LA CREATION D'AUTORITES DE LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS EN FRANCE ET EN ESPAGNE par Julia Beaucourt

  

Résumé : La France et L’Espagne ont du s’ajuster aux exigences communautaires en matière de lutte contre les discriminations par la création d’autorités qui ont pour but d’être indépendantes afin d’assurer à la victime la meilleure protection possible. Ce papier concerne l’évolution de cette protection dans ces deux pays ainsi que les nouveaux enjeux liés aux récentes modifications structurelles des institutions.

Ces dernières années, la lutte contre les discriminations est devenue un enjeu majeur pour les sociétés modernes car celles-ci revêtent les formes les plus variées et dissimulées. C’est donc dans ce contexte particulier que, l’Union Européenne par sa directive 2000/43 du 29 juin 2000, a prescrit la transposition dans la législation de chaque pays européen de la mise en œuvre du principe d’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine éthique.  Dans son article 13 celle-ci impose à chaque Etat la création d’organismes chargés de mener à bien une assistance indépendante aux victimes de discriminations, elles ont pour missions de développer des études indépendantes en matière de discrimination, publier des rapports indépendants et d’émettre des recommandations sur toutes les questions relatives aux discriminations.

Comment s’est traduite l’évolution de la lutte contre les discriminations dans les Etats Européens?

 Il faut tout d’abord souligner que la protection des victimes de discrimination fait l’objet d’une préoccupation européenne depuis 1950 avec la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme (CESDH). Le droit européen a toujours eu beaucoup d’influence dans les pays européens afin qu’ils luttent contre les discriminations toujours croissantes.

Il est évident que tous les pays européens n’ont pas évolués au même rythme, en effet la transposition de la Directive 2000/43 du 29 juin 2000 n’a pas eu le même impact selon les pays. Certains pays avaient déjà leur propre institution et ils n’ont eu qu’a opérer que quelques modifications pour ajuster leur réglementation à la directive comme au Pays-Bas, tandis que d’autres Etats sont parti de rien et ont du créer un nouvel organisme, tel est le cas notamment de la France et de l’Espagne. C’est pourquoi, nous allons étudier successivement l’évolution des moyens mis en place en faveur de la victime dans ces deux pays avec la naissance des institutions chargées de protéger leurs droits ainsi que le rôle qu’elles ont acquis en tant qu’acteurs de la lutte contre les discriminations et les récents changements qui bouleversent leur structure.   

 

La création d’organismes indépendants en France et en Espagne est le fruit d’une évolution permanente du droit européen qui se soucis d’améliorer les conditions d’accès pour les victimes à la justice afin que puissent être sanctionner les discriminations dont elles font l’objet.

Le droit de l’Union Européenne est un droit supranational qui se retrouve dans l’ordre juridique des Etats membres contraints de prévenir ou de supprimer toute contradiction entre le droit interne et le droit communautaire. En effet, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a une jurisprudence bien établie sur la base de l’article 14 de la CESDH, selon elle il y a violation de l’article 14 « lorsque les Etats traitent différemment des personnes qui se trouvent dans des situations analogues sans fournir de justification objective et raisonnable ».

La modernisation du droit européen a eu des conséquences sur le droit interne des pays membres dans plusieurs domaines, notamment en ce qui concerne l’introduction de la notion de « discrimination indirecte », la modification de la charge de la preuve, la reconnaissance de sanction lors de harcèlement moral, l’alternative à la voie judiciaire grâce à la médiation.

En France, le délit de discrimination a été instauré en 1972 par une loi luttant contre le racisme, ce concept et ce terme ont évolués et se sont élargit avec le temps. Avant la création d’une institution indépendante le seul recours pour les victimes de discriminations était de saisir les tribunaux sur la base du Code pénal ou du Code du Travail dans lesquels les discriminations étaient sanctionnées.

En Espagne c’est la Constitution de 1978 qui sert de base à la protection contre les discriminations avec la figure du Défenseur du Peuple bien avant l’entrée en vigueur de la Directive. Cependant, son influence était faible car peu indépendante. De plus, la victime ne pouvait le saisir que lorsque c’était l’Administration qui avait porté atteinte à ses droits, ce qui excluait un champ d’application important comme les discriminations provenant des personnes privées.

C’est donc par la loi 62/2003 du 30 Décembre, que l’Espagne a opéré la transposition de la Directive créant un nouvel organisme qui est « le Conseil pour la Promotion de l’Egalité de Traitement et de la Non Discrimination », qui fait partie et dépend du Ministère de l’Egalité espagnol. En France c’est la loi du 30 Décembre 2004 qui a donné naissance à la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité (HALDE).

La HALDE a fait preuve d’une réelle efficacité durant ces six années d’existence, elle a développé des moyens d’actions propres, tout en essayant de se conformer au droit communautaire. Cette institution peut être saisie par tout particulier ou par toute association afin de faire valoir ses droits, elle n’est pas un substitu des juridictions, sa saisine n’est en aucun cas obligatoire. Si la victime décide de porter plainte, alors la HALDE a un devoir d’assistance dans toutes les démarches de celle-ci.

Grace à la HALDE, on assiste à la découverte de discriminations que l’on pensait révolues, on peut citer à tire d’exemple le très grand nombre de réclamations visant les services publics. Elle a relevé le défi de se faire connaître, reconnaître grâce à des campagnes publicitaires offensives, ce qui a produit une très forte augmentation du nombre de réclamations qui lui ont été adressé. Les chiffres communiqués dans le 5ème rapport annuel (2009) sont éloquents. En cinq ans, 2600 des 3000 réclamations ont été traitées et ont donné lieu à 1418 délibérations. C’est une très forte progression, en 2005 elle n’enregistrait que 1500 réclamations. En plus de cette progression quantitative, la HALDE a mis en place la technique du testing, c’est un test qui facilite l’obtention de la preuve pour pouvoir ainsi apporter aux victimes son soutien. Elle a également mis en place le baromètre sur la perception des discriminations dans les entreprises privées et dans la fonction publique.

En ce qui concerne « le Conseil pour la Promotion de l’Egalité de Traitement et de la Non Discrimination » crée en Espagne, ce n’est qu’en septembre 2007, c'est-à-dire quatre ans après sa création que le Gouvernement espagnol s’est décidé au travers d’un Décret à définir les compétences et la composition de cet organisme. Il s’agit d’un bureau d’aide et d’assistance aux victimes,  composé de sept ONG et d’un syndicat. Depuis juin 2010, cet organisme à traité environ 80 dossiers. Ce service garanti à la victime une assistance juridique et lui présente les différentes options qui s’offrent à elle.

Cet organisme n’a pas de personnalité juridique et il est financé par le budget du Ministère. « Le Conseil pour la Promotion de l’Egalité de Traitement et de la Non Discrimination » n’a aucune compétence de représentation de la victime en justice contrairement à la HALDE et ne dispose pas d’un budget propre, ce qui nuit très fortement à son indépendance du Gouvernement.

Par ailleurs, la loi portant sur l’égalité des chances du 31 mars 2006 a renforcée les pouvoirs de la HALDE, et lui a attribuée le pouvoir de proposer une transaction et une réparation aux victimes, à partir du moment où les deux parties tombent d’accord. De plus, on assiste à une juridictionnalisation de la HALDE. Elle a le pouvoir de se saisir elle-même et sa collaboration avec le Parquet est de plus en plus étroite et complémentaire dans le processus de l’enquête et de l’administration de la preuve. Elle dispose d’un pouvoir de recommandation et peut intervenir directement devant les pouvoirs publics. Elle doit être consultée par le Gouvernement sur tout projet de loi portant sur la lutte contre les discriminations et la promotion de l’égalité et, elle a le pouvoir de proposer d’office une modification législative ou règlementaire.

Contrairement aux pouvoirs de la HALDE, le Décret régulant le Conseil espagnol décrit peu les compétences et les fonctions de ce nouvel organisme et il se contente en réalité de définir sa composition.Même si cet organe peut paraître indépendant dans les textes, il ne peut pas garantir la même protection que la HALDE, car il n’existe aucun instrument pour garantir que l’action du Conseil soit indépendante du pouvoir public et politique. D’ailleurs le texte ne fait référence qu’aux discriminations liées à l’origine éthique ou religieuse ne prenant pas en compte toutes les modalités dont le mot « discrimination » est assorti. Son influence se trouve donc limitée dés l’origine. Nous pouvons considérer le Conseil comme étant un organisme presque gouvernemental ayant des fonctions similaires aux organes consultatifs, ce qui nous amène à nous interroger sur l’efficacité de sa lutte contre les discriminations.

 

Par son positionnement et son activité,  la HALDE a réussi à créer un climat de contrôle et de dissuasion face aux acteurs des discriminations, elle permet aux victimes de se défendre et de se protéger, celles-ci craignent de moins en moins de dénoncer les abus dont elles sont victimes. C’est pourquoi la HALDE a permis de faire évoluer les mentalités et les comportements au sein de la société française. 

 Il est néanmoins difficile de penser qu’un organisme comme le Conseil espagnol puisse produire des effets similaires tant cette institution est mystérieuse et son rôle est ornemental. Cependant, il ne faut pas oublier que le Conseil est une institution très récente et qu’une nouvelle loi créant un organisme réellement indépendant va voir le jour très prochainement en Espagne.

En effet, la naissance de ces deux institutions visant à lutter contre les discriminations a été le fruit d’un désir profond de bouleversement dans la société influencé par le droit européen et nous allons assister à une évolution paradoxale dans les deux pays étudiés. Alors que l’Espagne est en admiration devant la HALDE et va créer prochainement sur son modèle une institution indépendante, la France veut prendre exemple sur l’Espagne en fusionnant la HALDE au Défenseur du Peuple.

Le Conseil des ministres espagnol a approuvé le vendredi 7 janvier 2011 l’avant projet de Loi concernant l’Egalité de Traitement et de non discrimination, c’est une loi  réclamé depuis longtemps par les associations.  Elle a pour objectif d’être un reflet plus adéquat de la Directive européenne 2000/43, et de permettre aux victimes d’accéder à leurs droits qu’elles connaissent très peu. En effet, plus de la moitié des espagnols ont déclaré ne pas connaître leurs droits en cas de discrimination ou d’abus.

Cette norme reconnaît « le droit à l’égalité de traitement et à la non discrimination » et établie « que personne ne pourra être discriminé en raison de sa naissance, son origine raciale ou éthique, sexe, religion, conviction, opinion, âge, handicap, orientation ou identité sexuelle, maladie, langue ou quelque autre condition ou circonstances personnelles ou sociales ». On assiste à une amélioration des définitions de discriminations par association, par erreur ou encore multiple. C’est une loi de garanties qui prétend garantir l’exercice du droit plutôt que de reconnaître de nouveaux droits. Elle a pour objectif de consolider l’égalité de façon législative et d’être un dénominateur commun des définitions et des garanties basiques du droit antidiscriminatoire, de prévenir et d’éradiquer toute forme de discrimination et de protéger et réparer le dommage des victimes. Cette loi a pour ambition de rendre effectif le droit des victimes et de les informer des actions qu’elles peuvent exercer. C’est une norme audacieuse car elle requiert des dépenses et des sacrifices économiques importants dans un moment de crise économique et sociale très fort. Cette nouvelle loi s’inspire des institutions voisines telles que la HALDE et envisage la création d’un organe indépendant, l’Autorité Etatique pour l’Egalité de Traitement et la Non Discrimination dans son titre III. Cette autorité pourra enquêter d’office sur les possibles discriminations. Elle est définie comme « un organisme public de caractère unipersonnel, dotée d’une personnalité juridique propre et, d’une pleine capacité publique et privée, en ayant une totale indépendance avec une autonomie organique et fonctionnelle ». A juste titre nous pouvons faire référence à une interview de Jean Louis Schweitzer qui commentait au sujet de la HALDE « nous pouvons raisonner avec nos sœurs ainées, apprendre de leurs expériences et faire bénéficier de la nôtre à nos sœurs cadettes et il y en a quelques unes ». De la même façon que la HALDE s’est inspirée des institutions voisines, l’Espagne a pris exemple sur elle.

En ce qui concerne la réforme française, depuis le 11 janvier 2011, les députés réfléchissaient à une possible fusion de la HALDE avec quatre autres institutions pour ne former qu’un Défenseur des Droits, notamment sur le modèle espagnol. Le Sénat et l’Assemblée nationale ont définitivement adopté les projets de loi organique et ordinaire concernant le Défenseur des droits début mars 2011, l’intégration de la HALDE dans celui-ci est le fruit d’un long débat parlementaire. Effectivement, de vives critiques étaient adressées à la HALDE depuis quelque temps.

En effet, il faut souligner que si le nombre de réclamations de la HALDE a explosé ces dernières années du fait de sa popularité, il ne faut pas nier que 64% des demandes ne rentrent pas dans son champ  d’application ce qui génère des coûts considérables pour cette institution et une grosse perte de temps.

De plus on peut reprocher à la HALDE le fait qu’elle affecte la garantie procédurale, ne respectant pas le principe du contradictoire, se plaçant dès le début du côté des victimes en stigmatisant de façon obsessionnelle  les entreprises et les employeurs. Certaines de ses méthodes sont discutables du point de vue juridique, il est vrai qu’elle s’engage sur la base de faits non prouvés et non vérifiés et que sa méthode du « testing » et le seul envoi de CV truqués aux entreprises pour justifier ses accusations sont parfois un peu minces. D’autre part, nous avons assisté à une politisation de cette institution qui n’hésitait pas à condamner l’Etat pour discrimination.

Pour conclure, nous constatons que la HALDE, même si elle n’est pas irréprochable du point de vue juridique en ne respectant pas strictement les démarches procédurales et en apportant des preuves qui peuvent parfois être contestées sur leur légalité, a réussi à répondre aux espoirs des associations et des personnes luttant contre les discriminations, alors que les défis à relever étaient délicats et que de nombreuses critiques avaient été émises à peine 20 mois après sa création. Son succès est tel, que sa voisine espagnole s’en est fortement inspirée dans l’élaboration de sa nouvelle loi visant à lutter contre les discriminations et s’efforçant à faire connaître aux victimes leurs droits lorsqu’elles sont sujettes à ces inégalités de traitement. La protection des victimes est donc croissante en France et en Espagne et on peut noter que le droit européen pousse sens cesse les pays membres à améliorer cette protection notamment grâce à la création d’autorités indépendantes, qui apportent aux victimes des soutiens financier et psychologique lors de procédures jugées parfois très longues et compliquées. Cependant, il faut veiller à ce que ces institutions ne débordent pas sur le champ d’application de ses voisines car cela peut leur couter leur position, tel est le cas de la HALDE en France qui se voit privée d’une partie de son indépendance par sa fusion avec d’autres institutions.

 

Bibliographie :

  • Le Monde janvier 2011
  • Le Figaro janvier 2011
  • Site de la HALDE
  • Site du Ministère espagnol pour la santé, la politique social et l’égalité
  • Conférence du déjeuner débat du Foro Mujeres de Diálogo, Association Hispano-française, 3 février 2011
  • « HALDE : Actions, Limites et Enjeux »  (journée d’études internationales co-organisée par la Halde), le Centre d’études et de recherches de sciences administratives, le centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux, sous la direction de Daniel Borrillo
  • Discrimination : pratiques, savoirs, politiques, sous la direction d’Eric Fassin et Jean-Louis Halpérin
  • « El defensor del pueblo, el ombudsman en España y el derecho comparado», de Pedro Carballo Armas
  • Brève sur « la lutte contre les discriminations : la HALDE passe le relais » par R. Grand édition du 4 mai 2011 de Dalloz actualité
  • Dépêche sur « l’adoption définitive des projets de loi sur le Défenseur des droits » par M-C de Montecler, édition du 17 mars 2011 de Dalloz actualité
  • Dépêche sur « les discriminations sont de plus en plus signalées » par J-M Pastor, édition du 10 mars 2010 de Dalloz actualité
  • Recueil Dalloz 2011 p. 265 sur l’intégration du procès équitable
  • « Les missions du Défenseur des droits ne cessent de s’élargir » par C.Fleuriot, édition du 10 décembre 2010 de Dalloz actualité