La force probante des tests de paternité clandestins - par Karoline KOESTER

Commentaire de la décision du Bundesverfassungsgericht, la Cour constitutionnelle fédérale allemande, rendu le 13 février 2007

La Cour constitutionnelle allemande a affirmé dans sa décision du 13 février 2007 la décision de la Cour de cassation allemande, le Bundesgerichtshof, du 12 janvier 2005 dans laquelle les juges ont constaté que les « tests de paternité clandestins », sans consentement de la mère ou de l’enfant, n’ont pas de valeur probante devant les tribunaux. Cet article présent la situation légale en Allemagne et en France concernant les tests de paternité et leur force probante dans le cadre des actions en désaveu de paternité.

Pater is est quem nuptiae demonstrant. Cette présomption juridique de paternité, prévue par l’article 312 du Code civil et dans le § 1592 Nr. 1 du Code civil allemand, le BGB, ne correspond pas toujours à la réalité de notre époque. Les enfants d’aujourd’hui sont souvent nés hors mariage, et même dans le cas contraire, suite à l’augmentation des divorces, leurs pères se retrouvent souvent dans une situation de doute sur leur paternité. En France comme en Allemagne des systèmes d’action en désaveu de paternité ont été élaborés par le législateur dès les années 1970 et ont beaucoup évalués depuis. Le cadre légal de ces actions en désaveu de paternité dans les deux pays a d’abord suivi sensiblement le même schéma. Le père désigné par la mère ou par la loi qui engageait une action en justice devait apporter des présomptions ou indices graves de sa non paternité (alinéa 2 de l’article 312 du Code civil dans sa ancienne version) ou même des doutes justifiés (« Gesetz zur Änderung des Umgangs- und Anfechtungsrechts der Väter » du 23 Avril 2004, BGBl. I page 598). En France, avec les reformes de 2001 (loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001) et de 2005 (ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005, en vigueur de puis le 1er juillet 2006) une égalité juridique des différentes régimes de filiation, la filiation légitime et la filiation naturelle, a été établie. La présomption de paternité lorsque les parents sont unis par les liens du mariage subsiste (article 312 du Code civil), mais ces reformes ont eu une incidence sur le système des actions en désaveu de paternité.

Pour prouver sa paternité à l'égard d’un enfant le moyen le plus sûr reste de procéder à un test de paternité, soit par l’examen comparé des sangs soit par l’identification par les empreintes génétiques. Pour les pères, ce n’est pas évident de procéder à un tel test, car les mères refusent la prise de sang ou des empreintes génétiques de leurs enfants pour s’opposer au père, pour ne pas risquer de perdre le père qui a souvent des obligations de payer des aliments pour l’enfant.

En vue d’établir ou de contester la paternité en justice, un test de paternité obtenu sans le consentement de la mère ne peut pas être pris en considération pour établir l'existence d'un doute ou d'un indice pour la non paternité, même si le test soutient la prétention du demandeur. Un test de paternité obtenu dans des conditions illégales ne peut pas constituer la preuve de la non paternité.

Seront d’abord présentés le cadre légal et les décisions de justice allemandes et françaises dans lesquelles les Cours constatent que les tests de paternité clandestins ne peuvent pas être utilisés en tant que moyen de preuve devant les tribunaux. Ensuite la situation légale dans les deux pays sera analysée dans une optique comparative pour envisager quelles sont, parmi les solutions retenues, celles qui paraissent les mieux adaptées.

La comparaison de la situation légale en France et en Allemagne présente un intérêt actuel, car la Cour constitutionnelle allemande dans sa décision du 13 février 2007 (BVerfG 1 BvR 412/05, décision du 13 février 2007) ordonne au législateur allemand d’améliorer le système légal des actions en désaveu de paternité. La Cour a constaté que le système actuel ne correspond pas aux besoins réels des pères, lesquels nécessitent d’un système pratique pour constater leur paternité biologique ou non. Le système actuel allemand n'offre pas la possibilité d'engager une action en justice afin d'établir si une personne est le père de l’enfant ou non, mais seulement une action en désaveu de la paternité qui est nécessairement suivie par la dissociation juridique immédiate de l’enfant et du père ou de l’« ancien père ». Il est donc intéressant de comparer la situation juridique en France avec celle en Allemagne afin d’envisager si le système français peut proposer un autre modèle ouvrant aux pères la possibilité de prouver leur non paternité sans couper tous les liens juridiques avec l’enfant et, si une telle action peut être soutenue par des moyens de preuve plus simples que ceux exigés pour les actions en désaveu de paternité.

L’encadrement de l’action en désaveu de paternité

En Allemagne, le « père juridique », le père qui a obtenu la qualité de père par le mariage avec la mère le jour de la naissance de l’enfant en question (§ 1592 Nr. 1 BGB) ou par la reconnaissance formelle (§ 1592 Nr. 2 BGB) de la paternité peut, dans un délai de deux ans, à partir du moment où il obtient connaissance des faits qui mettent en doute sa paternité, engager une action en désaveu de sa paternité devant le tribunal (§ 1599 et suivants du BGB). Une telle action en désaveu ne sera reçue que si le père met en évidence des indices ou doutes de sa paternité. Dans le cadre du procès, c’est le juge qui peut ordonner une expertise biologique de la filiation.

En France, dans le régime de la filiation antérieur de la reforme intervenue avec l’ordonnance de 2005, la présomption de paternité légitime n'était pas irréfragable et admettait la preuve contraire. Cependant, cette preuve contraire, théoriquement possible, paraissait se heurter à une fin de non-recevoir, édictée par l'article 322 du Code civil, dont l'alinéa 2 disposait que « nul ne peut contester l'état de celui qui a une possession (d'état d'enfant légitime) conforme à son titre de naissance ». Cette fin de non-recevoir ne produit pas les effets auxquels on pourrait s'attendre du fait que l'article 312, alinéa 2, du Code civil énonce que le mari « pourra désavouer l'enfant en justice, s'il justifie de faits propres à démontrer qu'il ne peut pas en être le père », il s’agissait donc d’une preuve qui n'est pas réglementée et qui peut être faite par tous moyens. Ainsi, la présomption de paternité peut non seulement être combattue par la preuve contraire, librement rapportée par tous moyens, mais le juge dispose également de la faculté de faire éclater, au besoin d'office, la vérité biologique.

L'article 16-11 du Code Civil, introduit par la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994, est venu réglementer le recours aux tests de paternité. Ceux-ci ne peuvent être effectués que dans le cadre d'une action en justice en établissement ou contestation de la filiation ou à l'obtention ou à la suppression de subsides. Il en résulte que le fait de réaliser un test de paternité à titre purement privé est illégal et peut être réprimé, d’après l'article 226-28 du Code pénal, d’un an d'emprisonnement ou 15 000 € d'amende. Dans le cadre de ces actions en justice, il appartient au juge d'apprécier l'opportunité du recours à un test de paternité. Lorsque l'autorisation judiciaire est obtenue, l'article 16-11 alinéa 2 du Code civil prévoit que le consentement des personnes concernées doit être préalablement et expressément recueilli. Le juge pourra tirer les conséquences d'un refus de se soumettre à un test de paternité. Par ailleurs, l'article 16-12 du Code civil précise que seules sont habilitées à procéder à des identifications par empreintes génétiques les personnes ayant fait l'objet d'un agrément dans les conditions fixées par le décret n° 97-109 du 6 février 1997 et inscrites sur une liste d'experts judiciaires.

Le droit français est donc plus rigoureux que le droit allemand en constatant que la réalisation d’un test de paternité sans le consentement de l’enfant ou la mère n’est pas seulement inutile dans l’optique de l’utiliser en tant que preuve devant un tribunal mais constitue aussi une infraction pénale.

Le droit du père de connaître la filiation contre les droits fondamentaux de la mère et le droit de l’autodétermination informationnelle de l’enfant

La Cour constitutionnelle allemande a confirmé, dans sa décision du 13 février 2007, la décision de la Cour de cassation allemande, le Bundesgerichtshof, du 12 janvier 2005 (X II ZR 227/03, aussi dans : NJW 2005, page 497) dans laquelle les juges ont constaté que les « tests de paternité clandestins », sans consentement de la mère ou l’enfant, n’ont pas de valeur probante devant les tribunaux. En l’espèce, une action en désaveu de paternité soutenue par un test de paternité obtenu sans le consentement de la mère ou l’enfant est restée sans succès dans toutes instances. Le BGH a rejeté la demande d’un père en se fondant sur le fait que l’examen du matériel génétique d’une autre personne sans le consentement de celle-ci se heurte au droit fondamental à l’autodétermination informationnelle établi par l’article 2 alinéa 1 du GG et sera donc illicite. Ce droit fondamental de l’enfant doit être plus protégé que le droit du père d’obtenir la certitude de sa paternité biologique. Dans un procès civil, le résultat d’un test de paternité clandestin ne peut pas être utilisé en tant que moyen de preuve. De même, la mère doit être protégée contre les atteintes portées au matériel biologique de son enfant. Il fait partie de l’autorité parentale de décider si quelqu’un pourra prélever et analyser le matériel biologique de l’enfant. Dans la suite du procès, le père a soutenu être lésé dans son droit fondamental de la personnalité humaine, protégé par l’article 2 alinéa 1 du GG. Le Bundesverfassungsgericht a ainsi statué que le droit fondamental de la personnalité humaine comporte le droit du père d’acquérir connaissance de la filiation et le droit à la réalisation de ce droit. La Cour a donc constaté que le législateur s’est abstenu de créer un système par lequel le père pourra tenter une action an justice pour se voir reconnaître ou non le père d’un enfant. La procédure réglée dans les § 1599 et suivants du BGB ne sera donc pas un système qui tient compte du désir des pères de voir reconnaître leur paternité, car ce système met fin immédiatement à la paternité juridique si l’enfant en question n’est pas l’enfant du demandeur. Donc ce système ne permet pas aux pères d’obtenir certitude de leur paternité sans risquer des conséquences juridiques.

Le Bundesverfassungsgericht a ainsi demandé au législateur d’instaurer jusqu’au 31 mars 2008 un système qui respecte les intérêts des parties concernant la filiation sociale et familiale sans risquer la rupture de tout lien juridique entre les parties.

Le consentement à l’expertise biologique

En France, en 2000, la Cour de cassation (Cass. Civ. I, 28 mars 2000) a affirmé que « l'expertise est de droit en matière de filiation, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder ». Ce principe a été confirmé dernièrement dans un arrêt rendu le 6 mars 2007 (Cass. Civ. I, 6 mars 2007). Les arrêts ultérieurs ont précisé la nature de ce motif légitime. Il peut s'agir d'éléments suffisants en eux-mêmes pour établir la paternité (Cass. Civ. I 24 septembre 2002; Cass. Civ. I, 6 mai 2003; Cass. Civ. I, 25 octobre 2005). Lorsque l'expertise rend nécessaire un prélèvement, l'exigence du consentement résulte de la protection de l'intégrité du corps humain et de l'article 16-3 du Code civil et l’article du 2 alinéa 1 et l’article 1 alinéa 1 du GG. Contrairement au droit allemand, en France il est impossible d'utiliser l’astreinte afin de contraindre un individu à subir une atteinte à son intégrité physique. Cependant les expertises génétiques pourraient aussi être réalisées à partir de produits ou éléments du corps humain détachés de la personne.

En droit allemand, la ZPO (Zivilprozeßordnung, Code de procédure civile) prévoit qu’une expertise biologique de filiation est, comme en France, une preuve par un expert judiciaire. D’après le § 372 a alinéa 1 ZPO il y a une obligation de tolérer telles expertises. Si la personne se refuse à l’expertise à plusieurs reprises, le juge pourra, d’après le § 372 a alinéa 2 ZPO, ordonner une exécution forcée.

En France, en matière civile, le consentement de la personne doit être « préalablement et expressément recueilli » (article 16-11 alinéa 2 Code civil), quand bien même l'analyse génétique se ferait sans atteinte à l'intégrité physique. Toutefois, l'article 11 du Nouveau Code de procédure civile permet de tirer toutes les conséquences d'une abstention ou d'un refus, y compris en donnant raison à l'adversaire, le refus équivalant alors à un aveu de la part de l'auteur du refus (Cass. Civ. I, 30 juin 2004). Les juges sont souverains dans cette appréciation et peuvent estimer que le refus est légitime (Cass. Civ. I, 16 juin 1998).

Conclusion

En France, l'expertise est de droit en matière de filiation, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder. Toute analyse de sang ou de l’ADN hors le cadre judiciaire, sans ordonnance du juge est prohibée et constitue même une infraction pénale. Dans le droit allemand le test de paternité sans le consentement de la mère ou l’enfant n’est pas prohibé. Même si le ministère de Justice a proclamé après la décision du Bundesgerichtshof qu’il va prohiber les tests de paternité dans la prochaine loi concernant la diagnostic génétique et ceci a été suivi par un grand débat dans la presse juridique et médicale. Le gouvernement bavarois a proposé l’instauration d’un système simplifié qui prévoit un droit du père concernant la constatation de sa paternité contre la mère. Si la mère s’oppose au consentement exigé pour l’expertise biologique, le père pourra tenter une action en justice. Le débat reste à suivre jusqu’en mars 2008, car avant cette date butoir, le législateur doit avoir reformé le système des actions en désaveu de paternité et instauré un système de constatation de paternité permettant au père de ne pas risquer d’autres suites juridiques à son action. En France comme en Allemagne, le test de paternité obtenu en contournement du consentement de la mère n’a ni de force probante dans le procès judiciaire. Il ne constitue pas non plus le fameux indice qui doit être préalablement rapporté pour ouvrir l’action en désaveu de paternité en Allemagne. Pour évaluer le système des actions en constatation ou contestation de paternité, le système français est, en ce qui concerne le droit de la preuve, plus rigoureux mais aussi plus clair. Peut être, le législateur allemand regardera-t-il à l’autre côté du Rhin avant de rédiger des nouvelles lois ?

Bibliographie

I. Autres commentaires de la décision du Bundesverfassungsgericht, la Cour constitutionnelle fédérale allemande, rendu le 13 février 2007 et de la problématique de la force probante des tests de paternité clandestins :

  • NJW 2007 , N° 11, page 753 : Verfahren zur Feststellung der Vaterschaft – Heimlicher Vaterschaftstest (décision de la Cour constitutionnelle fédérale allemande, rendu le 13 février 2007)
  • NJW-Spezial 2006, N° 9, page 391 : Feststellung und Anfechtung der Vaterschaft par Julia Dötsch
  • FPR 2005, N° 5, page 177 : Vaterschaft durch Anerkennung und Feststellung par Karlheinz Muscheler
  • FPR 2005, N° 5, page 200 : Väterrechte vor dem Europäischen Gerichtshof für Menschenrechte par Christoph Brückner
  • Münchner Kommentar zum BGB Ergänzungsband, 4ème édition 2004, N° 17a -24 Verwertbarkeit heimlicher Vaterschaftstests im Anfechtungsverfahren (auteur: Wellenhofer)
  • Münchner Kommentar zum BGB , 4ème édition 2002, sous § 1674 , N° 10-15 : Klagebefugnisse des nichtehelichen Vaters gegen die Mutter (auteur: Finger)

II. Commentaires sur la problématique de la force probante des tests de paternité clandestins en France :

  • Etude sur le thème : « Empreintes génétiques et filiation », par Frédérique Dreifuss-Netter, mise à jour le 20 janvier 2005.
  • Droit & Patrimoine 2003, N° 102, Dossier: Le secret. Secret, personnes et famille – Le secret des origines par Laurent Leveneur