.

Cette décision confirme donc la tendance qu’ont les tribunaux allemands à restreindre l’indemnisation d’un préjudice moral. Elle pose également clairement le principe selon lequel la causalité adéquate ne suffit pas à fonder une obligation d’indemnisation. Deux voix se font entendre dans la doctrine allemande : d’un côté, on regrette que les tribunaux ne prennent pas en compte l’énorme impact qu’un procès peut avoir sur un justiciable, même s’il ne concerne que des intérêts purement patrimoniaux. D’un autre côté, on s’estime soulagé de voir la BGH trancher comme elle l’a fait : une prolifération de demandes d’indemnisation pour préjudice moral aurait certainement suivie autrement. Il faut encore préciser que la présente décision n’est pas un arrêt d’espèce mais de principe : elle aura un grand impact sur tout le droit des contrats. En effet, il sera impossible d’engager la responsabilité de son cocontractant si l’objet principal du contrat (une obligation secondaire qui aurait pour objet d’assurer l’intégrité corporelle du cocontractant ne serait pas concernée par cet arrêt) n’était pas la protection d’un des intérêts protégés par le §253 II.

Bibliographie

• Décision commentée: - BGH, Urteil vom 9. Juli 2009 - IX ZR 88/08

• Autres commentaires de la source: - Prof. Dr. F. FAUST LL.M., Hamburg , „Schuldrecht: Schmerzensgeld bei Schlechterfüllung eines Anwaltsvertrags“, JuS 2010, 69 - Dr. F. PODEWILS (Rechtsanwalt bei Dewey & LeBoeuf LLP in Frankfurt a.M.), „BGH: Schmerzensgeld aus Anwaltshaftung“, LMK 2009, 291389

• Ouvrages généraux: - Ph. MALAURIE – L. AYNES – P. STOFFEL-MUNK, « Les obligations », édition Defrénois – Droit civil- 2004 - OETKER MünchKomm., BGB, § 249, nos 99 et s.

• Ouvrages spécialisés: - Robert WINTGEN – « Regards sur le droit allemand de la responsabilité contractuelle » - Revue des contrats, 01 janvier 2005 n° 1, P. 217 - S. LORENZ – « La responsabilité contractuelle dans l’avant-projet : un point de vue allemand » – Revue des contrats, janvier 2007 - M. FAURE-ABBAD, « Le fait générateur de la responsabilité contractuelle », 2003, Faculté de droit et des sciences sociales de Poitiers

• Site internet : - http://fr.jurispedia.org/index.php/Code_civil_Art.253_%28de%29