La diversité de genre au sein des conseils d'administration: Analyse comparative en droit français et en droit espagnol

Le droit français comme le droit espagnol régissent la question de la diversité de genre au sein des conseils d’administration à travers les codes de Gouvernement d’entreprise. Cependant, l’on note dans les deux droits une coexistence entre les normes d’autorégulation et les normes législatives, notamment du fait de la volonté des deux pays de s’aligner sur le principe européen visant à atteindre la mixité dans les conseils d’administration des sociétés cotées des Etats membres.

Mots clefs:

- Diversité de genre
- Conseils d’administration 
- Corporate Governance

Introduction :

"Un plus grand nombre de femmes dans les instances de gouvernance des grandes sociétés, telle est la volonté à l'heure actuelle des politiques, des médias et de certains groupes de société", en France et en Espagne. En effet, de nombreuses études ont donné lieu à des rapports qui constatent l'inégale représentation des hommes et des femmes au sein des conseils d'administration. L'Union Européenne a également fait  cette question, l'un de ses objectifs majeurs notamment avec le Livre Vert de la Commission Européenne du 1er mars 2011 sur l'égalité des sexes dans le monde des affaires. La coexistence de recommandations des Codes d’éthiques, de la législation mais aussi de recommandations au niveau européen à ce sujet, témoigne de l’intérêt porté sur cette question tant en France qu’en Espagne. En Espagne, le Code Unifié de Gouvernement d’entreprise des sociétés cotées de l’Autorité des Marchés Financiers espagnole, la Comisión Nacional del Mercado de Valores, dans sa version de 2006, prévoie dans sa recommandation 15 que lorsque le nombre de femmes dans le conseil d’administration d’une société cotée est faible ou nul, celui-ci doit veiller à ce qu’en cas de places vacantes, le processus de sélection ne porte pas préjudice à la sélection de conseillères et que la société inclue parmi les candidats potentiels, des femmes qui remplissent les critères du profil recherché. Il en est de même en droit français, puisque la recommandation 6.3 du Code de Gouvernement d’Entreprise des Sociétés Cotées MEDEF-AFEP, dans sa version d’avril 2010  prévoit que chaque conseil « doit s’interroger sur l’équilibre souhaitable de sa composition, notamment dans la représentation entre les femmes et les hommes et la diversité des compétences ». Les sociétés cotées françaises et espagnoles sont assujetties au principe comply or explain, qui laisse aux sociétés la liberté de suivre ou non ces recommandations, mais qui exige que lorsque ces dernières ne le font pas, elles en révèlent les motifs. Parallèlement à ces règles de soft law, la France a adopté la Loi du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle qui modifie les articles L225-17, 20, 24 et introduit les articles L 225-18-1 et L225-69-1 du Code de commerce. L’Espagne quant à elle a adopté la Loi sur l’Egalité du 22 mars 2007 qui traite de la question dans son article 75. A ces lois s’ajoutent de nombreuses recommandations de l’Union Européenne chaque année sur la question. Il convient alors de se demander pourquoi la diversité de genre au sein des conseils d’administration fait-elle l’objet d’autant de régulation ? Et surtout laquelle de ces régulations est-elle la plus pertinente pour atteindre la diversité au sein des conseils d’administration ? Dans un premier temps, l’on verra que la diversité de genre au sein des conseils d’administration constitue un facteur clef pour l’intérêt social expliquant toute cette attention (i), en conséquence de quoi, l’on peut dire qu’il y a une coexistence de ses instruments de régulation (ii).

I- La diversité de genre au sein des conseils d’administration : un facteur clef pour l’intérêt social

La diversité de genre au sein des conseils d’administration, peut-être analysée selon deux approches possibles. Selon l’approche de l’égalité des sexes, où selon celle du droit des sociétés qui intéresse notre étude. En effet, il est plus pertinent de retenir que le principal objectif de la diversité au sein des conseils d’administration n’est pas vraiment celui d’assurer l’égalité des sexes mais plutôt celui d’assurer la compétence et l’efficacité des conseils d’administrations (A) et ce pour améliorer la compétitivité des entreprises (B).

A- La diversité de genre pour une meilleure performance des conseils d’administration

Du point de vue de la corporate governance en France comme en Espagne, la diversité de genre au sein des conseils d’administration contribue à «améliorer la gestion et la rentabilité des entreprises ». La mixité dans les conseils d’administration n’est pas recherchée au bénéfice des femmes mais à celui des sociétés. En effet, l’Autorité des Marchés Financiers espagnole, remarque que « Ne pas profiter du talent potentiel de 51% de la population (les femmes), ne peut être économiquement rationnel pour l’ensemble des grandes entreprises de notre pays ». Il est ainsi dans l’intérêt des sociétés de profiter des qualifications de candidates qui présentent « un potentiel important pour le développement de la société.». Il s’agit en réalité d’une question de « composition adéquate des conseils d’administration »,  qui permet de rendre ce dernier plus efficace, puisque la diversité au sein des conseils, favorise « des discussions stratégiques plus constructives et des approches différentes des enjeux ». De même que la Commission Européenne remarque dans son Livre Vert de 2011 que « les femmes ont un style de leadership différent notamment par leur assiduité aux réunions ». Il serait donc dans l’intérêt de la société de désigner une femme candidate « si celle-ci présente les mêmes qualifications qu’un candidat de sexe masculin », puisque cette diversité et ces contrastes d’opinions sont susceptibles d’améliorer la stratégie des entreprises. Ainsi, la diversité dans les conseils d’administration permettrait une meilleure performance des conseils d’administrations, qui à son tour joue un rôle prédominant dans la compétitivité des entreprises.

B- La diversité de genre dans les conseils pour une meilleure compétitive des entreprises

« Il semble désormais acquis que rechercher un meilleur équilibre entre les sexes dans la conduite des affaires peut améliorer la gestion et la rentabilité des entreprises ». En effet, certains auteurs affirment que cet objectif d’atteindre une diversité de genre au sein des conseils d’administration se fait pour « des raisons purement compétitives dans le monde des affaires ». La diversité de genre tend à améliorer les bonnes pratiques des entreprises et à « répondre aux attentes des investisseurs responsables ». « Les entreprises qui ne respecteraient pas le critère de mixité pourraient être mal notées par les organismes de notation spécialisés en gouvernance et se voir ainsi privées de la présence d'investisseurs responsables mieux informés».
 Ainsi, l’on voit que le principal objectif d’introduire la diversité de genre au sein des conseils d’administration du point de vue de la corporate governance, n’est pas celui d’assurer l’égalité des sexes, mais celui d’améliorer l’efficacité et la performance des conseils d’administration en vue d’assurer la compétitivité de l’entreprise qui constitue l’intérêt de la société.

II- Une coexistence des instruments de régulation de la diversité dans les conseils d’administration en France et en Espagne

En France comme en Espagne, les instruments visant à réguler la diversité de genre dans les conseils d’administration coexistent. En effet, il existe des recommandations issues de l’autorégulation qui représente un instrument flexible mais dont l’efficacité reste discutable pour atteindre la diversité de genre au sein des conseils d’administrations (A). Le second point commun entre la France et l’Espagne est qu’elles disposent de règles législatives présentant des nuances visant à réguler la diversité de genre au sein des conseils  (B). 

A- L’autorégulation : un instrument flexible d’efficacité discutable en France et en Espagne

Face au constat démontré par les études de la sous-représentation des femmes au sein des conseils d’administration dans les sociétés cotées françaises et espagnoles, l’autorégulation a constitué la première solution pour régler cette question car elle a comme principal avantage la flexibilité. En effet, l’autorégulation, par sa souplesse, permet à l’entreprise « d’adapter la règle en fonction de sa taille, son actionnariat, ou de sa structure juridique ». Cependant, en pratique, cette souplesse n’a pas permis d’atteindre l’objectif de diversité au sein des conseils d’administration malgré de faibles évolutions. En effet, avec le principe comply or explain qui permet aux entreprises d’expliquer pourquoi elles n’ont pas sélectionner de femmes aux conseils et l’absence de véritable sanction, l’autorégulation  reste un instrument peu contraignant pour que la diversité de genre soit atteinte dans les sociétés, puisqu’en France et en Espagne, selon les rapports l’évolution était trop faible, puisqu’en 2007, en Espagne, aucune entreprise ne suivait le Code d’éthique.

B- La législation française et espagnole : un instrument présentant des nuances

L’autorégulation n’ayant pas permis d’atteindre les buts recherchés, la France et l’Espagne ont adopté les lois citées en introduction, qui répondent à un alignement aux exigences européennes, suite à la Résolution du Parlement Européen du 17 janvier 2008 demandant aux Etats membres de favoriser une présence équilibrée entre hommes et femmes. Ces lois sont similaires de manière générale, mais présentent quelques nuances.


1. Une législation française plus rigide par l’instauration de quotas

La loi française et la loi espagnole régulant la diversité de genre dans les conseils d’administration prévoient que ces derniers, devront atteindre un équilibre entre hommes et femmes à compter de leur publication, dans un délai de six ans pour la France et de huit ans pour l’Espagne. Cependant, la principale différence entre ces deux lois, est que la loi française prévoit des quotas. En effet, dans un délai de trois ans à compter de la publication de la loi, la représentation de chaque sexe devra être égale ou supérieure à 20% et dans un délai de six ans à 40%. Ces chiffres ne figurent pas dans la rédaction de la loi espagnole, ni dans la recommandation du Code d’éthique de 2006. La loi se limite à préciser que la représentation des deux sexes doit-être équilibrée. De même que dans l’article 75 de la Loi espagnole sur l’Egalité, le délai ne figure pas, puisque c’est la doctrine qui précise que le délai sera de huit ans à compter de l’entrée en vigueur de cette dernière. 
 

2. Les sanctions: Point de divergence entre la législation française et espagnole

La loi française et la loi espagnole rencontrent également des divergences quant à l’existence de sanctions. En effet, afin « d’assurer l’efficacité du dispositif », l’article L 225-18-1 alinéa 2 du Code de commerce, prévoie la nullité des nominations intervenue en violation du quota, et celles « n’ayant pas pour effet de remédier à l’irrégularité de la composition du conseil ». Des sanctions financières sont également prévues. En effet, les articles L. 225-45, alinéa 2 et L. 225-83, alinéa 2 du Code de commerce, prévoient la suspension du versement des jetons de présence aux administrateurs ou membres du conseil de surveillance si le conseil d’administration n’est pas composé conformément au seuil légal. La Loi espagnole sur l’Egalité, ne prévoit quant à elle aucune sanction en cas de non-respect de son article 75. Certains pensent même qu’il s’agirait d’une « recommandation de soft law ».  Cependant, la doctrine affirme bien qu’il s’agit « d’une norme juridique authentique dotée de force contraignante, alors que la recommandation du code d’éthique n’a aucune force contraignante pour ses destinataire car étant une règle de soft law ».
Ainsi, l’on voit que par l’instauration de sanctions et quotas, la législation française est plus contraignante et peut-être plus effective. Du fait que la publication de ces lois est récente, l’on ne peut vraiment vérifier si elles sont effectives malgré une évolution en pratique.

Conclusion :

Ainsi, l’on comprend que la diversité de genre au sein des conseils d’administration du point de vue du droit des sociétés ne vise pas à assurer l’égalité des sexes mais à améliorer la compétitivité des entreprises. Parallèlement aux normes internes, les normes européennes ont une influence significative. Il convient donc de s’interroger sur le niveau de régulation qui serait le pertinent pour atteindre l’objectif visé. L’on a vu au niveau interne que la coexistence des règles issues l’autorégulation et celles de la régulation tant en France qu’en Espagne renforce ce principe, même si l’on a pu constater que la législation française, est beaucoup plus précise et contraignante par l’instauration de quotas et de sanctions tendant assurer l’effectivité de la loi dans un laps de temps réduit. La Commission Européenne quant à elle, préfère l’autorégulation et donner « une chance aux sociétés cotées de se rattraper et les a invité à s’engager à atteindre volontairement 30% de femmes dans les conseils en 2015, et 40% en 2020», même si la Commission Européenne affirme que si « l’autorégulation ne fonctionne pas, elle sera prête à adopter des règles contraignantes pour 2012 ». Ainsi, pour le moment, la législation serait le moyen le plus efficace pour atteindre la diversité dans les conseils.

Bibliographie:

Normes Européennes:

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Codes de gouvernement d’entreprise:

Comisión Nacional del Mercado de Valores Código Unificado de Buen Gobierno Corporativo, 2006, p. 10 à 25.

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Monographies:

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Articles :

Droit français :

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Droit espagnol :

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