Etude des arrêts et décisions de l'Oberlandesgericht de Francfort (18 février 2014) et de la cour d'assises de Paris (14 mars 2014) concernant les affaires Rwabukombe et Simbikangwa : comparaison des régimes allemand et français de répression du génocide
Résumé : Ce billet est destiné à présenter les régimes français et allemand relatifs à la répression du crime de génocide. Il s'appuie sur les récentes jurisprudences allemande et française du TGI de Francfort du 18 février 2014 et de la cour d'assises de Paris du 14 mars 2014 aux termes desquelles deux Rwandais ont été condamnés en tant que complices de génocide. Il permet de comprendre pour quels motifs ces derniers n'ont pas été reconnus coupables en qualité d'auteurs de génocide.
Mots clefs : Allemagne, auteur, compétence universelle, complicité, droit pénal international, droit pénal interne, France, génocide, peines d'emprisonnement, Rwanda.
A la veille de la commémoration du 20ème anniversaire du génocide rwandais, des juridictions allemande et française de première instance ont condamné, pour la première fois et à un mois d'intervalle, deux ressortissants rwandais accusés d'avoir participé au génocide de la population tutsie en 1994. Respectivement maire de la commune de Muvumba et capitaine dans l'armée régulière rwandaise, M. Onesphore Rwabukombe et M. Pascal Simbikangwa, ont été condamnés à des peines de 14 et 25 ans de prison pour complicité de génocide, ainsi que pour complicité de crime contre l'humanité en ce qui concerne M. Simbikangwa. Ce devoir ne traitera cependant que des éléments relatifs au crime de génocide.
M. Rwabukombe a été reconnu coupable de complicité de crime de génocide, dans la mesure où, le matin du 11 avril 1994, il a ordonné l'assaut de l'église de Kiziguro, située à Muvumba, par des soldats et des gendarmes armés de machettes et dans laquelle s'étaient réfugiés 450 tutsis. Présent en Allemagne depuis 2002, il a fini par être reconnu coupable de complicité de génocide par le tribunal de grande instance de Francfort et a été condamné à une peine de 14 ans de prison le 18 février 2014. Quelques semaines plus tard, le 14 mars 2014, la cour d'assises de Paris infligeait à M. Simbikangwa 25 ans de prison pour le même motif ainsi que pour complicité de crime contre l'humanité. Haut dignitaire du régime rwandais, il a apporté un concours actif au fonctionnement des barrières de Kigali, en fournissant des armes et en donnant des instructions pour que chaque tutsi arrêté à une barrière soit immédiatement exécuté.
Elevée au rang de norme de jus cogens par la Cour internationale de justice au paragraphe 58 de sa décision dans l'Affaire des Activités armées sur le territoire du Congo du 3 février 2006, mais également considérée comme une obligation erga omnes à l'égard de la communauté internationale (Affaire de la Barcelona Traction, CIJ, 5 février 1970, §34) l'interdiction du génocide faisait déjà l'objet de toute les attentions en 1948, année durant laquelle a été adoptée, le 9 décembre, la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Cette dernière, ratifiée à une forte majorité, donnait une première définition du génocide qui a depuis acquis valeur coutumière (Réserves à la Convention pour la prévention et le répression du crime de génocide, CIJ, Avis consultatif du 28 mai 1951) et a, par la suite, été reprise mot pour mot à l'article 6 du Statut de la Cour pénale internationale (CPI). Le génocide y est décrit comme la volonté de détruire totalement, ou en partie, un groupe pour des motifs ethniques, nationaux, religieux ou raciaux. La compétence de la CPI étant subsidiaire, ce sont aux Etats de condamner en premier lieu ce crime. La France a ainsi transposé la définition de ce crime à l'article 211-1 du code pénal (loi d'adaptation du Statut de Rome du 9 août 2010) et l'Allemagne à l'article 6 du Völkerstrafgesetzbuch (code pénal de droit international public allemand institué par la loi d'adaptation en droit interne du Statut de la CPI du 30 juin 2002). Si le législateur allemand fait un calque de la définition contenue dans le Statut de la CPI, le législateur français a choisi d'ajouter comme critère nécessaire à l'établissement d'un crime de génocide, l'existence et la connaissance d'un plan concerté. Il a enfin reconnu qu'un génocide pouvait être commis à l'encontre "d'un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire".
Force est de constater que, malgré une adaptation différente en droit interne allemand et français de la définition de génocide, aucun des ces deux systèmes juridiques n'a permis de faire condamner M. Simbikangwa ou M. Rwabukombe en tant qu'auteur de génocide. Ils ont seulement été jugés coupable en qualité de complices.
Il est donc légitime de se demander pour quel motif, les juridictions française et allemande ont préféré condamner ces deux individus en tant que complices.
Il s'agira pour cela de s'intéresser dans un premier temps au fondement et à la mise en œuvre des régimes français et allemand visant à la répression des auteurs de génocide (I), avant de s'attacher, dans un second temps, à l'étude des régimes de répression en matière de complicité de génocide dans ces deux systèmes et aux conséquences qui en découlent (II).
I) Fondement et mise en œuvre des régimes français et allemand de répression des auteurs de génocide
Dans cette partie nous étudierons tout d'abord la notion de compétence universelle telle que définie dans les systèmes juridiques français et allemand (A) avant d'évoquer la mise en œuvre, dans ces deux Etats, des régimes visant à réprimer les auteurs de génocide (B).
A) La compétence universelle : fondement de la mise œuvre de poursuites judiciaires en France et en Allemagne à l'encontre de génocidaires étrangers
L'institut du droit international a défini, dans une résolution de 2005, la compétence universelle comme étant "la compétence d'un Etat de poursuivre tout suspect et de le punir s'il est reconnu coupable, indépendamment du lieu de la commission des crimes et sans avoir égard à un lien de nationalité active ou passive, ou à d'autres fondements de compétence reconnus par le droit international public" (résolution de l'Institut du Droit international, dix-septième commission, Cracovie 2005, La compétence universelle en matière pénale à l'égard du crime de génocide, des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre. Rapporteur : Christian Tomuschat, disponible sur http://www.idi-iil.org). Cette compétence trouve sa source dans la coutume internationale et s'est véritablement développée avec la conclusion des Conventions de Genève en 1949 qui ont imposé aux Etats de poursuivre ou d'extrader les auteurs des crimes internationaux les plus graves : aut dedere aut judicare (article 146 de la Convention IV de Genève de 1949).
La compétence universelle permet de s'affranchir en partie des critères de compétence classiques reconnus en droit international tels que la compétence territoriale et la compétence personnelle. Bien que le Statut de Rome n'oblige pas expressément les Etats parties à adopter la compétence universelle pour les crimes que la CPI punit, la France et l'Allemagne ont tout de même inclus dans leurs lois d'adaptation du Statut de Rome des dispositions relatives à cette compétence. Ainsi le législateur allemand a adopté une conception absolue de la compétence universelle à l'article 1er du Völkerstrafgesetzbuch (VStGB). D'après cette conception, la présence de l'auteur présumé des crimes sur le territoire de l'Etat qui envisage les poursuites n'est pas exigée (Schabas W., Genocide in International Law : The Crimes of Crimes, Cambridge University Press, 2000, p. 437). C'est pour cette raison que le Ministère public allemand aurait pu juger M. Rwabukombe, même si ce dernier n'avait pas résidé en Allemagne. Cette liberté, quant à la possibilité de l'Allemagne de juger une personne s'étant rendue coupable d'un crime proscrit par le Statut de la CPI, quelle que soit la nationalité de l'auteur du crime ou le lieu de commission de ce dernier, soulève de nombreuses critiques de juristes estimant que cette conception absolue va à l'encontre du principe de non-intervention des Etats (Wilhelmi T., Das Weltrechtprinzip im internationalen Privat-und-Strafrecht, Peter Lang Verlag, Internationaler Verlag der Wissenschaften, 2007, p. 154). A l'inverse, le législateur français a opté pour l'exercice d'une compétence universelle relative, soumise à l'existence d'un lien de rattachement avec la France. L'article 689 du code de procédure pénale (CPP) dispose ainsi que la compétence universelle de la France ne sera établie que lorsqu'une convention internationale à laquelle la France est partie ou bien un acte de l'UE lui octroiera cette compétence. En l'espèce, la France a pu exercer sa compétence universelle dans la mesure où il s'agit d'un cas de génocide et que ce cas est envisagé à l'article 689-11 du même code. En outre, La compétence du juge ne sera effective que si les quatre conditions supplémentaires fixées dans ce même article sont remplies. Cette conception restreinte a souvent été jugée comme trop restrictive. Déjà dans les travaux préparatoires ayant conduit à la modification du code pénal (CP) de 2010, la Commission des Affaires étrangères avait tenté de simplifier les critères d'application de la compétence universelle.
Si le régime allemand en matière de compétence universelle est décrié par certains en raison de son caractère absolu, on peut se demander si le régime français, en raison de son caractère restrictif, est compatible avec le principe de complémentarité prévu par le Statut de Rome et avec la définition du génocide qui y est contenue.
La compétence des juridictions française et allemande ayant été établie dans les deux cas d'espèce, il convient de voir pour quelle raison les accusés n'ont pas été condamnés en qualité d'auteurs de génocide.
B) La répression des auteurs de génocide
Les articles 211-1 CPP et 6 VStGB définissent les conditions à remplir pour condamner les auteurs de crimes de génocide. Il faut pour cela la présence d'un élément matériel et d'un élément moral. L'élément matériel est caractérisé par la commission d'actes ayant pour objectif la destruction totale ou partielle d'un groupe déterminé. Ces actes doivent représenter une pratique massive et systématique (Affaire relative à l'application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, CIJ, 26 février 2007, § 198). Si ces derniers sont identiques dans les deux systèmes juridiques, la sphère des groupes déterminés par le droit français est plus vaste que celle définie par le législateur allemand. En effet, le système allemand considère comme étant protégés par l'article 6 VStGB, les groupes répondant à des critères nationaux, ethniques, religieux et raciaux. Le législateur français va plus loin que la définition donnée à l'article 6 du Statut de Rome et inclut également dans la sphère de protection de l'article 211-1 CP "tout groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire". Ainsi, les génocides culturel et politique peuvent faire l'objet de condamnations en droit français, ce qui est impossible en droit allemand. Dans les deux cas d'espèce, il ne fait aucun doute qu'un génocide a bien été commis. Cependant, les deux accusés n'ont pas été condamnés en tant qu'auteurs mais en tant que complices, dans la mesure où il n'a pas été prouvé que l'élément moral, pourtant différent dans les deux systèmes juridiques, était bien présent.
En droit français, l'élément moral est caractérisé par l'existence d'un plan concerté dont les auteurs d'un génocide ont connaissance avant de passer à l'acte (article 211-1 al. 1 CP) tandis qu'en droit allemand il se définit comme l'intention spécifique de détruire un groupe au moment de la commission des actes (article 6 al. 1 VStGB). Cette intention spécifique, ou "Absicht" en allemand, se définit selon deux éléments : le "Vorsatz" et le "Wissen". Le Vorsatz est la volonté d'adopter un comportement et le Wissen constitue le fait de savoir qu'en adoptant ledit comportement, un certain résultat prévisible va inéluctablement se produire (Schmidt M., Externe Strafpflichten : Völkerstrafrecht und seine Wirkung im deutschen Recht, Peter Lang, 2002, p. 98). La difficulté de condamner une personne pour génocide, d'après le droit allemand, réside donc dans la preuve que celui-ci avait bien l'intention de détruire un groupe particulier au moment où les actes ont été commis. En l'espèce, le TGI de Francfort n'a pas pu prouver que l'élément moral était présent et c'est pour cette raison que M. Rwabukombe n'a pas été reconnu coupable en tant qu'auteur. Le législateur français a préféré axer l'élément moral du crime de génocide sur la préméditation. En effet, l'existence d'un plan concerté nécessite d'avoir prémédité un génocide. La preuve de l'existence d'un tel plan n'est pas plus aisée à démontrer que l'intention spécifique de chaque individu de commettre un génocide. En l'espèce, la Cour, ne pouvant pas prouver qu'il y ait eu connaissance personnelle du plan concerté de la part de M. Simbikangwa, reconnait ce dernier non coupable de génocide en tant qu'auteur.
Dans les deux cas d'espèce, l'élément moral nécessaire à la condamnation des accusés en tant qu'auteurs de génocide fait défaut. C'est pour cette raison que les deux juridictions, se référant à leurs droits pénaux internes respectifs, ont condamné les accusés en qualité de complices.
II) Les régimes français et allemand de répression en matière de complicité de génocide
Il s'agira, dans cette partie, d'étudier les éléments présents dans les systèmes pénaux français et allemand permettant de condamner un individu en tant que complice (A) avant de s'attacher aux conséquences, en matière de peine d'emprisonnement, d'une telle sanction (B).
A) Les éléments constitutifs de la complicité en matière de génocide
En France, c'est l'article 121-6 CPP qui condamne la complicité. Il renvoie à l'article 121-7 du même code pour ce qui est de la définition de cette infraction. En droit allemand, c'est l'article 27 du code pénal (StGB) qui définit et condamne la complicité. Cette modalité de participation à un crime est donc règlementée par le droit pénal interne général dans les deux systèmes juridiques et regroupe deux éléments : l'actus reus ou l'intervention personnelle de l'individu, et la mens rea, c'est-à-dire la connaissance qu'avait le complice de l'intention de l'auteur.
L'actus reus correspond forcément, en droit français, à un acte positif antérieur ou concomitant à l'infraction principale (Leroy J., Droit pénal général, LGDJ, 2010, p. 280 et 281), tandis qu'il peut être constitutif d'une omission en droit allemand, dans la mesure où l'intervention qui aurait pu être effectuée par le complice aurait permis de minimiser l'action voire de la rendre impossible (Garantenstellung des Wohnungsinhabers, BGHSt, 24 février 1982, §8). Les actes qualifiés de complicité sont divisés, en droit français, en deux catégories : l'instigation et la complicité par aide et assistance. Dans l'affaire M. Simbikangwa, les actes de ce dernier sont apparentés à de la complicité par instigation, dans la mesure où il a fourni des instructions mais également à de la complicité par aide et assistance dans la mesure où il a pourvu en armes les individus en charge des barrières de Kigali. Le droit allemand opère une distinction entre la complicité et l'instigation, qui fait l'objet d'une règlementation particulière à l'article 26 StGB (Pradel J., Droit pénal comparé, Dalloz, 2008, p. 125). Ainsi seules l'aide et l'assistance sont considérées par le droit pénal allemand comme des actes positifs constitutifs de complicité. Dans l'affaire M. Rwabukombe, ce dernier a été reconnu coupable d'aide et d'assistance ainsi que d'omission, dans la mesure où il aurait pu éviter un tel massacre en s'y opposant.
La mens rea ou élément moral qui définit la complicité est équivalent dans les systèmes juridiques français et allemand ainsi que l'a notamment fait remarquer le TPIR au § 141 de sa décision dans l'affaire Kristic du 19 avril 2004 : il suffit de prouver que le complice a agi, non pas avec la même intention que l'auteur, mais en connaissant l'intention de ce dernier, ce qui a été le cas dans les deux affaires.
Si les régimes probatoires français et allemand en matière de complicité ont permis la condamnation des deux accusés, il faut cependant constater que les peines encourues sont moindre par rapport à celles prévues dans les cas où l'accusé est reconnu coupable en tant qu'auteur.
B) Les différences de peines encourues
La condamnation en tant qu'auteur ou complice n'a guère d'incidence au regard du droit français, dans la mesure où ces deux modes de participation à un crime sont punis, d'après l'article 121-6 CP, de façon équivalente (Pradel J., Droit pénal comparé, Dalloz, 2008, p. 132). En effet, ni les traités, ni la jurisprudence ne prévoient de peine différente en fonction de la forme de la responsabilité. En l'espèce, M. Simbikangwa a ainsi été condamné à 25 ans de prison, comme l'aurait été un individu reconnu coupable en tant qu'auteur. Cependant, en droit allemand, la complicité est considérée comme un acte moins répréhensible que celui qui consiste à agir en qualité d'auteur (article 49 al. 1 StGB). C'est pour cette raison que M. Rwabukombe a seulement été condamné à 14 ans de prison tandis que l'article 6 VStGB prévoit une peine d'emprisonnement à vie quand un individu est condamné en tant qu'auteur.
Conclusion
Si les éléments de preuve afin de démontrer la culpabilité des deux Rwandais en tant qu'auteurs de génocide n'étaient pas suffisants, les deux juridictions ont su s'appuyer sur les systèmes pénaux nationaux afin d'administrer une bonne justice et reconnaitre la culpabilité de ces individus en tant que complices, ce qui a notamment été salué par les familles de victimes.
BIBLIOGRAPHIE
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