Démission et clause de dédit-formation en Droit français et espagnol : peut-on retenir un salarié parce ce qu’on l’a formé ?

En France comme en Espagne, diverses clauses légales peuvent être incluses dans le contrat, répondant chacune à une fin précise : la clause dite de dédit-formation est l’une d’elle. Par celle-ci, le salarié s’engage à rester pour une durée déterminée dans l’entreprise, en contrepartie de la formation offerte par cette dernière. Autrement dit, l’employeur cherche à éviter que le salarié fraîchement formé par ses soins prenne la poudre d’escampette dès que l’opportunité se présentera. Le salarié renonce-t-il pour autant à son droit de rompre le contrat de travail ? Un employeur peut-il vraiment retenir un salarié sous prétexte de l’avoir formé?

« En contrepartie de la présente formation, vous vous engagez à rester au service de la société pour une durée minimale de deux ans à compter de la fin du stage.»

Tel est le contenu de l’une des clauses pouvant légalement être incluse dans un contrat de travail en France : la clause dite de dédit-formation. Cette même clause dotée de la même finalité existe également dans l’ordre juridique espagnol, sous le nom de pacto de permanencia.

Par ailleurs, la France et l’Espagne reconnaissent et consacrent l’une et l’autre un droit fondamental : le droit au travail.

Le préambule de la Constitution française de 1958 reprend celui de la Constitution de 1946 ainsi que la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789, textes proclamant que chacun a le « droit d’obtenir un emploi » (il faut toutefois interpréter ce droit en tant que revers de l’obligation de moyen pour les autorités publiques de proposer du travail au plus grand nombre pour remédier au chômage). Plus concrètement, on peut aussi citer la liberté professionnelle, laquelle possède une valeur constitutionnelle reconnue par le Conseil constitutionnel dans une décision du 28 mai 1983.

L’article 35 de la Constitution espagnole de 1978 consacre quant a lui « el derecho al trabajo y a la libre elección de la profesión ».

Quelle relation entre, d’une part, le droit au travail, le droit libre choix de sa profession et la liberté professionnelle et, d’autre part, le droit à démissionner qui nous intéresse ici car pouvant se trouver affecté par une clause de dédit-formation ? Il faut entendre par droit au libre choix de sa profession le droit d’accepter un emploi mais aussi de le quitter librement. Quant a la liberté professionnelle, elle regroupe a la fois la liberté d’entreprendre, pas concernée en l’occurrence, et la liberté du travail, laquelle offre à chacun le droit au libre exercice de la profession de son choix dans l’entreprise de son choix. Et donc par voie de conséquence le droit de rompre librement un contrat de travail, c’est-a-dire de démissionner.

Mais qu’advient-il de ce droit à démissionner lorsqu’existe dans la relation de travail une clause de dédit-formation ? Rappelons que le salarié s’engage par celle-ci à rester un certain temps dans l’entreprise, au service de l’employeur. Ceci en contrepartie de la formation dont il a bénéficié, formation bien sûr financée par l’employeur.

L’utilité de cette clause est évidente : après avoir formé son salarié, l’entreprise cherche à le garder un maximum de temps pour profiter des compétences acquises par celui-ci et ce d’autant plus que la formation, parfois très coûteuse, a été financée par l’employeur. On chercher à rentabiliser l’investissement effectué en formant le salarié, ou, plus joliment dit, à retenir le talent.

Ceci étant dit, une telle clause empêche-t-elle l’exercice par le salarié de son droit au travail et au libre choix de sa profession, autrement dit, le prive-t-elle de son droit à démissionner ? La réponse nous la donne le paragraphe suivant de la clause de dédit-formation :

 

« En conséquence, dans le cas où vous viendriez à quitter l'entreprise de votre propre initiative avant la fin de ce délai, vous vous engagez à verser des dommages et intérêts à votre employeur ».

 

… Et la réponse est évidemment non. Aucune clause ne peut obliger un salarié à travailler contre son gré pour une entreprise, qu’existe ou non une clause de dédit-formation, la démission reste toujours possible. Voilà pourquoi la problématique de cet article concerne non pas l’impossibilité d’exercice du droit fondamental au travail, mais l’exercice limité ou restreint de ce droit du fait de l’existence de la clause.

Tout l’intérêt du sujet porte donc sur l’exercice de ce droit lorsqu’il existe dans le contrat de travail une clause obligeant le salarié à travailler un certain temps pour l’entreprise. Cette clause de dédit-formation qui semble, à priori, restreindre le droit fondamental de libre choix de la profession.

S’il paraît bien évident qu’en aucun cas cette clause de dédit-formation ne pourra empêcher un salarié désireux de ne plus travailler pour une entreprise de la quitter, il faut toutefois, pour que cette clause ait une quelconque valeur et ne reste pas lettre morte, lui faire produire un effet dissuasif sur le salarié. Dans quelle mesure cet effet dissuasif restreint-il l’exercice par le travailleur de son droit à démissionner ?

 

Il convient d’étudier la façon dont les ordres juridiques français et espagnol réglementent l’usage de cette clause, pour ainsi déterminer si cet usage est le même dans chacun des deux pays, ou s’il existe des divergences quant aux conditions de validité de la clause de dédit-formation.

On sait déjà que de façon générale, le Droit espagnol est assez similaire au Droit français, puisqu’il en est l’héritier, le code civil de Napoléon ayant servi de toute première base. Ils font aussi tous deux partie de ce qu’on désigne sous le nom de famille juridique de Droit Romain. Le Droit du travail espagnol ne fait pas exception a la règle et démontre bien des similitudes avec le Droit du travail français, à quelques exceptions près. Tous deux connaissent ainsi de la clause dont il est ici question, respectivement sous le nom de clause de dédit-formation et de pacto de permanencia. Alors qu’en Droit français c’est le code du travail qui regroupe la législation relative a la matière, la principale source de Droit du travail espagnol est le dénommé Estatuto de los trabajadores, dont la dernière réforme est récente, puisqu’elle date de septembre 2010.

 

Nous allons voir qu’aussi bien en France qu’en Espagne, l’usage de la clause est réglementé par souci d’éviter toute sorte d’abus qui pourrait nuire aux droits des salariés, lesquels conservent bien, malgré la clause, le droit de rompre le contrat de travail, l’exercice de ce droit se trouvant toutefois conditionné.

 

Une clause à l’usage limité et soumis à des critères stricts

 

Sachant qu’il est admis que la clause de dédit-formation va limiter la liberté professionnelle du salarié, on limite aussi le recours à cette clause aux situations où son usage est le plus justifié, et lorsque c’est le cas, on s’assure de préserver par des conditions de validité strictes les droits du salarié.

 

Lorsqu'une entreprise assure une formation particulière et coûteuse à ses salariés, elle peut insérer une clause dans le contrat de travail par laquelle le salarié s'engage à rester un certain temps chez l'employeur qui l'a formé. En cas de rupture anticipée imputable au salarié, celui-ci devra indemniser son employeur. Cette clause, présente en Droit français comme espagnol, porte évidemment atteinte à la liberté professionnelle et au droit de rompre un contrat de travail, c'est pourquoi elle comporte des conditions de validité, conditions légales mais aussi jurisprudentielles.

Légalement, en Droit français, la clause de dédit-formation est reconnue valide depuis 1991, par la loi du 31 décembre instituant l’article L 933-2 du Code du travail, lequel délimitait le champ d’action de la négociation collective. Celle-ci pouvait concerner, selon l’alinéa 7 : « Les conditions d’application dans les entreprises qui consacrent la formation de leurs salariés […] d’éventuelles clauses financières convenues entre l’employeur et le salarié avant l’engagement de certaines actions de formation et applicables en cas de démission ».

Aujourd’hui, l’article 1134 du Code civil est souvent invoqué comme base légale par la jurisprudence, laquelle, face au silence des textes légaux, joue un rôle important dans la définition des conditions de validité de la clause de dédit-formation.

 

Dans son arrêt rendu par la Chambre sociale le 21 mai 2002, la Cour de Cassation rappelle les  conditions essentielles à la licéité d’une clause de dédit-formation : la présence de cette clause doit être justifiée par une offre de formation spéciale, et surtout la clause ne doit pas priver le salarié de son droit à rompre le contrat de travail.

« Attendu, cependant, que les clauses de dédit-formation sont licites si elles constituent la contrepartie d'un engagement pris par l'employeur d'assurer une formation entraînant des frais réels au-delà des dépenses imposées par la loi ou la convention collective, si le montant de l'indemnité de dédit est proportionné aux frais de formation engagés et si elles n'ont pas pour effet de priver le salarié de la faculté de démissionner. »

Enfin, là où les textes légaux ne prévoient pas de durée minimum pour la clause de dédit-formation, la durée exigée doit être proportionnelle au coût et à la durée de la formation, la jurisprudence constante semblant accepter comme maximum une durée de deux à trois ans, et ce lorsque la formation proposée au salarié est spécialement diplômante pour le travailleur et donc réellement coûteuse pour l’employeur.

 

En Droit espagnol, le pacto de permanencia (ci-après nommé clause) se trouve réglementé dans l’Estatuto de los trabajadores, dont l’article 21.4 soumet la validité de la clause à trois conditions :

  • que la clause soit écrite,
  • qu’elle soit conclue en contrepartie d’une offre de formation professionnelle pour le salarié aux frais de l’employeur,
  • que la durée de permanence conclue ne dépasse pas deux ans.

Contrairement à la loi française, la loi espagnole prévoit elle un délai maximum pour la clause, ce délai étant de deux ans. Ceci mis a part, l’article, très court, prévoit a l’instar de son homologue français des conditions légales finalement assez imprécises, d’où l’importance encore une fois de la jurisprudence en la matière.

Ainsi, la sentence du Tribunal Supremo de Madrid (équivalence espagnole de la Cour de Cassation) en date du 21 décembre 2000 nous rappelle, tout comme celle de sa Chambre sociale du 6 mai 2002, l’importance des critères de proportionnalité et de juste équilibre des intérêts. En effet, en acceptant une clause de dédit-formation, le salarié accepte de restreindre sa propre liberté professionnelle, en échange d’un avantage tiré de la formation reçue, qui augmente son niveau de compétences. Le Tribunal rappelle donc que la clause doit être justifiée par l’offre de la part de l’employeur d’une formation particulière, spéciale, coûteuse pour l’employeur, dépassant son simple devoir légal de formation, et offrant une véritable plus-value professionnelle au salarié : toutes les formations ne justifient donc pas le recours à une clause de dédit-formation. Ainsi, l’usage de cette clause en contrepartie d’une formation en bureautique serait abusif, tandis qu’il est légitime lorsque l’employeur assume le coût d’un Master en MBA.

 

Une fois introduite dans le contrat de travail une clause de dédit-formation considérée valide, le salarié ne perd pas pour autant son droit à démissionner : cependant cette démission ne sera pas totalement libre.

 

 

Une démission possible mais conditionnée

 

S’il est évident que l’insertion d’une clause de dédit-formation restreint la liberté professionnelle du salarié, elle ne le prive aucunement de l’exercice de son droit à démissionner. L’extinction du contrat de travail à laquelle donne lieu la démission est donc bien valide, même lorsque le salarié démissionne avant le délai prévu par la clause. La jurisprudence espagnole nous le rappelle dans une décision du Tribunal Supremo n° 5578/2007 du 11 mars 2008.

 

La démission en présence d’une clause de dédit-formation reste donc possible, elle est toutefois conditionnée au versement d’une indemnité à l’employeur. En quoi consiste cette indemnisation ? Elle doit être prévue dans la clause elle-même, et consiste la plupart du temps pour le salarié à rembourser les frais engagés par l’employeur pour la formation (coûts des cours et séminaires, du transport, notes d’hôtel…). Prenons pour exemple la décision du Tribunal Supremo du 21 décembre 2000, affaire dans laquelle le salarié ayant démissionné sous pacto de permanencia était un pilote de ligne, son employeur une compagnie aérienne : le pilote a été condamné à rembourser à la compagnie les coûts de la formation reçue, soit les cours de pilotage donnés au salarié.

Le juge est bien évidemment à même de contrôler l’absence d’abus dans la fixation du montant de l’indemnisation.

 

Il convient de préciser que la clause de dédit-formation n’engage le salarié qu’en cas de rupture du contrat de travail lui étant imputable. Ainsi, seuls la démission ou le licenciement pour faute peuvent donner lieu à une indemnisation de l’employeur. Aucune autre procédure de licenciement n’admettra qu’on invoque la clause de dédit- formation contre le salarié.

Il en est de même lorsque, bien que la rupture du contrat de travail soit imputable au salarié, la clause est déclarée illicite par le juge parce qu’abusive ou ne respectant pas les conditions légales et jurisprudentielles déjà évoquées.

De plus, constitue un abus certain le fait de renouveler la clause de dédit-formation chaque fois que l’employeur décide de faire obtenir une nouvelle qualification au salarié, ceci en Droit français (arrêt de la Cour de Cassation du 21 mai 2002) comme en Droit espagnol, où l’on considère cela comme une façon détournée de dépasser le délai légal maximum de deux ans (Sentence 2169/2007 du Tribunal Superior de Justicia de la Comunidad Valenciana, du 12 mars 2008).

 

Quant au contrôle du juge en faveur de l employeur, il faut souligner le fait que la clause de dédit-formation produise ses effets même lors de la période d’essai, période légale durant laquelle le salarié peut en principe démissionner librement. Il peut toujours le faire en présence de la clause, mais s’étant engagé il conserve l’obligation d’indemniser son employeur, en Espagne comme en France, ou la Cour de Cassation dans un arrêt du 5 juin 2002 a déclaré que « la circonstance que la rupture du contrat de travail a l’initiative du salarié soit intervenue en cours de période d’essai ne privait pas l’employeur de son droit au dédit-formation contractuellement prévu ».

 

En aucun cas la clause de dédit-formation ou le pacto de permanencia n’empêche un salarié de démissionner : cela reste un droit acquis et il peut toujours l’exercer. La clause conditionne toutefois la démission au versement d’une indemnité compensatoire, lorsque l’employeur a cherché à retenir le talent de façon justifiée, en compensation d’une formation spéciale et à haute valeur ajoutée pour le salarié. Il s’agit par le biais de cette clause de permettre à l’employeur et à l’employé de trouver un juste compromis entre la valeur ajoutée qu’apporte la formation à l’employé et la nécessité pour l’employeur de rentabiliser le coût de cette formation. Si l’on ne peut évidemment en aucun cas empêcher l’exercice du droit de démissionner, pour que cette clause soit efficace il parait toutefois légitime qu’elle engage financièrement le salarié. Quant à savoir si cela limite l’exercice du droit au travail et au libre choix de sa profession, il semble que oui, un salarié se sachant lié par cette clause ne démissionnera pas aussi impunément qu’il pourrait le faire en d’autres occasions. L’effet dissuasif de la clause est avant tout financier, et il revient au salarié de l’accepter ou non au moment de signer le contrat de travail.

 

 

 

Bibliographie

 

Textes légaux

  • Code du travail français
  • Estatuto de los trabajadores
  • Constitution espagnole de 1978

 

Doctrine

  • « El contrato para la formacion en el Trabajo », Francisco Vila Tierno, editorial Thomson Aranzadi
  • « Extincion del contrato de trabajo », Ignacio Albiol Montesinos, editorial Tirant lo Blanch
  • « El pacto de permanencia en la empresa », Nancy Sirvent Hernandez, editorial Triant lo Blanch
  • « El pacto de permanencia en la empresa », Maria Dolores Rubio de Medina, editorial BOSCH

 

Jurisprudence

  • Arrêt n° 00-42909 de la Cour de Cassation, Chambre sociale, du 21 mai 2002
  • Arrêt nº 00-44327 de la Cour de Cassation, Chambre sociale, du 5 juin 2002
  • Décision du Tribunal Supremo, sala cuarta de lo Social, du 6 mai 2002
  • cision du Tribunal Supremo n° 5578/2007 du 11 mars 2008