ITALIE - Mesures techniques de protection et consoles de jeu vidéo : l’opposition du droit des auteurs et des ayants droits aux droits des utilisateurs et des consommateurs, par Pauline RAYMOND.
Face au développement de la contrefaçon numérique, l'une des premières réponses données par le législateur fût celle des mesures techniques de protection. La directive 29/2001/CE [transposée en France par la loi DAVDSI (L2006-961) et en Italie par le décret législatif 68/2003], définit une mesure technique comme "toute technologie, dispositif ou composant qui, dans le cadre normal de son fonctionnement, est destiné à empêcher ou à limiter, les actes non autorisés par le titulaire d'un droit d'auteur ou d'un droit voisin du droit d'auteur prévu par la loi". Quiconque commercialise des dispositifs permettant de contourner les limitations mise en place sera sanctionné pénalement. La France prévoit 6 mois d'emprisonnement et 30.000 euros d'amendes (CPI-L335-3-1 II). En Italie le délit est puni de 6 mois à 3 ans d'emprisonnement et d'une amende allant de 2.582 euros à 15.493 euros (Legge Diritti d'Autore art 171-ter lett-F).
L’arrêt rendu en Italie par la Cour de Cassation le 7 mars dernier (Cass. penale sez III, 2011-8791) vient préciser l'application de la protection des mesures technologiques de protection dans le secteur très particulier du jeu vidéo. En l'espèce, il s'agissait d'une procédure en contestation d'une saisie conservatoire ordonnée à l'encontre d'un entrepreneur ayant commercialisé des "Modchips" (i.e des puces électroniques qui, apposées directement sur les consoles, rendent inefficaces le protocole d’authentification mise en place par le constructeur), permettant de contourner les mesures de protection.
La décision du Tribunale del Riesame de Florence (juridiction d'appel compétente en cas de contestation de saisie conservatoire) avait confirmé la décision de première instance. Le Tribunal avait dans un premier temps estimé que le délit ne pouvait être caractérisé au motif que la console de jeu ne peut être considérée comme une œuvre de l'esprit, et qu’elle n'était par conséquent pas protégée contre le contournement de M.T.P. Dans la deuxième partie de sa motivation, le Tribunal faisait valoir que les mesures de protection n'avaient pas seulement pour but d'empêcher la reproduction illégale de jeu : le but prévalent de ces M.T.P serait de défendre une position dominante du constructeur sur le marché du jeu vidéo en empêchant le fonctionnement et la compatibilité de sa console avec des jeux produits par ses concurrents.
Sur recours du Procureur, la Cour de Cassation casse cet arrêt en estimant que si la console, simple composante hardware, ne pouvait bénéficier de protection par le droit d'auteur, celle-ci était le support nécessaire au fonctionnement du jeu, et que la finalité prévalente de l'élusion du mécanisme de protection figurant dans la console était la possibilité de jouer à des jeux illégalement acquis. Cet arrêt, qui confirme l'interprétation de la Cour de Cassation en la matière ( cass. penale sez III, 2007-33768 ), propose des solutions quant à la qualification du jeu vidéo et de la console permettant d'y jouer, mais, soulève de nombreuses questions relevant de la compatibilité des mesures de protection avec le droit de la concurrence.
L’analyse de cette décision nous permet de mettre en valeur certains points décisifs à l'analyse des difficultés posés par l'application des M.T.P au secteur du jeu vidéo.
Qualification du jeu vidéo et possible protection des Mesures Techniques de Protection.
Avant même de s'intéresser à la nature juridique de la console de jeu, et à la valeur des M.T.P apposées sur celle-ci, il faut s'interroger sur la nature du jeu vidéo. En effet, si celui-ci n'est pas considéré comme entrant dans le champ d'application de la loi, a fortiori, la console ne pourra faire l'objet d'une protection.
Le secteur du jeu vidéo est un secteur relativement nouveau, et, malgré son poids économique, le législateur a tardé à lui fournir un statut juridique clair. Théoriquement, le jeu vidéo en France comme en Italie pourrait recouvrir plus de cinq qualifications possibles (œuvre collective, œuvre de collaboration, œuvre audiovisuelle, logiciel, base de donnée, œuvre multimédia...).
Mise en relation avec la législation concernant les M.T.P, l'importance de la qualification prend toute son ampleur. En effet, les mesures techniques de protection, apposées sur des œuvres de l’esprit, sont elle-même protégées par le droit d’auteur, leurs contournements pouvant donc caractériser un délit de contrefaçon. La loi française (L331-5 Code de propriété intellectuelle) exclut cependant expressément les logiciels du champ d'application de la protection des M.T.P ; au contraire, d’ailleurs, de la loi italienne qui leur accorde un champ d'application plus large ("œuvres et matériels protégés par le droit d'auteur").
En Italie, l'arrêt de 2007 confirmé par cette nouvelle jurisprudence, avait permis de faire rentrer, une fois pour toute, le jeu vidéo au sein de la catégorie des œuvres de l'esprit protégées par le droit d’auteur. Les juges avaient pris leurs distances avec la qualification de logiciel en estimant que: "les jeux vidéos utilisent un logiciel mais ne peuvent être confondu avec celui-ci. La définition d’une partie de la doctrine, selon laquelle les jeux vidéos sont des œuvres complexes et « multimédia », véritable œuvre de l’esprit à part entière, et digne d’une protection spécifique, semble donc être correcte".
L'arrêt de 2011 semble prendre comme acquis cette définition et ne revient pas sur la qualification du jeu vidéo, même si dans ses motivations la cour utilise une terminologie qui pourrait porter à confusion (le jeu vidéo est parfois appelé "software" – logiciel – en opposition à la console du jeu, "hardware"). Le jeu vidéo, en Italie, semble donc rentrer dans le champ d'application de la loi. Les mesures technologiques qui peuvent y être apposées sont donc protégées contre leurs contournements, au même titre que celles apposés sur toutes autres œuvres de l'esprit.
En France, l'application de la protection des M.T.P aux jeux vidéo est beaucoup plus contestable. La définition des M.T.P issue de l'article L331-5 du code de propriété intellectuelle, n'inclut pas expressément les jeux vidéo et exclut expressément les logiciels. La jurisprudence française est d’ailleurs très partagée sur la qualification du jeu vidéo. En effet, après avoir dans un premier temps établit que "le logiciel est l’élément primordial du jeu vidéo" ( affaire Midway, Cass.crim 21 juin 2000, D2001,somm,P.2552,obs P.Sirinelli), la Cour de Cassation a retenu que "le jeu vidéo est une œuvre complexe qui ne saurait être réduite à sa seule dimension logicielle, quelle que soit l'importance de celle-ci, de sorte que chacune de ses composantes est soumise au régime qui lui est applicable en fonction de sa nature " (Sesam c/ Cryo,C.cass, civ 1er 25 juin 2009 n°732). Cette qualification « d'œuvre complexe » introduit un régime distributif qui ne fait qu'aggraver les difficultés de qualification, en particulier sur la question de l'applicabilité des M.T.P. En effet, les M.T.P étant prévues pour des œuvres protégés à l'exception entre autre des logiciels, comment faut-il procéder pour déterminer le régime applicable?
Faut-il appliquer la loi la plus favorable et faire ainsi bénéficier de la protection des M.T.P à l'ensemble de l'œuvre ? Doit-on au contraire considérer que les M.T.P interviendraient uniquement sur la partie logicielle du jeu vidéo, ce qui conduirait à leur non-protection par le droit d’auteur français au regard de l’article L. 331-5 CPI ? Et quand bien même les M.T.P interviendraient uniquement sur la partie logicielle, le fait que ces mesures soient destinées à protéger la partie graphique, ne joue t-il pas en la faveur d'une protection?
La jurisprudence ne s'est pas encore prononcée sur le sujet, et il est très probable que ce thème soit le sujet d'un vif débat, au vue notamment des implications financières. La non-protection des M.T.P impliquerait, de jure, la licéité de leurs contournements.
Si en Italie, il est possible d'apposer des M.T.P sur des jeux vidéo et d'en sanctionner leurs contournements, en France, la frontière entre ce qui est protégé et ce qui ne l’est pas, reste encore floue. Ce manque de clarté est d'autant plus problématique, que l'analyse des M.T.P se complique lorsque celles-ci ne sont pas apposées directement sur le jeu vidéo, œuvre protégée, mais sur le support qui permet leur lecture.
Extension de la protection aux M.T.P apposées sur les consoles de jeux.
La question au centre des arrêts de 2007 et de 2011 rendus par la Cour de Cassation italienne était la possibilité de protéger des M.T.P qui ne sont pas directement apposées sur les jeux, mais sur la console. La décision du Tribunal del Riesame de Florence, cassé par l'arrêt de 2011, considérait qu'il était « impossible de qualifier d'œuvres de l'esprit ou de matériels protégés, l'hardware des consoles de jeu sur lesquels sont apposés les M.T.P ».
La Cour de Cassation s'oppose à cette interprétation, après avoir observé que les mesures technologiques de protection se sont orientées vers une protection simultanée et coordonnée de la copie et de l'appareil destiné à utiliser l’œuvre. La Cour estime que « la console bien qu'étant un simple composant hardware, constitue le support nécessaire au fonctionnement du software original, [...] la mesure apposée directement sur le software agit en dialoguant avec la mesure apposée sur l'hardware, chacune d’entre elles fonctionnant de manière complémentaire, afin d'authentifier l'originalité et d’en permettre la lecture. ».
Il s'agirait donc d'un fonctionnement analogue à celui d'une clé et de sa serrure, le système de protection du jeu étant interdépendant du système de protection de la console. L'hardware n'est donc pas, en tant que tel, considéré comme une œuvre de l'esprit, mais, sa destination permet de la faire rentrer dans le champ d'application de la loi. La Cour de Cassation italienne a décidé de protéger les MTP apposées sur des consoles de jeux, en estimant que " la loi en question n'oblige pas que les M.T.P soit directement apposé sur l'œuvre protégée". La formulation très générale tend à en faire une règle applicable non seulement au secteur des jeux vidéo mais aussi à tout autre type d'œuvre. Il s'agit d'une extension considérable et extrêmement dangereuse puisque par analogie elle permettrait l'apposition de M.T.P sur tout appareil permettant le fonctionnement d'une œuvre (lecteur de DVD, Blu-ray, lecteur audio...)
Par ailleurs, l'entrée de la console (même indirecte), dans le champ d'application de la loi protégeant les droits d'auteurs pose de sérieux problèmes conceptuels. En effet, la console bénéficie déjà d'une protection propre, concédée par les pouvoirs publics, au titre du brevet. Cette double protection associe donc deux modèles distincts de protection, diamétralement opposés par leurs fonctionnements (des conditions de protection aux méthodes de rétribution). Le résultat ne pouvant être qu’un affaiblissement des deux théories légales.
En France, les choses ne sont pas aussi claires. Quand bien même le jeu vidéo entrerait dans le champ d'application de la loi, rien n'indique que les mesures doivent être apposées directement ou indirectement sur l'œuvre. La loi DAVDSI se focalise sur la qualification d'une mesure de protection (dispositif encodage....), éludant la question des jeux vidéo et leurs spécificités. La seule décision en la matière est un jugement d'exequatur du Tribunal de Grande Instance de Carpentras (Sony Computer/ Diveneo et autres. 16 novembre 2010) : en l'espèce, une décision des juridictions américaines avait condamnée la société Divineo pour avoir commercialisée des dispositifs de contournement apposés sur des consoles de jeu. Le Tribunal de Grande Instance n'examine évidement pas le litige au fond et ne fait qu'examiner les conditions de l'exequatur (compétence indirect du juge étranger et conformité à l'ordre public internationale de fond et de procédure), déclarant pleinement exécutoire le jugement américain. A moins d’une intervention du législateur, la jurisprudence française devra tôt ou tard intervenir pour préciser ces points et dans l'attente, l'insécurité juridique persiste.
L'extension de la protection aux consoles de jeu, permet aux constructeurs de réduire l'utilisation de l'œuvre mais aussi du matériel nécessaire à le faire fonctionner. Or, les consoles de jeu deviennent de plus en plus perfectionnées et sophistiquées. La dernière génération permet l'accès à Internet, la connexion à des plateformes de jeux massivement multi-joueurs, la lecture de DVD et de CD et présente des capacités de stockage de plus en plus élevées. Les caractéristiques techniques toujours plus performantes tendent à rapprocher la console de jeu à de véritables ordinateurs personnels, capables de fonctionner indépendamment de tout jeu vidéo, mais dont l'utilisation serait délibérément restreinte par le constructeur. L’apposition de M.T.P directement sur les consoles et les limitations imposées par le constructeur contraignent en effet l'utilisateur à n'utiliser qu'une partie des facultés du produit. Au regard de ces évolutions technologiques, la légitimité des M.T.P apposées directement sur les consoles posent une série de problèmes, à la frontière des droits de la concurrence et de la consommation, bien au delà de la seule protection du droit d'auteur.
Interopérabilité : exception au contournement des M.T.P ?
L'interopérabilité pourrait être définie comme la capacité que possède un produit ou un système, dont les interfaces sont intégralement connues, à fonctionner avec d'autres produits ou systèmes existants ou futurs et ce sans restriction d'accès ou de mise en œuvre. La directive 2001/29/CE, à l'origine des textes nationaux, ne prévoit pas expressément d'exception d'interopérabilité. La seule référence à ce principe est faite au considérant 54 de la directive, et prend la forme d'un encouragement général à la compatibilité et l'interopérabilité des systèmes ainsi qu'à la mise au point de systèmes universels.
La Loi DAVDSI a introduit en France ce principe d'interopérabilité des mesures techniques en prévoyant que celles-ci "ne doivent pas avoir pour effet d'empêcher la mise en œuvre effective de l'interopérabilité". Avant sa censure par le Conseil Constitutionnel (DC 2006/540- point 60), le projet de loi prévoyait d’ailleurs que l'interopérabilité était une condition d'exonération pénale. Le contournement des MTP à des fins d’interopérabilité n’était donc pas originairement considéré comme un délit. Toutefois, l'absence de définition légale de l'interopérabilité a contraint les Sages à censurer la loi au nom du principe de la légalité des délits et des peines, synthétisé par la célèbre maxime latine : « nullum crimen, nulla poena sine lege ». En supprimant l'arme de choc qu'était l'exonération pénale pour interopérabilité, la censure du conseil a cependant vidé de sa substance la faveur de la loi pour l’interopérabilité.
La mise en œuvre de l'interopérabilité est aujourd’hui, en France, entièrement laissée à la Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des Droits sur Internet (HADOPI), compétente pour veiller à ce que les mesures techniques ne nuisent pas à l'interopérabilité (L331-31 et suivant).
Le champ d’application de la procédure, visant à rendre accessible les informations essentielles à l’interopérabilité (article 331-32 du code de propriété intellectuelle), est très réduit. D’une part celle-ci est réservée aux professionnels (éditeurs de logiciels, fabricant de systèmes techniques et exploitant de service). D’autre part, le titulaire des droits peut faire échec à cette demande s’il apporte la preuve que la publication de ces informations a « pour effet de porter gravement atteinte à la sécurité et à l'efficacité de ladite mesure technique ». Or, le principe d’interopérabilité a précisément pour but de modérer l’efficacité des mesures de protection, puisque l’interopérabilité tend à favoriser la compatibilité des interfaces de systèmes hétérogène, limitant, de facto, la portée des restrictions mises en place par les MTP.
Cette procédure ne semble donc pas être en mesure de protéger efficacement le principe d’interopérabilité. Toutefois, le dernier alinéa de l’article L331-32 pourrait apporter des solutions. En effet, celui-ci prévoit que le président de la Haute Autorité, devra saisir l’Autorité de la Concurrence pour « des abus de position dominante et des pratiques entravant le libre exercice de la concurrence dont il pourrait avoir connaissance dans le secteur des mesures techniques ». Le président de la Haute Autorité pouvant plus généralement solliciter l’avis de l’autorité pour toute autre question relevant de sa compétence. En théorie, le principe d’interopérabilité pourrait donc être protégé par le biais du droit de la concurrence.
En pratique, un grand nombre d'entreprise du secteur du divertissement utilisent les M.T.P et l'absence d'interopérabilité pour façonner leurs offres commerciales et rendre l’utilisation des produits de la marque indispensable au fonctionnement de ces mêmes produits. Créant ainsi des suspicions d’abus de position dominante voire d’instauration de monopole. Apple et son logiciel Itunes en est un bon exemple : la plupart des morceaux téléchargés par l'intermédiaire de son service ItunesStore ne peuvent être lus qu'avec les logiciels et les lecteurs MP3 de la marque, qui à leurs tours ne pourront lire des musiques protégées par des MTP et téléchargées sur d’autres plateformes légales.
Il y a déjà presque sept ans que la société VirginMega a saisi le conseil de la concurrence (décisionN°04-D-54 du 9 septembre 2004.) au sujet de ces pratiques mises en œuvre par Apple Computer Inc. Ces pratiques consistaient déjà à restreindre l’utilisation des lecteurs, des baladeurs, et de la musique téléchargée aux seuls produits et interfaces de la marque. En référence au principe d’interopérabilité VirginMega avait relevé que le refus d’Appel d’accorder des licences à son logiciel « DRM Fairplay », conduisait à « une absence d’interopérabilité des systèmes de protection des droits qui peut pénaliser le droit des consommateurs ». Le Conseil de la Concurrence reconnaissant les inconvénients liés à l’absence de compatibilités des systèmes relevait toutefois que « des situations de ce types sont récurrentes dans les secteurs liées aux technologies de l’information […] or, si le code de commerce […] prévoit que le conseil prend en compte, dans une certaine mesure l’intérêt des usagers ou des consommateurs, il ne peut le faire que si l’atteinte constatée résulte d’une pratique prohibée par le droit de la concurrence » (par.66 de la décision). Le Conseil rendant, in fine, une décision de rejet au motif qu’en l’état du marché, les éléments n’était pas suffisamment probants à la caractérisation de pratiques anticoncurrentielles. Par cette décision le Conseil renonçait donc à traiter directement des problèmes liés au respect du principe d’interopérabilité, et au droit des consommateurs. Pour être reconnus et appliqués, ces deux principes doivent donc être associés à une violation plus générale du droit de la concurrence, devenant un moyen accessoire à un recours principal contre des pratiques anticoncurrentielles, le respect du principe d’interopérabilité ne pouvant être intégralement pris en charge par le droit de la concurrence.
En Italie, le principe d'interopérabilité n'a jamais été intégré à la législation nationale. Les problèmes liés à l'absence de compatibilité entre plusieurs produits n'est donc pas traité par le système juridique italien. Les droits de la concurrence et du consommateur pourraient également permettre de faire évoluer les choses. L'arrêt rendu en 2007 par la Cour de Cassation italienne reconnaissait que les mesures techniques de protection peuvent comporter "des risques évident de créer des limitations aux droits de l'individu et du consommateur potentiellement disproportionnées". Toutefois, les juges italiens refusaient en l’espèce que ces risques "puissent avoir une influence sur le jugement des conduites qui comportent une violation des mesures mises en place pour protéger les droits d'auteur dans le secteur des produits digitaux.". Par conséquent, même si les M.T.P peuvent être apposées en violation aux droits des consommateurs, la sanction de leurs contournements ne peut en tenir compte. Cette interprétation est assez contestable, et pourrait être considérée comme une fraude au droit du consommateur, en effet qu'elle peut être la légitimité de la sanction d'un comportement adopté en défense d'un droit?
La Cour de Cassation italienne et le Conseil de la Concurrence français semblent donc s’accorder sur l’impossibilité de prendre en compte le principe d’interopérabilité et le droit des consommateurs. L’effectivité de ces principes étant intimement liée à la possibilité de sanctionner leurs non respect, le législateur et le pouvoir judiciaire seront tôt ou tard contraints à se pencher sur la question des sanctions.
Jeux vidéo, M.T.P, Droit de la concurrence et logique économique.
Condamné à plusieurs reprises par les autorités nationales et communautaires, le secteur des jeux vidéo sur console connaît une forte concentration (les constructeurs sont aussi les plus grands éditeurs de jeux). Le secteur est dominé par quelques grandes entreprises constructrices de consoles et éditrices de jeux (i.e Nintendo, Sony et Microsoft), et seules quelques grandes sociétés éditrices (Atari, Electronic-Arts, etc...) ont réussi à se faire une place sur le marché. Les sous traitants et les petits créateurs des jeux ne recevant que les miettes d’un gâteau déjà bien entamé.
Le système d'édition du jeu vidéo est basé sur des accords de licences passées par les sociétés constructrices et les sociétés éditrices, qui n’est pas sans poser de difficulté en droit de la concurrence. Dès 1996, une enquête de la commission européenne avait fait apparaitre un certain nombre de clauses anticoncurrentielles (limitations du nombre de jeux pouvant être commercialisés, fabrication et production exclusivement réservé au constructeur et sous-traitant agrées, etc.). Les constructeurs ayant été obligés de revoir leurs copies, mettant en place de nouveaux accords plus respectueux du droit de la concurrence communautaire. Dans un tel contexte, les mesures technologiques de protection risque d’être utilisées principalement dans le but de préserver ce système de licences (qui, même aujourd’hui, est loin d'être égalitaire) et de conditionner la possibilité d'accès au marché au bon vouloir des constructeurs.
La possibilité technique offerte par les M.T.P, de réserver l'utilisation des consoles aux seuls jeux détenteurs d'une licence concédée par le constructeur a, de facto, pour effet de conforter une position dominante. A cela s’ajoute la pratique de fractionnement du marché mondial par zone géographique (Europe, Asie, Etats-Unis...) : par l'utilisation de méthodes différentes de protection, les constructeurs rendent impossible la lecture sur une console d'un jeu provenant d'une autre zone géographique.
La vision du Tribunale del Riesame de Florence tenait compte de cette réalité du marché, puisqu'elle relevait que l'apposition de technologies de protection par la société constructrice avait pour "but d'élever les barrières sur un marché en défense de sa position dominante". Les juges étaient même allés jusqu'à qualifier de prévalent l'objectif de défense de la position dominante de la société constructrice. En raisonnant en pur droit d’auteur, la Cour de cassation italienne permet au constructeur de console d’atteindre indirectement ce but, avec la bénédiction du droit.
Depuis quelques années, la protection du droit d'auteur devient en effet, pour les entreprises constructrices, un formidable outil de défense de leurs intérêts économiques et commerciaux. L'utilisation des mesures de protection (et de la législation des droits d'auteurs en général) devient un prétexte à l'instauration de pratiques commerciales défavorables au consommateur, afin de consolider une domination sur marché.
Il est incontestable que les jeux vidéo doivent être protégés contre la contrefaçon, leurs créateurs devant pouvoir faire reconnaitre leurs droits. Cependant, les sociétés constructrices et éditrices de jeux vidéo ne peuvent abuser des droits qui leurs sont conférés. A long terme, cela ne peut qu’affaiblir l'efficacité et l'équilibre du système des droits d'auteurs.
Dans ce secteur, dont l’importance économique n’a cessé d’augmenter au fil des années, les M.T.P sont finalement détournées de leur but initial et pourraient constituer à terme des entraves à la concurrence et aux droits des consommateurs. La condamnation par les autorités communautaires, à des amendes records ne semble pas avoirs eu l’effet dissuasif escompté. Le système, bien trop profondément ancré, risque de perdurer pendant encore plusieurs années.
Bibliographie
Colloque du XXIème anniversaire du magistère en droit des techniques de l'information et de la communication - intervention de madame Florence Cherigny-Le marché du jeu vidéo au regard du droit de la concurrence.
Mémoire de Melle MEYER sous la direction de M. le professe Xavier Agostinelli: Le jeu vidéo en droit d'auteur: L'enjeu d'un statut juridique Ad Hoc?
(Master II droits des média er des télécommunications, université Paul Cézanne -Aix-en-Provence, Promo 2009-2010)
"Modchips" e tutela delle misure (technologiche) di protezione dei diritti d'autore: ritorno al passato? Roberto Caso - diritto dell'internet 2008,p154.
Sites internet
www.droit-ntic.com. Actualité des jeux vidéo en europe: Me Micole Bondois et Raphael Rault
www.legifrance.fr. code de propriété intellectuelle version consolidée au 1 avril 2011
www.Feral-avocats.com. le jeu vidéo en quête d'un statut juridique.
www.computerlaw.it/public/pugliese_interoperabilit.pdf
http://definition-interoperabilite.info/
Décision :
cass.civ 1ere 19 juin 2008, "Mulholland drive", pourvoi n°07-14277.
Décision du conseil constitutionnelle n°2006-537 DC 22 juillet 2006. Recours contre la loi DAVSI
Affaire Midway : Cass.crim 21 juin 2000, D2001,somm,P.2552,obs P.Sirinelli
Affaire Sesam c/ Cryo,C : cass, civ 1er 25 juin 2009 n°732
Cassazione penale III sezione 7 marzo 2011, n°8791.
Cassazione penale III sezione N°33768 du 25 mai 2007-
Affaire Sony c/ Divineo : Jugement d’exequatur, TGI, de Carpentras 16 novembre 2010
Conseil de la concurrence, décision N°04-D-54 du 9 septembre 2004.
Textes de loi.
-Directive 2001/29/CE.
-D.lgs 68/2003
-Loi n°2006-61 (Loi DAVDSI)
- code de propriété intellectuelle-dalloz 2011
- Codice Civile-2011