L´influence de la Convention sur la vente internationale de marchandises sur les droits français et allemand, par Lise Koroma

La France et l´Allemagne sont parties à la Convention des Nations Unies sur la vente internationale de marchandises adoptée à Vienne le 11 avril 1980. Adaptées aux besoins du commerce international, les solutions posées par cette convention ont affecté les droits internes de la formation et de l´exécution du contrat.

Il peut paraître de prime abord étonnant de vouloir examiner l´influence d´une convention sur la vente internationale de marchandises sur des droits nationaux. En effet, les solutions posées par la Convention des Nations Unies sur la vente internationale de marchandises (CVIM) sont destinées à régir le commerce international et sont donc adaptées aux besoins de celui-ci. Les règles de conflit de lois ne l´étant pas, l´élaboration d´un droit uniforme de la vente internationale a rapidement été ressentie comme une nécessité. Débutés en 1929, les travaux d´élaboration d´un droit international unifié en la matière furent interrompus par la seconde guerre mondiale. Ce n´est qu´en 1964 que les travaux aboutirent à l´adoption de deux conventions à la Haye : une portant sur la « loi uniforme sur la formation du contrat de vente internationale des objets mobiliers corporels » et une autre sur la « loi uniforme sur la vente internationale des objets mobiliers corporels ». Ayant été signées par très peu d´Etats, ces deux conventions connurent un échec. La Commission des Nations Unies pour le droit du commerce international (CNUDCI) créée en 1967 élabora plusieurs projets les révisant. C´est finalement le 11 avril 1980 que la Convention des Nations Unies sur la vente internationale de marchandises fut adoptée lors de la Conférence internationale de Vienne. La CVIM constitue depuis le droit matériel de la vente internationale des Etats parties. Elle correspond à un véritable code international de la vente internationale de marchandises par ses sources et par ses objets. La CVIM s´inspire naturellement des droits nationaux. Elle suit le schéma bartinien, c´est-à-dire que les règles posées au plan international reprennent en partie celles du droit interne. Les Etats parties peuvent ratifier tout ou partie de la Convention de Vienne et ceux parties aux deux conventions de 1964 devaient les dénoncer pour pouvoir la ratifier. La CVIM est entrée en vigueur le 1er janvier 1988 en France et le 1er janvier 1991 en Allemagne. Ratifiée aujourd´hui par 65 Etats, elle régit les deux tiers du commerce international. C´est donc l´accélération de la mondialisation, l´augmentation des échanges au niveau international qui a fait évoluer les rapports entre les systèmes juridiques. L´unification des droits matériels se substitue au système de conflits de loi. Comme l´explique E. Lamazerolles dans sa thèse sur les apports de la Convention de Vienne au droit interne de la vente, contrairement aux règles de conflit de lois ou de juridictions, les règles matérielles internationales peuvent avoir une influence sur le droit interne. La pratique des acteurs du commerce international, à travers le « devoir de collaboration » notamment, en est une illustration pour le droit français. La Convention de Vienne peut être pensée en tant que loi-modèle du droit de la vente. En effet, bien que les besoins du commerce international ne soient pas les mêmes que ceux du commerce interne, elle peut être une source d´inspiration pour les législateurs et les juges nationaux. Les constructions jurisprudentielles autour des articles du Code civil relatifs à la vente ainsi que les lois spéciales ont rendu le droit français de la vente très complexe. Une prise en compte des concepts et des solutions apportés par la CVIM permet donc de repenser le droit de la vente, et lorsqu´ils ne sont pas spécifiques à la vente, le droit commun des contrats. C´est ce qu´a fait le législateur allemand lors de la grande réforme du droit des obligations de 2002. Déjà la Commission de réforme du droit des obligations constituée en 1984 s´était fortement inspirée des règles de la CVIM. A travers cette réforme, le législateur allemand a choisi de réduire les règles spéciales de la vente au profit du droit général des obligations. Ainsi, la CVIM procède à l´inversion du schéma bartinien dans la mesure où les solutions posées par le droit international sont reprises par le droit interne. Alors comment se manifeste concrètement l´influence de la CVIM sur les droits français et allemand ? Tandis que la CVIM n´a affecté que le droit français au niveau de la formation du contrat, elle a servi de modèle aux droits français et allemand concernant certains aspects de l´exécution du contrat.

Le rayonnement de la CVIM sur la formation du contrat en droit interne

En s´appuyant sur les solutions de la CVIM, le juge français a fait évolué la question du prix dans l´offre et le législateur a élargit sa conception de l´écrit.

L´évolution de la question du prix dans l´offre

Pour être qualifiée comme telle, l´offre doit présenter plusieurs caractéristiques. Conformément à l´article 14 de la CVIM, elle doit être adressée à « une ou plusieurs personnes déterminées », être « suffisamment précise » et indiquer « la volonté de son auteur d'être lié en cas d'acceptation ». Lors des négociations, la question du prix fut l´objet de nombreux débats. En droit français, l´article 1128 du Code civil fait de l´objet une condition de validité du contrat. Pour Carbonnier, cet objet est monétaire et renvoie à la question de la détermination du prix. En droit allemand, le prix ne doit pas nécessairement être fixé au moment de l´offre mais il doit être au plus tard déterminé ou déterminable lors de la vente. Pour qu´un contrat soit valable, les parties doivent donc s´accorder sur les éléments essentiels (essentialia negotii) du contrat. En revanche, dans les systèmes de common law, le prix n´est pas une condition de validité de la vente. Le Sale of Good Act de 1979 indique que le prix peut être convenu ultérieurement. Au plan international, l´article 14-1 de la CVIM fait du prix un élément caractéristique de l´offre de vente, tandis que l´article 55 indique que la « vente est valablement conclue sans que le prix des marchandises vendues ait été fixé dans le contrat ». L´article 14-1 se trouvant dans la partie concernant la formation du contrat et l´article 55 dans celle concernant l´exécution, les pays signataires avaient la possibilité de ne ratifier que l´une ou l´autre des parties s´ils ne souhaitaient pas renoncer à leur position sur le prix. Toutefois, l´importance donnée au système de common law dans la Convention a affecté le droit français. Avant l´entrée en vigueur de la CVIM, la Cour de Cassation était très attachée au caractère déterminé ou déterminable du prix pour le contrat de vente. En effet, elle s´appuyait sur l´article 1591 du Code civil qui exige que le prix de la vente soit « déterminé et désigné par les parties ». Cet article est à relier à l´article 1583 selon lequel la vente est formée dès que les parties ont « convenu de la chose et du prix ». Or à la suite de l´entrée en vigueur de la Convention de Vienne, la Cour de Cassation a procédé à un assouplissement de ses exigences quant à la détermination du prix. Dans un arrêt du 1er décembre 1995, l´Assemblée Plénière de la Cour de Cassation a décidé que l´indétermination du prix dans un contrat cadre de distribution n´affectait pas la validité de ce contrat. Le vendeur pourra donc fixer le prix ultérieurement. Les tribunaux allemands quant à eux, attachés à la détermination des éléments essentiels pour la validité d´un contrat, n´ont pas procédé à un tel assouplissement.

L´impact de la modernité de la CVIM sur la conception de l´écrit

La première partie de la CVIM relative au champ d´application et dispositions générales s´applique en tout état de cause sans que les Etats puissent en disposer. Au moment de sa signature, la CVIM avait, selon les mots de M. Ruet, « anticipé une évolution à venir ». Elle a fait place au principe du consensualisme. L´article 11 indique que « le contrat de vente n'a pas à être conclu ni constaté par écrit et n'est soumis à aucune autre condition de forme. Il peut être prouvé par tous moyens, y compris par témoins ». De plus, la modernité de la CVIM se traduit dans l´article 13 qui conçoit l´écrit de manière large : « Aux fins de la présente Convention, le terme « écrit » doit, s'entendre également des communications adressées par télégramme ou par télex ». Sont donc considérées comme des écrit les télécopies. L´influence de la CVIM sur la conception de l´écrit se traduit par la mise en oeuvre d´une directive communautaire 1999/99 CE à travers la loi française du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l´information et relative à la signature électronique. Celle-ci énonce que les dispositions électroniques sont désormais assimilées à des fax.

Plus qu´au niveau de la formation du contrat, l´influence concrète de la CVIM se ressent dans le domaine de l´exécution du contrat en droit interne.

La CVIM : un modèle pour certains aspects de l´exécution du contrat en droit interne

Dans le cadre de l´exécution du contrat, l´influence de la CVIM se fait particulièrement ressentir sur les obligations des parties en droit français et allemand ainsi que sur le droit des troubles de l´exécution.

L´affectation des obligations des parties

D´une part, la CVIM met à la charge du vendeur une obligation unique : celle de livrer la marchandise conforme au contrat (article 35). Cette solution a affecté le droit européen et donc les droits nationaux. En effet, la directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 mai 1999 relative à la garantie dans la vente entre professionnels et consommateurs a repris cette notion unitaire de conformité. Elle a unifié le régime de la vente en supprimant la distinction entre l´action en garantie des vices cachés et la délivrance non-conforme de la chose. L´article 2 de la directive prévoit que « le vendeur est tenu de livrer au consommateur un bien conforme au contrat de vente ». En droit français l´obligation de conformité n´absorbait pas le vice caché. La directive a été transposée en France par une Ordonnance du 17 février 2005 mais ses dispositions ne valent que pour les litiges en matière de consommation. En Allemagne, le ministère de la Justice a décidé que la transposition de la directive serait l´occasion d´intégrer ses concepts dans le nouveau droit des obligations général. Certes le législateur allemand n´a pas choisi de retenir la notion d´obligation de livrer un bien conforme au contrat. Les notions de vice matériel (Sachmangel, § 434 du Code civil allemand, le BGB) et de vice juridique (§ 435 du BGB) ont été maintenues. Mais comme le montre Claude Witz dans son article sur le nouveau droit allemand de la vente sous le double éclairage de la directive et de la Convention de Vienne, ce n´est qu´une question de terminologie. L´alinéa 3 du § 434 du BGB assimile la livraison d´une chose autre que celle commandée ou la livraison d´une chose d´une quantité inférieure au vice matériel. Donc en substance, le législateur a intégré le concept de conformité dans le nouveau droit des obligations. D´autre part, la CVIM prévoit que l´acheteur dispose d´un délai d´action de deux ans à compter de la remise effective de la marchandise pour dénoncer un défaut apparu tardivement (art. 39 al. 2). Ce délai ne joue pas sur la prescription de l´action en justice. La directive de 1999 a repris le délai de deux ans mais l´article 5 al. 1er prévoit que le défaut doit être apparu dans un délai de deux ans et non que l´acheteur le dénonce dans un délai de deux ans. Tandis que l´ancien article 1648 du Code civil prévoyait un bref délai pour l´action de l´acquéreur, le nouvel article modifié par l´Ordonnance de 2005 prévoit un délai de deux ans à compter de la découverte du vice. En 2002, le législateur allemand a fait du délai de prescription de deux ans le délai de droit commun pour le défaut de conformité matériel à compter de la remise de la marchandise (§ 438 al. 2 du BGB).

Les bouleversements du droit des troubles de l' exécution

La réforme du droit des obligations a introduit une nouvelle notion en droit allemand, une notion unitaire de violation d' une obligation (« Pflichtverletzung »). Auparavant, le droit allemand connaissait plusieurs fondements de la responsabilité contractuelle. Il fallait donc d´abord trouver le fondement pour pouvoir sanctionner l' inexécution du contrat. En 2002, le législateur allemand s´est directement référé à la CVIM. Celle-ci stipule que « si le vendeur (art. 45) / l´acheteur (art.61) n´a pas exécuté l´une quelconque des obligations résultant pour lui du contrat de vente ou de la présente convention... ». Le nouveau § 280 du BGB prévoit que « si le débiteur viole une obligation issue du rapport d´obligation... ». Malgré une différence de terminologie (inexécution-violation d´une obligation), le contenu de la notion reste le même. La CVIM prévoit par ailleurs qu´une partie au contrat peut déclarer le contrat résolu si le manquement de l´autre partie constitue une contravention essentielle et que la défaillance est manifeste (art. 72). La résolution est donc extrajudiciaire. Cette règle permet d'éviter le problème de la loi applicable à l´action en justice. Elle vient du droit allemand selon lequel la résolution peut être déclarée de manière unilatérale sans autre forme de procès. Jusqu´à un arrêt Tocqueville du 13 octobre 1998 rendu par la 1ère chambre civile de la Cour de Cassation, la résolution était judiciaire en France. En effet, l´article 1184 prévoit que s´il n´y a pas de clause résolutoire dans le contrat, seul le juge peut déclarer le contrat résolu. En prenant pour exemple la CVIM, la Cour de Cassation a remis en cause le principe de la résolution judiciaire dans l´arrêt Tocqueville en admettant que « la gravité du comportement d´une partie au contrat peut justifier que l'autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls ». La Cour de Cassation a repris cette formule dans un arrêt du 20 février 2001. De plus, les droits français et allemand et le droit uniforme prévoient que la résolution a pour effet de remettre les parties dans l´état où elles se trouvaient antérieurement. Mais que se passe-t-il lorsque la restitution de tout ou partie de la marchandise est impossible? La CVIM octroie à l´acheteur le droit de déclarer le contrat résolu dans certaines conditions, par exemple si l´impossibilité n´est pas due à un acte ou une omission de sa part (art. 82). Toutefois, l´acheteur devra restituer l´équivalent du profit qu´il aurait retiré des marchandises (art. 84). Conformément au principe de la résolution rétroactive, le droit français préconise la restitution par équivalent. L´équivalent correspondait à la valeur de la marchandise en dehors de tout bénéfice. Dans les années 90, la Cour de Cassation s'est appuyée sur les solutions de la CVIM pour faire évoluer le droit français. Depuis, la restitution par équivalent prend en compte le profit escompté de la revente. Avant la réforme du droit des obligations, la résolution était exclue si l´impossibilité de la restitution de la marchandise était due à la faute du créancier (ancien § 351 du BGB) mais elle ne l'était pas si l´impossibilité résultait d´un cas fortuit (ancien § 350 du BGB). Le législateur allemand prévoit désormais au § 346 du BGB que toutes les fois où la restitution d´un bien antérieurement reçu est impossible, le débiteur de cette restitution doit rembourser le créancier par équivalence. Mais contrairement à la CVIM, le droit allemand dispense le titulaire du droit de résolution de l´obligation de restitution par équivalence s´il a observé la diligence qu´il aurait apporté à ses propres affaires (§ 346 al. 3 du BGB). Enfin, une grande nouveauté inspirée de la CVIM a été introduite dans le droit allemand par la réforme : la possibilité de cumuler résolution du contrat et réparation du préjudice (§ 325 du BGB). Auparavant, chaque remède était exclusif.

Ainsi, l´exemple de l´unification des droits en matière de vente internationale de marchandises montre bien qu´il existe une forte interaction entre le droit international et le droit national, et ce souvent par l´intermédiaire du droit européen

BIBLIOGRAPHIE

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Ouvrages spécialisés - Babusiaux Ulrike, « L´influence des instruments internationaux d´uniformisation du droit sur le nouveau droit allemand général des troubles de l´exécution du contrat » ; Witz Claude, « le nouveau droit allemand de la vente sous le double éclairage de la Directive et de la Convention de Vienne » in La réforme du droit allemand des obligations, (sous la direction de) Witz Claude et Ranieri Filippo, colloque du 31 mai 2002 et nouveaux aspects, édition de la Société de législation comparée, Droit privé comparé et européen, collection dirigée par Bénédicte Fauvarque-Cosson, Volume 3, p. 167-216. - Lamazerolles Eddy, Les apports de la Convention de Vienne au droit interne de la vente, Université de Poitiers collection de la faculté de droit et des sciences sociales, LGDJ, 2000, 464 p.

Articles - Birgit Riemer, séminaire franco-allemand, le droit des contrats spéciaux, « la vente internationale de marchandise », Berlin, 6-10 juillet 2000. http://www.rewi.hu-berlin.de/jura/koop/paris/doc/riemer.rtf

Textes officiels - Code civil - Convention sur la vente internationale de marchandise du 11 avril 1980 - Directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 mai 1999 relative à la garantie dans la vente entre professionnels et consommateurs - Loi n°2000-230 du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l'information et relative à la signature électronique - Ordonnance du 17 février 2005 transposant la directive communautaire du 25 mai 1999

Décisions - Cour de Cassation, Assemblée Plénière, 1er décembre 1995 - Cour de Cassation, 1ère chambre civile, arrêt Tocqueville, 13 octobre 1998

Bibliographie allemande :

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Articles - Huber Peter, « Neues deutsches Kaufrecht und UN-Kaufrecht » in Festschrift für Konzen zum siebzigsten Geburtstag, Herausgegeben von Dauner-Lieb Barbara/Hommelhoff Peter/Jacobs Matthias/Kaiser Dagmar/Weber Christoph, Mohr Siebeck, Tübingen, 2006, p.331-345 - Schlechtriem Peter, « International einheitliches Kaufrecht und neues Schuldrecht » in Das neue Schuldrecht in der Praxis, Dr. Dauner-Lieb Barbara/Dr. Konzen Horst/Dr. Schmidt Karsten, , Carl Heymanns Verlag KG, Köln-Berlin-Bonn-München 2003, p.71-86

Textes officiels - Bürgerliches Gesetzbuch