La notification préalable en matière de contrôle des concentrations en droit communautaire, britannique et français par Anne-Sophie Dalet
Le droit de la concurrence est une matière particulière car relativement récente, surtout en ce qui concerne le contrôle des concentrations. Le droit communautaire a élaboré des règles en la matière en s’inspirant des régimes existants dans les Etats membres. Par la suite, les Etats membres ont modifié leurs régimes pour s’aligner sur le régime communautaire. Le fait que le Royaume-Uni n’ait pas rendu la notification obligatoire contrairement aux régimes communautaires et français pose des problèmes importants et les moyens mis en place par l’OFT pour contrebalancer cela sont intéressants à examiner.
Le droit de la concurrence en général recherche l’efficacité et essaie de s’adapter à la nécessité d’appréhender la globalisation des marchés ce qui conduit à un certain alignement des solutions (ce qui n’exclut bien évidemment pas l’existence de particularismes). Le droit communautaire a ainsi une grande influence sur le droit interne, et inversement. Par exemple, la réforme du règlement nº139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises a été inspirée par le système français en ce qu’une opération susceptible de diminuer la concurrence peut tout de même être autorisée sur le fondement d’un bilan économique positif. Par ailleurs, le droit français de la concurrence est très inspiré du droit communautaire et n’a conservé que quelques particularités. En revanche, le droit britannique de la concurrence met du temps à s’aligner sur le droit communautaire, notamment en matière de contrôle des concentrations. En effet, il reste pour plusieurs raisons réfractaire au droit communautaire : c’est un système de common law, le droit britannique est assez éloigné du droit des Etats membres continentaux en général, et donc le droit communautaire, qui essaie d’emprunter des solutions assez répandues, est souvent assez éloigné du droit britannique… (mise en conformité plus difficile car il faut aller contre la culture juridique britannique). Certaines solutions britanniques sont ainsi des aberrations : par exemple, il n’y a toujours pas de notification obligatoire des opérations de concentration en droit britannique ce qui pose de graves problèmes du point de vue de la mise en œuvre et du respect du droit de la concurrence.
Au sein de l’Union européenne (UE), le contrôle des concentrations est règlementé par le règlement nº139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises. Ce règlement a modifié le précédent (règlement nº4064/89 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises) qui était le premier à s’occuper du contrôle des concentrations. Toutes les opérations de concentrations (définition à l’Article 3 du règlement 139/2004) ayant une dimension communautaire (seuils à l’Article 1 du règlement 139/2004) doivent être notifiées à la Commission avant leur réalisation (Article 4(1) du règlement 139/2004). Il est possible de notifier un projet avant la conclusion de l’accord définitif (nouveauté du règlement 139/2004). En cas de défaut de notification, des sanctions pécuniaires peuvent être imposées par la Commission (Article 14(2) du règlement 139/2004). De plus, l’opération ne doit pas être réalisée tant que la Commission n’a pas donné son accord et ne l’a pas déclarée compatible avec le marché commun (Article 7(1) du règlement 139/2004), sous peine de risquer la séparation. Il est possible de prendre contact avec la Commission avant la notification. Ces contacts sont encouragés, en particulier parce qu’ils permettent de clarifier les éventuels problèmes qui se posent. Des avis informels peuvent aussi être demandés à la Commission à condition que les parties aient l’intention de réaliser l’opération sur laquelle elles demandent son avis et que suffisamment d’informations soient fournies à la Commission pour lui permettre d’évaluer correctement la situation.
La France a suivi l’exemple de l’UE en matière de contrôle des concentrations, en particulier en ce qui concerne la procédure. La France fait partie des pays qui avaient déjà un régime de contrôle des concentrations lorsque l’UE a adopté son premier règlement à ce sujet. En effet, l’ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence avait crée le Conseil de la concurrence et prévoyait une possibilité de notification des opérations de concentration au ministre chargé de l’économie : « tout projet de concentration ou toute concentration ne remontant pas à plus de trois mois peut être soumis au ministre chargé de l’économie par l’entreprise concernée » (Article L430-3 du Code de commerce de l’époque). Ensuite, après l’adoption du règlement communautaire 4064/89, la France a réformé son contrôle des concentrations pour s’aligner sur l’UE (loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques) et le rendre ainsi plus moderne et transparent : la notification est devenue obligatoire à partir du moment où les parties ont conclu un « accord irrévocable » (à partir du moment où les parties sont engagées irrévocablement), les seuils de compétence du droit français ont été modifiés de façon à ce qu’il soit plus facile pour les entreprises de déterminer si elles les atteignent ou non (ils sont désormais en chiffre d’affaire et non plus en parts de marché) et à ce que plus d’opérations soient soumises au contrôle (seuils plus bas). En revanche, le contrôle français demeure une prérogative ministérielle (le Conseil de la concurrence n’est saisi que pour avis, et encore pas tout le temps). Et depuis 2004 (loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit), la notification peut intervenir dès que les parties sont en mesure de présenter un « projet suffisamment abouti ». La rédaction de l’Article L430-3 est modifiée : « l’opération de concentration doit être notifiée au ministre chargé de l’économie avant sa réalisation ». Très récemment, la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie a crée l’Autorité de la concurrence pour remplacer le Conseil de la concurrence, le but étant de créer une autorité nationale de la concurrence indépendante et aux pouvoirs élargis de manière à ce que la France soit dotée d’un dispositif similaire à celui de ses principaux partenaires européens. Le mimétisme entre pays favorise l’harmonisation du droit au niveau communautaire, et même au niveau mondial. Ainsi, les pouvoirs qui étaient précédemment exercés par le ministre chargé de l’économie (pouvoir politique), ce qui était très critiqué et nuisait à la crédibilité des décisions françaises, le seront désormais par la nouvelle Autorité qui, étant indépendante du pouvoir politique, prendra de façon certaine ses décisions en fonction de l’atteinte au droit de la concurrence, et non pas en fonction de considérations politiques. La nouvelle autorité a beaucoup de pouvoirs (par exemple, capacité de déconcentration de l’Article L430-9 du Code de commerce), alors que le Conseil de la concurrence n’avait qu’un rôle facultatif. Actuellement, le Code de commerce prévoit notamment dans son Livre IV sur la concurrence, Titre III traitant de la concentration économique, qu’il est obligatoire pour des entreprises ayant un projet de concentration de notifier leur projet à la récemment créée Autorité de la concurrence : « L’opération de concentration doit être notifiée à l’Autorité de la concurrence avant sa réalisation. La notification peut intervenir dès lors que la ou les parties concernées sont en mesure de présenter un projet suffisamment abouti pour permettre l’instruction du dossier » (Article L430-3 du Code de commerce). Cette réforme a principalement eu pour objet de changer l’institution à laquelle la notification doit être faite. Les seuils de compétence du droit français sont déterminés dans l’Article L430-2 du Code de commerce (en chiffre d’affaire comme en droit communautaire), mais cet Article précise qu’en vertu du principe de subsidiarité, le droit français n’est compétent que si l’opération ne relève pas de la compétence communautaire, c’est-à-dire si l’opération n’entre pas dans le champ d’application du règlement 139/2004. De plus, comme en droit communautaire, toute demande de discussion préalable au dépôt formel de la notification est accueillie favorablement, et la réalisation effective de l’opération de concentration ne peut avoir lieu qu’après accord de l’Autorité de la concurrence (Article L430-4 du Code de commerce). En revanche, les sanctions en cas de défaut de notification sont un peu différentes : elles peuvent être pécuniaires, mais ce peut aussi être une injonction sous astreinte de notifier l’opération, à moins de revenir à la situation initiale (Article L430-8 du Code de commerce).
D’un autre côté, le Royaume-Uni (RU) est un exemple de pays n’ayant pas autant suivi l’exemple communautaire que la France : le RU avait aussi un contrôle des concentrations préexistant au règlement communautaire 4064/89 (la première loi de contrôle des concentrations date de 1965), dont il a préféré conserver certaines caractéristiques (dont la notification facultative). Le « Fair Trading Act » de 1973 donnait le pouvoir de décision au Secrétaire d’Etat, ce qui a donné lieu aux mêmes critiques qu’en France (des considérations politiques risquent d’entrer en ligne de compte). De ce fait, le « Competition Act » 1998 et l’« Enterprise Act » 2002 ont conservé le même régime mais ont modifié les institutions en charge du contrôle. Il est curieux de voir comme le RU peut faire de la résistance par rapport à la notification obligatoire, alors qu’il s’est doté d’une autorité nationale de concurrence indépendante et performante bien plus tôt que la France par exemple. En effet, il y a eu une importante modernisation du droit de la concurrence britannique en 1998 (« Competition Act ») lors de l’introduction du droit communautaire dans le système britannique. Cela a été un changement tellement radical dans la manière de traiter le droit de la concurrence (des lois fournissaient désormais une structure légale, alors qu’avant, le droit de la concurrence était un parfait exemple de la common law) qu’il a aussi fallu revoir les pouvoirs des institutions. De ce fait, l’OFT a été chargé d’appliquer le droit de la concurrence (suppression du rôle du Secrétaire d’Etat). Alors qu’en France, le système original étant beaucoup plus proche du système adopté en droit communautaire, des changements se sont fait peu à peu seulement (il n’y a pas eu besoin d’une grosse réforme). Depuis 2002, l’Office of Fair Trading (OFT) et la Competition Commission (CC) sont en charge du contrôle des concentrations, l’OFT étant en charge de la Phase I et le CC de l’éventuelle Phase II (deux phases comme en droit communautaire et français). L’Enterprise Act 2002 ne prévoit toujours pas d’obligation de notification (Section 96(1) de l’Enterprise Act 2002 ; « may ») et il n’a toujours pas été modifié à ce jour. Le fait que la notification soit facultative fait qu’une partie du contrôle se fait a posteriori (après que l’opération de concentration ait effectivement eu lieu). Cela a pour résultat que si l’opération est déclarée illégale, il faut obliger les entreprises à se dessaisir d’une partie de la concentration formée ou à revenir à la situation initiale, ce qui est très compliqué et a un coût important. Ainsi, cela pousse quelquefois l’OFT et la CC à approuver une opération de concentration qui pourtant pose des problèmes du point de vue du droit de la concurrence. Il est aberrant que la notification ne soit pas rendue tout simplement obligatoire : en effet, au lieu d’obliger les entreprises à notifier, l’OFT doit trouver des moyens pour les inciter à se soumettre volontairement à un contrôle et les dissuader d’essayer de passer au travers de ce contrôle. Ainsi, l’OFT doit rester très vigilante car elle dispose de la possibilité de se saisir seule et de renvoyer une affaire au CC dans les quatre mois après qu’un projet de concentration ait été rendu public, et elle a aussi pour devoir de renvoyer les concentrations ayant déjà eu lieu et causant ou pouvant causer une diminution significative d’une concurrence effective à la CC (Section 21(1) de l’Enterprise Act 2002). Evidemment, la plupart des concentrations qui sont renvoyées à la CC pour examen approfondi n’ont pas encore été réalisées, le problème étant que l’OFT peut hésiter à renvoyer une concentration ayant déjà eu lieu à la CC et la CC à la condamner si les problèmes qu’elles posent du point de vue du droit de la concurrence ne sont pas très graves : cela permet à des entreprises de ne pas notifier et ensuite de passer au travers d’un contrôle a posteriori car une déconcentration pose beaucoup de problèmes et a un coût très élevé donc les autorités n’osent pas sévir. Pour inciter les entreprises à notifier, l’OFT a publié des lignes directrices au moment de l’entrée en vigueur de l’Enterprise Act 2002 (« Mergers jurisdictional and procedural guidance ») qui ont par la suite été modifiées pour refléter les évolutions aussi bien au niveau britannique que communautaire, et même les travaux du Réseau international de la concurrence. Dans ces lignes directrices, l’OFT encourage les entreprises ayant pour projet des opérations de concentration qui semblent avoir un effet anticoncurrentiel à notifier : en effet, elle leur énumère les risques qu’elles courent à ne pas notifier, notamment du fait que l’OFT peut se saisir seule d’une opération de concentration qui lui semble causer une atteinte au droit de la concurrence. Evidemment, l’OFT voudrait arriver à ce que toutes les opérations contraires au droit de la concurrence soient sanctionnées, de manière à ce que les entreprises notifient plutôt que de se trouver plus tard devant le risque d’une séparation. L’OFT explique ainsi quand notifier et quelle forme donner à la notification (plusieurs formes sont possibles : une forme formelle et une autre informelle). Il est même possible de notifier une opération de concentration une fois qu’elle a été réalisée. Par ailleurs, l’OFT accepte depuis 2006 de donner des avis informels quand les parties ont l’intention de réaliser l’opération sur laquelle elles demandent son avis (même condition qu’en droit communautaire) et que cette opération semble courir le risque d’être renvoyée à la CC. Et il est également possible d’engager des discussions préalables à la notification pour essayer de faire en sorte qu’une fois notifiée, l’opération soit facilement acceptée. Ainsi, beaucoup d’entreprises dont l’opération de concentration peut poser des problèmes de concurrence préfèrent discuter et notifier, et obtenir l’accord des autorités avant de rendre la concentration effective car tout est fait pour que les risques de la notification soient moindres que les risques du manque de notification. Si l’opération n’a pas encore été réalisée, un renvoi à la CC a un effet suspensif : les entreprises sont obligées d’attendre la réponse des autorités de concurrence avant de rendre la concentration effective (Sections 77 et 78 de l’Enterprise Act 2002).
Les praticiens britanniques pensent que ce n’est qu’une question de temps avant que le RU ne modifie sa loi pour rendre la notification obligatoire, ce qui permettra de simplifier les choses, mais pour l’instant le contrôle des concentrations est toujours « volontaire ». Quelquefois cela pousse les autorités de concurrence à laisser une violation du droit de la concurrence impunie mais il faut avouer que ce système ne fonctionne pas si mal que cela grâce à la vigilance de l’OFT.
Le problème reste que différents systèmes de droit évoluent différemment : au sein de l’UE par exemple, chaque Etat a une culture juridique différente, et de ce fait s’adapte différemment aux normes communautaires, et plus ou moins rapidement. On ne peut ainsi pas s’attendre à une réelle harmonisation, mais plutôt à une convergence du droit : au cours du processus d’élaboration du droit communautaire, et ensuite de son interprétation et application, les différents systèmes interagissent, et de ce fait s’influencent mutuellement. Le contrôle des concentrations en est un bon exemple. Mais attention, c’est un cas particulier car il y a plus de différences entre les systèmes communautaires et britanniques dans cette matière que dans le reste du droit de la concurrence.
Bibliographie : - Règlement nº139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises - Règlement de la Commission n° 802/2004 du 7 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement nº139/2004 - The Law of Merger Control in the EC and the UK. Mark Furse. Hart Publishing, 2007. - Enterprise Act 2002 - Mergers - jurisdictional and procedural guidance. OFT - Lignes directrices de la DGCCRF - La deuxième partie de la loi « NRE » ou la réforme du droit français de la concurrence. Laurence Idot. JCP G n°36, 5 septembre 2001, I 343. - Le transfert du contrôle des concentrations á l’Autorité de concurrence. Christine Vilmart. Contrats Concurrence Consommation n°2, février 2009, alerte 10.