Comparaison du système international et du système régional latinoaméricain de protection des droits de la femme, par Mathilde Groazil
La protection des droits de l’homme a pour objet général de privilégier des catégories particulières d’individus en leur accordant plus de Droits. Les minorités et peuples, sont des bénéficiaires collectifs des ces Droits. Quant aux individus femmes et enfants, ils en sont des bénéficiaires individuels. Le Droit des femmes appréhendé sous l’angle de la non discrimination et de l’égalité permettra un état des lieux comparatif de la protection internationale et régionale interaméricaine établie à l’égard de ces bénéficiaires individuels.
“Les droits fondamentaux des femmes (...) font inaliénablement, intégralement et indissociablement partie des droits universels de la personne. L'égale et pleine participation des femmes à la vie politique, civile, économique, sociale et culturelle, aux niveaux national, régional et international, et l'élimination totale de toutes les formes de discrimination fondées sur le sexe sont des objectifs prioritaires de la communauté internationale”. Déclaration et Programme d'action de Vienne (partie I, paragraphe 18), approuvés par la Conférence Mondiale sur les Droits de l’homme, Vienne 25 juin 1993, (Première partie, chapitre. III). Selon une publication de l’ONU de 1992 intitulée "Situation de la femme dans le monde 1970-1990 : tendances et statistiques", les femmes constituent la part de la population la plus pauvre du monde. A l’échelle planétaire, la majorité des analphabètes sont des femmes. En Asie et en Afrique, les femmes travaillent en semaine 13 heures de plus que les hommes et dans la majorité des cas sans rémunération. De manière générale, à emploi équivalent les femmes gagnent entre 30 et 40 % de moins que les hommes. Enfin, les femmes ne représentent que 5% du total des chefs d’Etat dans le monde. L’égalité est la pierre angulaire des sociétés démocratiques qui aspirent à la justice sociale et au plein respect des droits de l’homme. Dans la grande majorité de nos sociétés la femme fait l’objet d’inégalités juridiques et pratiques. Ce qui exacerbe ce postulat, mais qui en est aussi à l’origine, c’est l’existence d’une discrimination à l’égard des femmes au sein même de la famille, de la communauté ou encore sur le lieu de travail. Bien que les causes et les conséquences varient d’un pays à l’autre, la discrimination à l’égard des femmes est une réalité qui se perpétue par le biais du maintien dans l’inconscient collectif de stéréotypes, de pratiques, de croyances culturelles et religieuses traditionnelles qui portent un grand préjudice au statut de la femme. Au niveau international, la situation des femmes est couverte par de nombreux instruments juridiques généraux ou spécifiques, contraignants ou non qui consacrent le principe d’égalité et de non discrimination. Concernant le système des traités internationaux sur les Droits de l’homme, il faut distinguer une double dimension. La dimension spatiale qui recouvre des instruments juridiques internationaux comme la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes de 1979 (CEDEF) et des instruments juridiques régionaux comme la Convention Interaméricaine pour la prévention, la sanction et l'élimination de la violence contre la femme de 1994 (Convention Belém Do Pará). La dimension matérielle et personnelle des Conventions qui permet de distinguer les Traités à vocation personnelle universelle s’adressant à tous les êtres humains des Traités à vocation sectorielle s’adressant à un ensemble ou à une catégorie. Ainsi, si les femmes sont titulaires, tout comme les hommes, de Droits issus de Conventions universelles, elles sont aussi titulaires de Droits propres issus de Traités à vocation sectorielle, qu’ils soient internationaux, la CEDEF ou régionaux, la Convention Belém do Pará. L’intérêt de cette étude comparative réside principalement en le fait que, de manière générale, la protection régionale établit à l’échelle interaméricaine facilite une réelle proximité entre l’énoncé des droits par rapport aux besoins régionaux. Elle permet aussi la mise au point d’instruments juridictionnels de contrôle. Il existe donc, à côté du système international de protection des femmes, un système régional de protection des Droits de l’homme qui ne doit pas être considéré comme superflu. La protection des femmes mise en place au sein du système international est-elle toute aussi fine ? Pour répondre à cette interrogation, se centrer sur le contexte de la mise en place de la CEDEF et de la Convention Belém do Pará mais surtout de se focaliser sur leurs principes premiers permettra d’apprécier, ensuite, les mécanismes de recours mis en place par les instruments de 1979 et de 1994 pour le respect de leurs obligations conventionnelles.
Contexte de naissance et principes premiers de la CEDEF et de la Convention Belém do Pará La CEDEF est l’instrument juridique international majeur le plus complet concernant la protection des femmes. Elle est l’aboutissement du long travail de la Commission de la condition de la femme fondée en 1946 par l’ONU. Adoptée le 18 décembre 1979 par l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) elle entre en vigueur le 3 septembre 1981. Ces articles définissent les droits des femmes et établissent la marche à suivre pour éliminer les discriminations à leur encontre dans divers domaines. Sa naissance repose sur deux constats majeurs : l'égalité entre hommes et femmes est indispensable pour garantir le développement équilibré et soutenable d’un pays (préambule) ; et le droit des femmes est aussi un droit très largement bafoué. La Convention remplit différents objectifs : elle balaie l’ensemble des droits politiques et des droits civils des femmes et a pour originalité de traiter de la procréation ou de la répercussion des facteurs culturels sur les relations entre les hommes et les femmes. Concernant les droits politiques on trouve dans la Convention le droit de participation à la vie politique des femmes (article 7). Aux articles 10, 11 et 13 est énoncée l’obligation de respecter l’égalité des droits des femmes en matière d'éducation, d'emploi et d'activité économique et sociale. L'article 16 affirme que les femmes et les hommes ont les mêmes droits personnels, les mêmes droits en matière de disposition des biens et enfin le même droit de choisir leur conjoint et de décider librement du nombre et de l'espacement des naissances. Les droits civils englobent essentiellement, comme l’énonce le préambule et les articles 4 et 5, l’idée d’un pouvoir de procréer qui ne peut être la base d’une discrimination à l’égard des femmes. Au-delà de poser les droits civils et politiques des femmes, la CEDEF reconnaît que culture et tradition peuvent contribuer à limiter le plein exercice de leurs droits fondamentaux par les femmes. Le préambule de la Convention affirme donc que “le rôle traditionnel de l'homme dans la famille et dans la société doit évoluer autant que celui de la femme si on veut parvenir à une réelle égalité de l'homme et de la femme". L’article 5 déclare que “Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour modifier leurs schémas et leurs modèles de comportement socioculturels (...)” L’intitulé de la Convention Belém do Pará : “pour la prévention, la sanction et l’élimination de la violence contre la Femme” met l’accent sur une orientation très spécifique que retiendrait le texte qui, contrairement à la CEDEF, ne se centrerait que sur le problème de la violence contre les femmes. ” L’article 1 de la Convention en adéquation avec la récente résolution de l’AGNU du 30 janvier 2007, déclare que la violence à l’égard des femmes est entendue comme “ tout acte ou comportement fondé sur la condition féminine qui cause la mort, des torts ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychiques à la femme, aussi bien dans sa vie publique que dans sa vie privée.” Mais en dépit de cette apparente orientation spécifique, Belém do Pará offre, en plus, de biens nombreuses dispositions se référant aux droits de la femme en général. En ce sens, la CEDEF et Belém do Pará ont le même objet. Selon l’article 5, au large champ d’application, les femmes ont droit à la reconnaissance, à la jouissance, à l’exercice et à la protection des droits de l’homme offerts par les instruments juridiques “régionaux et internationaux.” L’article 4 cite une liste non exhaustive de droits reconnus aux femmes. “Ces droits comprennent, entre autre (...)". L’article 6 se réfère au droit de la femme d’être libre de toutes formes de discrimination et à son droit de recevoir une formation et une éducation dénuée de stéréotypes en matière de comportement et de pratiques sociales et culturelles basées sur des concepts d'infériorité ou de subordination. Quant aux articles 7 et 8, ils traitent des politiques devant êtres menées par les Etats en faveur des femmes et impliquant l’existence de Droits à leur égard. L’article 9 se réfère au nécessaire pris en compte de la vulnérabilité de la femme. Enfin, la Convention Belém do Pará considère en son article 10 qu’en vertu d’un devoir de collaboration propre aux Traités sur les droits de l’homme, des rapports étatiques sur les droits des femmes doivent êtres transmis à la Commission interaméricaine des femmes.
La CEDEF ne traitant pas de la violence faite aux femmes, la Convention Belém do Pará a, en conclusion, un champ d’application beaucoup plus étendu puisqu’elle traite tant de la violence que du Droit des femmes en général. Belém do Pará propose donc une protection plus complète. Néanmoins, une Recommandation générale du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes datant de 1992 traite du sujet de la violence à l’égard des femmes. La CEDEF dispose, en effet, d’un organe qui lui est propre : le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes. Ce Comité est un organe permettant le contrôle et le respect des obligations liées à la CEDEF. La Convention Belém do Pará bénéficie d’une toute autre technique de contrôle.
Mécanismes de recours et techniques de contrôle mis en place par les deux instruments pour le respect de leurs obligations conventionnelles La sphère des droits de l’homme est le domaine pionnier dans lequel ont été établies des techniques de contrôle des obligations liées aux Conventions. La protection établie par les droits de l’homme permet à un ou plusieurs individus de se pourvoir afin que soient appréciées leurs plaintes. Eu égard aux instances de recours, les situations sont différentes sur le plan universel et sur le plan régional. Au niveau universel il n’existe pas de juridiction spécialisée compétente pour connaître des violations des Droits de l’homme. Si la Cour internationale de justice a eu l’occasion de se prononcer sur les Droits de l’homme (ayant valeur de jus cogens), elle ne connaît que des affaires entre Etats. S’il existe la possibilité d’un recours quasi-juridictionnel au moyen du Comité des droits de l’homme, ce comité n’applique que le Pacte international des droits civils et politiques de 1966. Au niveau régional, il y a des juridictions spécialisées en matière de droits de l’Homme : par exemple, au niveau européen on trouve la Cour européenne des droits de l’homme, au niveau africain la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Quid de la CEDEF et de la Convention Belém do Pará ? Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (le Comité) siégeant à New-York est l’organe "quasi-juridictionnel" de la CEDEF. C’est l’article 17§1 de la Convention qui établit la mise en place de cet organe. Concernant la création et la composition du Comité. Il a pour but de s’assurer de la bonne application de la CEDEF par les pays l’ayant ratifié ou y ayant adhéré. Composé de 23 experts siégeant à titre personnel, proposés par leur propre gouvernement et élus pour 4 ans par les Etats parties dans le respect d’une répartition géographique équitable, ces experts doivent-être "d'une haute autorité morale et éminemment compétents dans le domaine auquel s'applique la Convention" (introduction à la Convention et article 17§1). Le Comité est très différent des autres organes conventionnels des droits de l’homme créés en vertu de Traités : mis à part une exception, il n’a été composé que de femmes et ne se réunit que deux semaines par an. C’est la plus brève de toutes les réunions des Comités créés en vertu de Traités sur les droits de l’homme. Dès lors, il convient de s’interroger sur son efficacité : une unique réunion de deux semaines par an permet-elle un réel contrôle de l’effective application de la CEDEF ? Concernant les tâches du Comité. Le Comité examine les rapports présentés et évalue le progrès. En plus de l’obligation légale d’appliquer les dispositions de la CEDEF, les pays qui ont ratifié le Traité doivent présenter des rapports dès la première année après leur accession au statut de partie à la Convention et ensuite tous les quatre ans. Les rapports énumèrent les mesures prises par les Etats pour honorer leur engagement de respecter les dispositions de la CEDEF. Après examen des rapports, le Comité transmet aux Etats les observations finales. En plus d’être officiels et nationaux, les rapports peuvent être des rapports alternatifs présentés à posteriori et donc le fait d’institutions spécialisées des Nations-Unies ou d’organisations non gouvernementales, invitées dans le but de fournir au Comité des informations sur les faits dans un pays donné. Le Comité établit aussi des recommandations générales à l'intention des Etats parties sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes. Elles portent sur des sujets comme les femmes et le pouvoir économique, les congés de maternité ou encore la violence à l'égard des femmes. Les recommandations émises ne sont que de simples suggestions sans valeur contraignante. Elles ne lient pas les Etats. Il faut donc de nouveau se questionner sur le degré d’efficacité de la CEDEF : les sommaires réunions du Comité et l’absence de valeur contraignante de ses recommandations ne limitent-elles pas considérablement le champ d’action du Comité pour le contrôle de l’application de la CEDEF par les Etats parties ? Conséquemment, la Convention Belém do Pará opte-t-elle aussi en faveur d’un système de contrôle aussi peu profitable ? Dans le système interaméricain, c’est la Cour Interaméricaine des droits de l’homme (CIADH) qui est compétente pour la bonne application de la Convention Belém do Pará. Il n’existe pas au niveau régional latino-américain de Comité. Vu l’étroite marge de manoeuvre dont bénéficie le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes quant au contrôle de la bonne application de la CEDEF, ceci doit être considéré comme un incontestable progrès. La commission interaméricaine des droits de l’homme est chargée de la recevabilité des plaintes individuelles dirigées contre un Etat partie à la CIADH. En cas de violations graves de la Convention américaine relative aux droits de l’homme ou Pacte de San José, la Commission renvoie les cas devant la CIADH. On se concentrera ici sur l’application de la Convention Belém do Pará par la CIADH. La CIADH n’applique directement la Convention Belém do Pará que depuis l’arrêt Castro Castro de 2006. En l’espèce, au sein de la prison Castro Castro située à Lima au Pérou, il avait été porté atteinte à la dignité de prisonniers. Au sein des prisonniers lésés se trouvaient un grand nombre de femmes. Au cours de l’instance les représentants des victimes insistèrent pour une application de la Convention Belém do Pará par la Cour. L’arrêt Castro Castro est une jurisprudence fondamentale et novatrice. La CIADH se déclare compétente pour connaître de violations à l’égard des femmes considérées non seulement comme des destinataires ordinaires des droits de l’homme mais aussi comme des sujets individuels bénéficiaires de droits en raison de leur condition même de femme. Elle énonce aussi l’application directe de la Convention Belém do Pará soit une prise en compte immédiate par la Cour des dispositions de la Convention violées et non la simple invocation des dispositions de la Convention Belém do Pará pour l’interprétation des préceptes du Pacte de San José.
La Cour internationale de justice ne s'occupant que des litiges entre Etats et le Comité des droits de l'homme ne pouvant s'appuyer que sur les Pactes de 1966 pour trancher un différent, le comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes est le seul organe pouvant être saisi en cas de violations des droits de la femme. Après cette étude comparative, force est de constater, le très mince intérêt du rôle joué par l'organe dont la réunion n’a lieu que deux semaines par ans et qui ne peut pas recevoir de plaintes de particuliers. Notons que si la Cour interaméricaine des Droits de l'homme a l’obligation d’invoquer la CEDEF, ce n’est qu’un moyen d’interprétation des conventions que la Cour est directement appelée à appliquer. En conclusion, le comité ne réalise donc qu'un sommaire suivi de la mise en oeuvre de la CEDEF et en aucun cas un contrôle en tant que tel. Le contrôle de l'application de la Convention étant plus que limité et pour ainsi dire inexistant, on peut aller jusqu'à remettre en cause sa qualité d'organe quasi-juridictionnel. La protection régionale interaméricaine est donc une protection bien plus fine que celle établie au niveau international puisqu’elle permet une saisine de la CIADH par des Etats ou des particuliers par le truchement de la Commission interaméricaine des droits de l’homme. De plus, Belém do Pará a réunit un nombre très important de souscriptions et de ratifications en comparaison avec d’autres instruments des droits de l’homme. De tous les Traités du système interaméricain des droits de l’homme elle est la Convention la plus ratifiée. Enfin, tout comme la CEDEF, elle se concentre sur la protection des femmes de manière générale mais traite aussi de la violence à leur égard. Néanmoins, de manière générale, la protection des femmes établie spécifiquement à l'échelle régionale ne reste-t-elle pas, en quelques sortes, un leurre puisqu'elle ne se cantonne qu'à la sphère interaméricaine ? En effet, si la Cour européenne des droits de l’homme par le biais de la Convention européenne des droits de l’homme s’est prononcée sur la discrimination à l’égard des femmes (par exemple Cour européenne des droits de l’homme ‘Schuler-Zgraggen contre Suisse’ du 26 juin 1993 concernant le droit à l’égalité) ; il n’existe à l’heure actuelle pas de décision rendue par la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples. S’il y a bien une protection mise en place au sein de la sphère européenne, on ne peut en dire autant à l’échelle africaine où l’idée d’un système régional spécifique de protection pourrait donc s’avérer utile. De même, quand bien même la Cour européenne des droits de l’homme se prononce sur le droit des femmes, reste à évaluer l’intensité de cette protection mise en oeuvre : la Cour européenne des droits de l’homme offre-t-elle une réelle protection ? La question d’un système régional européen de protection du Droit des femmes reste là encore entière. Néanmoins, on conclut quand même à une plus grande inefficacité du système international de protection des droits de femmes que du système régional interaméricain. Par extension, on défalque de cette analyse un enseignement de nature plus générale ; en comparaison des systèmes mondiaux, les systèmes régionaux sont bien plus efficaces et présentent bien plus d’intérêt : s’ils facilitent une réelle proximité entre l’énoncé des droits par rapport aux besoins spécifiques régionaux, ils permettent aussi la mise au point d’instruments juridictionnels de contrôle pertinents, effectifs et efficaces.