Commentaire de la décision du 9 février 2011 de la cour d'appel de Celle relative à l'obtention de vêtements féminins par un prisonnier de sexe masculin

Le 9 février 2011, la cour d'appel de Celle a considéré que le refus opposé à un prisonnier d'obtenir des produits féminins, tels que du maquillage et de porter en privé dans sa cellule des vêtements féminins est illégal. Que la personne concernée soit transsexuelle ou non, au sens médical du terme, ne rentre pas en ligne de compte. Ce refus est en effet jugé contraire à l'article 22 de la loi d'exécution judicaire (Justizvollzugsgesetz) régissant les prétentions des prisonniers à obtenir des vêtements, et contraire aux articles 1, 2 et 3 de la loi fondamentale allemande, énonçant respectivement un droit à la dignité humaine, à l'autodétermination personnelle et à la non discrimination. L'argument selon lequel le port de vêtement féminin dans une prison exclusivement masculine pourrait conduire à des agressions contre le prisonnier ne permet pas de jusitifer le refus d'accéder à la demande du prisonnier, selon la cour d'appel de Celle.

La décision du 9 février 2011 de la première chambre pénale de la cour d’Appel de Celle  est une belle illustration de l’évolution actuelle de la situation juridique des transsexuels en Allemagne, et plus globalement en Europe. Le transsexualisme (Le transsexualisme a été défini dès le début des années 50 comme  un « phénomène » contemporain caractérisé par le « sentiment éprouvé par un individu normalement constitué d'appartenir au sexe opposé, avec désir intense et obsédant de changer d'état sexuel, anatomie comprise, pour vivre sous une apparence conforme à l'idée qu'il s'est faite de lui-même » (ALBY, Contribution à l'étude du transsexualisme, thèse méd., Paris, 1956)., appelé parfois aussi «  syndrome de dysphorie du genre » ou « transgenre » a été défini par la classification internationale des maladies (CIM10) comme le désir de vivre et d’être accepté en tant que personne appartenant aux sexe opposé. Ce désir s’accompagne habituellement d’un sentiment de malaise ou d’inadaptation envers son propre sexe anatomique et du souhait de subir une intervention chirurgicale ou un traitement hormonal afin de rendre son corps aussi conforme que possible au sexe désiré. » Il est donc considéré en France et en Allemagne comme une maladie (cette qualification  est d’ailleurs très critiquée par les associations)( C. MASCRET «  Les aspects juridiques liés à la prise en charge du transsexualisme en France »), Revue de droit sanitaire et social, 2008, page 497., et plus précisément comme un trouble de l’identité sexuelle (Classé dans les troubles de l’identité sexuelle par l’Organisation mondiale de la santé en 1996.), et ouvre aux personnes concernées un droit à des interventions médicales et chirurgicales. En France,  entre 40 000 eu 60 000 personnes seraient concernées par la transsexualité (Le nombre est difficile à définir. Il concerne ici toutes les personnes ayant commencé un traitement hormonal - http://www.france-info.com/france-societe-2007-10-06-les-transsexuels-da...). La prise en compte de ce phénomène par le droit est donc inévitable. Elle est cependant très difficile car « ce sujet est complexe au vu des enjeux non seulement juridiques mais surtout humains que celui-ci implique».(C. MASCRET «  Les aspects juridiques liés à la prise en charge du transsexualisme en France », Revue de droit sanitaire et social, 2008, page 497.) L’appréhension juridique de la transsexualité a cependant connu une grande évolution au cours de ces dernières décennies en France, en Allemagne et en Europe :

Pour ce citer que quelques exemples jurisprudentiels emblématique, la cour européenne des droits de l’homme a décrit pour la première fois le transsexualisme en 1986.( Affaire RESS contre Royaume Uni, du 10 octobre 1986, N°9532181 : « fait pour des personnes qui, tout en appartenant physiquement à un sexe, ont le sentiment d’appartenir à l’autre et qui essaient souvent d’accéder à une identité plus cohérente et moins équivoque en se soumettant à des soins médicaux à et des interventions chirurgicales afin d’adapter leur caractères physiques à leur psychisme. ») Elle joue un rôle très important dans l’évolution de la situation juridique des transsexuels et a notamment ouvert le mariage aux transsexuels en 2002(Cour européenne des droits de l’homme, N°25680/94 – Arrêt GOODWIN contre Royaume Unis, 11 juillet 2002 : Obligation positive pour les Etats de reconnaître aux transsexuels opérés leur conversion sexuelle sur le plan juridique.).  Cependant, elle n’exerce pas de protection « absolue » en la matière puisqu’elle laisse par exemple à la discrétion de chaque Etat partie de déterminer les conditions dans lesquelles il estime qu’une conversion sexuelle a été réalisée dans son pays.( JP. MARGUENAUD «  transsexualisme- la cour européenne des droits de l’homme fait le saut de l’ange »relatif à l’affaire Christine GOODWIN contre Royaume Uni du 11 juillet 2002,  revue trimestrielle de droit civil, 2002, page 862.) Il dispose notamment d’une grande marge d’appréciation quant à la nécessité de procéder ou non à une chirurgie de résignation sexuelle pour pouvoir changer juridiquement de sexe.( C’est dans sa toute dernière décision du 11 janvier 2011 que la cour constitutionnelle allemande a considéré qu’exiger une telle résignation sexuelle était une atteinte à la dignité humaine)

Son influence n’est cependant pas négligeable puisque cela a  permis par exemple l’ouverture changement d’état civil aux personnes transsexuels en 1992 à la suite d’une condamnation de la France par la cour européenne des droits de l’homme.( Arrêt Marc X et réné Y,  11 décembre 1992 (JCP 1993, II 21991) , assemblée plénière et CEDH 25 mars 1992 B. contre France.))

Le droit de l’Union européenne n’a malheureusement que très peu suivi cette évolution positive, et bien que la cour de justice des communautés européenne ait reconnu dans deux arrêts, la nécessité d’éviter les discriminations contre les transsexuels en droit du travail(CJCE C13/94 PC/S et Cornwall County Council, du 30 avril 1996 suite au licenciment injustifié d’un transsexuel ) ou lors de la conversion de droits sociaux (CJCE, C- 117/01 KC/National healt service pensions agency and secretary of state for health, 7 janvier 2004), le droit de l’union européenne laisse la question du transsexualisme dans le domaine de compétence exclusif de ses Etats membres. Et ne joue de ce fait pas un rôle très important dans la protection des droits des transsexuels. (JP. MARGUENAUD «  transsexualisme- la cour européenne des droits de l’homme fait le saut de l’ange »relatif à l’affaire Christine GOODWIN contre Royaume Uni du 11 juillet 2002,  revue trimestrielle de droit civil, 2002, page 862.)

Quant  l’Allemagne,  sa cour constitutionnelle vient juste de rendre une décision très importante concernant la situation juridique des transsexuels. En effet, celle-ci vient de déclarer contraire à la dignité humaine le fait de subordonner le changement civil du sexe d’un transsexuel à l’ablation de ses organes génitaux (Décision Bundesverfassungsgericht, 11 janvier 2011. Seules 3 conditions semblent maintenant exister en Allemagne pour pouvoir aspirer à un changement d’état civil : ne plus se sentir appartenir, en raison de son "empreinte transsexuelle", au sexe indiqué dans l'acte de naissance mais à l'autre sexe. Il faut également ressentir, depuis au moins trois ans, la contrainte intérieure de vivre selon ce sentiment et présenter une haute probabilité que ce sentiment d'appartenance ne changera plus, ces conditions devant être vérifiées par deux experts judiciaires. - http://www.trans-aide.com/ta2-lgbt/int-doc/cp/Jugement%20du%20Bundesverfassungsgericht_fr_v0.1.pdf – Rosa Lëtzebuerg. )

La référence à l’article 1 de la loi fondamentale allemande („Die Würde des Menschen ist unantastbar“ . Sie zu achten und zu schützen ist Verpflichtung aller staatlichen Gewalt. „ La dignité humaine est inviolable – la garantir et la protéger es tune obligation étatique.“) et son prononcé par la cour constitutionnelle allemande donnent à cette décision – en plus de sa valeur juridique évidente - une grande portée symbolique, explicitant clairement le souhait de l’Allemagne de protéger les transsexuels et de favoriser leur intégration.

La décision du 9 février 2011 de la cour d’appel de Celle s’inscrit sans aucun doute dans le mouvement jurisprudentiel évolutif décrit ci-dessus. Elle pose la question de l’intégration des transsexuels dans notre société, et plus particulièrement en prison.

 

La décision

 

Le 22 février 2007, le prisonnier WH est condamné par la chambre pénale du tribunal fédéral d’Hanovre  à une peine de 5 ans et 6 mois de prison ferme pour abus sexuel aggravé sur mineurs, abus sexuel sur personnes en situation de faiblesse et abus sexuels sur personnes incapables d’opposer résistance.

Selon les dires du prisonnier (demandeur à l’instance) , celui-ci est victime depuis longtemps de trouble de l’identité sexuel ; de transsexualisme. Pour cette raison, il souhaite obtenir un suivi psychologique de la part d’un psychologue spécialisé externe à la maison d’arrêt. Il aimerait également -afin de pouvoir mener une vie « normale »- obtenir des vêtements et des sous vêtements féminins qu’il pourrait porter une fois enfermé (seul) dans sa cellule. Ces deux souhaits lui ont été refusés par la maison d’arrêt (défendeur à l’instance) dans laquelle il purge sa peine. De plus, divers produits de maquillage ainsi qu’un collant féminin trouvés dans la cellule du prisonnier lui ont été confisqués lors d’un contrôle des gardiens.

A la suite des refus opposés au prisonnier concernant les demandes qu’il avait exprimées, et de la confiscation de ses biens « féminins », le prisonnier W.H  dépose une demande auprès du tribunal fédéral d’Hanovre afin d’obtenir une décision judiciaire concernant les souhaits qu’il avait formulés et la légalité de la « saisie » de ses produits féminins. Contestant le refus de la maison d’arrêt et la confiscation de ses biens, il invoque une discrimination fondée sur son sexe. La chambre pénale du tribunal d’Hanovre déclare le 26 novembre 2010 sa demande de décision judicaire irrecevable. Comme justification de sa décision, la chambre pénale reprend le 22 février 2007 mot pour mot les arguments présentés par la maison d’arrêt lors de son refus : Le prisonnier n’aurait mis en avant sa prétendue transsexualité que dans le seul but de ne pas faire face aux conséquences de ses actions criminelles. Aucune motif important ne semble justifier un suivi psychologique extérieur, et le port de vêtements féminins même seul au sein de sa cellule est incompatible avec la vie sociale d’une prison exclusivement masculine ; de plus cela pourrait conduire à des agressions/représailles de la part des autres prisonniers s’ils découvraient la transsexualité du demandeur. 

Débouté en première instance, le demandeur interjette appel  devant la cour d’appel du Land de la ville de Celle. La décision commentée ici du 9 février 2011 est la décision faisant suite audit recours. Le demandeur fait valoir en l’espèce une violation formelle et matérielle du droit par le tribunal fédéral d’Hanovre.( « Die materielle Verletzung  » (litt. violation matérielle)  correspondrait en droit français  à une violation du droit sur le fond et « die formelle Verletzung » (litt. violation formelle)  à  une violation du droit sur la forme.)La présente décision – composée en 3 parties- reprend un à un les arguments invoqués par l’appelant.  

La cour d’appel considère tout d’abord que le recours de l’appelant est recevable. Elle annonce par la suite que ce dernier est en parti fondé.

Tout d’abord, elle examine le refus du tribunal quant à la demande de suivi psychologique du prisonnier. Selon la cour d’appel, le fait que tribunal de première instance ait justifié son refus en ne faisant qu’exclusivement références aux arguments déjà invoqués par la maison d’arrêt n’est pas constitutif d’un vice de forme. En revanche, le fait que le tribunal ait considéré que la maison d’arrêt pouvait refuser un tel suivi en considérant qu’il n’y avait pas de « motif important » pour cela est une erreur de droit. En effet, le tribunal aurait dû tout d’abord examiner l’existence réelle du syndrome de transsexualisme chez le prisonnier W.H.. Les articles 56 et suivants de la Justizvollzugsgesetz énoncent en effet que les soins nécessaires doivent être apportés aux prisonniers malades.(Selon la cour d’appel, une maladie est « ein vom leitbild eines gesunden Menschen abweichender Körper oder Geisteszustand anzusehen, der ärtzlicher Betreuung bedarf. Auch Erkrankungen im psychischen oder psychiatrischen Bereich fallen hierunter, gleiches gilt für Beeinträchtigung, die ihre Ursache in einem gestörten Verhältnis zwischen seelschem und Körperlichen Zustand haben.“ )Il est donc nécessaire d’examiner si le prisonnier est malade et donc, s’il est atteint du syndrome de transsexualisme. Considérant cependant, qu’aux vues des nombreuses expertises médicales pratiquées, le prisonnier n’est pas atteint de transsexualisme au sens strictement médical du terme, la décision de première instance n’a pas à être annulée sur ce point. En effet, seul le demandeur lui-même se considère comme atteint dudit syndrome.

Dans un second temps, la cour d’appel examine le refus prononcé par la première instance relatif à l’obtention pour le prisonnier de vêtements féminins. Sur ce point, la cour d’appel annule la décision du tribunal d’Hanovre. En effet, ce dernier a appliqué au cas d’espèce l’article 76 I NJvollzG, concernant la possibilité et les modalités d’obtention d’affaires personnelles en tout genre par les prisonniers, alors qu’il aurait dû appliquer l’article 22 de la même loi régissant spécialement les prétentions des prisonniers à obtenir des vêtements. (Die oder der Gefangene trägt eigene Kleidung, wenn sie oder er für Reinigung und Instandsetzung auf eigene Kosten sorgt; anderenfalls trägt sie oder er Anstaltskleidung.(2) Die Vollzugsbehörde kann das Tragen von Anstaltskleidung allgemein oder im Einzelfall anordnen, wenn dies aus Gründen der Sicherheit oder Ordnung der Anstalt erforderlich ist.)

Selon cet article, l’autorisation de porter des vêtements en détention n’est pas soumise à l’appréciation de la direction de la maison d’arrêt.  Un refus d’obtenir des vêtements ne peut être justifié que par la clause générale de l’article 3. II de ladite loi qui énonce une possibilité de limiter l’accès aux vêtements personnels des intéressés en cas de mise en danger de la sécurité ou de l’ordre au sein de l’établissement pénitentiel.(„Rechtsstellung der Gefangenen und Sicherungsverwahrte: Die oder der Gefangene und die oder der Sicherungsverwahrte unterliegen den in diesem Gesetz vorgesehenen Beschränkungen ihrer oder seiner Freiheit. 2 Soweit das Gesetz eine besondere Regelung nicht enthält, können ihr oder ihm die Beschränkungen auferlegt werden, die zur Aufrechterhaltung der Sicherheit oder Ordnung der Anstalt erforderlich sind. Die Sicherheit der Anstalt umfasst auch den Schutz der Allgemeinheit vor Straftaten der Gefangenen und Sicherungsverwahrten.“)

En l’espèce la question posée devant la cour d’appel est donc la suivante, le refus opposé à l’appelant par la maison d’arrêt (puis confirmée par le tribunal d’Hanovre) d’obtenir des vêtements féminins était il justifié par des raisons de protection de sécurité et d’ordre au sein de la maison d’arrêt ? La cour d’appel examine un à un les justifications mises en avant par le défendeur. La direction de la prison a tout d’abord expliquée que les vêtements féminins étaient réservées aux femmes et de ce fait ne pouvait pas être donnés à un homme. Cet argument ne semble a priori pas aspirer à protéger l’ordre ou la sécurité au sein de la maison d’arrêt. En effet, la cour d’appel rappelle que le choix de porter certains vêtements plutôt que d’autres est une forme d’expression garantie par la constitution pour chaque individu. Le droit à la liberté individuelle et à l’autodétermination est garanti par l’article 2. I et l’article 1 de la loi fondamentale. Chaque individu doit être libre de pouvoir choisir la façon dont il souhaite se montrer en public, et la façon dont il souhaite que les tiers le perçoivent. La conception que peut avoir le défendeur de la répartition traditionnelle des rôles « homme/femme » ne peut justifier une atteinte à l’égalité de traitement entre les prisonniers. En opposant comme argument que les vêtements demandés par le prisonnier sont des vêtements de femme, la maison d’arrêt a violé l’article 3 alinéa 3 Grundgesetz (loi fondamentale) relatif à l’interdiction des discriminations (basées sur le sexe). („ Niemand darf wegen seines Geschlechtes, seiner Abstammung, seiner Rasse, seiner Sprache, seiner Heimat und Herkunft, seines Glaubens, seiner religiösen oder politischen Anschauungen benachteiligt oder bevorzugt werden. Niemand darf wegen seiner Behinderung benachteiligt werden.“  Personne n’a le droit d’être discriminé ou privilégié en raison de son sexe, de  sa filiation, de sa race, de sa langue, de ses origines, de ses croyances, de sa religion, de ses convictions politiques. Personne n’a le droit d’être discriminé en raison de son handicap ». ) En citant la cour constitutionnelle allemande (Bundesverfassungsgericht, , NJW 2009, 661), la cour d’appel rappelle que «  des différences de traitements liés au sexe ne sont autorisées que lorsqu’elles sont absolument nécessaires au règlement de problèmes qui ne peuvent strictement apparaître que chez les hommes ou chez les femmes, ou lorsqu’elles servent à protéger un autre droit constitutionnellement garanti. »

Comme second argument, le défendeur a souhaité expliquer sa décision en invoquant une incompatibilité entre le souhait du prisonnier de porter des vêtements de femmes, et la vie sociale de la prison (endroit clôt exclusivement masculin.) Cependant, le prisonnier ne souhaitant porter les vêtements demandés que seul dans sa cellule, la cour d’appel n’a pas jugé  pertinent l’argument du défendeur.

Ce dernier a ensuite tenté de justifier sa décision en faisant valoir sa volonté de protéger le prisonnier demandeur contre d’éventuels agressions et/ou abus sexuels qui pourraient survenir de la part des autres prisonniers, s’ils venaient à découvrir que le demandeur était transsexuel. Bien que la cour d’appel ne juge pas cette justification comme étant suffisante, elle considère néanmoins que cet argument doit être pris en compte et appelle la chambre de renvoi à garder à l’esprit que tous les vêtements féminins ne peuvent pas être procurés au demandeur. Pour justifier le refus de cet argument, la cour d’appel invoque le principe d’obligation positive de l’Etat (Rechtstaatliche Zurechnung)( Sur les obligations positives de l’Etat, notion de droit international, particulièrement mise en œuvre par la CEDH „ La notion en tant que telle, et la « mécanique » des obligations de cette nature, ne sont apparues qu’à la fin des années 60, propulsée par l’arrêt relatif à l’Affaire linguistique belge. A partir de cette remarquable décision, le juge européen n’a cessé d’étendre la catégorie en lui ajoutant des éléments nouveaux. »Les obligations positives en vertu de la Convention européenne des Droits de l’Homme Un guide pour la mise en œuvre de la Convention européenne des Droits de l’Homme Jean-François Akandji-Kombe  - Précis sur les droits de l’homme, no 7), qui oblige la maison d’arrêt à prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la protection du prisonnier. Des restrictions  aux droits fondamentaux, notamment au principe d’égalité peuvent être justifiées par le besoin de maintien de l’ordre et de sécurité au sein de la prison, mais ce seulement lorsque les autres possibilités et ressources de la maison d’arrêt ont été exploitées et ne permettent pas ou plus une protection suffisante de ses droits. (« Frauenkleider: die etwas andere Kleidung in der JVA. » disponible sur le site http://gutesrecht.wordpress.com/2011/04/05/frauenkleider-das-etwas-ander... . Dernière consultation le 20 août 2011)

Dans un dernier temps, la cour d’appel examine brièvement la  légalité de la confiscation des biens personnels du prisonnier. Cette dernière est illégale car discriminatoire (la cour renvoi au point  (b)(Relatif au refus d’obtention de vêtements féminins par le prisonnier). De plus l’autorisation donnée aux prisonniers d’acquérir des biens sous entend une autorisation tacite de les utiliser, sauf en cas de disposition contraire expresse ; disposition qui n’existe pas dans le cas d’espèce.

Le défendeur à l’instance, c'est-à-dire la maison d’arrêt, c'est-à-dire l’Etat, est à nouveau intervenu en ne gardant à l’esprit que la stricte protection du prisonnier vis-à-vis de des autres prisonniers sans se demander si une telle sécurité ne pouvait pas être garantie par des moyens moins attentatoires aux droits fondamentaux du prisonnier.

Transsexualisme en prison et discrimination

 Cette décision qui suit d’à peine un mois la décision du conseil constitutionnel allemand marque comme il l’a déjà été dit une belle évolution en matière de lutte contre les discriminations et montre la volonté des juridictions allemandes d’améliorer la situation juridique des transsexuels, leur situation carcérale comme le montre la décision d’espèce.

Cette décision fait une place très importante au principe d’égalité et à la lutte contre les discriminations relatives à l’identité sexuelle puisqu’en pratique, elle hisse cette interdiction des discriminations au dessus de la protection du prisonnier contre d’éventuelle agression. Elle impose en contre partie à l’Etat pour « compenser le risque encouru »  une obligation plus grande de vigilance et de protection du prisonnier concerné. L’allusion que fait la cour d’appel ici à la théorie des obligations positives de l’Etat est très importante : ce concept, relativement récent, est souvent apparus dans d’autres décisions relatives à des affaires se passant en prison. Le fait de faire référence à cette théorie dans le cadre du principe d’interdiction des discriminations renforce l’effectivité de la lutte contre celles-ci. Elle suit de par cette référence le raisonnement de la cour européenne des droits de l’homme, « créatrice » de cette théorie.(Céline Robert « libértés publiques– les sources européennes : la CEDH », disponible sur celine.robert.free.fr/iej/la_cedh.htmil, dernière consultation le 20 août 2011/ Becklink 1010662, Beck- aktuell 2.03.2011, Redaktion Verlgag C.H, OLG Celle :  «  Justizvollzugsanstalt muss transsexuellem  Gefangenen grundsätzlich Tragen von Damenklaidung erlauben“)

Il est également très important de préciser qu’en l’espèce, le prisonnier demandeur n’est pas transsexuel au sens médical du terme. Pourtant, la cour d’appel ne s’attarde pas particulièrement sur ce point. Elle examine chaque argument indépendamment les uns des autres, et le fait que le prisonnier ne soit pas « réellement » transsexuel est quasi sans influence sur son raisonnement concernant l’éventuelle discrimination dont il aurait été victime.  Il y a eu discrimination car la différence de traitement qu’a subi le prisonnier n’était pas justifiés par des raisons nécessaires (voir article 3 NJVollZG), il y avait donc objectivement discrimination, qu’importe que le prisonnier ait réellement eu « besoin » de ses vêtements ou pas. La cour d’appel de Celle se base en effet sur l’article 3 alinéa 3 phrase 1 de la loi fondamentale allemande pour justifier sa décision : cette disposition est celle relative au principe constitutionnel d’interdiction des discriminations. En l’espère, c’est à l’interdiction des discriminations basées sur le sexe, que la cour d’appel fait référence (en effet pour les juges allemands, l’interdiction des discriminations fondée sur le sexe justifie qu’un homme puisse porter des vêtements de femme), en le conciliant avec l’article 2 alinéa 1 de la loi fondamentale allemande énonçant pour chacun un droit à l’autonomie personnelle (dont découle le droit à la liberté sexuelle) et l’article 1 alinéa 1 qui garantit le droit à la dignité humaine.

 

La situation carcérale des transsexuels en France

Il est possible de se demander ce que les juridictions françaises auraient décidé si une telle affaire avait été portée  à leur attention. A l’heure actuelle, il ne semble pas y avoir eu de jurisprudence sur le sujet, et les dispositions du code de procédure pénale (articles D.61 et D.348) concernant l’obtention de vêtements dans les établissements carcéral sont sensiblement les mêmes que celles de l’Allemagne : par conséquent, l’établissement carcéral n’aurait pu refuser l’obtention de vêtements féminins à un prisonnier que si cela s’était vu justifié par des raisons de protection de la sécurité et de l’ordre dans la prison. Reste alors à savoir si l’application du principe d’égalité et de non discrimination devant les juridictions françaises aurait conduit à la même décision :  aurait amené le juge à considérer qu’un tel refus n’était pas justifié par des raisons suffisantes. En pratique tout d’abord, il est possible de constater , que la situation carcérale des transsexuels en France est loin d’être parfaite : en effet, le contrôleur général des lieux de privation de liberté a été saisi  (en application des dispositions de l’article 6 de la loi N°2007 – 1545 du 30 ocobre2007) par plusieurs personnes détenues faisant état de leur sentiment d’appartenir au sens opposé et des difficultés rencontrées pour leur prise en charge médicale ou l’obtention de vêtements féminins.( Suite à la ratification du protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines et traitement cruels, inhumains et dégradants adopté par l’assemblée générale des Nations-Unis le 18 décembre 2002, le législateur français a institué, par la loi n°2007- 1545 du 30 octobre 2007, un Contrôleur général des lieux de privation de liberté et lui a conféré le statut d’autorité administrative indépendante. http://www.cglpl.fr/missions-et-actions/autorite-independante/)Dans un avis du 30 juin 2010 relatif à la prise en charge des personnes transsexuelles incarcérées, celui-ci fait état de la situation actuelle en France et donne de nombreuses recommandations aux directions des maisons d’arrêts, comme notamment le suivi psychologique, l’accès à des soins médicaux, et au nom du respect à la vie privée (article 8 CESH) à des vêtements féminins et produits de beauté.

En théorie, le juge française aurait sûrement – tout comme l’a fait le juge allemand – accordé un rôle très important à la théorie  « des obligations positives de l’Etat ». En effet, la France s’est déjà fait condamnée par la cour européenne des droits de l’homme pour ne pas avoir assez protéger le droit à la vie (article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme)  des prisonniers en France.(Cour européenne des droits de l’homme, RENOLDE contre France,  16 octobre 2008, N° 5608/05)Dans cet arrêt, la cour a bien fait mention de l’obligation pour chaque état de protéger et de « réaliser » les droits fondamentaux garantis par la convention. De ce fait, l’argument selon lequel procurer des vêtements féminins à un prisonnier dans un établissement carcéral uniquement masculin risquait d’entrainer des agressions et des représailles, n’aurait peut être pas fait échos devant le juge français, qui aurait probablement considéré, tout comme le juge allemand, que dans une situation telle que celle ci, l’Etat a l’obligation de redoubler de vigilance. Une fois, l’argument du « risque » pour le prisonnier demandeur écarté, un refus tel que celui opposé au prisonnier W.H aurait été considéré comme une atteinte au principe d’égalité (il n’est en revanche pas certains qu’il se base comme l’a fait la juridiction d’appel allemande sur l’interdiction des discriminations basée sur le sexe) Celui-ci en effet impose de traiter de façon identique des personnes placés dans une situation identique. Un prisonnier qui se voit refuser l’obtention vêtements (sans raison juridique valable) est traité différemment d’un prisonnier qui se les voit accorder. Il y a donc bien une atteinte au principe d’égalité que le juge se doit alors de sanctionner.

 

 

Bibliographie

 

 

Ouvrages et revues

 

Jean-François Akandji Kombe  - -« Les obligations positives en vertu de la Convention européenne des Droits de l’Homme »  Un guide pour la mise en œuvre de la Convention européenne des Droits de l’Homme Précis sur les droits de l’homme, numéro 7

Jean Penneau« Corps humain »,. Répertoire de droit civil – décembre 2005.,.

M. Walther J. Habscheid «  Les cours supérieures en République Fédérale d'Allemagne et la distinction du fait et du droit devant les juridictions suprêmes en France et en Allemagne. » In: Revue internationale de droit comparé. Vol. 20 N°1, Janvier-mars 1968. pp. 79-94.

Caroline Mascret, «  les aspects juridiques liés à la prise en charge du transsexualisme en France. », revue de droit sanitaire et social 2008, page 497.

JP Marguénaud«  transsexualisme – la cour européenne des droits de l’homme fait le saut de l’ange » Revue trimestrielle de droit civil 2002, page 862.

Marine Friant Perrot« transsexualisme : une modification des conditions de changement de sexe ? », reccueil dalloz 1999, page 508.

 

 

Sources internet

Becklink 1010662, Beck- aktuell 2.03.2011, Redaktion Verlgag C.H, OLG Celle :  „Justizvollzugsanstalt muss transsexuellem  Gefangenen grundsätzlich Tragen von Damenkleidung erlauben“, disponible sur le sitehttp://beck-online.beck.de Dernière consultation le 20 aoüt 2011.

« Frauenkleider: die etwas andere Kleidung in der JVA. » disponible sur le site http://gutesrecht.wordpress.com/2011/04/05/frauenkleider-das-etwas-ander... . Dernière consultation le 20 août 2011.

Avis du Contrôleur général des lieux de privation de liberté Du 30 juin 2010 relatif à la prise en charge des personnes transsexuelles incarcérées disponible sur le site http://www.cglpl.fr/missions-et-actions/autorite-independante/. Dernière consultation le 12 mai 2011.

Céline Robert « libértés publiques– les sources européennes : la CEDH », disponible sur celine.robert.free.fr/iej/la_cedh.htmil, dernière consultation le 20 août 2011.