L’œuvre audiovisuelle : qualifications et particularités de régime, par Véronique Mauduit
En droit américain l’œuvre audiovisuelle fait partie des huit catégories de travaux ou œuvres de l’esprit protégés par le droit d’auteur. Elle se définit comme des séquences animées d’images, accompagnées ou non de sons ou d’une musique et diffusées à l’aide d’une machine, type projecteur ou diffusées à l’aide d’un moyen électronique( Intellectual Property, Patents, Trademarks and Copyrights, Richard Stim, West Legal Studies, 2nd edition, 2002). En 1912, après que la Cour Suprême des Etats-Unis s’est prononcé sur une affaire à propos du film Ben-Hur, le Copyright Act de 1909 a été modifié pour y inclure les œuvres audiovisuelles(Intellectual Property, Patents, Trademarks and Copyrights, West Legal Studies, Richard Stim, 2nd edition, 2002).
En France, l’article L112-2 du Code de la Propriété Intellectuelle dispose que : « sont considérées notamment comme œuvre de l’esprit au sens du présent code :[...] 6° les œuvres cinématographiques et autres œuvres consistant dans des séquences animées d’images, sonorisées ou non, dénommées ensemble œuvres audiovisuelles », c’est-à-dire n’importe quel type de programme audiovisuel susceptible de faire l’objet de droits de propriété intellectuelle. Ces œuvres audiovisuelles, à coté de treize autres œuvres de l’esprit énumérées par l’article L.112-2 du Code sont ainsi protégées par le droit d’auteur.
Ainsi aux Etats-Unis comme en France l’auteur d’une œuvre audiovisuelle bénéficie du régime du droit d’auteur. Néanmoins l’œuvre audiovisuelle fait intervenir dans sa création une pluralité d’acteurs qui fait qu’elle est soumise à un régime particulier du droit d’auteur, en effet pour une seule œuvre, l’on va avoir plusieurs titulaires du droit d’auteur. Ainsi en France l’œuvre audiovisuelle est soumise au régime particulier des œuvres de collaboration, codifié aux articles L.113-2, L.113-3 et L.113-7. Aux Etats-Unis, les œuvres audiovisuelles sont soumises à la doctrine du « collaborative work » ou « joint work » qui se définit de manière quasi-similaire à l’œuvre de collaboration française, le droit américain retenant néanmoins une acceptation plus large de ce qui constitue la contribution de chaque auteur à l’œuvre finale. La France et les Etats-Unis portent un regard différent sur l’œuvre audiovisuelle notamment parce que la France et les Etats-Unis conçoivent le droit d’auteur différemment, la France ayant une vision plus protectrice de l’individu créateur de l’oeuvre et les Etats-Unis une vision plus économique – différence qui se démontre notamment par l’impossibilité pour une auteur de jouir de droits moraux sur sa création audiovisuelle américaine.
Deux questions se posent alors : Comment nait le droit d'auteur dans le cadre d'une œuvre audiovisuelle? Qui bénéficie réellement de ces droits ?
I. La naissance du droit d'auteur
1. L'exigence d'un support et d'une forme originale
Aux Etats-Unis comme en France, une œuvre cinématographique doit répondre à plusieurs critères notamment en France l’œuvre doit faire l’objet d’une forme qui soit originale, aux Etats-Unis, l’œuvre doit – comme en France - être « fixée » sur un support et doit être originale. La définition de ce que constitue l’originalité de l’œuvre diffère néanmoins entre les deux pays. Depuis l’affaire Alfred Bell & Co. v. Catalda Fine Arts, Inc. (1959) il est devenu clair pour une très grande majorité des tribunaux américains qu’une simple démonstration par une créateur de son habileté, de son talent, de la somme de travail qu’il a effectué et des dépenses économiques qu’il a engagées dans la réalisation de son travail importent peu pour faire naitre sur sa tête un droit d’auteur, ce qui importe c’est qu’il y ait dans l’œuvre une trace de la « patte » de l’auteur, qui montre que l’œuvre est son œuvre propre. Il est important de préciser que la largesse d'interprétation des tribunaux américains pour déterminer l'originalité d'une contribution à l'oeuvre ne saurait bénéficier à celui qui a décidé de créer une pièce de théâtre pour lequel il a fait de nombreuses recherches mais qui a laissé l'entière écriture du script à une autre personne (Childress v. Taylor, 945 F.2d 500, 507 (2nd Cir.1991) ) Ceci est l'exemple de la différence inhérente au droit d'auteur entre les idées et l'expression de celles-ci, aux États-Unis comme en Europe.
Dans les pays de droit romain, les tribunaux exigent davantage : pour qu’une œuvre soit originale, il faut qu’elle reflète la personnalité de son créateur. La simple preuve de compétence, de travail et de jugement ne suffit pas : il faut aussi que l’auteur démontre de la créativité (le Droit d'Auteur Hier et Aujourd'hui1)L’on demande en effet que le créateur de l’œuvre fasse preuve d’une « plus grande » originalité dans le sens où l’auteur devra démontrer qu’il a fait des choix esthétiques qui font ressortir sa personnalité (Arrêt de la 1ère chambre civile du 13 décembre 2008 dite Affaire Paradis), c’est d’ailleurs pourquoi le directeur de la photographie n’est en droit français titulaire d’aucun droit d’auteur sur l’œuvre audiovisuelle sur laquelle il a travaillé car le droit français considère qu’il n’est qu’un technicien qui « obéit » et qui traduit techniquement les choix esthétiques non pas pris par lui mais pris par le réalisateur de l’œuvre audiovisuelle.
2. Sur quelles têtes nait le droit d'auteur d'une oeuvre audiovisuelle ?
En France l'oeuvre audiovisuelle appartient au régime des œuvres de collaboration car elle est le fruit d'une inspiration commune et d'un travail entre plusieurs personnes. Il existe ainsi plusieurs auteurs pour une seule et même d'oeuvre. L’article L113-3 du code de la Propriété Intellectuelle pose en la matière le principe d’un régime d’indivision et l’œuvre est « la propriété commune des coauteurs ». Le régime des œuvres audiovisuelles connaît des spécificités par rapport au régime général des œuvres de collaboration énoncé à l’article 113-3 du code. L’article 113-7 du code dispose : « ont la qualité d'auteur d'une oeuvre audiovisuelle la ou les personnes physiques qui réalisent la création intellectuelle de cette oeuvre. Sont présumés, sauf preuve contraire, coauteurs d'une oeuvre audiovisuelle réalisée en collaboration : 1° L'auteur du scénario ; 2° L'auteur de l'adaptation ; 3° L'auteur du texte parlé ; 4° L'auteur des compositions musicales avec ou sans paroles spécialement réalisées pour l'oeuvre ; 5° Le réalisateur. Lorsque l'oeuvre audiovisuelle est tirée d'une oeuvre ou d'un scénario préexistants encore protégés, les auteurs de l'oeuvre originaire sont assimilés aux auteurs de l'oeuvre nouvelle. ». Il n'en a pas toujours été ainsi car la jurisprudence a dans les années 30 qualifié l'oeuvre cinématographique d'oeuvre collective en mettant en avant le rôle prépondérant du producteur. Comme l'oeuvre audiovisuelle ne s'arrête pas à l'oeuvre cinématographique, la question de savoir s'il faudrait qualifier une telle œuvre de collaboration ou collective fait toujours débat. En fait la qualification d'oeuvre collective reste car elle apporte des bienfaits pratiques, elle apporte la sécurité juridique pour les professionnels du milieu et permet d'éviter les aléas inhérents à l'oeuvre collective (Droits d'auteur et droits voisins, chapitre 2 : la titularité des droits dans les œuvres plurales, Christophe Caron, Litec, LexisNexis, 2ème édition).
Il en est de même aux États-Unis ou l'oeuvre audiovisuelle fait partie des œuvres dites de « joint work » c'est-à-dire des œuvres de collaboration. Dans le Copyright Act de 1976 une œuvre collective est définie comme une œuvre créée par deux ou plusieurs auteurs ayant l'intention que leurs contribution forment une tout inséparable et indivisible. Néanmoins contrairement au droit français, le droit américain ne crée pas de présomptions en faveur de certaines catégories de personnes désignées comme d'emblée plus à même de bénéficier du droit d'auteur. Ceci permet à toute personne qui apporte un élément créatif original à l'oeuvre globale de pouvoir bénéficier du droit d'auteur sans devoir lutter contre cette présomption. En effet en France, il est très difficile voire impossible pour un participant à la réalisation de l'oeuvre de prouver qu'il a apporté un élément original à l'oeuvre s'il ne fait pas partie des cinq catégories de personnes citées à l'article L113-7 du code de la Propriété Intellectuelle. Il arrive ainsi que la qualité d'auteur soir refusée à des personnes qui ont incontestablement manifesté une certaine créativité, alors qu'elle sera dans d'autres cas donnée à des auteurs de créations parfois très faiblement originales uniquement parce qu'ils figurent dans la liste (Droits d'auteur et droits voisins, chapitre 2 : la titularité des droits dans les œuvres plurales, Christophe Caron, Litec, LexisNexis, 2ème édition).
II. Les droits attachés à la qualification d'oeuvre audiovisuelle
1.Le droit moral dans le cadre d'une oeuvre audiovisuelle
1.1. Le droit moral, une notion qui se fait toujours rare dans le droit américain
En droit français, l’auteur d’une œuvre est titulaire de droits patrimoniaux et moraux sur son œuvre. En droit américain, le droit du copyright ne reconnaissait pas l’existence de droits moraux à l’auteur d’une œuvre avant 1989 et l’introduction dans le Copyright Act de 1976 de dispositions figurant dans la convention de Berne sur le droit moral de l’auteur. L’introduction du droit moral dans le droit du copyright américain s’est fait notamment par le biais du Visual Artists Rights Act(Visual Artists Rights Act, ou VARA, 17 U.S.C §106A). Néanmoins cette loi ne reconnaît le droit moral qu’aux auteur de certains types de travaux, figurant dans une liste exhaustive : peintures, dessins, sculptures, impressions et simples photographies existant en édition limitée de 200 exemplaires ou moins. L’auteur d’une œuvre audiovisuelle ne sera ainsi pas titulaire de droits moraux sur son œuvre audiovisuelle américaine. Il ne dispose pas par exemple, comme le réalisateur français, du droit de divulgation qui en France gouverne la naissance des droits patrimoniaux. L’auteur américain d’une œuvre audiovisuelle ne possède pas non plus le droit de paternité, ni le droit d’intégrité ou de retrait. Cependant certains droits patrimoniaux accordés à l’auteur américain par le droit du copyright remplissent le rôle du droit moral de divulgation par exemple le « right to display » l’œuvre, c’est à dire de la rendre visible à tous, le « right to public performance » qui rend aussi l’œuvre accessible au public ou le « droit de diffusion » ou de « de mise à disposition en ligne » sont autant d’avatars du droit de divulgation français qui figure parmi les droits moraux en France.
Une différence majeure est l’absence en droit américain de droit à l’intégrité de l’œuvre. Un exemple est l’affaire Rachmaninov ou l’affaire du film Shine, film australien sorti en 1996. Dans ce film l’on peut entendre à de très nombreuses reprises le Concerto n°3 pour piano de Sergueï Rachmaninov. Le petit-fils du compositeur a poursuivi devant les tribunaux français la productrice australienne Jane Scott en arguant de deux violations du droit moral de l’auteur : une violation du droit de paternité, l’héritier considérant que le concerto n’avait pas été suffisamment crédité au générique et une violation du droit à l’intégrité de l’œuvre, l’héritier considérant cette fois que la manière dont le concerto était ajouté à la pellicule diminuait la qualité artistique du morceau et que l’auteur n’aurait pas aimé la façon dont était rendue son œuvre à l’écran. Il convient ici de parler de la règle du « traitement national » en droit d’auteur, pierre angulaire de la Convention de Berne de 1886. Par traitement national, on entend le traitement que l’Etat contractant sur le territoire duquel la protection est demandée accorde, en vertu de sa législation nationale. Ainsi comme le film Shine avait été montré en France, le petit-fils du musicien a pu invoquer la protection du droit français et le droit moral devant les tribunaux français alors même que le film n’était pas français et que le droit australien ne disposait peut être pas de protections similaires.
1.2 Les limites de l'exercice du droit moral par les coauteurs d'une oeuvre audiovisuelle en droit français
Le droit français connait aussi quelques limites quant à l'exercice du droit moral pour les co-auteurs d'une œuvre audiovisuelle, notamment ceux figurant à l'article L121-1 du code de la propriété intellectuelle. En effet l'article 121-5 dispose que : « les droits propres des auteurs tels qu'ils sont définis à l'article L121-1 ne peuvent être exercé par eux que sur l'oeuvre audiovisuelle achevée ». Ainsi l’article L121-5 du code fait une distinction entre la période de réalisation d’une œuvre et la période d’exploitation de l’œuvre, les deux périodes étant séparées par une procédure particulière dite de la procédure d’achèvement. Il s'agit d’un accord entre le réalisateur ou éventuellement les coauteurs et le producteur, sur la version définitive. Le code laisse ouvertes 2 possibilités : soit un accord entre réalisateur et producteur, soit entre coauteurs et producteur. Dans la pratique c’est plutôt la première possibilité en ce que le réalisateur et le producteur. Une fois un accord définitif, l’œuvre est définitivement fixée, si jamais le producteur veut apporter des modifications à cette œuvre par exemple pour une exportation à l’étranger, il doit demander l’accord aux personnes présentes lors de l’accord définitif. Toute modification ultérieure de la version définitive ne peut avoir lieu du seul fait du réalisateur. L’idée est faite pour rassurer le producteur qui en finançant la réalisation de l’œuvre veut éviter les recours sans fins entre les différents coauteurs avant même que l’œuvre ait été achevée. Mais, comme l'on vient de le voir, même si le droit français empêche pendant un certain temps aux co-auteurs d'exercer leurs droits moraux, ils le peuvent dès l'oeuvre terminée et bénéficient alors d'un droit individuel de regard et de recours pour faire respecter la façon dont ils ont conçu leur œuvre, ce qui n'a pas d'équivalent aux États-Unis.
Une autre limite de l'exercice des droits moraux vise l'auteur dont l'oeuvre littéraire est destinée à être adaptée à l'écran. En effet, un droit moral est est perpétuel, imprescriptible et inaliénable. On ne peut pas le céder. l’industrie du cinéma français contourne habilement l’incessibilité des droits car il est généralement admis que le contrat que peut conclure un auteur pour que son œuvre soit adaptée à l’écran par exemple, doit être interprétée comme offrant une certaine liberté à celui qui adapte l’oeuvre(Cour de Cassation du 12 juin 2001, sur l’adaptation au cinéma du Petit Prince de saint Exupéry). Dans cet arrêt Saint-Exupéry, il ressort que la limite ultime qu’il ne faut pas franchir c’est la dénaturation, l’adaptateur dénature l’oeuvre soit lorsqu’il modifie l’esprit de l’œuvre, soit lorsqu’il modifie les caractères des personnages par exemple. Dans cet arrêt il a été retenu que l’adaptation d’une œuvre littéraire au cinéma implique qu’une certain liberté soit reconnue à l’adaptateur et la cour conclut qu’il n’y a pas violation du droit au respect dès lors que l’œuvre adaptée respectait l’esprit de l’œuvre préexistante et que bien que comportant un apport personnel de l’adaptateur elle reproduisait fidèlement l’intrigue et le caractère du personnage principal. Il y a donc une sorte de cession implicite du droit à l’intégrité sous limite de dénaturation.
2. L'exercice des droits patrimoniaux attachés à la qualité d'auteur d'une oeuvre audiovisuelle
En ce qui concerne les droits patrimoniaux ou économiques, les régimes juridiques français et américains sont de prime abord beaucoup plus proches. Les deux droits reconnaissent que l’œuvre audiovisuelle attache un droit de reproduction et les deux droits reconnaissent l’exception de copie privée qui permet à quelqu’un qui se procure légalement une copie de l’œuvre d’en faire une copie pour son usage propre(Article L122-5, 2ème). Les deux droits reconnaissent le droit de distribution, bien qu’en France ce dernier soit rattaché au droit de reproduction(International Copyright, Principles, Law and Practice, Paul Goldstein, Bernt Hugenholtz, Oxford University Press, 2nd edition, 2010). Les deux pays reconnaissent le droit d’adaptation mais encore une fois la France traitera ce droit comme partie intégrante du droit de reproduction. En matière de droit d’adaptation les Etats-Unis se singularisent par l’importance de la jurisprudence autour de la notion de « derivative works » ou œuvres dérivées. Le droit américain garantit en effet au titulaire d’un copyright un droit exclusif de créer des œuvres dérivant de l’œuvre sur laquelle il possède déjà un copyright. Les deux droits reconnaissent également le droit de communication au public et bien évidemment le droit d’exploitation de l’œuvre. Les droits patrimoniaux sont cessibles et cessent 70 ans après la mort du dernier des coauteurs de l’œuvre audiovisuelle. Néanmoins aux Etats-Unis, le vote par le Congrès en 1998 de la loi d’extension du terme des droits d’auteurs (Copyright Term Extension Act) a prolongé de 20 ans aux États-Unis le terme des droits d’auteurs et a eu pour effet de geler l’entrée dans le domaine public des œuvres aux Etats-Unis crées après le 1er janvier 1923. Les œuvres créées après cette date qui auraient du rentrer dans le domaine public en 1998 n’y rentreront pas avant 2019. Cette loi a pour effet de créer une disparité de régime entre les différents pays signataires de la Convention de Berne qui ont la plupart – comme la France – fait rentrer dans leur législation le terme de 70 années après la mort de l’auteur. Ainsi aux États-Unis les intérêts économiques de l'oeuvre d'un auteur sont mieux protégés puisque l'auteur détient un droit exclusif de propriété et d'adaptation sur son œuvre pendant plus longtemps.
Seulement le titulaire du droit, voire même l'auteur n'est pas toujours celui qui est le créateur de l'oeuvre et c'est là que la France les États-Unis n'offrent pas un régime de protection similaire aux co-auteurs de l'oeuvre. En effet comme il l'a été précisé en introduction, le droit américain favorise une approche économique du droit d'auteur contre celle, française, qui favorise une approche personnaliste même lorsque sont envisagés les droits patrimoniaux. Un exemple de cette vision du droit d'auteur est l'importance capitale que tient la « Work-for-hire » doctrine dans le droit de la création et production audiovisuelle aux États-Unis. Lorsque le premier Copyright Act est voté en 1909, il ne définissait ni le mot « author » ni l'expression « Work-for-hire » qui pourrait être traduite par « engagé pour créer ». Ces omissions ont eu tendance à avantager les grands studios ou les producteurs indépendants aux dépens des créateurs de l'oeuvre. En effet lorsqu'une personne en engageait une autre afin que cette dernière réalise une œuvre artistique, et en l'absence d'une clause expresse dans le contrat de travail garantissant au créateur la conservation de son droit d'auteur, il était présumé que les deux parties avaient voulu conférer le droit d'auteur à la personne qui finançait le travail(Who owns the Movie?, UCLAELR, 7 UCLA Ent. L. Rev. 1, Westlaw.com). Pour les tribunaux cette doctrine du Work-for-hire telle qu'interprétée sous l'empire de la loi de 1909 était si large que quiconque payait une autre personne pour produire une œuvre audiovisuelle créée par ce dernier était automatiquement présumé auteur de l'oeuvre. Même après le Copyright Act de 1976, dans lequel cette doctrine a été mieux définie, la majorité des productions audiovisuelles restent aux États-Unis des commandes faites par les producteurs aux réalisateurs et sont donc soumises à cette doctrine. Dans ce cadre, la relation qui unit le producteur au réalisateur est une relation de travail ou le producteur est l’employeur du réalisateur. Si bien que la présomption que l’on trouve énoncée à l’article 113-7 est renversée en droit américain ou le producteur, dès qu’il existe une relation de travail entre ce dernier et le réalisateur, est considéré comme étant l’auteur de l’œuvre audiovisuelle en devenir. Ce phénomène est si grand aux Etats-Unis qu’il existe tout un pan spécialisé du droit d’auteur et de l’Entertainment law américain dévoué au droit de la réalisation indépendante visant à aider les réalisateurs indépendants qui sont toujours en minorité par rapport aux grands groupes de productions qui commandent des oeuvres.
Les producteurs français ont longtemps revendiqués et souhaités être qualifiés soit d’auteurs uniques de l’œuvre audiovisuelle soit ont souhaités faire partie des auteurs présumés figurant dans la liste donnée par l’article 113-7. Ceci allait à l’encontre de la conception du droit d’auteur en France puisque cela aurait voulu dire permettre à une personne morale de bénéficier du droit d’auteur alors même qu’une personne morale est inapte à la création. Or, comme il a été dit, en ce qui concerne le droit des œuvres audiovisuelles, la position du droit français est parfaitement claire contrairement à d’autres domaines ou la règle connaît des aménagements (maisons de couturiers, ateliers de graphisme et le cas des œuvres collectives) : le producteur est généralement une personne morale et celle ci est inapte à la création. Comme on l’a vu plus haut, les auteurs d’une œuvre audiovisuelle vont former un contrat avec un producteur dans lequel il y aura cession des droits patrimoniaux notamment le droit d’exploiter l’œuvre. Même si les auteurs et/ou salariés cèdent leurs droits patrimoniaux, ils pourront toujours peser sur la façon dont est exploitée l’œuvre aux travers de leurs droits moraux. Ainsi, même si les co-auteurs peuvent céder leurs droits patrimoniaux au producteur à travers un contrat, le régime de « Work for hire « a été évité en droit français où la philosophie de la création cinématographique est différente et le créateur individuel est toujours celui sur la tête duquel naissent le droit d’auteurs, notamment parce que les droits moraux naissent sur la tête du créateur, qu’ils sont incessibles et que ce sont eux qui donnent naissance aux droits patrimoniaux. Le salarié peut tout à fait céder ses droits patrimoniaux à son employeur par le biais d’un contrat mais la présomption sera donc différente : en droit français, le créateur salarié est réputé être l’auteur de l’œuvre(Article L111-1 du Code de la Propriété Intellectuelle). À ce titre il est important de mentionner qu'en cas d’un contrat de travail la cession du droit d’exploitation n’intervient pas du seul fait de l’existence d’un contrat de travail mais doit faire l’objet d’une mention expresse dans le contrat(Arrêt de la Cour de Cassation du 21 octobre 1997), donc d’une clause qui doit répondre aux exigence de la propriété intellectuelle(Article 131-2 du Code de la Propriété Intellectuelle). Ainsi l’article L111-1 alinéa 2 qui dispose « l’existence ou la conclusion d’un contrat de louage d’ouvrage ou de service d’une œuvre de l’esprit n’emporte pas dérogation à la jouissance du droit reconnu par le premier alinéa ». Et l’article 131-2 précise bien que chacun des droits cédés doit faire l’objet d’une mention expresse, à l’intérieur de chacun des droit, il faut énumérer le mode d’exploitation, et la cession doit comporter une rémunération proportionnelle.
Ainsi en France les droits des créateurs de l'oeuvre originale sont mieux protégés qu'aux États-Unis : le code de la propriété intellectuelle établit une présomption disposant que les coauteurs de l’oeuvre audiovisuelle sont l’auteur du script, l’auteur de l’adaptation, l’auteur du dialogue, l’auteur de l’accompagnement musical spécialement composé pour l’œuvre, et le réalisateur. L’article L.132 et suivants, notamment les articles L132-23 à L.132-30 s’occupent des contrats de production audiovisuelle qui diffère de la procédure d’achèvement en ce que ce sont les droits patrimoniaux qui sont ici concernés : chacun des auteurs signe avec le producteur un contrat de production audiovisuelle. Par ce contrat il y à cession au producteur des droits d’exploitation de l’œuvre, qui vont permettre au producteur de commercialiser l’œuvre, de toucher de l’argent sur l’œuvre dont un certain pourcentage sera reversé aux auteurs de l’œuvre. De plus, les co-auteurs français disposent de tous leurs droits moraux une fois l'oeuvre terminée. Néanmoins ce régime très avantageux ne bénéficie souvent qu'aux cinq catégories de personnes énoncées à l'article L113-7 et il est très dur pour bon nombre de personnes participant activement à la création originale de l'oeuvre de bénéficier de ce régime.
1 http://www.unesco.org/fileadmin/MULTIMEDIA/HQ/CLT/diversity/pdf/WAPO/ABC_Copyright_fr.pdf