Commentaire de l'article de M. Palombino " sur l' efficacité des arrêts de la Cour Européenne des Droits de l'Homme dans l’ordre juridique francais et allemand; par Adel Labadi
La Convention européenne des sauvegardes des droits de l’Homme a été ratifiée par l’Allemagne et la France. Son incorporation dans le droit interne s’est essentiellement développée avec la reconnaissance du droit au recours individuel entraînant les premières condamnations par la Cour de Strasbourg. Son efficacité repose selon M. Palombino aussi sur l’attitude du juge national, notamment celle du juge constitutionnel. L’Allemagne qui est moins souvent condamnée que le « pays des droits de l’Homme » , se montre à cet égard, dans son ordre juridique interne, plus attentif à la CEDH et à sa jurisprudence, que la France
La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme ( CESDH ) s’est largement inspirée durant son élaboration de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Toutefois, elle est plus précise, car cette convention internationale apporte plus de détails dans la définition des droits civils et politiques reconnus tels que par exemple le droit à la vie, au mariage, à l’éducation etc… Elle est entrée en vigueur en 1953 et tous les États membres du Conseil d’Europe y sont parties. En réalité, ce n’est qu’avec la reconnaissance par les Etats membres du droit au recours individuel devant la Cour européenne des droits de l’Homme ( CEDH ) que la CESDH a commencé à produire des effets dans l’ordre juridique interne des États. À la différence des traités communautaires, la CESDH n’a pas vocation à créer un nouvel ordre juridique de droit international. De fait la Cour de Strasbourg ne dispose pas du pouvoir d’imposer directement une modification du droit. Ainsi, à l’occasion de l’affaire « Marckx » du 13.06.79, le juge européen a précisé que ses arrêts, rendus en vertu de l’article 46 de la CESDH, étaient déclaratoires pour l’essentiel. Ce qui implique qu’il se borne à dire dans chaque affaire s’il y a eu ou non-violation des exigences de la CESDH. En invitant le juge national, mieux placé que le juge international, à évaluer le contexte particulier de l’objet du litige et à trouver une solution conforme à la jurisprudence européenne, la Cour européenne utilise le concept de marge d’appréciation nationale. Dans cette optique, seule une coopération fondée sur une complémentarité entre le juge de Strasbourg et les autorités nationales peut permettre une application correcte des décisions européennes. Ce sont surtout les juges constitutionnels, garants de la protection des droits fondamentaux dans l’ordre juridique interne, qui ont une place décisive à occuper dans cette dynamique. Il serait donc intéressant de se pencher sur la question de savoir comment les juges nationaux appliquent la CESDH et la jurisprudence de la Cour ? Quelles sont les modalités selon lesquelles les arrêts de la Cour européenne peuvent venir en considération devant le juge interne ? M. Palombino donne dans son article deux éléments de réponses, en distinguant si l’État du juge national fait l’objet d’une condamnation ou pas. En prenant appui sur cette distinction fondée sur l’existence d’une condamnation par la CEDH, il serait intéressant de comparer la situation en France avec celle de l’Allemagne. Il s’agira d’étudier par conséquent dans un premier temps l’autorité interprétative qu’exerce la Cour européenne de Strasbourg sur la jurisprudence des Cours constitutionnelles (qui se traduit par une influence explicite ou implicite) dans l’hypothèse où l’État concerné n’est pas condamné. Dans un second temps, il s’agira d’analyser comment les arrêts de condamnation de la CEDH se sont révélés comme une nouvelle source de droit, améliorant ainsi la protection des droits fondamentaux dans le droit interne des États, notamment dans le domaine des garanties procédurales.
Selon Palombino, les arrêts de la Cour européenne sont pris en compte tout d’abord comme aide en vue de déterminer la portée et le contenu d’une règle interne. Généralement, le juge constitutionnel préfère utiliser toutes les potentialités du texte constitutionnel, plutôt que de faire appel aux dispositions de la CESDH et de la jurisprudence de la CEDH. D’ailleurs en France comme en Allemagne, les juges constitutionnels se refusent à effectuer un contrôle de conventionnalité c’est-à-dire de conformité entre la loi nationale et les dispositions de la CESDH. La Cour de Kalsruhe a affirmé dans une décision du 17.05.1983 qu’un « recours constitutionnel ne pouvait être exclusivement fondé sur la violation de normes conventionnelles ». Dans sa décision de principe « I.V.G. » du 15.01.1975, le Conseil constitutionnel a jugé que malgré le principe de primauté des traités posé par l’ article 55 de la Constitution, il n’était pas compétent pour effectuer un contrôle de conventionnalité. Il a fondé sa décision sur le fait que la supériorité de la Constitution était générale et absolue, alors que celle du traité n’était que temporaire et relative car subordonnée à la condition de l’application par l’autre partie. Le fait que la CESDH ne pouvait constituer le ratio decidendi d’une décision de la cour constitutionnelle allemande, n’excluait toutefois pas qu’elle l’utilise comme source d’ inspiration, en vue de déterminer le contenu et la portée des droits nationaux. Puisque la Loi fondamentale ne contenait aucune base textuelle pour fonder une telle méthode auxiliaire d’interprétation, la Cour l’a elle-même développée dans une décision de principe du 26.03.87. Dans cette décision importante, le juge constitutionnel en se fondant sur le principe constitutionnel « de fidélité et d’ouverture du droit allemand au droit international » incorporé dans le préambule, les articles 23 à 26 et 59 § 2 de la Loi fondamentale, en a déduit l’obligation de tenir compte le plus possible du droit international dans l’application et l’interprétation du droit interne. Cette jurisprudence fut confirmée dans des décisions du 25.05.90 et « Görgülü » du 14.10.04 dans lesquelles la Cour a rappellé que « la jurisprudence de la Cour européenne devait servir comme aide à l’interprétation en vue de définir le contenu et l’étendue des droits fondamentaux et des principes de l’État de droit de la Loi fondamentale » Cela a entre autre été le cas dans une décision du 12.05.87, dans lequel le juge allemand s’est référé à la jurisprudence « Abdulaziz, Cabales & Balkandali » du 28.05.85 de la CEDH et dans une décision du 24.01.95 mentionnant l’arrêt « Karlheinz Schmidt » du 18.07.94 de la Cour de Strasbourg. En ce qui concerne la France, le Conseil constitutionnel adopte une attitude différente de celle du juge constitutionnel allemand en ce qu’il ne se réfère pas expressément aux arrêts de la Cour européenne. Néanmoins, même si la CEDH est formellement évacuée par le Conseil, l’influence strasbourgeoise dans la reconnaissance de nouvelles garanties est loin d’être inexistante. C’est ce qu’illustre la décision du 18.12.86, qui consacre la notion de pluralisme des courants de pensée et d’opinion, idée clairement exprimée auparavant dans l’arrêt « Handyside » du 7.12.76 de la CEDH. Cette influence occulte se retrouve aussi dans les arrêts du 27.07.94 et du 19.01.95 érigeant le respect de la dignité humaine comme « objectif à valeur constitutionnelle ». Enfin tout récemment, dans une décision du 21.02.08, le Conseil s’est implicitement référé à l’article 5 § 1 de la CESDH pour censurer l’application rétroactive de la rétention de sureté. Le Conseil interprète par conséquent aussi le préambule de la Constitution à la lumière de la CESDH mais refuse d’étendre les normes de référence de son contrôle à celle-ci. C’est pourquoi la doctrine a proposé de mettre fin à la distinction entre les droits fondamentaux et ceux qui sont garantis par la CESDH. Cela impliquerait de revenir sur la jurisprudence I.V.G. et d’opérer un revirement partiel. La condition de réciprocité, qui a principalement fondée cette décision, n’est en effet pas légitime voire sans objet pour des engagements internationaux relatifs aux droits fondamentaux comme la CESDH. Une telle évolution permettrait de prévenir les risques de contrariété entre l’interprétation faite par le juge européen et par le juge constitutionnel des droits fondamentaux. De plus, en vertu de l’article 62 alinéa 2 de la Constitution, le Conseil pourrait diffuser en direction des juridictions ordinaires, des autorités administratives et du législateur une interprétation cohérente des droits fondamentaux. Que ce soit de façon explicite ou implicite, le juge constitutionnel allemand comme francais interprète donc en pratique les droits fondamentaux nationaux à la lumière de la jurisprudence de la CEDH. Cependant, il faut préciser qu’il ne s’agit que des droits déjà reconnus en tant que tels par les ordres juridiques internes. Les arrêts de la CEDH ont une portée limitée, dans la mesure où ils ne viennent que compléter les droits fondamentaux déjà incorporés dans le droit interne. De plus, cette démarche dépend complétement de la volonté facultative du juge national et des pouvoirs qui lui sont attribués par son système juridique, ce qui peut nettement restreindre l’efficacité des arrêts de la Cour de Strasbourg.
Si la CEDH et sa jurisprudence ont d’abord servi de réserve d’interprétation pour le juge constitutionnel allemand et francais, ne conférant à celles-ci qu’une utilité marginale, certains droits, tels les droits procéduraux sont fréquemment mieux protégés par la CEDH. Souvent les juges nationaux habitués à considérer leur système juridiques comme exemplaire et irréprochable ne s’en rendent compte qu’après une condamnation de leur pays. D’ailleurs, la France a, dans le passé, été condamnée plus souvent que l’Allemagne, alors que celle-ci posséde depuis 1955 le droit au recours indviduel, tandis que la France ne l’a introduit dans son droit interne qu’en 1981. En 2008 par exemple, l’Allemagne a été condamnée 6 fois et la France 24 fois. Palombino nous rappelle que l’obligation principale incombant à un État condamné consiste à prendre les mesures adéquates, afin d’éviter qu’une même violation se reproduise. Cela rend souvent nécessaire des modifications législatives et des orientations de jurisprudence en accord avec la pratique judiciaire de Strasbourg. Bien que les arrêts de condamnations n’ont pas d’effet juridique contraignant selon l’article 46 de la CESDH, la médiatisation de ces arrêts et la pression politique qui en découle, poussent les États condamnés à en tenir compte sur le plan interne. Ainsi, récemment dans l’arrêt Sürmeli du 8.06.06, l’Allemagne fut condamnée car selon le juge européen, ni le recours constitutionnel, ni les recours indemnitaire, hiérarchique et en carence n’étaient des recours effectifs pour se plaindre de la durée excessive des procédures en Allemagne. Depuis cette décision, un projet de loi introduisant en droit allemand un nouveau recours en carence est prévu. Mis à part des problèmes liés au délai raisonnable de la justice allemande, l’Allemagne est rarement condamnée par la CEDH et peut se prévaloir d’un standard de protection des droits fondamentaux élevé. Quant au juge constitutionnel francais, il n’a presque jamais eu directement affaire à une condamnation de Strasbourg. Cela s’explique d’une part, par la nature de son contrôle de constitutionnalité qui est in abstracto et à priori (c’est-à-dire uniquement avant la promulguation de la loi) et d’autre part, par son mode de saisine qui est beaucoup plus restreint que celui de la Cour constitutionnelle allemande. En effet, seules les autorités politiques, c’est-à-dire l’éxecutif et les parlementaires peuvent saisir le Conseil. Néanmoins, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a introduit dans la Constitution francaise un article 61-1, créant la question préjudicielle de constitutionnalité. Théoriquement, un citoyen pourrait donc contester la constitutionnalité d'une loi à l'occasion d'un procès. Cependant, l’entrée en vigueur de cette réforme est encore subordonnée à l’adoption par le Parlement d’une loi organique, précisant les modalités d’application de l’article 61-1. Le recours constitutionnel allemand « Verfassungsbeschwerde » par contre permet déjà aux requérants établis en Allemagne de saisir, après avoir épuisé les voies de recours internes, la juridiction constitutionnelle afin qu’elle examine les allégations d’éventuelles violations des droits fondamentaux. Le Conseil constitutionnel français n’est donc actuellement pas encore confronté à des recours constitutionnels de justiciables, ce qui a pour conséquence qu’il ne peut pas remédier à une violation des droits fondamentaux sur le plan interne et ainsi éviter l’intervention de la Cour de Strasbourg. En France ce sont les juges du fonds qui, depuis l’arrêt « Jacques Vabre » du 24.05.75 de la Cour de Cassation et « Nicolo » du 20.10.89 du Conseil d’État, garantissent indirectement la protection des droits fondamentaux, en pouvant soulever l’exception de non-conformité d’une loi nationale française à la CESDH, à l’occasion de son application à un procès en cours. C’est par cette reconnaissance du contrôle de conventionnalité, s’avérant en pratique comme une sorte de contrôle de constitutionnalité masqué, que s’est engagé après les décisions Jacques Vabres et Nicolo un mouvement de dialogue entre la Cour européenne des droits de l’ Homme et les juges judiciaires et administratifs francais. Ainsi, les arrêts « Reinhard et Slimane-Kaid » du 31.03.98 et « Slimane-Kaid » du 25.01.00 de la Cour européenne ont modifié les méthodes d’examen des pourvois. Dans ces arrêts, la France a été condamnée pour violation de l’article 6 § 1 de la CESDH « en ce que la cause des requérants n’avait pas été entendue équitablement par la Cour de Cassation ». Sous l’influence de cette jurisprudence, la Cour de cassation a profondément modifié, à compter du 01.01.02, la procédure d’examen des pourvois. Ainsi d’une part, le rapport établi par le conseiller est désormais communiqué aux parties comme au ministère public. D’autre part, il a également été décidé que les avocats généraux ne participeraient plus, ni à la conférence préparatoire, ni au délibéré. L’arrêt Kress du 7.06. 01, confirmé par l’arrêt Martinie du 12.04 06 de la CEDH condamnant la France va dans le meme sens. Il a conduit le gouvernement français à tirer les conséquences de ces jurisprudences dans un décret du 1er août 2006. Depuis, le commissaire du gouvernement n’assiste plus au délibéré dans les cours et les tribunaux français. Une autre illustration importante a été la décision Mableu du 14.02.96 du Conseil d’État qui marque la première grande infléxion procédurale découlant de la CESDH et la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Auparavant, le Conseil d’État a jugé que certaines juridictions administratives spécialisées, notamment disciplinaires, échappaient au domaine d’application de l’article 6 de la CESDH et n’avaient pas l’obligation de tenir une audience publique de jugement. Depuis cette décision, désormais toutes les juridictions administratives siègent en audience publique, à moins que des exigences de protection particulières justifient le huis clos.
Bibliographie «L’efficacité des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme dans le cadre des procédures nationales» F.M. Palombino ; Revue de droit international et de droit comparé ( p.529-554 ) ; 2008 «Droit international public« Patrick Daillier, Alain Pellet ; 7eme édition «Die Rezeption der Europäischen Menschenrechtskonvention in Deutschland und Frankreich» Constance Grewe, Christoph Gusy; 37 Band «La Convention européenne des droits de l’ Homme et le juge constitutionnel national« David Szymczak «L'influence de la Convention européenne sur l'organisation et le fonctionnement des cours suprêmes« Revue internationale de droit comparé ; 2008 «Droit constitutionnel» Pierre Pactet, Ferdinand Mélin-Soucramanien ; 23eme édition http://www.echr.coe.int/ECHR/homepage_fr ( site de la Cour européenne des droits de l’ Homme ) http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/l...