Analyse comparée de la Loi fédérale « De la protection des droits et des intérêts légaux des investisseurs sur les marchés financiers » du 05/03/1999 en droit russe par Raphaël Galand

La protection des investisseurs sur les marchés financiers est un thème qui permet de mettre en lumière les approches distinctes des droits russe et français, notamment au regard des pouvoirs et du statut des organes chargés de cette protection, ou encore du rôle des associations d’investisseurs. Cependant, les deux systèmes juridiques sont plus proches quant à l’influence du droit de la consommation dans cette protection, notamment au regard de l’obligation  d’information.

 

La structure de la Loi fédérale « De la protection des droits et des intérêts légaux des investisseurs sur les marchés financiers » [plus loin la Loi fédérale] reflète l’esprit de la législation relative à la protection des investisseurs en Russie, puisque, sans reprendre l’ensemble des normes et définitions visant les marchés financiers et leurs acteurs, elle rassemble en 20 articles les différents dispositifs de protection des investisseurs mis en œuvre, procédant par renvoi à d’autres sources législatives. Ainsi, cette loi a vocation à rendre lisible le système juridique mis en place en la  matière pour les investisseurs.

 

Les organes régulateurs des marchés financiers russes ne disposent pas d’un réel pouvoir normatif, le droit russe se distinguant ainsi du droit français par son légicentrisme en la matière. Par conséquent, l’Etat est bien plus présent dans la sphère financière qu’en France ou en Union européenne (UE), qui privilégie l’harmonisation par l’application de règles communes aux régulateurs nationaux. A ce titre, de nombreuses normes françaises quant aux obligations d’information pesant sur les intermédiaires financiers et la surveillance de leurs activités sont influencées par le droit de l’UE, même s’il subsiste des divergences d’ordre terminologique.

 

Par ailleurs, le dirigisme russe dans la protection des investisseurs a pour conséquence de laisser peu de place aux corps intermédiaires, tels que les associations d’investisseurs, à l’inverse du droit français, marqué par une tendance à importer les mécanismes de protection du consommateur dans le droit financier.

 

Dès lors, il convient de s’interroger sur l’approche de la notion d’investisseur par les trois systèmes juridiques mentionnés, et les moyens mis en œuvre pour assurer la protection de ses droits.

 

Pour cela, il s'agit dans un premier temps d’analyser les différentes conceptions de la notion d’investisseur, parmi les sources de la protection de l’investisseur. Il convient dans un second temps de comparer les prérogatives des organes chargés de cette protection, et également le rôle joué par les associations d’investisseurs.

 

 

L’investisseur, bénéficiaire de la protection

 

L’article 1er de la loi sur la protection des droits et intérêts légaux des investisseurs sur les marchés financiers définit les investisseurs comme « des personnes physiques ou morales, dont l’objet de l’investissement sont les titres financiers émis ». 

 

Le législateur français ne donne pas de définition générale de l’investisseur, alors que les articles L.451-1-1 à L.451-3 du Code monétaire et financier (CMF) déclinent les différentes obligations d’information qui pèsent sur les émetteurs de titres financiers à son égard.  Il a cependant consacré la notion d’ « investisseur qualifié »  (L.411-2, II CMF), le définissant « comme l’entité disposant des compétences et des moyens nécessaires pour appréhender les risques inhérents aux opérations sur instruments financiers », notion reprise par ailleurs par le droit de l’Union Européenne (UE) dans la Directive « Prospectus » 2003/71/CE.  Le droit de l’UE consacre par ailleurs les notions de « clients de détail, clients professionnels et contreparties éligibles » dans la Directive 2004/39/CE MIF, notions transposées aux articles D.533-11 à D.533-13 CMF (Bonneau T., Drummond F., Droit des marchés financiers, Economica 3è édition, 2010, p.654 à 656). La jurisprudence a de son côté créé la notion d’ « investisseur averti » pour sanctionner le manquement à l’obligation d’information à la charge des intermédiaires financiers sur les risques des opérations spéculatives à l’égard d’un client, hors les cas où ce dernier en a eu connaissance (Arrêt Buon, Com.5/11/1991, Bull. Joly Bourse 1993, p.292, Bonneau T., Drummond F., Droit des marchés financiers, Economica 3è édition, 2010, p.654).

 

 

La question s’est posée en droit russe et en droit français de l’assimilation de l’investisseur à un consommateur. En droit russe, la doctrine considère qu’à l’inverse du consommateur, l’investisseur assume un risque en investissant des fonds dans l’activité de l’émetteur, en espérant en tirer un profit. L’élément distinctif s’avère donc être l’existence d’un risque assumé, corrélatif à une recherche de profit ( Redkin I.V., « Les mesures de droit commun garantissant les droits des acteurs dans le domaine des marchés financiers », Moscou, Delovoï Express, 2007, p. 29). 

En droit français, la distinction tient en ce que la protection du consommateur  consiste à lutter contre les comportements abusifs des professionnels avec lesquels ils contractent tandis que celle de l’investisseur se situe au niveau des risques du marché (Bonneau T., Drummond F., Droit des marchés financiers, Economica 3è édition, 2010, p.653). Par ailleurs, la doctrine considère que les instruments financiers « sont des biens, non que l’on consomme mais sur lesquels on spécule ou dans lesquels on investit. » ( Raymond G., Les contrats de consommation, in Après le Code de la consommation, Grands problèmes choisis, Litec, 1995, p.37).

Pourtant, l’existence de distinctions entre investisseur averti/non averti, qualifié/non qualifié, clients de détail/clients professionnels/contreparties éligibles, ainsi que l’information dont l’investisseur doit disposer en droit russe en vertu de la Loi fédérale, démontre bien l’importation de l’esprit de la protection du consommateur en droit financier.

 

Le droit de l’UE reflète également la nécessité de distinguer l’investisseur profane et professionnel. La Directive 2004/39/CE MIF précitée le démontre mais également la Directive 2002/65/CE du 23/09/2002 relative à la commercialisation à distance des services financiers, qui va jusqu’à envisager l’investisseur en qualité de consommateur, dès lors qu’il s’agit d’une personne physique, qui « agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale ou professionnelle ».

 

L’obligation d’information à la charge de l’émetteur

 

Le droit français impose dans un premier temps à l’émetteur d’apporter un certain nombre d’informations, communes à l’offre au public et à l’admission aux négociations. La Directive « Prospectus » 2003/71/CE, l’article L.412-1 du CMF ainsi que le Règlement général de l’AMF (RG AMF) prévoient l’obligation pour l’émetteur de constituer un document d’information, le prospectus, contenant « toutes les informations qui, compte tenu de la nature particulière de l’émetteur et des instruments financiers qui font l’objet de l’opération, sont nécessaires pour permettre aux investisseurs d’évaluer en connaissance de cause le patrimoine, la situation financière, les résultats et les perspectives de l’émetteur et des garants éventuels des instruments financiers qui font l’objet de l’opération, ainsi que les droits attachés à ces instruments financiers et les conditions d’émission de ces derniers » (article 212-7, al 1, RG AMF).

           

La Loi fédérale se contente de mentionner à l’alinéa 1er de l’article 6, que l’émetteur doit apporter les informations à l’investisseur, prévues par la législation de la Fédération de Russie. Elle fait cependant référence, sans le définir, au document d’information « Prospekt », prévu dans la loi fédérale « Des marchés financiers » du 22/04/1996, à l’article 22, alinéa 1,qui doit également contenir les informations concernant la situation financière, le patrimoine et les organes de direction de l’émetteur, ainsi que la nature des instruments financiers et leur condition d’émission.

 

L’admission aux négociations est suivie de nouvelles obligations d’information à la charge de l’émetteur. Pour le droit français, le CMF comme le Règlement général de l’AMF imposent de mettre à disposition de l’investisseur des informations périodiques relatives à la situation financière de l’émetteur. L’émetteur est par ailleurs tenu à une obligation d’information permanente concernant les informations privilégiées, susceptible d’avoir une influence sur le cours des instruments financiers concernés (article 223-2 RG AMF).

 

Le droit russe prévoit diverses informations à la charge de l’émetteur,  portant entre autres sur sa situation financière, l’enregistrement des titres financiers, et les opérations effectuées par l’émetteur sur ces titres financiers (article 6 de la Loi fédérale). Il est à noter que l’article 6 de la Loi fédérale précise à chaque fois que ces informations sont obligatoires dans le cas seulement où l’investisseur les exige.

 

Nature juridique, missions et pouvoirs des organes chargés de la protection des investisseurs

 

A la lecture de la Loi fédérale, il apparaît que la protection des investisseurs est assurée principalement par deux types d’organes. Le premier, le Service Fédéral des Marchés Financiers (SFMF), est un organe dépendant du pouvoir exécutif, mais sans réel pouvoir réglementaire, chargé d’effectuer l’enregistrement fédéral des titres financiers lors de leur émission, mais également de sanctionner les émetteurs en cas de violation de leur obligation d’information (article 11 de la Loi fédérale) et peut également agir en justice pour défendre les investisseurs (article 14, alinéa 2). L’article 8, réformé par la loi du 04/10/2010, prévoit désormais que les sanctions à l’encontre des émetteurs seront publiées sur le site internet du SFMF.

 

La protection des investisseurs est parallèlement assurée par les « organisations auto-régulées » (article 15). En vertu de l’article 13 de la Loi « Des marchés financiers », elles participent à la régulation des marchés financiers conjointement avec le SFMF. Elles peuvent créer des fonds d’indemnisation destinés à indemniser le préjudice subis par les investisseurs, personnes physiques, en cas de violation des règles régissant les marchés financiers par leurs membres, en cas d’impossibilité de rembourser de ces derniers (article 17 de la Loi fédérale), ce qui n’est pas sans rappeler les systèmes d’indemnisation des investisseur prévus par la Directive du 03/03/1997, qui sont destinés à devenir une condition de l’agrément de l’UE pour les entreprises d’investissement (Gavalda C., Parleani G., Droit des affaires de l’Union européenne, Litec, 6è édition, 2010).

 

La distinction avec l’AMF tient en premier lieu au statut, cette dernière étant une autorité publique indépendante (API), disposant par ailleurs d’un pouvoir réglementaire, au moyen d’un Règlement général unique de l’AMF (L.621-6 du CMF). L’une de ses deux missions principales, visées à l’article L.621-1 du CMF, est cependant également de veiller à la bonne information des investisseurs sur les marchés financiers. L’AMF, dans le cadre de son pouvoir réglementaire, détermine les règles de pratiques professionnelles  qui s’imposent aux émetteurs lorsqu’ils procèdent à une offre au public ou dont les instruments financiers sont admis aux négociations sur un marché réglementé (L.621-7, I du CMF) , et détermine également les obligations d’informations pesant sur les émetteurs, obligations positives par opposition aux obligations négatives, à savoir l’interdiction des opérations d’initié ou de manipulation de cours, ces dernières trouvant leur source dans le droit de l’UE, et en particulier la Directive n°2003/6/CE du 28/01/2003 sur les opérations d’initié et les manipulations de marché (Bonneau T., Drummond F., Droit des marchés financiers, Economica 3è édition, 2010, p.359 à 369).

Il est à noter que le Règlement n° 1095/2010 du 24/11/2010 a récemment mis en place l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), afin de renforcer la surveillance du système financier européen et la coopération des autorités des Etats membres.

 

L’AMF dispose également d’un pouvoir de sanction (L.621-15 du CMF). La loi régulation bancaire et financière du 22/10/2010 a introduit la publicité des séances de la commission des sanctions, tout en laissant la possibilité d’anonymisation des sanctions pour éviter un trop grand préjudice à l’image de la personne sanctionnée (Bompoint D., La réforme des pouvoirs de sanction administrative de l’Autorité des marchés financierspar la loi RBF du 22 octobre 2010  Revue de Droit bancaire et financier n° 2, Mars 2011, dossier 12). Le législateur français n’est donc pas allé aussi loin que le législateur russe, même si la publicité des séances risque de sérieusement limiter l’effectivité de l’anonymisation des sanctions.

 

Un rôle résiduel des associations d’investisseurs en Russie contre des prérogatives accrues de celles-ci en France

 

En France, la défense des intérêts des investisseurs est confiée aux associations d’investisseurs, qui peuvent agir devant les juridictions civiles en défense des intérêts de leur membres, lorsqu’elles sont régulièrement déclarées et rendues publiques par une insertion au journal officiel. Les articles L.452-1 et suivants du CMF, modifiés par la loi Sécurité financière du 01/08/2003, prévoient un statut spécifique pour ces associations. L’évolution législative en France montre ces dernières années une tendance au renforcement du pouvoir des associations d’investisseurs, à l’image des associations de consommateurs : ainsi en est-il de l’action en défense d’un intérêt collectif (L.452-1 CMF), mais également de l’action « en représentation conjointe » (L.452-2 CMF).

 

 

Le droit russe se caractérise par une prééminence des organes fédéraux dans la protection des investisseurs et un rôle résiduel des associations. Les associations d’investisseurs en Russie ne sont pas légalement consacrées en tant que telles. Elles sont régies par le droit commun des associations, prévu par l’article 117 du Code civil russe et la loi « Des associations » du 19 mai 1995. L’alinéa 2 de l’article 18 de la Loi fédérale énonce que les associations d’investisseurs, personnes physiques, peuvent ester en justice pour protéger les droits et intérêts légaux des investisseurs, personnes physiques, sur les marchés financiers, en vertu des règles prévues par le droit processuel de la Fédération de Russie. Or, en vertu de l’alinéa 2 de l’article 46 du Code de procédure civile russe, l’association agit au nom et pour le compte du ou des investisseurs concernés, sans agir au nom d’un intérêt collectif comme c’est le cas en droit français (Baboulyn D.A., Commentaire de la loi fédérale « De la protection des droits et des intérêts légaux des investisseurs sur les marchés financiers », Justinform , Moscou, 2008, p. 246).  Par conséquent, l’intérêt collectif des investisseurs est, comme il l’a été dit précédemment, garanti principalement par les organes fédéraux en Russie, et notamment le SFMF.

 

Bibliographie :

 

•          T. Bonneau, F. Drummond, Droit des marchés financiers, Economica 3è édition, 2010

 

•          C. Gavalda, G. Parleani, Droit des affaires de l’Union européenne, Litec, 8è édition, 2010

 

Articles de revues :

 

 

•            Редькин И.В., Меры гражданско-правовой охраны прав участников отношений в сфере ценных бумаг. М., Деловой Экспресс, 2007, с.29 [ Redkin I.V., « Les mesures de droit commun garantissant les droits des acteurs dans le domaine des marchés financiers », Moscou, Delovoï Express, 2007, p. 29 ]

 

•            Бавулин Д.А., Комментарий к Федеральному закону « О защите прав и законных интересов инвесторов на рынке ценных бумаг», Юстицинформ, М. 2008, с. 246

[Baboulyn D.A., Commentaire de la loi fédérale « De la protection des droits et des intérêts légaux des investisseurs sur les marchés financiers », Justinform,  Moscou, 2008, p. 246]

 

•          G. Raymond, Les contrats de consommation, in Après le Code de la consommation, Grands problèmes choisis, Litec, 1995, p.37

 

•          D. Bompoint, La réforme des pouvoirs de sanction administrative de l’Autorité des marchés financierspar la loi RBF du 22 octobre 2010  Revue de Droit bancaire et financier n° 2, Mars 2011, dossier 12

 

Sources légales :

 

•            Федеральный закон от 5 марта 1999 г. N46-ФЗ«О защите прав и законных интересов инвесторов на рынке ценных бумаг», «Российская газета» от 11/03/1999

[Loi fédérale « De la protection des droits et des intérêts légaux des investisseurs sur les marchés financiers » du 05/03/1999, « Rossiîskia gazeta », 11/03/1991]

 

•            Федеральный закон «О общественных обьединениях» от 19/05/1995г. N82-ФЗ, «Российская газета» от 25/05/1995

[Loi fédérale du 19/05/1995 « Des associations » N 82-FZ, « Rossiîskia gazeta », 25/05/1995]

 

•            Федеральныйзакон «О рынке ценных бумаг от 22/04/1996» N39-ФЗ, «Российская газета» от 25.04.1996

[Loi fédérale du 22/04/1996 « Des marchés financiers » N 39-FZ, « Rossiîskia gazeta », 25/04/1996]

 

•          Закон РФ от 07.02.1992 N2300-1« О защите прав потребителей », опубликован в « Российской газете » от 7 апреля 1992 г.

[Loi fédérale du 07/02/1992 N 2300-1 (rédaction du 23/11/2009) « De la protection des droits des consommateurs », Rossiïskaia gazeta, 07/04/1992)]

 

www.legifrance.fr

 

www.garant.ru