L’application de la convention pénale sur la corruption du Conseil de l’Europe de 1999 en France et en Russie
Khetag Kesaev, M2BDE
L’application de la convention pénale sur la corruption du Conseil de l’Europe de 1999 en France et en Russie
La convention pénale sur la corruption, signée à Strasbourg le 27 janvier 1999, a été élaborée durant une période où la création des normes destinées à lutter contre la corruption a été très forte. Des conventions similaires ont été conclues en 1997 entre les Etats membres de l’Union européenne et de l’Organisation de coopération et de développement économiques. Puis c’était au tour du Conseil de l’Europe de commencer à élaborer des mesures anti-corruption. Ce travail était mené aussi bien dans le domaine pénal que civil et a abouti à la création de deux conventions sur la lutte contre la corruption. Ces deux conventions ont été signées en 1999. Au niveau structurel, la convention pénale inclut 42 articles (c’est moins que la convention de l’ONU contre la corruption de 2003), dont 31 sont consacrés à la lutte contre la corruption (les articles restants sont des dispositions techniques). La Convention a été signée par trois Etats non membres du Conseil de l’Europe. Si le Mexique et les Etats-Unis n’ont fait que signer, la Biélorussie a aussi ratifié et adhéré à ce texte. Au total, 50 Etats ont signé la Convention et 47 l’ont ratifiée, parmi lesquels la France et la Russie. La Convention poursuit l’objectif d’harmoniser des législations internes des Etats membres dans le domaine de la lutte contre la corruption et la répression de celle-ci. Les Etats signataires s’engagent donc à prendre des mesures législatives ou autres dans le domaine pénal touchant à la corruption. Pour mieux cerner les apports de cette convention, une analyse de son application au niveau du droit interne peut s’avérer intéressante. Comme il est indiqué dans cette introduction, la France et la Russie ont ratifié la convention pénale sur la corruption. Il convient donc d’adopter une démarche comparative dans l’étude de la responsabilité pénale pour corruption dans ces deux Etats en application de la convention du Conseil de l’Europe.
Deux questions peuvent se poser: Dans quelle mesure la convention est appliquée dans la législation interne en France et en Russie ? Quels mécanismes permettent de contrôler son application ?
Il convient d’étudier les disparités de législations dans la lutte contre la corruption dans les deux Etats (I) puis le contrôle de la bonne application de la Convention, réalisé par le Conseil de l’Europe et particulièrement le Groupe d'États contre la corruption (GRECO) (II).
I - Disparité des législations: une lutte inégale contre la corruption.
Le chapitre II de la Convention sur les mesures à prendre au niveau national a une importance capitale. Il énumère les faits de corruption criminalisés mais aussi les dispositions de caractère pénal et processuel touchant à la responsabilité. Les articles 2 à 11 exigent l’établissement de la responsabilité pénale pour la corruption aussi bien active que passive. Cela concerne les agents publics nationaux, les membres d’assemblées publiques nationales, les agents publics étrangers, le secteur privé, les fonctionnaires internationaux et les juges. L’application des dispositions de la Convention se traduit par l’adoption des mesures législatives ou autres par chaque Partie. C’est donc dans les législations des Etats parties qu’il faut chercher dans quelle mesure la Convention est appliquée (А). Une attention particulière peut être portée à la responsabilité des personnes morales (B).
A) La corruption dans la législation pénale en France et en Russie.
Pour permettre une meilleure application de la Convention pénale sur la corruption du Conseil de l’Europe, des modifications ont été apportées dans les législations des deux Etats. Il est important de préciser une différence entre le système français et le système russe qui concerne la codification de la législation. Si en France les lois sont généralement transposées dans les codes, ce n’est pas le cas en Fédération de Russie où les lois peuvent coexister avec les codes, ces derniers pouvant renvoyer aux lois non codifiées. Certaines lois modifient, certes, les dispositions codifiées, mais beaucoup de lois existent séparément des codes. Cette petite imperfection peut s’expliquer par le fait que le système juridique russe post-soviétique est assez jeune. Mais ce système s’inspire beaucoup du droit français et du droit allemand et on peut espérer que toute la législation sera codifiée dans un avenir proche.
Le terme « corruption » n’est pas clairement défini dans le code pénal russe. Il y est même absent. C’est une différence par rapport au code pénal français qui semble définir la corruption et le trafic d’influence dans son article 432-11. Cela ne veut pas dire pour autant que le code pénal russe ne prévoit pas de mécanismes de lutte contre la corruption. Il contient plusieurs chapitres contenant des éléments constitutifs des faits de corruption. Mais les avantages du code pénal français par rapport au code russe résident dans la différentiation claire des actes de corruption et leur caractérisation détaillée. Le législateur a inclus des dispositions spéciales touchant aux actes des agents publics, notamment celles qui régissent l’ordre et la procédure de l’acquisition des biens, surtout immobiliers, par ceux-ci.
En Russie, une tentative de systématisation des éléments constitutifs des délits de corruption a débouché sur l’adoption de la loi fédérale du 25 décembre 2008 sur la lutte contre la corruption. Celle- ci recense les actes suivants: la corruption passive, la corruption active, les abus de pouvoir, la corruption commerciale, etc. Cette liste n’est pas exhaustive, ce qui laisse la possibilité d’y inclure d’autres actes pouvant être qualifiés de corruption. C’est dans l’article 1 de cette loi qu’on trouve enfin la définition de la corruption mais cette définition n’est pas transposée dans le code pénal. En ce qui concerne la responsabilité des personnes morales, la loi contient un dernier petit article qui évoque celle-ci mais rien n’est dit sur la nature de cette responsabilité, encore moins sur son caractère pénal. Malgré cette loi, la qualification des actes comme étant des délits de corruption reste assez doctrinale. Il est évident qu’il faut prendre l’une des directions suivantes: soit introduire un chapitre spécialement consacré à la corruption dans le code pénal russe, soit définir clairement ce qu’est la corruption et introduire une liste exhaustive des actes pouvant être qualifiés comme tels. Cela sera tout à fait conforme aux exigences nationales et internationales du contrôle du phénomène social qu’est la corruption. En attendant, cette loi assez générale constitue un troisième acte législatif contenant des mesures de lutte contre la corruption et prévoyant une responsabilité pour celle-ci, concurremment avec le code pénal et le code du contentieux administratif.
En ce qui concerne la République Française, parmi les lois adoptées dans le domaine de la responsabilité pénale pour corruption, on peut évoquer celle du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, qui introduit ou modifie certaines dispositions du code pénal et du code de procédure pénale. L’ensemble des dispositions de cette loi a pour but, comme son nom l’indique, la répression des infractions économiques et financières, dont la corruption fait partie. L’apport de cette loi se situe au niveau de l’alourdissement des peines en cas de délits de corruption et de trafic d’influence.
On peut donc voir que la loi russe du 25 décembre 2008 sur la lutte contre la corruption à une portée plus générale et est créée en vue de developper les mécanismes de lutte contre la corruption. La loi française du 6 décembre 2013, quant à elle, a pour objectif d’apporter certaines modifications à un mécanisme de lutte déjà suffisamment développé dans le code pénal.
B) Une divergence fondamentale en matière de responsabilité des personnes morales.
En droit français, la responsabilité pour corruption est exclusivement pénale, tandis qu’en droit russe elle est aussi quelquefois administrative, avec le code du contentieux administratif qui contient encore des dispositions pouvant engager la responsabilité administrative. Le problème réside dans le fait que le code pénal russe ne prévoit pas de responsabilité pénale pour les personnes morales. C’est une différence notable par rapport au code pénal français qui prévoit cette responsabilité, notamment dans les articles 433-25, 433-26, 434-47, 434-48, 435-15 et 445-4. Les personnes morales, au sens du droit russe, n’engagent que leur responsabilité civile ou administrative. C’est pour cette raison que la responsabilité des personnes morales pour les faits de corruption en Russie est administrative. Ceci entre en contradiction avec les exigences du Conseil de l’Europe et notamment du GRECO puisque le monopole de l’instruction pénale pour les faits de corruption est exigé. C’est d’ailleurs un reproche fait par le GRECO dans son rapport de 2013 sur l’exécution des recommandations par la Fédération de Russie. L’établissement du régime de responsabilité exclusivement pénale pour les délits de corruption est exigé. La recommandation du GRECO suppose une poursuite pénale pour tous les faits de corruption. Les éléments constitutifs des infractions liées à la corruption sont aussi présents dans le code du contentieux administratif, ce qui suppose une responsabilité seulement administrative et non pénale pour certains actes de corruption en Russie. Le problème qui se pose est que la responsabilité administrative est beaucoup moins sévère que la responsabilité pénale, notamment en ce qui concerne les amendes, ce qui fait que les personnes morales peuvent se procurer des avantages, même en engageant leur responsabilité administrative pour corruption. La responsabilité pénale pour corruption étant plus sévère, notamment au niveau financier, elle dissuaderait les personnes morales de procéder aux actes de corruption puisqu’aucun avantage ne pourrait être tiré.
L’introduction de la responsabilité pénale des personnes morales dans le droit russe fait l’objet d’un débat doctrinal très important depuis plusieurs années. La nécessité de l’introduction de cette res- ponsabilité s’explique par les engagements internationaux de la Fédération de Russie, la convention pénale sur la corruption en tête, mais aussi par le fait que l’activité illégale des personnes morales peut souvent représenter une menace pour la société. La responsabilité pénale des personnes morales permettra aussi de lutter contre les personnes morales fictives, créées dans le but de blanchiment d’argent, pratique très répandue en Fédération de Russie. Ce sera une contribution à la lutte contre la corruption corporative, lorsqu’une société propose des avantages aux agents publics dans le but d’obtenir des contrats avantageux. L’expérience de la France et d’autres Etats, où la responsabilité pénale des personnes morales existe, ainsi que les mécanismes juridiques internationaux dans ce domaine, doivent inspirer le système juridique russe. De plus, la responsabilité pénale des personnes morales les poussera à contrôler l’activité des personnes physiques agissant pour leur compte.
II - Un contrôle réduit de la mise en oeuvre de la Convention.
D’après l’article 24 de la Convention, « le Groupe d'Etats contre la Corruption (GRECO) assure le suivi de la mise en œuvre de la présente Convention par les Parties ». Ce suivi se fait sous forme de rapports pour chaque Etat partie à la convention. Le GRECO formule des recommandations à chaque Etat puis évalue la réalisation de celles-ci dans l’ordre interne.
A travers les rapports du GRECO, on constate que les recommandations destinées à la Fédération de Russie sont nombreuses alors qu’en ce qui concerne la France, on se limite quasiment au do- maine parlementaire. Ces constations peuvent servir de reflet du niveau de la corruption dans les deux Etats et permettent de mesurer les efforts accomplis pour lutter contre celle-ci. En Russie la corruption touche beaucoup plus la société à différents niveaux alors qu’en France elle pose problème surtout aux échelons supérieurs de la vie politique. D’autre part, il est très important de relever une différence qui n’est pas des moindres et détermine surement le succès relatif de la lutte contre la corruption en France et les difficultés rencontrées en Russie. En vertu de l’article 29 de la Convention, les Parties désignent une autorité centrale chargée d’assurer le respect ce texte du Conseil de l’Europe et d’appliquer les recommandations du GRECO. En France, c’est le rôle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), « une autorité administrative indépendante (AAI) chargée d’une mission de service public : promouvoir la probité et l’exemplarité des responsables publics » (http://www.hatvp.fr/la-haute-autorite/qui-sommes-nous/une-institution- independante/). Un organisme indépendant donc, doté des prérogatives de puissance publique dans le domaine de la corruption, et qui permet une meilleure efficacité. Tandis qu’en Russie, c’est le Ministère de la Justice de la Fédération de Russie ainsi que le Bureau du Procureur Général de la Fédé- ration de Russie qui sont chargés des taches similaires. Deux structures complètement intégrées au pouvoir étatique, ne jouissant donc pas de cette indépendance dans l’évaluation de la transparence de la vie publique, ce qui peut expliquer un certain manque d’efficacité dans la lutte contre la corruption. La Russie dispose encore d’un Conseil de lutte contre la corruption auprès du Président de la Fédération de Russie mais bien évidemment il ne s’agit en aucun cas d’une institution indépendante, puisque parmi ses membres on retrouve le Président de la Fédération, certains ministres, d’autres personnalités occupant une place dans l’exécutif, et même le directeur des services de renseignements. Cela souligne une nouvelle fois une extrême centralisation de la vie politique en Fédération de Russie et une préférence accordée aux organes répressifs de l’Etat (Prokouratoura - Bureau du Procureur Général).
Pour conclure, il est nécessaire de souligner l’efficacité des mécanismes de la responsabilité pénale pour faits de corruption et trafic d’influence en France. Cela s’explique avant tout par l’inéluctabilité de la sanction. En ce qui concerne la Fédération de Russie, même si les mécanismes juridiques de responsabilité pour corruption existent, dans les faits il est souvent possible d’échapper à la peine. Mais le système juridique post-soviétique est encore très jeune et la volonté de la Fédération de Russie de coopérer au niveau international en ce qui concerne la corruption peut redonner de l’optimisme dans son avancée pour la lutte contre la corruption et une responsabilité pénale adéquate pour les faits qualifiées comme tels.
Bibliographie:
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- Convention pénale sur la corruption du Conseil de l’Europe
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- CodePénal(France)
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- Code Pénal (Fédération de Russie)
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- Loi Fédérale sur la lutte contre la corruption du 25 décembre 2008 (Fédération de Russie)
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