L’arrêt Van Parys, Acte IV Scène II de l’affaire de la banane – Etude des rapports entre droit communautaire et droit international économique par Lucie LAITHIER

C’est de nouveau à propos d’une affaire relative à la banane que la Cour s’est prononcée sur l’autorité du droit de l’OMC dans l’ordre juridique communautaire. Le juge communautaire confirme son refus d’apprécier la conformité d’un règlement communautaire aux dispositions de l’accord OMC, et précise qu’une décision de l’Organe de règlement des différends de l’OMC ne modifie pas sa position. La CJCE se place ainsi dans une situation de violation du droit international et du droit communautaire. CJCE, arrêt du 1er Mars 2005, (grande chambre), aff. C-377/02, Léon Van Parys NV Belgische Interventie- en Restitutiebureau (BIRB).

« L’affaire de la banane », il ne s’agit pas là, de toute évidence, d’une question d’ordre culinaire. Elle évoque plutôt, même chez les novices, un conflit entre l’Europe et les Etats-Unis, plus précisément entre l’Union européenne et l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). L’OMC (L’Accord de Marrakech, instituant l’OMC, a été signé le 15 avril 1994. Dans son Annexe I. A figure entre autres accords le « GATT de 1994 » (General Agreement on Tarifs and Trade), Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce.) est censée pallier les défaillances de l’ancien système GATT de 1947, qui était peu contraignant et inégalement respecté par les Etats, d’où son nom de « GATT à la carte » (CARREAU (D.), JUILLARD (P.), Droit international économique, Paris, Précis Dalloz, 2è édition, 2005, p. 50.). Bénéficiant d’une universalité, le nouveau système a pour but d’assurer « la mise en œuvre, l’administration et le fonctionnement » (Article III (1) de l’Accord OMC.) du nouveau système commercial, ainsi qu’administrer le mécanisme d’examen des politiques commerciales et le mécanisme de règlement des différends (Respectivement, Article III (4) et (3) de l’Accord OMC.). A cet égard est institué l’ORD (Organe de Règlement des Différends, institué dans le cadre du « Mémorandum d’accord sur le règlement des différends ».), organisme tranchant de manière obligatoire les contentieux commerciaux internationaux.

Dans l’affaire van Parys (Arrêt rendu par la Cour le 1er mars 2005, dans l’affaire C-377/02.), la CJCE (Cour de Justice des Communautés Européennes.) devait préciser sa position quant aux effets des accords OMC dans l’ordre juridique communautaire (L’arrêt rendu dans l’affaire Chiquita Brands par le Tribunal de Première Instance le 3 février 2005 dans l’affaire T-19/01 présente des faits comparables, et un alignement dans la solution apportée.). Le requérant, importateur de bananes, soulevait l’invalidité de décisions d’autorités belges lui refusant certains certificats d’importation demandés. Il invoquait le fait que ces décisions étaient fondées sur des règlements communautaires non conformes aux règles des accords OMC. La juridiction belge, par sa question préjudicielle, invite la Cour à se prononcer sur la validité de ces règlements au regard, notamment, des articles I (Clause du Traitement de la Nation la plus favorisée.) et XIII (Application non discriminatoire des restrictions quantitatives.) du GATT, ainsi que de la décision de l’ORD constatant l’incompatibilité de la réglementation.

Selon une jurisprudence établie, les accords OMC ne peuvent être invoqués pour contrôler la validité du droit communautaire dérivé, à deux exceptions près. La CJCE saisit l’occasion de l’affaire pour préciser sa position sur l’autorité des accords OMC en droit communautaire. Le juge refusant la primauté au droit de l’OMC, comment qualifier cet arrêt, marquant le non-respect par la Communauté de ses engagements internationaux ? Quelle est l’influence d’une prise de position de l’ORD sur la solution de la Cour ? L’arrêt conduit à s’interroger sur la portée des accords OMC et sur la valeur des décisions de l’ORD dans l’ordre juridique communautaire (I). Confirmant sa position, la Communauté, à travers son organe juridictionnel, viole le droit international et le droit communautaire (II.).

I. Confirmation de l’absence d’effet du droit de l’OMC et des décisions de l’ORD en droit communautaire

S’inscrivant dans la lignée jurisprudentielle, l’arrêt apporte une précision dans l’étude de l’autorité des accords OMC (A.) et des décisions de l’ORD en droit communautaire (B.).

A. L’autorité du droit de l’OMC dans l’ordre juridique communautaire

Le droit de l’OMC est une branche du droit international public (Disposant de sources constituées également par des traités internationaux (Accords OMC, statut du FMI), visant les mêmes sujets (Etats, organisations internationales et les personnes privées dans certains cas), et ayant un juge particulier (l’ORD) qui ne s’autonomise pas mais s’inscrit dans la continuité de la Cour Internationale de Justice, sa nature internationale est indubitable.). Par principe, au sein de l’ordre juridique communautaire, ce droit de l’OMC devrait donc primer sur le droit communautaire dérivé, au même titre que le droit international public. Se situant à un rang inférieur au droit communautaire primaire (notamment les traités institutifs), les directives, règlements et décisions devant toutefois s’y conformer.

Il n’en est cependant rien, le juge communautaire refusant de façon constante de contrôler la conformité du droit communautaire dérivé au regard de ces accords OMC. Si l’on devait constituer une pièce de théâtre sur l’autorité du droit de l’OMC en droit communautaire, le premier acte devrait s’intituler International Fruit Company, arrêt dans lequel la Cour a considéré que le GATT de 1947 n’affectait pas la validité du droit communautaire dérivé, dès lors qu’il n’était pas « de nature à engendrer, pour les justiciables de la Communauté, le droit de s’en prévaloir en justice » (Point 27 de l’arrêt International Fruit Company, CJCE, 12 décembre 1972, affaires liées C-21 à 24/72.). En deuxième acte se produiraient les affaires Fediol et Nakajima (CJCE, 22 juin 1989, aff. C-70/87, Fediol c/ Commission ; et CJCE, 7 mai 1991, aff. C-69/89, Nakajima c/ Conseil.) : la Cour y a admis des exceptions à la non invocabilité du droit de l’OMC pour contrôler la légalité du droit communautaire dérivé ; dès lors que la Communauté a entendu donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre de l’OMC (Nakajima) ou lorsque l’acte communautaire renvoie expressément à des dispositions précises des accords OMC (Fediol). L’acte III marquerait le durcissement de la Cour, avec l’extension de ce refus d’effet direct à l’ensemble des accords OMC, dans l’arrêt Portugal c/ Conseil (CJCE, 23 Nov. 1999, aff. C-149/96, Portugal c/ Conseil.). L’acte IV permettrait un espoir de changement de position de la Cour, qui, dans l’affaire Biret (CJCE, 30 septembre 2003, aff. C-93/02 P, Biret International c/ Conseil, et C-94/02 P, Etablissements Biret c/ Conseil.), avait critiqué le TPI pour n’avoir pas traité de manière distincte les effets des décisions de l’ORD de ceux des accords OMC. L’arrêt van Parys constituerait alors la scène II de cet acte IV, brisant directement cet espoir.

Examinant l’applicabilité des critères de la jurisprudence Nakajima, la Cour estime qu’ « en prenant l’engagement, après une décision de l’Organe de règlement des différends de l’OMC, de se conformer aux règles de cette organisation (… et en particulier aux articles ...), la Communauté n’a pas entendu assumer une obligation particulière dans le cadre de l’OMC, susceptible de justifier une exception à l'impossibilité d'invoquer des règles de l'OMC devant le juge communautaire et de permettre l'exercice par ce dernier du contrôle de la légalité des dispositions communautaires en cause au regard de ces règles » ( Point 41 de l’arrêt van Parys.). Ce faisant, elle procède à un mélange des notions, faisant dépendre la primauté du droit de l’OMC sur le droit communautaire de son effet direct ainsi que de son invocabilité (Point 38 de l’arrêt van Parys.). Or, les trois notions regroupent des effets distincts d’une norme internationale (Si le terme de primauté renvoie à l’idée de « suprématie » d’une norme sur l’autre dans l’hypothèse d’un conflit, celui d’effet direct n’est qu’un des moyens de parvenir à cette primauté. Un autre moyen serait la voie de la transposition. L’effet direct d’une norme internationale lui permet de s’appliquer « directement dans le droit interne des Etats sans qu’il soit besoin ni possible que cet Etat transpose préalablement cette règle dans son droit interne par l’adoption d’une loi ou d’un vote règlementaire. » (P. 239 du Lexique des termes juridiques). L’invocabilité concerne le fait de savoir si le requérant peut s’appuyer sur cette norme lors de son recours, car elle créé des droits en sa faveur. La notion d’invocabilité concrétise celle d’effet direct, qui comporte plusieurs déclinaisons (vertical, horizontal, …). M. Von Danwitz souligne de façon pertinente la différence dans le vocabulaire utilisé pour traiter des effets du droit de l’OMC dans les littératures allemande et française : alors que les juristes Français parlent d’invocabilité (« Einklagbarkeit »), les juristes Allemands parlent d’effet direct (« unmittelbare Anwendbarkeit »), « Der EuGH und das Wirtschaftsvölkerrecht – ein Lehrstück zwischen Europarecht und Politik », p. 722.).

Pour refuser cette primauté au droit de l’OMC, elle se fonde sur « la place importante » réservée à la négociation dans le système de règlement des différends de l’OMC, et au fait qu’une prise de position du juge communautaire priverait « les organes exécutifs et législatifs des parties contractantes » de la faculté de négocier librement (Point 42 de l’arrêt van Parys.). La pertinence de cet argument se heurte au poids économique que représentent les Etats en conflit, qui peut fausser une négociation. Le juge invoque aussi l’argument de la réciprocité (Point 43 de l’arrêt van Parys.) pour se justifier. L’avocat général Alber en parle de manière critique comme d’« un argument de politique commerciale exprimé sous forme juridique » (Dans ses conclusions dans l’affaire Biret, tel que relevé par MM. ALEMANNO, DIRRIG, IBANEZ, KOTSCHY et MUIR dans leur article « La jurisprudence de la Cour de Justice et du Tribunal de Première Instance », RDUE 2005, p. 191.). (Un parallèle pourrait être tiré avec la jurisprudence française relative au droit international avant les décisions Jacques Vabre et Nicolo, ou encore du juge constitutionnel actuellement. Les arguments invoqués (réciprocité, caractère contingent du contrôle de ‘conventionalité’) sont quasiment les mêmes que ceux utilisés par la CJCE à l’égard du droit de l’OMC. Néanmoins, l’évolution récente de la position du juge constitutionnel français à l’égard du droit communautaire (voir la dizaine de décisions rendues depuis celle du 10 Juin 2004) laisse entendre qu’un changement de position appartient au domaine du possible.) Le juge assimile en fin de compte l’effet réservé aux accords OMC à celui des décisions de l’ORD.

B. La valeur et les effets juridiques des décisions de l’ORD

L’arrêt invite à s’interroger sur la portée d’une décision de l’ORD déclarant la règlementation communautaire incompatible avec les règles de l’OMC. En l’espèce, le juge annihile tout effet juridique de la décision de l’ORD. Cet organe, à la frontière entre le politique et le juridique (Voir p. 75 et suivantes de l’ouvrage Droit international économique, de D. CARREAU et P. JUILLARD.), gère le mécanisme de règlement des différends. Il ne possède pas toutes les caractéristiques d’un organe juridictionnel et « facilite le règlement des différends plutôt qu’il ne les règle lui-même » (P. 76 de D.I.E., susmentionné.). N’étant ni législateur, ni tribunal, l’ORD se rapproche davantage d’un arbitre. On parle de la juridictionnalisation du mécanisme de règlement des différends. Dès lors, l’ORD, par ses décisions, prononce-t-il du droit ? Une décision de l’ORD constatant l’incompatibilité d’une règlementation peut-elle en justifier l’illégalité et son invalidité ? En somme, cette décision est-elle d’effet direct et invocable ? Il apparaît que ces décisions de l’ORD sont souvent des constats de violation, plus que des ordres d’agir dans un sens.

Avant même l’espoir soulevé par l’arrêt Biret, et l’attente de prise de position du juge communautaire sur les effets de ces décisions de l’ORD, le pouvoir législatif avait, par son règlement 1515/2001 (M. LAVRANOS, dans son ouvrage Decisions of international organisations in the european and domestic legal orders of selected EU Member states, évoque l’importance du règlement : « The importance of this instrument lies in the fact that for the first time the EC formally recognizes WTO dispute settlement reports as binding decisions of an organ established by the WTO Agreement », these reports « become an integral part of the Community legal order », p. 147.), laissé entendre « une volonté de la Communauté de se conformer aux obligations de l’OMC telles qu’elles sont notamment explicitées par l’ORD (BLANCHARD (D.), « Les effets des rapports de l’Organe de règlement des différends de l’OMC à la lumière du Règlement (CE) 1515/2001 du Conseil de l’Union européenne », n° 464, p. 37.)». Même si le règlement ne porte que sur les domaines du dumping et des subventions, il contribue à renforcer l’autorité et les effets de ces décisions de l’ORD. A cet égard, il est tenu compte du fait que les « rapports revêtent de plus en plus la nature et l’autorité d’une décision juridictionnelle, … de leur style, l’argumentation de plus en plus juridique qui les soutient (BLANCHARD (D.), ibid., RMCUE, janv. 2003, n° 464, p. 40. L’auteur y parle d’un effet « obligatoire relatif des rapports condamnant une mesure contestée », de l’ « émergence d’un effet persuasif des rapports contenant des interprétations juridiques », la détermination par les exécutifs et juge de l’effet « approprié » de ces rapports.)».

La Cour, que le constat d’incompatibilité ne tient pas pour contradictoire avec sa position, dénie tout effet direct aux décisions de l’ORD. Elle soutient que « même en présence d’une décision de l’ORD constatant l’incompatibilité de mesures prises », une intervention du juge limiterait la liberté des pouvoirs exécutifs et législatifs des parties en conflit. Le juge dénie ainsi tout effet juridique à ces décisions de l’ORD, et refuse aussi toute autorité juridique à l’organe. Cette position pourrait aujourd’hui être remise en cause, l’ORD adoptant de plus en plus les traits d’un organe juridictionnel. Par cette constance dans le refus d’admettre l’autorité du droit de l’OMC, le juge viole à la fois le droit international et le droit communautaire.

II. Qualification de la décision

Le juge, en n’admettant pas la primauté du droit de l’OMC, viole le droit international (A.) en même temps que le droit communautaire (B.).

A. Violation flagrante d’une norme de droit international public

Sous l’angle d’analyse du droit international public, l’arrêt apparaît comme une violation flagrante des obligations internationales de la Communauté. En vertu de l’article 281 CE (Traité instituant la Communauté Européenne.), la Communauté européenne est dotée de la personnalité juridique internationale. A ce titre, elle est destinataire de droits et d’obligations internationales et doit respecter le droit international. La règle de conflit qui s’applique dans l’ordre juridique communautaire énonce que le droit international prime le droit communautaire secondaire, mais le droit communautaire primaire l’emporte sur les obligations internationales. Par conséquent, les institutions, dont la CJCE, doivent respecter les engagements internationaux de la Communauté lors de l’élaboration de leurs actes.

Dans la catégorie des obligations internationales liant la Communauté figurent les principes généraux de droit international. « L’exécution de bonne foi et le respect de la règle pacta sunt servanda sont intimement liés pour constituer les deux aspects complémentaires d’un même principe.( PELLET (A.), DAILLIER (P.), Droit international public, Paris, 2002, 7è édition, LGDJ, p. 218.) » Le principe de la bonne foi figurant dans la liste des principes généraux de droit (Arrêt CPJI, 1928, Usine de Chorzow ; selon la liste établie dans PELLET (A.), DAILLIER (P.), Droit international public, Paris, 2002, 7è édition, LGDJ, p. 352.), les organes de la Communauté, dont la CJCE, doivent le respecter. Une discussion pourrait être menée sur le point de savoir si la responsabilité de la Communauté pourrait être engagée (En refusant de reconnaître la primauté du droit de l’OMC sur un règlement communautaire, la Cour viole une obligation internationale de la Communauté, le principe pacta sunt servanda. Un dommage réel et certain en résulte, puisque les particuliers (en l’espèce M. Van Parys) ne peuvent invoquer les dispositions des accords OMC à l’encontre des règlements communautaires. Et il existe bien un lien de causalité entre la violation de la norme internationale par la Communauté et le préjudice identifié.).

L’obligation déduite du principe pacta sunt servanda réside dans le but à atteindre, à savoir la primauté du droit international (ici économique) sur le droit communautaire dérivé. Mais cette obligation laisse une liberté de moyen pour y parvenir. Ainsi, la Communauté est libre de reconnaître cette primauté par le biais de l’effet direct, ou par un autre biais, comme une transposition. La violation du droit international par la Cour réside bien dans le refus de reconnaître la primauté du droit de l’OMC, et non dans celui d’en reconnaître l’effet direct dans l’ordre juridique communautaire.

La question posée au juge communautaire dans le présent arrêt concernait le fait de savoir si le cas d’espèce tombait sous l’exception Nakajima, et aurait ainsi permis de reconnaître l’effet direct aux dispositions des accords OMC en cause. Le juge de Luxembourg décide que le fait que la Communauté s’engage à conformer sa réglementation aux exigences rappelées par la décision de l’ORD ne signifie pas que « la Communauté ait entendu donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre de l’OMC » (Par. 52 de l’arrêt.). Cette « obligation particulière » est toutefois d’un contenu flou, ce qui est arrangeant, le juge disposant d’une marge d’interprétation. Par cette position, la CJCE viole également une obligation communautaire.

B. Violation du droit communautaire

Le principe général de droit international pacta sunt servanda est également un principe respecté dans l’ordre juridique communautaire, au titre des principes généraux du droit communautaire. Le juge communautaire viole également une autre règle de droit communautaire, l’article 300 (7) CE. Selon cette disposition, la Communauté doit respecter les accords conclus « aux conditions fixées » à l’article. Les accords OMC devraient être considérés comme « partie intégrante » de l’ordre juridique communautaire. Le juge communautaire a l’obligation de déclarer illégal tout acte de droit communautaire dérivé contraire aux engagements internationaux de la Communauté. De même, l’article 307 CE, qui concerne les traités conclus par les Etats membres avant 1958, et pose le principe de l’intégration conforme au droit international, est violé. (Le GATT initial, de 1947, correspond à un ancien traité au sens de cette disposition, et le comportement du juge communautaire « affecte » « les droits et obligations résultant » de cet accord international).

La Cour se fonde sur la « nature et l’économie » (Par. 39 de l’arrêt.) des accords OMC. La Communauté dispose d’une marge de manœuvre pour trouver une solution aux problèmes d’application de ces accords. Il est vrai que le conflit, en l’espèce, a connu une résolution diplomatique, à savoir l’adoption en avril 2001 d’une solution négociée (Par. 49 de l’arrêt, voir EGLI (P.), « Léon Van Parys v. BIRB », The american journal of international law, 2006, vol. 100, p. 450.) entre la Communauté, les Etats-Unis et l’Equateur. Il n’en demeure pas moins que ces accords OMC sont des accords internationaux, qui lient la Communauté. Ils doivent donc être respectés et primer le droit communautaire dérivé. Le juge communautaire engendre aussi une carence dans la protection des droits des opérateurs économiques, qui ne peuvent demander la non-application de la mesure communautaire violant une disposition des accords OMC. A cet égard, il peut sembler rassurant que la Cour ne soit plus « le dernier ressort pour obtenir un recours juridique contre des actes de droit communautaire », puisque la Cour européenne des Droits de l’Homme accepte d’exercer un tel contrôle (Voir arrêts Matthews, ou Bosphorus, tels que présentés comme solution heureuse par M. Lavranos, dans « The Chiquita and Van Parys Judgements : An exception to the rule of law », p. 457.). Une éventuelle mise en jeu de la responsabilité de la Communauté pourrait ainsi être réalisée. A travers cette jurisprudence relative au droit de l’OMC, la Cour rompt avec sa conception moniste des rapports entre ordre juridique communautaire et ordre juridique international (Elle considérait que le « simple fait qu’un accord international lie la Communauté … suffisait pour que ses dispositions deviennent partie intégrante de l’ordre juridique communautaire », voir : MENGOZZI (P.), « Les droits des citoyens de l’Union européenne et l’applicabilité directe des accords de Marrakech », p. 173-174.) pour adopter une conception dualiste. Une sorte d’ « écran » existe entre le droit de l’OMC et les citoyens communautaires. La Communauté est-elle une véritable communauté de droit (PETERSMANN (E.-U.), « Darf die EG das Völkerrecht ignorieren ? Zu den verfassungs- und völkerrechtlichen Grundlagen des Europäischen Wirtschaftsrechts », EuZW, 1997, p. 971. L’auteur s’interroge sur le fait de savoir si la protection des droits fondamentaux est suffisante dans la Communauté européenne (« Ist der Grundrechtsschutz in der EG ausreichend ? »), p. 977.).

La solution de l’arrêt van Parys laisse subsister des doutes quant à la cohérence jurisprudentielle de la Cour de Justice. Dans son arrêt récent Yusuf (TPICE, arrêt du 21 septembre 2005, Ahmed Ali Yusuf et Barakaat International Foundation c/ Conseil de l’Union européenne, aff. T-306/01. Voir notamment notre commentaire de l’arrêt sur le blog : http://m2bde.u-paris10.fr/blogs/idie/ ), le Tribunal de Première Instance a justement reconnu la primauté du droit international, plus précisément des obligations de la Communauté en vertu de la Charte des Nations Unies, sur le droit communautaire. L’opportunisme semble déterminant pour la détermination de la solution… S’agissant de la politique commerciale, la Cour a entendu ne pas lier, ou engager le pouvoir législatif communautaire, et lui laisser la plus grande part de souveraineté, une « marge de manœuvre ». Le politique n’est pas un domaine si éloigné du juridique.

Bibliographie :

OUVRAGES : - CARREAU (D.), JUILLARD (P.), Droit international économique, Paris, Précis Dalloz, 2è édition, 2005, 718 p., notamment p. 68-84. - GUILLIEN (R.) et VINCENT (J.), Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 14è édition, 2003, 619 p. - HARATSCH (A.), KOENIG (C.), PECHSTEIN (M.), Europarecht, Tübingen, Mohr Siebeck, 2006, 563 p. (Droit européen) - LAVRANOS (N.), Decisions of international organisations in the european and domestic legal orders of selected EU Member states, Maastricht, Europa Law Publishing, 2004, 310 p., particulièrement p. 146-147. - PELLET (A.), DAILLIER (P.), Droit international public, Paris, 2002, 7è édition, LGDJ, 1510 p. - SCHWARZE (J.), EU- Kommentar, Baden-Baden, Nomos, 2000, 1. Auflage, 2660 p. (TUE Commentaire, Ed. Nomos).

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JURISPRUDENCE / DROIT APPLICABLE : - Arrêts : - CJCE, arrêt, 12/12/1972, aff. C-21-24/72, International Fruit Company. - CJCE, arrêt, 22/06/1989, aff. C-70/97, Fediol. - CJCE, arrêt, 07/05/1991, aff. C-69/89, Nakajima. - CJCE, arrêt, 23/11/1999, aff. C-149/96, Portugal c/ Conseil. - CJCE, arrêt, 30/09/2003, aff. C-93/02 P, Biret International c/ Conseil, et aff. C-94/02 P, Etablissements Biret c/ Conseil. - CJCE, 01/03/2005, aff. C-377/02, Léon Van Parys NV Belgische Interventie- en Restitutiebureau (BIRB). - TPICE, arrêt, 03/02/2005, aff. T-19/01, Chiquita Brands International. - TPICE, arrêt, 21/09/2005, aff. T-306/01, Ahmed Ali Yusuf et Barakaat International Foundation c/ Conseil de l’Union européenne.

- « Régime communautaire de la banane » : - Règlement (CEE) n° 404/93 du Conseil du 13 février 1993, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la banane, tel que modifié par le - Règlement (CE) n° 1637/98 du Conseil du 20 juillet 1998, portant modalités d’application du - Règlement (CEE) n° 404/93 du Conseil, en ce qui concerne le régime d’importation de bananes dans la Communauté, du - Règlement (CE) n° 2806/98 de la Commission du 23 décembre 1998, relatif à la délivrance des certificats d’importation de bananes dans le cadre des contingents tarifaires et des bananes traditionnelles ACP pour le 1er trimestre de l’année 1999 et au dépôt de nouvelles demandes, du - Règlement (CE) n° 102/99 de la Commission du 15 janvier 1999, relatif à la délivrance des certificats d’importation de bananes dans le cadre des contingents tarifaires et des bananes traditionnelles ACP pour le 1er trimestre de l’année 1999 (deuxième période), et du - Règlement (CE) n° 608/99 du 19 mars 1999, relatif à la délivrance des certificats d’importation de bananes dans le cadre des contingents tarifaires et des bananes traditionnelles ACP pour le 2ème trimestre de l’année 1999 et au dépôt de nouvelles demandes. (Liste énoncée par MM. ALEMANNO (A.), DIRRIG (E.), IBANEZ (P.), KOTSCHY (B.), MUIR (E), dans « La jurisprudence de la Cour de justice et du Tribunal de Première Instance », RDUE, 1/2005, p. 190.)

- Règlement (CE) n° 1515/2001 du Conseil du 23 juillet 2001 relatif aux mesures que la Communauté peut prendre à la suite d’un rapport adopté par l’Organe de Règlement des Différends de l’OMC concernant des mesures antidumping et antisubventions, JOCE, L. n° 201, pp. 10-11.

- TCE (Traité instituant une Communauté européenne), dans sa version consolidée.

- Droit de l’OMC : - Accord de Marrakech, signé le 15 avril 1994, instituant l’Organisation Mondiale du Commerce. A son Annexe I. A figure entre autres accords le « GATT 1994 », Accord Général sur les Tarifs Douaniers et le Commerce. - Mémorandum d’accord sur le règlement des différends