Article 34.2 de la nouvelle loi espagnole d’arbitrage 60/2003 du 23 Décembre - Par Claire-Sophie Reydellet
Lorsque les parties décident de soumettre leur litige contractuel devant un arbitre, on se rend compte que le droit espagnol est un système ou l'autonomie des contractants est plus étendue que dans certains autres pays membres de l'UE. En effet, les parties sont autorisées à choisir non seulement le “droit”mais aussi les “règles de droit” que l'arbitre appliquera au litige. L'emploi du terme “droit” au lieu de celui de “loi” montre bien que le droit étatique n'a pas ici vocation exclusive à s'appliquer comme le souligne l'emploi du terme “normas juridicas” dans l'article 34.2 de la loi espagnole d'arbitrage.
Introduction: A l’heure d’une éventuelle transformation de la convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles, l’on s’interroge justement sur la possibilité pour les parties à un contrat de choisir comme règles applicables des règles non étatiques. Le livre vert proposant notamment de modifier 4.1 de la dite Convention mentionne explicitement le choix de « principes et règles reconnus au niveau international ». Ce débat peut tourner autour de la notion de contrat sans loi. Il s’agit donc là d’un sujet qui n’est pas méconnu des juristes spécialisés en droit international privé. Qu’entend-on par contrat sans loi?
Le terme employé pour définir cette notion peut porter à confusion puisqu’il ne s’agit absolument pas d’un contrat vide, qui ne serait ni régi par le droit ni régi par des règles de droit. Il s’agirait simplement d’un contrat régi par des règles non étatiques, un contrat non régi par la loi de tel ou tel pays mais par d’autres principes.
C’est donc cette acception de la notion de contrat sans loi qui sera entendu pour les explications qui vont suivre. On peut alors s’interroger sur la place qu’il convient de reconnaître au droit non étatique dans la réglementation des contrats internationaux. Le contrat international peut être reçu à différents niveaux. Devant les juridictions étatiques, et devant un arbitre si les parties choisissent de faire porter leur éventuel litige devant un arbitre. Quelle place est donc accordée dans la législation espagnole au contrat international dit « sans loi » (article 34.2 loi d’arbitrage espagnole) ?
La Place du contrat international « sans loi » devant le juge. En Espagne, la doctrine justifie la faible reconnaissance des contrats internationaux sans loi par la fidélité du juge espagnol à la méthode conflictuelle et à la justice de rattachement. En Espagne, il n’y a pas à proprement parlé de prohibition du contrat sans loi devant les juridictions étatiques. Simplement, la nécessité de respecter les règles de conflit applicables au contrat conduit inévitablement à limiter considérablement les effets susceptibles d’y être attachés.
L’Espagne fait référence à la théorie de l’incorporation. En vertu de celle-ci, les règles non étatiques désignées par les parties pour régir leur contrat ont la valeur de simples stipulations contractuelles. Elles sont incorporées au contrat et ne pourront produire leurs effets que dans les limites fixées à la volonté des parties par la loi étatique applicable au contrat : Cette théorie de l’incorporation est donc reçue par le droit positif. Ainsi la référence faite par les parties à des règles non étatiques telles la lex mercatoria, les principes UNIDROIT, ne peut être considérée comme un véritable choix de droit, ces règles étant simplement incorporées au contrat et ne pouvant porter atteinte aux dispositions impératives de la loi applicable au contrat.
La situation en Espagne montre bien que la possibilité pour le contrat sans loi de produire la plénitude de ses effets ne pourra prospérer qu’ à la faveur d’un changement radical d’orientation en vertu duquel les règles non étatiques choisies par les parties cesseraient d’avoir la valeur de simples stipulations contractuelles pour accéder au rang d’un véritable droit applicable au contrat.
On constate en France une prohibition du contrat sans loi devant les juridictions étatiques françaises. Le problème est celui de la liberté du juge d’user ou non de la règle de conflit de lois en matière de contrats internationaux et donc de décider si les contrats doivent être rattachés à la loi d’un Etat. Dans l’affaire des messageries maritimes 21 Juin 1950, la cour de cassation française a tenu à rappeler que tout contrat est nécessairement rattaché à la loi d’un état. Il est arrivé par la suite que la cour de cassation en vint à valider une clause incluse dans un contrat international (et non le contrat dans son intégralité) sans se référer a la loi qui validait cette clause. L’exemple le plus célèbre est celui de la clause compromissoire. Dans l’affaire Hecht, la cour de Paris avait été confrontée au problème de la validité d’une clause compromissoire incluse dans un acte mixte, nulle en vertu de la loi française. Or le contrat était en vertu de la volonté expresse des parties soumis à la loi française. Dans son arrêt, la cour de paris, désireuse de valider la clause, décida que “dans un contrat (international), les parties ont la faculté de convenir des stipulations de leur choix”. La Cour de Cassation approuva la solution. Mais elle ne retint pas, pour valider la clause, que celle ci pourrait être soumise à une autre loi que celle du contrat principal mais s’appuya seulement sur le principe de l’autonomie de la clause compromissoire sans le rattacher explicitement à une loi. Cette solution, dictée par la faveur à l’arbitrage et les nécessités du commerce international est suffisamment connue.
La situation en France et en Espagne : La faible place du contrat international sans loi devant les juridictions étatiques.
En France et en Espagne, le contrat sans loi ne peut pas avoir beaucoup de place. En effet, des lors qu’une situation contractuelle présente suffisamment des éléments d’extranéité pour la qualifier d’internationale, le juge procédera toujours a ces règles de conflits de loi. De telle sorte, qu’en présence d’un contrat international, le for appliquera toujours une loi étatique, que ce soit celle du for ou une loi étrangère. La méthode conflictuelle de droit international prive empêche donc en droit français et en droit espagnol l’essor d’un contrat régi par des normes juridiques non étatiques devant le juge espagnol ou le juge français. Cependant, on peut dire que la ratification d’instruments internationaux dans ces deux pays favorisera l’essor du contrat sans loi. La Convention de Rome applicable aux obligations contractuelles en France et en Espagne ne permettaient pas jusqu’à présent la désignation de règles non étatiques, mais il est cependant actuellement discuté à la commission européenne, la possibilité de choisir « des règles et principes reconnus au niveau international ». De telle sorte que la transformation de la convention de Rome en instrument communautaire et la modification de son article 3.2 pourrait refléter les premières apparitions du contrat sans loi devant les juges espagnols et français.
La place du contrat international sans loi devant les arbitres Directement saisis du litige dans un arbitrage selon les règles de droit, les arbitres du commerce international doivent déterminer le droit applicable au fond du litige. Il importe donc de dégager les principes directeurs qui guideront les arbitres dans l’accomplissement de cette tache.
En Espagne, c’est la ley de arbitraje qui régit les règles sur l’arbitrage international depuis le 23 Décembre 2003. La loi d’arbitrage est une loi générale favorable à l’arbitrage et l’autonomie des parties. Cette loi a pour vocation de réglementer tous les arbitrages qui se produisent sur le territoire espagnol. La libre autonomie des parties consacrées par cette nouvelle loi espagnole n’aura ses limites qu’à travers l’ordre public interne espagnol et international. Une des grandes innovations apparaît justement dans le 2e alinéa de cet article lorsque l’arbitrage est international, car il permet aux parties de choisir les normes juridiques applicables. C’est un changement puisqu’ en effet on peut lire dans l’article 34.2 l’emploi du terme « normes juridiques » a la place de « droit »comme le faisait l’ancienne loi de 1988. En effet, la référence au droit ou a la loi applicable peut être considérée comme trop restrictive en ce sens ou cela veut dire que les parties ne pouvaient que se référer a des normes juridiques émanant d’un ordre juridique national. Au contraire, la référence au terme normes juridiques regroupe non seulement les réglementations nationales mais aussi les normes supranationales comme les principes généraux du droit, les codifications telles que les principes UNIDROIT ou encore la lex mercatoria. A ce sujet, il convient de signaler que la jurisprudence internationale a déjà accepte qu’ un arbitre statuant selon la lex mercatoria ne juge pas en équité, ce qui équivaut a reconnaître que une sentence arbitrale fondée sur la lex mercatoria est une sentence “en droit”. CA Paris 13 Juillet 1989 compañía Valenciana de cementos porland v. Primary Coal.
Cependant, en matière d’arbitrage, le principe d’autonomie ne peut constituer une règle suffisante puisqu’ il arrive souvent que les parties n’aient pas désigné la loi applicable a leur contrat. Les arbitres vont donc se trouver tenu d’en effectuer eux mêmes la détermination. A travers différentes méthodes, l’arbitre désignera donc la norme juridique qui sera tenu de s’appliquer au litige ; L’arbitre a à l’évidence une grande liberté dans la détermination du droit applicable puisque tout comme en droit Français et Espagnol, l’arbitre tranchera le litige conformément à celles qu’il estime appropriées.
En France, les juridictions étatiques, saisies du règlement d’un litige comportant un ou plusieurs éléments d’extranéité, appliquent au fond du litige soit la lex fori, soit une loi étrangère selon l’indication fournie par leur règle de conflit de lois. La situation des arbitres du commerce international est fort différente: l’arbitre est une personne privée et tient sa compétence de la volonté des parties. L’absence générale de lex fori pour les arbitres de commerce international entraine donc l’absence de règle de conflit de lois s’imposant à eux. Les arbitres doivent appliquer au fond du litige les règles de droit désignées par les parties. Désignation qui résultera d’une clause electio juris incluse dans le contrat ou même d’un accord des parties.
Le Nouveau Code de Procédure Civile en son article 1496 définit les règles pouvant être choisies par les parties ou par l’arbitre a défaut d’un choix par les parties :
« L’arbitre tranche le litige conformément aux règles de droit que les parties ont choisies ; a défaut d’un tel choix, conformément a celles qu’il estime appropriées. Il tient compte dans tous les cas des usages du commerce. Les dispositions ne s’appliqueront qu’aux conventions d’arbitrage conclues a compter du 14 Mai 1981. » Tout comme la législation espagnole, le terme règles de droit permet aux parties de choisir non seulement comme droit applicable, des législations nationales mais aussi des règles supranationales
Conclusion : la dualité de statut du contrat sans loi en France et en Espagne Le succès du contrat sans loi va croissant devant la justice arbitrale alors que l’on constate encore une certaine méfiance a l’égard du droit étatique. Le droit étatique en phase avec les règles du DIP en vigueur dans les ordres juridiques nationaux réservent au droit étatique le monopole de la réglementation des contrats internationaux. On peut donc constater une dualité de statuts si le contrat sans loi est porte devant un arbitre ou devant un juge. Cependant, l’arbitre ne peut s’affranchir totalement du droit étatique puisque sa sentence est appelée à être reconnue et exécutée dans un ordre juridique donné. Le souci d’effectivité de sa décision le conduira à tenir compte des lois de police en vigueur dans l’état d’exécution, pour éviter que la sentence ne soit jugée contraire a l ordre public international. Devant les juridictions arbitrales, le contrat sans loi trouve un terrain propice à son épanouissement. Système ou l’autonomie des contractants est plus étendue et ou ceux ci peuvent choisir le droit ou les règles de droit applicables au litige. A défaut de choix exercé par les contractants, l’autonomie de l’arbitre quant à la détermination du droit applicable varie. On admet à défaut de choix de loi opéré par les parties que l’arbitre pourra trancher le litige en s’appuyant non plus sur une loi étatique mais sur des règles de droit. Devant les juges français et espagnols, la référence à des principes et règles supranationales ne constituent pas encore un véritable choix de droit. Cependant, l’adoption d’un Règlement communautaire Rome I applicable aux obligations contractuelles, permettrait une évolution vers la reconnaissance du contrat international sans loi.
Bibliographie sélective
• Vincent BRULHART, le choix de la loi applicable. Questions choisies.
• Santiago ALVAREZ GONZALES, condiciones generales en la contratación internacional Ed la ley 1992
• Jean- Marc MOUSSERON, Droit du commerce international 2e ed litec
• Modesto BESCO TORRES, La contratación internacional. Instituto español de comercio exterior, 2005
• Jean-Michel JACQUET Le contrat international, Dalloz 1992
• Fernando MANTILLA-SERRANO, ley de arbitraje una perspectiva internacional, ed Iustel 2005