La lutte contre les discriminations aux Etats-Unis
I. Les sources juridiques de lutte contre les discriminations
Les principales sources textuelles de lutte contre les discriminations aux Etats-Unis sont de nature constitutionnelle et législative. En effet, le quatorzième amendement de la Constitution américaine est d’une importance particulière en ce qu’il contient la “Equal Protection Clause”, clause garantissant l’égale protection de la loi à toute personne habitant sur le territoire américain. Cette clause dispose qu’aucun Etat ne peut refuser à qui que ce soit l’égale protection de la loi (“No state shall deny the equal protection of the law to any person within its jurisdiction”[1]).
Les droits civiques sont également protégés par le quinzième amendement garantissant le droit de vote des citoyens et le dix-neuvième amendement qui précise que ce droit ne peut être ni restreint ni refusé à une personne en raison de son sexe par le gouvernement fédéral ou par un Etat[2].
De plus, la loi fédérale sur les droits civiques de 1866 est venue confirmer le principe constitutionnel d’égale protection de la loi. En effet, le Civil Rights Act (La loi sur les droits civiques) promulguée en 1866 est la première loi fédérale visant à protéger les droits des Noirs américains à la suite de la Guerre Civile. Cette loi rédigée dans un langage similaire à celui de la Equal Protection Clause[3], prévoit la protection de toute personne devant la loi sans distinction de race ou de couleur (“Reasonable protection to all persons in their constitutional rights of equality before the law, without distinction of race or color, or previous condition of slavery or involuntary servitude, except as a punishment for crime, where of the party shall have been duly convicted”[4]).
Si par la suite la législation anti discrimination a tardé à se développer à partir des années 1960, de nombreuses mesures condamnant la discrimination ont été adoptées dans les domaines du logement, de l’éducation, de l’emploi et du droit de vote. En effet, le Civil Rights Act de 1964 a marqué un tournant dans la série de tentatives de législation en vue d’améliorer la qualité de vie des noirs américains et autres minorités; notamment en interdisant les discriminations et la ségrégation dans les lieux publics et dans les établissements d’enseignement public. Il interdit également «l’exclusion des programmes bénéficiant d’un soutien de l’Etat, d’une personne en raison de sa race, couleur ou origine nationale»[5]. Enfin, le titre VII de la loi fédérale sur les droits civiques de 1964 fait de l’égalité d’accès à l’emploi, un droit pour les minorités raciales et ethniques, pour les personnes n’étant pas nées sur le sol américain, les personnes de toutes croyances et pour les femmes[6]. Il promeut ainsi l’égalité d’accès à l’emploi et prohibe les discriminations raciales, celles fondées sur le sexe, l’appartenance religieuse et l’origine nationale dans le cadre de l’emploi.
Ainsi, le Civil Rights Act 1964 et l’Equal protection clause apparaissent comme les piliers de la construction du droit en matière de lutte contre les discriminations aux Etats-Unis[7].
Concernant l’accès à l’éducation, l’Equal Opportunities Act 1974 interdit la discrimination fondée sur l’ethnie, la couleur ou l’origine nationale. Le Higher Education Act 2008 porte la même interdiction dans des études supérieures.
De plus, au niveau étatique, le législateur a également promulgué des lois interdisant la discrimination raciale en particulier à l’embauche et dans le cadre du travail.
Les Etats-Unis sont également signataires de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discriminations raciales entrées en vigueur le 4 janvier 1969 et y ont adhéré en 1994.
II. Les institutions de lutte contre les discriminations
a) L’Equal Employment Opportunity Commission (EEOC)
L'Equal Employment Opportunity Commission (EEOC) créée par le Civil Rights Act 1964 est responsable de l'application de la législation fédérale en matière de discrimination à l'embauche et dans le cadre du travail. En effet, ces lois rendent illégales toute forme de discrimination en raison de la race, la couleur, les croyances, le sexe (y compris en cas de grossesse), l'origine nationale, l'âge (40 ans ou plus), le handicap ou l'information génétique d’un demandeur d'emploi ou d’un employé[8]. La Commission se charge également de coordonner les actions du gouvernement en vue d’éliminer les pratiques discriminatoires sur le lieu de travail. L’EEOC est habilité à enquêter sur le bien fondé des allégations de discrimination à l’encontre des employeurs visés par la loi[9]. Si une discrimination est constatée, l’EEOC tentera de régler l’affaire à l’amiable. Cependant si le règlement à l’amiable s’avère impossible, elle pourra déposer plainte contre l’employeur afin de protéger les droits des individus et les intérêts du public. De plus, l’EEOC travaille sur le terrain de la prévention à travers des programmes de sensibilisation et d'éducation et fournit des directives aux agences fédérales[10].
b) Le ministère de la justice
Il existe également une division du ministère de la justice consacrée à la protection des droits civiques. En effet, la Civil Rights Division of the Department of Justice instituée en 1957 par le Civil Rights Act de 1957, a pour mission de faire respecter les droits civiques et constitutionnels de tous les américains en particulier des « groupes les plus vulnérables de notre société »[11]. Cette division assure également l’application des lois fédérales interdisant les discriminations fondées sur la race, la couleur, le sexe, le handicap, les croyances, le statut familial et l’origine nationale.
c) Le secteur associatif
Il existe aussi plusieurs institutions associatives de lutte contre la discrimination.
La National Association for the Advancement of Colored People (NAACP) est une organisation de défense des droits civiques des noirs-américains fondée en 1905 par W.E.B Dubois. Elle est l’une des plus influentes et plus anciennes associations de lutte contre les discriminations. Sa mission est «d'assurer l'égalité politique, éducative, sociale, économique des droits de toutes les personnes et à éliminer la haine raciale et la discrimination raciale».[12]
La League of United Latin American Citizens (LULAC) créée en 1929 avait à l’origine axé son action sur l’éducation, les droits civiques, et l’accès à l’emploi des populations hispaniques dans le but de faciliter leur responsabilisation sociale[13]. LULAC défend l’accès à l'emploi pour tous et s’oppose à toute forme de discrimination dans le milieu du travail. De plus, elle soutient les mesures de discrimination positive (affirmative action) mises en place par les employeurs afin de promouvoir cette cause.
III. Le rôle des juges et la charge de la preuve
a) Le pouvoir des juges
Le droit américain étant un système de Common Law la jurisprudence constitue une source de droit que les juges, liés par les décisions antérieures, sont tenus d’appliquer. En effet leur interprétation, des lois promulguées par le Congrès (les statutes), de la Constitution et des traités, constitue des sources de droit à part entière. De ce fait les juges jouent un rôle primordial dans la lutte contre les discriminations. La célèbre décision Brown v. Board of Education illustre ceci. Dans cette affaire, la Cour Suprême des Etats-Unis a jugé que la loi étatique qui institutionnalisait la discrimination raciale dans l’enseignement supérieur (établissements scolaires séparés pour élèves blancs et noirs) était inconstitutionnelle. Cette décision a été le point de départ d’un effort soutenu de la Cour Suprême en vue de fournir une protection contre la discrimination raciale et la ségrégation[14].
b) Le régime de la preuve
En matière de discrimination dans le cadre du travail, le titre VII du Civil Rights Act prévoit qu’il appartient à la personne alléguant l’existence d’une discrimination, de prouver qu’elle était qualifiée pour l’emploi en question, qu’elle faisait partie d’une catégorie protégée par la loi, qu’elle a subit la perte d’un avantage (n’a pas obtenu l’emploi recherché, n’a pas obtenu une promotion, une augmentation ou a été renvoyée en raison de son sexe, sa couleur, ses origines ou son appartenance religieuse). De plus il est nécessaire de prouver que la personne ayant obtenu l’avantage recherché ne faisait pas partie de la même catégorie protégée que le demandeur. [15]
Cependant la jurisprudence peut aussi rendre plus difficile pour les demandeurs d’apporter la preuve de l’intention discriminatoire de leur employeur. En effet, la décision Vance v. Balle State University rendue en juin 2013, dans laquelle une employée noire-américaine accusait son supérieur de harcèlement racial, la Cour suprême a d’abord relevé que la personne accusée était un collègue et non un supérieur. Il s’agit d’une distinction importante en matière de preuve car la charge de celle-ci pour le demandeur est plus lourde dans ce cas)[16]. Dans cette affaire, les juges ont ensuite rejeté à la majorité la définition de “supérieur” proposée par la Equal Employment Opportunity Commission selon laquelle un supérieur serait une personne habilitée à prendre des décisions concrètes en matière d’emploi (“tangible employment actions”) ou autorisée à orienter les tâches quotidiennes de l'employé[17]. Au regard des décisions antérieures de la Cour suprême en matière de harcèlement racial ou sexuel, la charge de la preuve était moins lourde pour les demandeurs lorsque le harcèlement était commis par un supérieur plutôt qu’un collègue[18].
IV. La notion de discrimination indirecte
Le concept de discrimination indirecte a une histoire longue et controversée aux Etats-Unis. Egalement appelé “adverse” ou “disparate impact”, ce concept introduit après le passage du Civil Rights Act 1964, se manifeste par une mesure n’ayant en apparence aucune intention discriminatoire mais ayant pour effet de désavantager un groupe de personnes définies par leur race ou leur sexe.[19]
Cette théorie a joué un rôle particulièrement important dans la lutte contre la discrimination à l’embauche. La Cour Suprême s’est penchée sur cette question dans l’affaire Griggs v. Duke Power Company. Dans cette affaire, la société Duke Power Company située en Caroline du Nord exigeait que certains de ses employées soient diplômés du lycée et passent un test écrit afin d’obtenir un poste dans l’entreprise. La Caroline du Nord étant marqué par la ségrégation et le manque d’accès à l’éducation pour les populations noires, les candidats noirs ne pouvant justifié d’un diplôme d’éducation secondaire étaient de ce fait inéligibles aux postes recherchés au sein de l’entreprise. Les demandeurs ont fondé leur action sur l’effet discriminatoire de cette pratique. La Cour Suprême l’a alors jugé contraire au titre VII du Civil Rights Act 1964 en ce qu’elle constituait, par ses effets défavorables; une discrimination indirecte.[20]
A partir des années 1980, la Cour Suprême s’est montrée réticente voire hostile à la notion de discrimination indirecte comme le montre une série de décisions limitant la portée des actions pour discrimination indirecte. C’est en particulier le cas de l’affaire Wards Cove Packing Co. v. Antonio dans laquelle la Cour Suprême, en permettant aux entreprises de justifier ces pratiques (aux effets défavorables)[21], a rendu plus difficile d’apporter la preuve d’une allégation de discrimination indirecte.[22]
Aujourd’hui le Civil Rights Act 1991 gouverne le régime des discriminations indirectes et rejette la décision Wards Cove Packing v. Antonio. Selon la loi fédérale de 1991, afin de prouver une allégation de discrimination indirecte, il est nécessaire de démontrer qu’une pratique particulière a eu un effet défavorable envers un groupe protégé (« protected group »)[23].C’est le cas en matière d’embauche où il n’est pas nécessaire de dénoncer le processus d’embauche en entier ; il suffit d’isoler une pratique de l’employeur tels que les tests écrits à l’embauche ayant un effet défavorable sur certains groupes protégés.
La notion de discrimination indirecte a donc joué un rôle limité mais important en particulier dans la lutte contre la discrimination à l’embauche en retenant la responsabilité des employeurs sans qu’il soit nécessaire de prouver leur intention de discriminer. Cette théorie a permis de contrer certaines pratiques affectant les femmes et les minorités.
V. Les discriminations positives (affirmative action)
L’affirmative Action a pour but de garantir la représentation des groupes auparavant sous-représentés comme les femmes ou les minorités ethniques[24]. Utilisée dans les années 1960 de manière soit obligatoire, soit volontaire, cette pratique est toujours permise aujourd’hui mais elle est contestée devant les tribunaux.
L’affaire Regents of the University of California v. Bakke permet d’en illustrer l’application par la Cour Suprême. En effet, la Cour Suprême a déclaré que la loi fédérale et le quatorzième amendement n’interdisaient pas les considérations raciales pour l’admission à l’université lorsque celles-ci se présentaient sous la forme de « préférence raciale »[25] et de quotas ayant pour but de remédier à un passé discriminatoire. En effet, les juges de la cour suprême ont estimé que « l’objectif de remédier aux discriminations passées était bien un intérêt public suffisamment important pour justifier l’usage de critères “raciaux” dans le processus d’admission » à l’université[26].
De même, en 1996, l’affaire Hopwook v. State of Texas a montré l’effet correctif attendu de l’affirmative action. Dans cette affaire, la cour a considéré que la double procédure d’admission avec d’un côté les étudiants appartenant à une minorité ethnique et de l’autre les étudiants blancs était justifiée par l’objectif « d’obtenir les bénéfices pédagogiques d’un corps étudiant d’origine raciale diverse »[27].
Bibliographie
Hellman et Moreau, Philosophical foundations of discrimination law, (Oxford, United Kingdom: Oxford University Press 2013)
Johann Morri, « Coursuprême des Etats-Unis : Fin de partie pour la discrimination positive à l’Université ? » [PDF] in Lettre « ActualitésDroits-Libertés » du CREDOF, 27 octobre 2012.
T.Naamat, N.OsinetD.Porat, Legislating for Equality – A multinational Collection of Non-Discrimination Norms. Volume II: Americas, (Martinus NIJHOFF publishers. Tel Aviv University 2012).Chapitre 36. United-States.
T. Loenenet P. R. Rodrigues, Non discrimination law: Comparative perspectives, (Martinus Nijhoff publishers 1999). Dans les chapitres: Adverse impact, Indirect discrimination: a perspective from the United-States p. 213; et Affirmative action in comparative perspective: India and the United-States p. 249.
B. H. Alligood, J.D, Proof of Racial Discrimination in Employment Promotion Decisions Under Title VII of the Civil Rights Act of 1964 48 Am. Jur. Proof of Facts 3d 75 (publié en 1998, base de données mise à jour en 2014)
C. McCrudden, Anti-discrimination law, (The International Library of Essays in law and legal theory 1991). Propos introductifs.
Sites internet:
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http://www.era-comm.eu/oldoku/Adiskri/03_Burden_of_proof/2008_Oppenheimer_EN.pdf
http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i2925-tI.asp
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http://www.ieim.uqam.ca/IMG/pdf/chro_CruzHerrera_07-07.pdf
http://www.archives.gov/education/lessons/civil-rights-act/
http://www.civilrights.org/resources/civilrights101/affirmaction.html
http://law.justia.com/constitution/us/amendment-14/102-enforcement.html
http://www.naacpldf.org/case/griggs-v-duke-power-co
http://www.nytimes.com/2013/06/25/business/supreme-court-raises-bar-to-p...
[1]Amendement XIV de la Constitution américaine
[2]Extraits de la Constitionamericaine in T.Naamat, N.OsinetD.Porat, Legislating for Equality – A multinational Collection of Non-Discrimination Norms. Volume II: Americas, (Martinus NIJHOFF publishers. Tel Aviv University 2012) Chapitre 36. United-States.
[3]C. McCrudden, Anti-discrimination law, (The International Library of Essays in law and legal theory 1991) in Propos introductifs.
[4]Extrait duCivil Rights Act 1866.
[5]Civil rights Act 1964
[6]C. McCrudden, Anti-discrimination law, (The International Library of Essays in law and legal theory 1991) in Propos introductifs.
[7]Ibid.
[8]Site internet de la U.S Equal Employment Opportunity Commission http://www.eeoc.gov/federal/coordination.cfm
[9]Le titre VII ne vise que les entreprises de plus de quinze salariés.
[10]Site internet de la U.S Equal Employment Opportunity Commission http://www.eeoc.gov/federal/coordination.cfm
[11]Site internet du ministère de la Justice, Civil rights Division in http://www.justice.gov/crt/
[12]NAACP - Our Mission, 2008-09-05
[13]Site internet de la League of United Latin American Citizens in http://lulac.org/about/
[14]Brown v. Board of Education of Topeka, 347 U.S. 483 (1954)
[15]Title VII Civil Rights act 1964 II. Elements of Proof § 30. Proof of discrimination in promotion; Checklist in Brian H. Alligood, J.DProof of Racial Discrimination in Employment Promotion Decisions Under Title VII of the Civil Rights Act of 196448 Am. Jur. Proof of Facts 3d 75 (publiée en 1998 et mis à jour en 2014)
[16]S. Greenhouse, Supreme Court Raises Bar to Prove Job Discrimination, (The New York Times, 24 juin 2013)
[17]Ibid.
[18]Ibid.
[19]T. Loenenet P. R. Rodrigues, Non discrimination law: Comparative perspectives, (Martinus Nijhoff publishers 1999). Dans le Chapitre “Adverse impact, Indirect discrimination: a perspective from the United-States”, p. 213
[20]Ibid.
[21]Le plus souvent par des motifs d’ordre économique.
[22]. Loenenet P. R. Rodrigues, Non discrimination law: Comparative perspectives, (Martinus Nijhoff publishers 1999). Dans le Chapitre “Adverse impact, Indirect discrimination: a perspective from the United-States”
[23]Ibid.
[24]T. Loenen et P. R. Rodrigues, Non discrimination law: Comparative perspectives, (Martinus Nijhoff publishers 1999) in Affirmative action in comparative perspective: India and the United-States, p.249
[25]Regents of the University of California v. Bakke, 438 U.S. 265, 98 S.Ct. 2733, 57 L.Ed.2d 750 (1978)
[26]Johann Morri, « Coursuprême des Etats-Unis: Fin de partie pour la discrimination positive à l’Université ? » in Lettre « ActualitésDroits-Libertés » du CREDOF, 27 octobre 2012.
[27]T. Loenen et P. R. Rodrigues, Non discrimination law: Comparative perspectives, (Martinus Nijhoff publishers 1999) in Affirmative action in comparative perspective: India and the United-States