L’arrêt de la Cour Suprême des Etats-Unis Montejo v. Louisiana : du silence pour un bavard ? Etude comparative du droit à un avocat aux Etats-Unis et en France - par Gaspard Debiesse

Le 26 mai 2009, par cinq voix contre quatre, la Cour Suprême des Etats-Unis décidait de renverser suite à la demande de l’administration du Président Obama - et au grand dam des associations de défense des libertés civiles - le précédent établi en 1986 avec l’arrêt Michigan v. Jackson. Depuis ce dernier, une personne inculpée ne pouvait légalement être interrogée hors la présence d’un avocat lorsque celui-ci a été expressément demandé par le mis en cause. Plus précisément, cet arrêt créait une présomption selon laquelle toute renonciation (waiver) au droit à un avocat intervenant après que la personne a d’abord revendiqué ce droit lors de son inculpation - ou tout acte de procédure similaire - doit être invalidée automatiquement (à moins que l’individu ait de son plein gré décidé de parler en l’absence de son conseil). En l’espèce, la question posée à la Cour était la suivante : la jurisprudence Jackson trouve-t-elle à s’appliquer lorsqu’un avocat est commis d’office pour la défense du suspect quand ce dernier n’en a pas fait expressément la demande ? Plutôt que de répondre précisément, la Cour Suprême décida de renverser l’arrêt Jackson entièrement : désormais, les aveux ou confessions obtenus par la police en l’absence d’un avocat ne pourront plus êtres écartés par le juge au motif de leur inconstitutionnalité. En France, jusqu’en 1993, le principe du respect des droits de la défense ne trouvait à s’appliquer que dans la phase judiciaire du procès pénal, si bien que l’avocat se voyait tout bonnement écarté de l’enquête policière. Puis, cette question a été soumise au législateur, puis au Conseil Constitutionnel, lequel a affirmé que le droit de s’entretenir avec un avocat au cours de la garde à vue (GAV) constitue un droit de la défense. C’est aujourd’hui la loi du 15 juin 2000, modifiée par la loi du 9 mars 2004, qui établit le régime légal en la matière. Mais pour combien de temps encore ?

« On cesse d’être en sécurité dès qu’on passe la porte d’un commissariat. Avec vous composer le numéro de la police donne déjà la chair de poule ». Ces mots, prononcés par Maître Martinaud dans le célèbre film de Claude Miller Garde à vue, résonnent aujourd’hui comme un coup de fouet, alors que l’Assemblée Nationale a commencé il y a peu l’examen de propositions de loi défendant la présence d’un avocat dès le commencement de cette mesure privative de liberté, dont les conditions en France sont continuellement stigmatisées. D’ailleurs, comme un symbole de la tension qui existe entre avocats et policiers, le conflit qui les oppose sur le sujet a investi fin mars le prétoire, à l’occasion d’un procès civil initié par le conseil de l’ordre de Paris suite aux propos « offensants » d’un syndicat de police. Ces faits d’actualité montrent à quel point la place de l’avocat pendant la phase de l’enquête policière est sujette à débat, malgré les récents arrêts de la Cour Européenne des Droits de l’Homme condamnant la Turquie pour non respect des droits de la défense (Dayanan c/ Turquie, 13 oct. 2009). La procédure pénale française, qui fonctionne selon un régime inquisitoire, fait de l’aveu la « reine des preuves ». Ceci explique la réticence des services de police, en première ligne du constat des infractions à voir débouler trop tôt les robes noires, perçues comme un frein aux investigations, et sur lesquelles pèse une suspicion - voire une hostilité – évidente. Selon François Saint-Pierre, l’exclusion de l’avocat au stade de la GAV « n’est pas tant une technique procédurale que de culture juridique » voulue par les policier, les magistrats, et le législateur (Le Guide de la Défense Pénale, §111.8, Dalloz, oct. 2008). Alors que la situation est qualifiée aujourd’hui d’urgente par certains élus (on a dénombré environ 900 000 GAV en France en 2009), et que la France fait figure de mauvais élève au niveau européen, le dispositif français de GAV est plus que jamais aux portes d’une réforme d’ampleur. Pendant la phase judiciaire, la place de l’avocat paraît en revanche se légitimer, et ne fait pas l’objet de contestation : elle est même assurée en détails par la loi. Aux Etats-Unis, le sacrosaint droit à un avocat, ou right to counsel, est consacré à la fois par le 5ème et le 6ème Amendement à la Constitution. Il fait pour ainsi dire partie de la culture générale américaine aujourd’hui, grâce notamment au célèbre arrêt Miranda v. Arizona (1966), et au fameux « avertissement Miranda » que l’on peut entendre dans n’importe quelle série policière américaine. Toujours est-il qu’à l’heure où, en France, on plaide pour une présence renforcée de l’avocat auprès du suspect privé de liberté, on observe aux Etats-Unis une tendance inverse, initiée - de manière assez surprenante - par l’administration Obama. A l’occasion de l’affaire Montejo v. Louisiana (2009), relative aux interrogatoires de police, cette dernière a en effet vivement conseillé à la Cour Suprême d’abandonner le précédent établi vingt ans plus tôt avec l’arrêt Jackson v. Michigan (1986), au motif que la règle qu’il avait créée n’avait « pas vraiment de raison d’être », et était la source de « plus d’inconvénients que d’avantages pour le système judiciaire américain ». Cette prise de position suscita l’ire des organisations de défense des libertés, et la décision qui s’en suivit fut ressentie par les médias américains ainsi que par le Juge Stevens, auteur de la décision Jackson, comme une victoire pour la police, et une défaite de l’Etat de droit. Quelles sont les différences qui existent entre les deux systèmes, entre le droit à un avocat, et le right to counsel ? L’arrêt Montejo marque-t-il un véritable recul des droits de la défense ? Quelle est l’incidence d’une violation de ce droit sur la recevabilité des aveux obtenus par la suite ? Notre étude comparative s’attachera dans un premier temps à analyser l’origine du droit au conseil de part et d’autre de l’Atlantique (I). A partir de cette analyse, il conviendra de s’interroger sur les possibilités de renonciation et sur la recevabilité devant le juge de preuves obtenues en violation de ce droit (II).

I) Droit à un avocat et right to counsel : origine du droit aux Etats-Unis et en France

A) Aux origines du right to counsel : les 5ème et 6ème Amendements

Deux sources constitutionnelles pour deux situations distinctes

Le right to counsel pendant un interrogatoire trouve sa source dans deux textes différents : le 5ème et le 6ème Amendement de la Constitution des Etats-Unis. La raison de cette pluralité des sources constitutionnelles tient à la distinction que la Cour Suprême a tracée entre d’une part le droit à un avocat antérieur à la mise en examen (indictment) – ou tout autre procédé judiciaire équivalent - qui provient implicitement du droit de ne pas s’auto-incriminer et du droit au procès équitable (due process) qui apparaissent dans le 5ème Amendement (v. Miranda); et le droit à un avocat postérieur à la mise en examen d’autre part, qui trouve lui explicitement son origine dans le 6ème Amendement ("In all criminal prosecutions, the accused shall enjoy (...) the assistance of counsel for his defence"). Si le 5ème et le 6ème Amendement était les deux rives du fleuve du droit à l’avocat, la mise en cause judiciaire serait donc tel un pont. En effet, selon la Cour, le 5ème Amendement reconnaît implicitement un droit au conseil qui s’explique par le caractère coercitif inhérent qui existe dans le cadre des custodial interrogations (les interrogatoires ayant lieu en « détention », dans le sens où « toute personne raisonnable se sentirait privée de sa liberté d’action de manière significative »). Dans ce cadre, l’avertissement Miranda (selon lequel l’officier de police en charge de l’arrestation doit signifier au suspect qu’il a le droit de rester silencieux, mais que tout ce qu’il dira sera retenu contre lui, ainsi que le droit à ce qu’un avocat soit présent pendant l’interrogatoire) a pour but de rappeler à la personne qu’elle a le droit de ne pas s’auto-incriminer, mais que si elle décide d’y renoncer, elle pourra être assistée d’un avocat pendant les interrogatoires. Dans son arrêt Edwards v. Arizona (1981), la Cour Suprême affirma que dès lors qu’un individu a revendiqué le droit à un avocat que lui reconnaît le 5ème Amendement (selon l’arrêt Miranda), la police a interdiction stricte d’interroger plus avant le suspect en l’absence de celui-ci, créant ainsi une présomption selon laquelle toute renonciation au droit intervenant après la revendication initiale devrait être considérée comme involontaire et donc invalidée (à moins que le mis en cause reprenne de lui-même la communication avec la police) car elle pourrait être le signe de harcèlement policier. Le droit au conseil tel qu’il apparaît dans le 6ème Amendement, en revanche, vise à assurer un procès équitable. Dès lors que le parquet décide formellement de poursuivre un suspect et d’en obtenir la condamnation, et que de ce fait les positions opposées de l’Etat et du défendeur se « solidifient » (Kirby v. Illinois, 1972), le 6ème Amendement lui assure le droit à un avocat dans toutes les étapes « critiques » de la procédure pénale (id.). L’arrêt Michigan v. Jackson, maintenant annulé, avait pour but d’importer dans le contexte du 6ème Amendement l’arrêt Edwards précité (cf. infra). Ainsi donc, là où l’arrêt Miranda met l’accent sur le caractère nécessairement custodial de l’interrogatoire pour que le droit à un avocat du 5ème Amendement joue, celui contenu dans le 6ème amendement ne dépend nullement de la privation de liberté que subit le suspect. Une fois encore, le droit au conseil du 6ème Amendement ne prend vie qu’à partir du moment où le gouvernement signale sa volonté de poursuivre le suspect en initiant les premiers procédés judiciaires contradictoires (à savoir : audience préliminaire, mise en accusation, mise en examen, etc. - v. Kirby). Une fois cette étape franchie, la personne bénéficie automatiquement et sans exception du droit à un avocat tel qu’inscrit dans le 6ème amendement, qu’elle soit ou non en détention.

Deux portées distinctes également

La portée, distincte, des protections offertes par les 5ème et 6ème Amendements est le reflet des principes qui les sous-tendent. Ainsi, le droit à un avocat du 5ème protège les suspects contre les interrogatoires en détention quel que soit le sujet dudit interrogatoire. Par ailleurs, dans le contexte du 5ème Amendement, le droit à un avocat existe peu importe le nombre de crimes soumis à enquête, ou que ces crimes aient donné suite à une inculpation ou non (Arizona v. Roberson, 1988). Cette protection n’est donc pas spécifique au crime dont l’individu est suspecté, contrairement à celle que confère le 6ème Amendement : celui-ci ayant pour but d’assurer un procès équitable, le droit d’avoir un avocat présent ne porte que sur l’infraction dont la personne est accusée, et n’empêche donc en rien un officier de police d’interroger cette dernière sur d’autres faits ou infractions (Texas v. Cobb, 2001).

B) Le principe du droit à l’assistance d’un avocat : sources européennes et nationales

a) L’article 6 § 3 de la CESDH

Le texte de la Convention est clair : « Tout accusé a droit notamment à (…) c. se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent ». Ce droit se divise en réalité en plusieurs garanties procédurales, certaines explicites, d’autres ayant été créées par la jurisprudence de la Cour européenne (CEDH). La première est que le mis en cause doit pouvoir s’entretenir librement avec son avocat. La présence d’un policier pendant le premier entretien du requérant avec son avocat viole le droit de l’intéressé à exercer de façon effective les droits de la défense (CEDH, 16 oct. 2001, Brennan c/ Royaume-Uni). Une autre garantie, qui nous intéresse plus directement, est le droit à un avocat pendant la phase policière. Alors qu’on pourrait penser que l’article 6 de la CESDH ne s’applique qu’à la phase judiciaire, et serait à ce titre le pendant européen du 6ème Amendement, la CEDH a, en 1988, étendu les garanties de l’article 6 à la phase antérieure au jugement, et émis des réserves lorsque des aveux ont été obtenus par la police lors d’une GAV sans l’assistance d’un avocat (CEDH, 6 déc. 1988, Barberà, Messegué et Jabardo c/ Espagne). Puis par deux arrêts suivants, en 1991 et 1993, elle est « tombée dans une casuistique assez floue » (Guinchard et Buisson, Procédure Pénale, Paris, Litec, 4e édition, 2008, p. 392), en renvoyant la question de la garantie des droits de la défense au droit national (arrêts Quaranta c/ Suisse, 24 mai 1991, et Imbroscia c/ Suisse, 24 nov. 1993). Elle tranche en 1996 avec l’arrêt John Murray c/ Royaume-Uni en affirmant que l’article 6 exige que l’accusé ait le bénéfice de l’assistance d’un avocat dès les premiers stades de l’interrogatoire de police, avant de préciser que ce droit peut être soumis à des restrictions « pour des raisons valables ». Cela ne l’empêcha pas de réitérer en 2000 que l’accusé dont le silence peut lui être préjudiciable doit « se voir accorder le bénéfice de l’assistance par un avocat au stade initial de son interrogatoire par la police » (Averill c/ Royaume-Uni, 6 juin 2000). La loi du 15 juin 2000 (cf infra) permit à la France d’échapper à une condamnation de ce chef. Toutefois, la Cour a rappelé avec force sa position en faveur d’une présence précoce de l’avocat par deux arrêts récents  (Salduz c/ Turquie,27 nov. 2008 ; et Dayanan c/ Turquie, 13 octobre 2009), dans lesquels elle a condamné la Turquie pour ne pas voir offert l'assistance d'un avocat à un individu placé en GAV. Ces arrêts récents, levant tout doute et enfonçant encore le coin, annoncent qu’un vent de changement souffle sur la GAV à la française à l’heure où la grande réforme de la procédure pénale voulue par le Gouvernement fait polémique.

b) Le droit Français

En France, le Conseil Constitutionnel, probablement en raison de l’affermissement progressif de la position de la Cour Européenne sur le sujet, a « constitutionnalisé » le droit à un avocat à l’occasion de sa décision 93-326 du 11 août 1993 : « le droit de s’entretenir avec un avocat au cours de la GAV constitue un droit de la défense qui s’exerce durant la phase d’enquête de la procédure » (cons. 11), mais, rajoute-t-il un peu plus loin, ce droit peut faire l’objet d’un report de quelques heures. Par cette décision, le Conseil boucla la boucle du droit à un avocat entre le gardé à vue et le mis en examen, ce qui se reflète aujourd’hui dans l’article préliminaire à la partie législative du CPP, instauré par la loi du 15 juin 2000 : « Toute personne suspectée ou poursuivie ( ...) a le droit (...) d'être assistée d'un défenseur »

La phase d’enquête non juridictionnelle.

Outre la décision des neuf sages, l’autre étape cruciale de l’élaboration du régime de la GAV fut la loi du 15 juin 2000 (modifiée par la loi du 9 mars 2004). Celle-ci consacre le droit à un entretien confidentiel de trente minutes avec un avocat – choisi ou commis d’office – dès la première heure de GAV pour le droit commun (le point de départ étant soit l’arrestation, soit la décision de placement en GAV en cas de présentation spontanée de l’individu). Des dérogations sont prévues pour la criminalité et délinquance organisées (auxquels cas, l’entretien avec un avocat est repoussé de 48 heures), et les affaires de trafic de stupéfiants et de terrorisme (report de 72 heures) notamment (CPP, art. 63-4). La qualification des faits, et les reports qui y sont liés, sont contrôlés par le Procureur de la République, qui ne saurait être lié par l’appréciation initiale de l’officier de PJ. Dès que le mis en cause demande le bénéfice du droit à un avocat, l’officier de PJ doit immédiatement le notifier à l’avocat choisi ou au bâtonnier de l’ordre, et le procès verbal de notification doit être le plus exhaustif possible (nature de l’infraction, faits, demande de la personne…). En cas de prolongation de la GAV, l’intéressé a droit à un nouvel entretien, là encore « dès le début » de cette prolongation (art. 63-4, al. 6). L’une des grandes différences avec le modèle américain est que, le reste du temps, c'est-à-dire, en dehors de l’entretien initial et de l’entretien qui intervient en cas de prolongation, la personne gardée à vue ne peut être assistée de son avocat, qui ne peut non plus prendre connaissance du dossier de procédure ou être présent lors d’auditions. Par ailleurs, alors que la Cour Européenne a affirmé en 1984 que, dans tous les cas, la défense du mis en cause devait être « effective et concrète » (Goddi c/ Italie, 9 avr. 1984), la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation a répondu que, pour la présence d’un avocat à partir de la 21ème heure de GAV « l’article 63-4 du CPP ne fait pas obligation de rendre effectif l’entretien avec l’avocat » (Cass. crim., 13 février 1996). Toujours concernant la nécessaire effectivité du droit au conseil, la jurisprudence actuelle de la chambre criminelle est assez laxiste : elle exige uniquement du policier qu’il informe l’avocat ou le barreau de la demande du mis en cause, sans se soucier du résultat (sur cette simple obligation de moyen, v. Cass. crim., 13 fév. 1996). La Chambre civile a récemment fait sécession en indiquant qu’il y avait violation des droits de la défense en raison de l’impossibilité pour une personne d’avoir un entretien avec son avocat dès le début de sa GAV (Cass. 1re civ., 6 déc. 2005).

La phase d’instruction. Même si « Le juge d'instruction ne peut procéder à la mise en examen de la personne que s'il estime ne pas pouvoir recourir à la procédure de témoin assisté » (CPP art. 80-1), nous prenons ici le parti, pour les besoins de la comparaison, d’écarter l’étude de la procédure de témoin assisté. Contrairement au régime de la GAV, la place de l’avocat dans le cadre d’une mise en examen est solidement ancrée dans la procédure pénale (présence lors d’auditions, libre accès au dossier…) : les mis en examen bénéficient de l’assistance d’un avocat, qu’elles peuvent choisir et consulter avant tout interrogatoire et toute déclaration. Elles ne sont interrogées qu’en sa présence.

Les modalités de ce droit sont organisées par les articles 80-1, 80-2 et 116 du CPP. Tout d’abord, le juge d’instruction ne peut décider d’une mise en examen que pour les personnes à l'encontre desquelles il existe « des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient pu participer comme auteur ou complice, à la commission des infractions dont il est saisi » et « qu'après avoir préalablement entendu les observations de la personne ou l'avoir mise en mesure de les faire, en étant assistée par son avocat » lors d’une première comparution (art. 80-1). Lorsque la personne est assistée d'un avocat, l'avocat de la personne peut présenter ses observations au juge d'instruction (art. 116). Sinon, le juge d'instruction avise la personne de son droit de choisir un avocat ou de demander qu'il lui en soit désigné un d'office (art. 116). L'avocat choisi ou, dans le cas d'une demande de commission d'office, le bâtonnier de l'ordre des avocats en est informé par tout moyen et sans délai. Si l'avocat choisi ne peut être contacté ou ne peut se déplacer, la personne est avisée de son droit de demander qu'il lui en soit désigné un d'office pour l'assister au cours de la première comparution. L’avocat choisi, ou le barreau s’il s’agit d’un commis d’office, doivent alors être notifiés de la demande sans délai et par tout moyen, et il peut consulter sur-le-champ le dossier et communiquer librement avec la personne. Le juge d’instruction doit ensuite indiquer à la personne qu’elle a « le choix soit de se taire, soit de faire des déclarations, soit d’être interrogée ». Là encore, l’accord de la personne pour être interrogée ne peut être donné qu’en présence de l’avocat, et là encore l'avocat de la personne peut présenter ses observations au juge d'instruction. Après avoir, le cas échéant, recueilli les déclarations de la personne ou procédé à son interrogatoire le juge d'instruction entend une nouvelles fois les observations de son avocat (art 116). Dans la suite de la procédure d'instruction (les interrogatoires dits « ultérieurs ») les personnes « ne peuvent être entendues, interrogées ou confrontées, à moins qu'elles n'y renoncent expressément, qu'en présence de leurs avocats » (CPP art. 114, v. aussi Cass. crim., 14 nov 1994, Touchet : le juge d'instruction peut interroger l'inculpé, sans que son avocat soit présent ou ait été convoqué, dès lors que la renonciation de l'inculpé à la présence de son avocat est expresse et préalable à l'acte d'instruction). A tout le moins, l’avocat, s’il n’est pas présent, doit avoir été dûment convoqué, et ce au moins cinq jours avant la date de l’interrogatoire, à compter de l’envoi de la convocation (CPP art. 114 al 2). Le départ d’un avocat au cours d’un interrogatoire, néanmoins, n’en empêche pas la poursuite, car « il n’appartient pas à un avocat de mettre fin aux interrogatoires ou confrontations commencés par le magistrat instructeur » (arrêt Touchet précité).

II) L’envers du droit à l’avocat : waiver et renonciation

A) « Waiver » et 6ème amendement : une pratique revisitée par l’arrêt Montejo

Etant donné sa complexité et les questions qu’il soulève, nous analyserons en profondeur de l’arrêt Montejo.

Bref rappel des faits En septembre 2002, Jesse Montejo fut arrêté pour meurtre. Après un premier interrogatoire par la police (pour lequel il renonça à ses droits Miranda), puis une audience devant juge, il fut emmené par deux enquêteurs de la police à la recherche de l’arme du crime (après avoir une nouvelle fois renoncé à ses droits Miranda). Pendant l’excursion, il rédigea, sur la suggestion d’un enquêteur qui l’accompagnait, une lettre d’excuses l’incriminant, destinée à la femme de la victime. Il écrit la lettre sans savoir que l’Etat avait nommé d’office le matin même un avocat pour sa défense. A son retour, l’avocat en question l'attendait, et se montra contrarié que son client ait été interrogé en son absence. Lors du procès qui suivit, la lettre en question fut admise comme preuve de la culpabilité de Montejo (condamné à mort), malgré les contestations de Montejo qui considérait le 6ème Amendement avait été violé, puisque la lettre avait été écrite en l’absence de son avocat. La Cour Suprême de Louisiane confirma la condamnation, estimant que la protection « prophylactique » (cf. supra) offerte par l’arrêt Jackson ne rentrait pas en action à moins que le défendeur ne demande expressément un avocat en particulier, ne réclame (assert) son droit à un avocat tel qu’il apparaît dans le 6ème Amendement, ou accepte tout simplement un avocat nommé d’office, lors de l’audience préliminaire. Or Montejo était resté muet lors de son audition devant juge, et avait renoncé à ses droits Miranda préalablement à l’interrogatoire avec la police. Ainsi donc, selon la cour de Louisiane, le fait que la cour ait nommé un avocat d’office pour Montejo dans le silence de celui-ci, ne suffit pas à déclencher la protection de l’arrêt Jackson, et ne pouvait donc empêcher la police de procéder à un interrogatoire, du moment qu’elle avait obtenu du défendeur une renonciation valide (knowing, intelligent, and voluntary relinquishment) à son droit à un avocat du 6ème Amendement (Johnson v. Zerbst, 1938).

Problème juridique L’intérêt de l’arrêt Montejo tient essentiellement dans la mise au point que celui-ci effectue vis-à-vis de la pratique du waiver. La question centrale posée à la Cour était la suivante : la jurisprudence Jackson a-t-elle lieu de s’appliquer lorsque le tribunal accorde un avocat à un défendeur sans qu’il l’ait expressément requis ? En d’autres termes, l’interprétation de la jurisprudence Jackson faite par la cour de Louisiane est-elle la bonne ? Plutôt que de répondre précisément, la Cour Suprême a décidé de balayer d’un revers de main l’ensemble du précédent établi par l’arrêt Michigan v. Jackson. Selon le Juge Scalia, aucune des deux approches possibles de la jurisprudence Jackson (l’appliquer uniquement dans le cas où le défendeur demande expressément un avocat – telle est l’approche de la Louisane - ou l’appliquer dès qu’un avocat lui est accordé, indépendamment d’une demande expresse) ne doit être retenue. Selon Scalia, la trilogie d’arrêts rendus dans le cadre du right to counsel du 5ème Amendement (Miranda, Edwards, et Minnick v. Mississippi), et les procédures de contrôle qu’ils ont élaborées, fournissent une protection suffisante pour les défendeurs, rendant la présomption instaurée par Jackson inutile. La décision Montejo est donc venue, pour reprendre les mots de Scalia, résoudre une « tension » dans la jurisprudence relative aux waivers du droit à un avocat du 6ème Amendement.

Raisonnement de la Cour Selon l’arrêt Jackson, le 6ème Amendement donne de manière abstraite au défendeur le droit à un avocat dès le commencement de procédures formelles (formal proceedings : mise en examen…), ce qui impliquait que toute renonciation intervenant lors d’un interrogatoire subséquent initié par la police devait être invalidée. La Cour, dans Patterson v. Illinois (1988), avait cependant bien souligné le fait que le 6ème Amendement ne protégeait le défendant renonçant volontairement à son droit à un avocat que dans la même mesure que ne le fait le 5ème Amendement : l’accent devait être mis non pas sur le changement de relation entre le défendeur et l’Etat provoqué par la mise en accusation et qui avait des conséquences sur la manière dont la police pouvait approcher un défendeur non représenté (ce que soutenait Jackson), mais sur l’autonomie de la volonté du défendeur. Patterson suggère que seul importe l’intégrité du choix de l’accusé, et souligne que la personne pré-accusation ne se distingue pas de la personne post-accusation. Retenant que « les bénéfices de Jackson sont annihilés par ses coûts substantiels », mais refusant également d’adopter la position de la Cour Suprême de Louisiane, la Cour a donc retenu une approche floue, mélangeant les 5ème et 6ème Amendements et leurs jurisprudences respectives : le droit à un avocat du 6ème Amendement pouvait faire l’objet d’une renonciation « dès lors que l’abandon du droit était volontaire, conscient, et intelligent », ce qui pouvait être établi par le prononcé des agents de l’Etat de ses droits Miranda au défendeur, suivi de la renonciation volontaire et sans avocat du droit. En d’autres termes, l’arrêt Montejo a substitué l’analyse de Miranda (et les arrêts ultérieurs) à la règle prophylactique de Jackson.

Selon Scalia, l’intérêt de l’arrêt Jackson était d’empêcher l’Etat de « harceler » (badgering) de défendeurs afin qu’ils renoncent à leur droit à un avocat alors même qu’ils l’avaient revendiqué auparavant. Montejo proposait une extension de Jackson : à partir du moment où un défendeur est simplement « représenté » (que cela soit de son fait ou non), la police ne pourrait initier d’autre interrogatoire. Or, selon Scalia, cette interprétation de Jackson couvrirait des situations dans lesquelles le défendeur n’avait pas invoqué son droit à un avocat, et ne pouvait donc être harcelé pour se raviser, puisqu’il n’avait pas d’avis. L’accent fut donc mis par le juge Scalia sur la protection prophylactique qu’offre le 5ème Amendement à travers les arrêts Miranda, Edwards, Minnick, selon lesquels, dès lors que quelqu’un en custody invoque son droit à un avocat du 5ème Amendement, tout interrogatoire doit cesser. Scalia estime que les règles assurant la volonté de renoncer au droit du 5ème Amendement assurent simultanément la volonté de renoncer au 6ème Amendement. La Cour reconnaît néanmoins que ces règles (Miranda, Edwards, Minnick) ne protègeront pas les défendeurs représentés contre le « harcèlement » policier lorsque ceux-ci ne seront pas détenus (in custody), ou, alternativement, engagés dans des interaction « non-interrogatives » avec la police. De même, Scalia reconnaît que l’arrêt Montejo aura pour conséquence pour le défendeur l’impossibilité de clamer de manière anticipée leur droit à un avocat, mais les forcera au contraire à revendiquer à nouveau ce droit lors de chaque interrogatoire. Scalia reprend donc l’idée directrice de l’arrêt Patterson, en appuyant sur la volonté du mis en cause pour justifier l’idée que les droits assurés par la jurisprudence du 5ème Amendement était bien suffisants pour protéger l’accusé. Les conséquences pratiques de l’arrêt Montejo sont donc les suivantes : désormais, la police pourra, après avoir lu ses droits Miranda à un accusé et obtenu de celui-ci une renonciation « volontaire, consciente, et intelligente », l’interroger même s’il est représenté, et ce seulement si l’accusé n’a pas auparavant revendiqué son droit à un avocat du 5ème Amendement, ou, s’il a revendiqué, mais a par la suite initié une communication avec la police.

Selon certains critiques, au même titre que le contexte du 5ème Amendement (pression coercitive de la détention) mérite une règle protégeant la volonté, le contexte du 6ème (pression coercitive et complexité juridique du processus judiciaire pénal) mérite lui aussi une règle protégeant la volonté, d’autant que le 6ème Amendement, à la différence du 5ème, mentionne expressément le droit à un avocat.

Conséquences d’une violation du 6ème Amendement Comme pour les autres amendements, une preuve obtenue en violation du 6ème amendement ne peut être utilisée lors d’un procès, selon la règle de l’exclusionary rule. Les aveux/confessions peuvent toutefois être utilisés pour empêcher la personne de témoigner lors du procès, si ses déclarations sont incohérentes avec celles enregistrées auparavant (Michigan v. Harvey, 1990). Dans l’affaire Kansas v. Ventris (2009), la Cour Suprême a en effet déclaré : « il est une chose de dire que le gouvernement ne peut utiliser affirmativement une preuve obtenue illégalement. C’en est une toute autre de dire que le défendeur peut se prémunir d’un bouclier le protégeant des contradictions de ses mensonges ». La doctrine du fruit of the poisonous tree (typique du 4ème Amendement) trouve également à s’appliquer dans le contexte du 6ème : le gouvernement ne saurait faire usage des fruits d’une déclaration obtenue en violation du droit à un avocat du 6ème Amendement du défendeur (sauf s’il prouve qu’il aurait pu se procurer les preuves par une source indépendante, ou qu’il l'aurait inévitablement trouvée).

B) La renonciation au droit à un avocat en droit français et conséquences de la violation de la loi

Le droit Français, comme européen, ne se préoccupe pas vraiment de la question de la renonciation au droit à un avocat. Dans l'arrêt Savas c/ Turquie, la CEDH considère simplement que la renonciation au droit d'être assisté d'un avocat dans le cadre d’une GAV doit être faite « de façon non équivoque » et que cette renonciation doit être entourée d'un minimum de garanties correspondant à sa gravité (Sejdovic c. Italie). Selon l’arrêt Savas donc, un formulaire type où une case « renonce à son droit à un avocat » est cochée n'est pas une garantie suffisante de renonciation non-équivoque. De même, afin d’éviter que les autorités nationales puissent avancer l’argument selon lequel la personne gardée à vue a renoncé de manière implicite à ce droit, la Cour a défini un régime assez strict du droit à la renonciation : celle-ci doit être établie de manière convaincante et étayée, et la personne doit avoir pris connaissance des conséquences d’une telle renonciation. La renonciation doit donc être « consciente et intelligente ». (Pishchalnikov c. Russie, 24 septembre 2009, § 77 : « la renonciation à un droit (… ) ne doit pas seulement être volontaire, mais doit aussi constituer la renonciation consciente et intelligente à ce droit. Avant qu’un accusé puisse être considéré comme ayant renoncé implicitement, par sa conduite, à un droit important au regard de l’article 6, il doit être démontré qu’il pouvait raisonnablement avoir anticipé quelles pouvaient être les conséquences de son attitude ». Dans la jurisprudence française, la personne gardée à vue peut renoncer à bénéficier de ce droit dans un premier temps, puis se raviser (Cass. crim., 4 janv. 1994). Quant au cas de la personne mise en examen, la loi dispose qu’elle peut renoncer à la présence de son avocat (Cass. crim., 4 janvier 1994 ; v. aussi 19 juin 1990 ; v. aussi Cass. crim., 14 nov 1994, Touchet précité : le juge d'instruction peut interroger l'inculpé, sans que son avocat soit présent ou ait été convoqué, dès lors que la renonciation de l'inculpé à la présence de son avocat est expresse et préalable à l'acte d'instruction).

La conséquence d’une violation de la loi relative au droit à un avocat sur la suite de la procédure Les règles d'assistance des personnes poursuivies par leur avocat sont édictées à peine de nullité, elle garantissent à la personne mise en examen le droit à l'assistance de son avocat lors de tout interrogatoire auquel procède le juge d'instruction, quel que soit l'objet de cet interrogatoire, même s'il porte sur un curriculum vitae. Le juge ne peut auditionner la personne comme témoin, sans l'assistance de son avocat, sur des faits connexes à ceux qui ont motivé la mise en examen, dans le même dossier (même arrêt). Il ne peut non plus l'interroger par fax ou par téléphone (Crim. 4 janv. 1994), ni la faire interroger par un officier de police judiciaire (C. pr. pén., art. 152). En revanche, le juge d'instruction peut procéder à la perquisition du domicile de la personne mise en examen sans l'assistance de l' avocat s'il ne procède à aucun interrogatoire (Crim. 20 févr. 2002). Quant à la GAV, selon l'article 171 du Code de procédure pénale, il y aura nullité de l’acte ou de la procédure lorsque la méconnaissance d'une formalité substantielle a porté atteinte aux intérêts de la partie qu'elle concerne. On peut donc penser, par extrapolation, que la GAV sera annulée si la personne mise en cause n’a pu s’entretenir avec son avocat comme le veut la loi.

CONCLUSION

A l’issue de cette comparaison, il semble évident que les tendances américaines et française relatives au rôle de l’avocat semblent se croiser : alors que l’on va vers une présence renforcée en France, l’arrêt Montejo apparaît comme un pied de nez à toute une profession, dont fait pourtant partie Barack Obama, dont le gouvernement a milité pour que la Cour Suprême prenne la décision qu’elle a prise. La différence de culture juridique, la pratique très encadrée des waivers aux Etats-Unis et qui ne trouve pas d’équivalent français, mais surtout la tradition du « plaider coupable » à l’américaine semblent expliquer le fossé qui est en train de se creuser.

BIBLIOGRAPHIE :

Manuels: Procédure Pénale, Serge Guinchard et Jacques Buisson, Paris, Litec, 4e édition, 2008

Articles Blog droit du procès et de la preuve judiciaire, « Miranda v. Arizona ou le vacarme du droit au silence » par Mélinda E. Boisson AJ Pénal 2010 p. 27 « Défendre en garde à vue : une révolution... de papier ? », par Claire Saas, Maître de conférences à l'Université de Nantes AJ Pénal 2008 p. 269 « Garde à vue : la French touch », par Emmanuel Daoud et et Emmanuel Mercinier, Stasi & associes, avocats au Barreau de Paris Le Guide de la Défense Pénale, §111.8, par François Saint-Pierre Dalloz, oct. 2008

Droit américain

Arrêt Montejo v. Louisiana, 555 U.S. ___ (2009)

Articles ANSWERING JUSTICE SCALIA'S QUESTION: DUAL SOVEREIGNTY AND THE SIXTH AMENDMENT RIGHT TO COUNSEL AFTER TEXAS V. COBB AND MONTEJO V. LOUISIANA, by Ryan M. Yanovich, Fordham Law Review, November, 2009. The Supreme Court 2008 Term, Leading cases, I. Constitutional Law A. Criminal law and procedure. 4. Sixth Amendment, right to counsel, interrogation without counsel present. Harvard Law Review. November 2009 Manuels Criminal Procedure: The Constitution & the Police. 6th ed. Robert M. Bloom, and Mark S. Brodin. Aspen Publishers Mastering Criminal Procedure: Volume 1 – The investigative Stage, by Peter J. Hennings, Andrew Taslitz, Margaret L. Paris, Cynthia E. Jones and Ellen S. Podgor. Carolina Academic Press.