La Convention européenne du Conseil de l’Europe sur la coproduction cinématographique : approche comparative de la nationalité des coproductions par Zelda GERARD

La Convention du Conseil de l’Europe sur la coproduction cinématographique (ci-après dénommée « la Convention ») vient fixer un fondement juridique commun aux règles applicables aux coproductions européennes, afin d’harmoniser ses règles. L’objectif majeur de la convention est de consacrer au plan européen le principe de l’assimilation aux films nationaux des films étrangers réalisés dans le cadre d’accords de coproduction. Cette assimilation permet de promouvoir le cinéma européen, en faisant bénéficier aux coproductions européennes les avantages précédemment offerts uniquement aux films ayant la nationalité des Etats participants à la production. Convention Européenne du Conseil de l’Europe sur la coproduction cinématographique et rapport explicatif, STE No. 147, du 2 octobre 1992

L’une des principales applications du droit comparé, et même une des principales utilités du droit comparé est l’harmonisation du droit. La convention étudiée ici vise à harmoniser les accords de coproduction entre différents pays européens. Dans un premier temps nous nous interrogerons sur le rôle du conseil de l’Europe en matière de coproductions, et sur sa capacité à réglementer la coproduction cinématographique. Ensuite il est nécessaire de définir le terme coproduction en général, ainsi que le terme de coproduction tel qu’employé par la convention. Les Etats Parties doivent être identifiés, afin de percevoir le champ d’application géographique de la Convention, nécessaire à une approche de droit comparé. L’article 4 de la Convention apporte les dispositions les plus importantes de la Convention en ce qu’il vient fixer l’obligation pour les Etats Parties d’assimiler aux films nationaux les films produits en coproduction lorsque cet Etat est un des Etats producteurs et lorsque certaines conditions sont remplies.

La première considération de droit comparé que l’on peut faire est de souligner le fait que, si une convention demande aux Etats de reconnaître comme national un film coproduit par plusieurs producteurs de pays différents, cela peut entraîner l’obligation pour les pays concernés de transformer leur législation relative a l’accord de nationalité d’un film. Qu’en est-il en France ? Qu’est ce qu’un film français ? Si l’on demande aux coproductions de devenir des films français, quel impact cela a-t-il, notamment au regard de l’exception culturelle. On ne peut s’empêcher de penser à la domination des productions américaines. L’ambition de la Convention, en demandant aux Etats Parties de conférer aux coproductions européennes la nationalité de leur Etat dans certaines conditions, participe de cet effort de renforcer le nombre de coproductions européennes, et de promouvoir le cinéma européen au sens large.

Le préambule de la convention vient rappeler le but du Conseil de l’Europe de réaliser une union plus étroite entre les membres de l’union européenne. Plus précisément, le préambule rappelle que la défense de la diversité culturelle des différents pays européens est un des buts majeurs de cette convention. Le rapport explicatif de la Convention vient indiquer : « En matière de cinéma, la coopération culturelle européenne passe principalement par la réalisation de coproductions. » Les coproductions sont de plus en plus souvent multilatérales, entre des pays qui n’ont pas les mêmes règles quant à la définition d’une coproduction, et quant à l’octroi de la nationalité d’un film. Le préambule ajoute : « L'objectif principal de cette Convention est de remédier à cette hétérogénéité et d'harmoniser les rapports multilatéraux entre les Etats lorsque ceux-ci décident de coproduire un film. » Il est à noter que le rapport explicatif de la Convention n’est pas un instrument d’interprétation authentique du texte, mais il aide le lecteur à comprendre les dispositions de la Convention.

Pourquoi avoir choisi une convention ? Le rapport explicatif vient apporter une réponse à cette interrogation. Une convention du Conseil de l’Europe est un bon moyen d’apporter des règles applicables à l’ensemble des Etats membres, en matière de coproductions multilatérales européennes. « En effet, une convention européenne a l'avantage d'offrir un fondement juridique commun, régissant les relations multilatérales cinématographiques de tous les Etats parties à celle-ci. » Reste une épineuse question, fondamentale en droit comparé, si la convention vient apporter des règles spécifiques applicables aux coproductions multilatérales, qu’en est-il des accords de coproduction bilatéraux existants ? Le rapport explicatif de la Convention vient préciser que l’article 2 de la Convention relatif au champ d’application de celle-ci dispose qu’en cas de contradiction entre la convention et un accord multilatéral de coproduction, cette dernière prévaut. « En cas de coproduction bilatérale, les dispositions des accords bilatéraux s'appliquent pleinement. En cas de coproduction multilatérale, les dispositions des accords bilatéraux ne s'appliquent que si elles n'entrent pas en contradiction avec les dispositions de la Convention. S'il y a divergence, ce sont les dispositions prévues par la Convention qui s'appliquent directement, et elles l'emportent sur les dispositions contraires des accords bilatéraux. » La convention a aussi vocation à s’appliquer aux accords bilatéraux de coproduction dans le cas où aucun accord bilatéral n’a pas encore été conclu entre les parties.

Qu’est ce qu’on entend par coproduction ? Qu’est ce qu’une coproduction au regard de la convention ? Le champ d’application de la convention comprend les coproductions multilatérales ayant leur origine sur le territoire des parties. Sont concernées les coproductions associant au moins trois coproducteurs établis dans trois parties différentes à la convention. Pour information, et pour mieux saisir l’enjeu de la Convention, il est utile de préciser que le nombre de coproductions internationales est en augmentation. En 2005, la France a participé de façon majoritaire ou minoritaire à 114 coproductions internationales, contre 60 coproductions seulement en 1996. En 2003, 107 films français avaient été coproduits avec au moins un partenaire étranger, et 43% de la production d'initiative française avait fait l'objet d'une coproduction avec l'étranger.

Il est important de souligner l’hétérogénéité de certaines règles applicables aux coproductions européennes afin de comprendre l’importance de cette convention. Par exemple, le fonds Eurimages (à savoir le Fonds du Conseil de l'Europe pour l’aide à la coproduction, à la distribution et à l’exploitation d’œuvres cinématographiques européennes) ne requiert que 10% de participation financière d’un Etat à la production d’un film pour considérer le film comme une coproduction, alors que d’autres accords multilatéraux requièrent généralement une participation minimum de 20 a 30%. Comme l’indique le rapport explicatif de la Convention, une convention du Conseil de l’Europe est donc un bon moyen « d'adopter des règles adaptées à l'ensemble des coproductions multilatérales européennes » et d’énoncer des modalités d'admission au régime de la coproduction applicables à tous les Etats Parties.

L’article le plus important de la Convention est incontestablement l’article 4 du chapitre II relatif à l’assimilation des coproductions européennes aux films nationaux. Le but principal d'un accord de coproduction est d'accorder aux œuvres cinématographiques qui peuvent s'en réclamer la nationalité de chacun des partenaires à la coproduction. Une coproduction est un film réalisé par plusieurs producteurs en commun. Reconnaître une coproduction comme un film national signifie pour un Etat membre reconnaître les avantages dont bénéficient déjà ses films nationaux aux coproductions européennes. Le but est de préserver l’exception culturelle et de promouvoir le cinéma européen.

Ainsi, l’objectif majeur de la convention est de consacrer au plan européen le principe de l’assimilation aux films nationaux des films étrangers réalisés dans le cadre d’accords de coproduction. Comment cet objectif est-il atteint au regard de l’implémentation des législations nationales européennes ? Quels sont les critères retenus par les législations nationales pour l’octroi de la nationalité aux films ? Le rapport explicatif de la Convention vient préciser qu’une coproduction nécessite “un accord préalable entre Etats, ceux-ci s'engageant à accorder réciproquement la nationalité à des films produits par les deux pays.” L’apport de la Convention qui va nous intéresser dans notre approche comparative de la convention concerne les changements dans la législation des Etats Parties quant à l’octroi de la nationalité des films. « L'importance du concept de nationalité d'un film tient au fait que l'aide publique à l'industrie cinématographique, qu'il s'agisse de soutien financier direct (aides, prêts, etc.), d'avantages fiscaux, d'obligations d'investissement ou de quotas de films ou de programmes, est liée dans chaque pays à la nationalité des films bénéficiaires, puisque de tels avantages sont réservés aux films nationaux et aux films assimilés aux films nationaux. » En France, le système d’octroi du soutien financier à l'industrie cinématographique se fait grâce à un nombre de points attribués en fonction de certains facteurs. Par exemple, si le réalisateur du film est de nationalité française, le film se verra attribue 3 « points » de nationalité française. (les premiers rôles, 3 points, le scénario 2 points, etc.) Le nombre de points minimum à obtenir pour que le soutien automatique soit accordé est de 25 (les 20 points attribués à la version originale en langue française n'étant pas pris en compte. Ce nombre minimum peut être réduit à 20 par dérogation accordée par le directeur général du Centre national de la cinématographie.

La nationalité d’un film est déterminée par la législation nationale. Les systèmes d’octroi de la nationalité d’un film ne sont pas homogènes au sein des pays membres. Or l’article 4 de la Convention prévoit l’assimilation aux films nationaux des films coproduits par plusieurs pays membres. Cela signifie que les Etats parties s’engagent à donner la nationalité à un film qui peut-être ne remplit pas les conditions prévues par la législation nationale. Les Etats Parties octroient un certain nombre d’avantages aux films ayant la nationalité de cet Etat. Par exemple, des aides financières à la production et à la distribution. Certains Etats sont très formels, comme l’Allemagne, en ce qui concerne l’octroi d’aide aux films ayant la nationalité allemande. En Allemagne, pour qu'une œuvre soit considérée comme allemande le producteur, qui doit assumer la responsabilité de l'exécution du projet de film, doit: soit avoir son domicile en Allemagne s'il s'agit d'une personne physique, soit avoir son siège en Allemagne s'il s'agit d'une personne morale, soit disposer d'une succursale en Allemagne s'il est établi dans un autre État membre de l'Union européenne, ou dans un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen. D’autres Etats, comme la Norvège ou les Pays-Bas sont plus laxistes. Michel Gyory explique que la législation nationale des Etats parties requiert généralement un accord de coproduction conclu entre cet Etat et un autre pays afin de reconnaître une coproduction. C’est le cas de la France, de l’Italie, de l’Espagne.

En France, peuvent être assimilés aux films français, et bénéficier des avantages réservés à ceux-ci, les films réalisés dans le cadre de coproductions internationales dans le respect des accords de productions conclus par la France. Pour bénéficier du soutien financier, un film doit être d’expression originale française. Cela implique que différents facteurs soient pris en compte, notamment la langue de tournage, le lieu d’établissement de l’entreprise de production, ou encore la nationalité des auteurs. Pour qu'une œuvre soit considérée comme française, l'entreprise de production doit être établie en France.

En plus de la nationalité de chacun des Etats coproducteurs, la Convention apporte un certain nombre d’autres avantages. L’article 7 de la Convention prévoit que chaque producteur doit se voir accorder la copropriété du négatif original, image et son. De plus, chaque coproducteur se voit donner le droit à un internégatif « ou tout autre support permettant la reproduction » du film.

Les législations nationales fixant des conditions de coproduction différentes sur un point fondamental. Certaines législations reconnaissent une participation financière à la production d’un film comme un critère suffisant a la reconnaissance du statut de coproducteur. Par exemple l’Allemagne reconnaît la possibilité d’assimiler aux coproductions internationales une coproduction purement financière. L’article 8 de la Convention vient établir que les Etats parties ne peuvent donner le statut de coproducteur à un pays qui se contenterait d’une participation uniquement financière. En effet, l’article 8 dispose que l’apport de chacun des coproducteurs doit comporter « obligatoirement une participation technique et artistique effective. »

L’article 9 vient déroger à l’article 8 en décrivant une situation dans lesquelles une participation financière peut être suffisante. L’article 9 liste quatre conditions cumulatives, comprenant notamment l’obligation pour la coproduction de concourir à l’affirmation de l’identité européenne, ou encore comporter un coproducteur majoritaire apportant une contribution technique et artistique effective.

BIBLIOGRAPHIE

• Etat des signatures et ratifications des conventions européennes et traités internationaux relatifs au secteur audiovisuel par Dr. Susanne Nikoltchev, Francisco Javier Cabrera Blázquez, OBS. (05/2006) • Production et distribution de films en Europe, la question de la nationalité, apr Michel Gyory, en Belgique, Allemagne, Espagne, France, Italie, aux Pays-Bas, en Norvège, Grande-Bretagne ainsi qu'au niveau européen. En coopération avec et commandé par l'Observatoire européen de l'audiovisuel (rapport revu et mis en jour en janvier 2000) CERICA (Centre Européen de recherche et d’information sur le cinéma, l’audiovisuel et le multimédia.) http://www.obs.coe.int/online_publications/reports/natfilm.html.fr • Journal of international Media & Entertainment Law, published by the ABA Association Forum on Communication law. Volume 1, Number 1, Summer 2006 • La question de la nationalité des films : la définition française et la définition européenne : Rapport d’information du Senat

Autres Références Electroniques : • Le site du film Français : http://www.lefilmfrancais.com • Le site internet du Centre National de la Cinématographie : http://www.cnc.fr • Le site internet du Senat : http://www.senat.fr