La nouvelle rédaction des causes et justifications des licenciements économiques aux articles 51 et 52 c) du Statut des Travailleurs, introduite par la Loi 35/2010.
La Loi 35/2010, du 17 septembre 2010 relative aux « mesures urgentes pour la réforme du marché du travail», modifie, dans un contexte de grave crise économique, les articles 51 et 52 c) du Statut des Travailleurs, permettant aux entreprises de réduire leurs effectifs en raison de causes « économiques, de production, techniques, ou organisationnelles. ».
A la lecture du Préambule de la Loi 35/2010, du 17 septembre 2010 relative aux « mesures urgentes pour la réforme du marché du travail», la réforme des licenciements pour motif économique pourrait sembler anecdotique car elle n’est pas énoncée comme un «objectif général ou structurel prioritaire»[1] de la réforme, dont la ligne directrice est de réduire la dualité du marché du travail, renforcer les instruments de flexibilité interne, protéger l’emploi existant et favoriser la création d’emploi. Elle s’avère pourtant importante puisqu’il s’agit, à travers une nouvelle rédaction des articles 51 et 52 c) du Statut des Travailleurs (ci-après, « ET »), de délimiter précisément les différentes causes «économiques, de production, techniques ou organisationnelles» pouvant, lorsque la viabilité économique des entreprises est menacée, constituer des motifs valables de réduction d’effectif. Paradoxalement, les licenciements économiques s’avèrent être des instruments clés dans les législations du travail française comme espagnole, permettant d’assurer une certaine stabilité de l’emploi puisque toute restructuration de l’entreprise économiquement justifiée a pour objectif avoué de permettre à l’entreprise de rester attractive et compétitive sur le marché, et donc, de préserver des emplois existants. L’idée des législateurs est que lorsqu’une entreprise subit des pertes, les restructurations doivent pouvoir être autorisées pour que de nouveaux emplois puissent être crées au sein au sein de celle-ci une fois les difficultés économiques surmontées. Accepter certains licenciements donc, plutôt que d’avoir à en déplorer bien d’autres.
Dès lors, les règles encadrant les restructurations d’entreprises se doivent d’être suffisamment précises pour permettre le cas échéant un contrôle particulièrement strict de la part du juge. La procédure de licenciement pour motif économique est prévue en France à l’article L 1233-3 du Code du travail dont les dispositions impératives seront analysées d’un point de vue comparatif avec celles établies aux l’article 51 ET et 52 c).
L’exposition des motifs de la Loi 35/2010 révèle que le législateur a estimé nécessaire «une nouvelle rédaction des causes de licenciement qui offre une plus grande sécurité tant pour les travailleurs et employeurs que pour les tribunaux dans leur tâche de contrôle judiciaire». Le législateur est parti du constat que certaines «déficiences» dans l’application des articles 51 et 52 c) ET amenaient le juge à qualifier bon nombre de licencient «d’abusifs» alors qu’ils étaient en réalité motivés par une cause économique réelle et sérieuse. Ainsi, l’ancienne rédaction des articles 51 et 52 c), de part une détermination plus qu’incertaine de ces causes, provoquait «une insécurité dans la qualification finale des licenciements dérivée de la complexité et de l’obscurité des causes de licenciements économiques[2]». Prenant le parti de consacrer l’abondante interprétation des tribunaux sur le sujet, le législateur souhaite éclaircir les causes de licenciement. Mais la nouvelle rédaction pose question: doit-elle être comprise comme assurant effectivement une meilleure interprétation et lisibilité des causes de licenciement ou doit-elle être interprétée comme réduisant l’exigence de motivation de ces causes par l’employeur? En effet, dans une volonté de renforcer la détermination des causes de licenciement, le législateur tente indirectement de parvenir à flexibiliser le marché du travail et ce dans une ligne générale: l’exigence de gravité des causes est réduite, entrainant un contrôle restreint du juge, et donc, l’augmentation de sa portée.
- La nouvelle régulation des causes économiques de licenciement.
La nouvelle rédaction de l’article 51 ET tel que modifié par la Loi 35/2010 est comparable à l’article 1233-3 C. trav. Les deux articles énoncent en substance que l’employeur doit pouvoir être en mesure de démontrer que le licenciement est justifié par des raisons d’ordre économique. Au delà d’un cadre légal présentant des similitudes, ces deux articles sont le fruit d’un travail d’interprétation des tribunaux, dont l’apport dans la délimitation de la notion de licenciement pour motif économique est certain.
En France, l’article 1233-3 C. trav. dispose que « constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques. » L’employeur peut ainsi invoquer des difficultés économiques pour justifier les licenciements, mais celles-ci doivent être suffisamment « réelles et sérieuses » (article L 1232-1 C. trav.) en ce qu’elles doivent revêtir une certaine gravité rendant impossible sans dommage pour l’entreprise la continuation du travail, et donc nécessaire le licenciement. Pour évaluer la nature économique, la Cour de cassation, qui a progressivement tracé les contours de la notion, opère une distinction entre la qualification du licenciement et sa légitimité. L’employeur doit ainsi apporter la preuve de la nature « économique » des difficultés de l’entreprise tout en justifiant la légitimité du licenciement, en arguant que la réduction d’effectif envisagée est nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise. Comme pour tout licenciement, le licenciement pour motif économique doit être suffisamment motivé. Le juge contrôle alors au cas par cas ces difficultés alléguées. Dès lors, de nombreuses décisions rendues par les juridictions ont permis d’apporter des éléments de réponse à diverses interrogations découlant naturellement de l’application de l’article 1233-3 C. trav. : la perte de l’unique client de l’entreprise, le fort endettement (Cass. soc. 26 janvier 2005) ou un déficit important (Cass. soc. 17 octobre 2006) constituent des causes réelles et sérieuses justifiant la mis en œuvre de cette procédure. A l’inverse, la perte d’un marché (Cass.soc 8 juin 2005), ou les difficultés d’un établissement du groupe (Cass.soc 26 octobre 2005) ne répondent pas à la qualification de motif économique. La cour de cassation a toutefois précisé que « le défaut de cause réelle et sérieuse de licenciement, n'enlève pas à celui-ci sa nature juridique de licenciement pour motif économique » (Cass. soc., 29 janvier 2003; Cass. soc., 8 juillet 2009).
Dans le même sens, les nouvelles dispositions de l’article 51 ET s’inspirent du travail effectué en amont par les tribunaux espagnols. L’article énonce «qu’il existe des causes économiques lorsque des résultats de l’entreprise se déduit une situation économique négative. […] L’entreprise devra apporter la preuve des résultats allégués et justifier que de ceux-ci se déduit le caractère raisonnable de la décision extinctrice pour préserver ou favoriser sa position compétitive sur le marché ». L’appréciation des causes objectives s’effectue au regard de la situation de l’entreprise, des pertes subies. L’appréciation de la situation économique négative de l’entreprise doit « se déduire de ses résultats ». A la lecture de l’article, on constate la volonté du législateur espagnol, à l’image de la position dégagée par la Cour de cassation, de distinguer les causes du licenciement et la justification de ce dernier. On parle d’appréciation du « caractère raisonnable » du licenciement. Selon les termes de l’article, le licenciement doit « contribuer à préserver ou favoriser la situation de compétitivité de l’entreprise sur le marché ». La position adoptée par le législateur espagnol n’est pas étonnante, puisque la nouvelle rédaction se contente simplement de petits ajustements qui, dans les faits, ne font que consacrer une position déjà bien établie du Tribunal Suprême en la matière comme l’indique le législateur dans le préambule de la loi 35/2010 «la modification intègre dans la loi l’interprétation que les tribunaux ont fait de la cause du licenciement pour cause objective dans l’accomplissement de leur tâche de contrôle judiciaire des décisions d’employeurs sur cette matière ». Le rôle du juge par l’interprétation extensive qu’il faisait de la loi se trouve ainsi mis en lumière en ce que de nombreuses questions découlant de l’application de cet article ont déjà reçu une réponse par les tribunaux. Toutefois, l’on peut craindre que le nouvel article 51 ET crée de nouvelles ruptures d’égalité dans la relation, déjà déséquilibrée, entre les employeurs et leurs salariés. En effet, si en France, le régime sur les licenciements se veut particulièrement protecteur de la situation des salariés dans l’entreprise depuis une jurisprudence constante de 1995, le licenciement pour motif économique n’étant recevable qu’à la condition qu’il n’ait pas pour dessein d’améliorer la compétitivité de l’entreprise, le nouveau cadre légal espagnol, lui, souligne clairement que le licenciement peut intervenir pour « favoriser la situation de compétitivité de l’entreprise sur le marché ». Il est en ce sens difficile d’adhérer à l’argumentation développée dans le préambule de la Loi 35/2010 tant le nouvel article 51 ET semble entrouvrir la porte à la facilitation des licenciements pour motif économique, ou du moins des causes le justifiant.
- Causes de « production, techniques ou organisationnelles ».
La loi 35/2010 modifie également la notion des causes de « production, techniques ou organisationnelles » justifiant un licenciement pour motif économique. On entend dès lors que surviennent des causes techniques, de production, et organisationnelles lorsque se produisent des changements, entre autres, « des moyens ou instruments de production » ; d’autre part « dans la demande des produits ou services que l’entreprise entend placer sur le marché »; et enfin, « dans les méthodes de travail du personnel ». Les différentes causes de licenciement intègrent désormais les interprétations déjà effectuées par la jurisprudence. Toutefois, le législateur semble pourtant s’efforcer de ne pas adopter une conception trop restrictive de la notion en définissant trop précisément ces causes, et laisse délibérément le soin à la jurisprudence d’interpréter quels « changements » seraient susceptibles de constituer des causes valables. L’énumération est volontairement non exhaustive (« entre autres[3] ») et ouverte. A cet effet, Salvador Del Rey Guanter[4] suppose que le législateur «entend répondre à la demande d’une meilleure précision des causes aux fins de réduire le caractère discrétionnaire dans leur contrôle judiciaire, […] mais n’a pas élaboré de catalogue fermé de situations ou circonstances ».
En France, pareille disposition peut être rapprochée des notions de « mutations technologiques» et de «réorganisation de l’entreprise» établies à l’article 1233-3 C. trav, et dont la jurisprudence a peu à peu délimité les contours. Le contrôle des réorganisations d’entreprise par le juge s’effectue tout au long de la procédure, et les motifs invoqués par l’employeur font l’objet d’un examen approfondi. Il est à ce stade de l’argumentaire, opportun de souligner que le juge français se montre plus sévère et pointilleux que son homologue espagnol à l’heure de contrôler ces motifs. Cette particularité se justifie par une jurisprudence déjà bien établie et dense, qui met en exergue une tradition française avouée dans laquelle le juge veille à assurer la majeure protection possible aux salariés. Les mutations technologiques peuvent constituer la cause d'un licenciement économique notamment lorsque le récent passage de l’entreprise à l’informatique (Cass.soc 17 mai 2006), ou l’achat de nouveaux matériels entraine ipso facto la nécessaire adaptation du personnel à de nouvelles méthodes de travail. La chambre sociale de la Cour de cassation a par ailleurs précisé dans un arrêt du 9 octobre 2002 qu’il n’était pas indispensable que l’entreprise soit dans une situation de difficultés économiques ou que sa compétitivité soit menacée pour que l’employeur prononce un licenciement valable. La réorganisation de l’entreprise constitue également un motif économique valable de licenciement lorsqu’elle s’avère nécessaire pour prévenir des difficultés économiques à venir (Cass.soc 11 janvier 2006, n° 04-46.201). Dans ce cas, la réorganisation doit avoir pour objectif de sauver un maximum d’emplois dans le futur. Il s’agit de «mettre à profit une situation financière saine pour adapter ses structures à l'évolution de son marché dans les meilleures conditions». L’employeur peut donc, en rapportant la preuve que la compétitivité de l’entreprise est menacée, invoquer des difficultés prévisibles.
La réforme introduite par la loi 35/2010 a modifié la rédaction de l’article 51.1 ET qui exige désormais l’existence d’une situation économique négative telle que l’existence de «pertes actuelles ou prévisibles, ou la diminution persistante du niveau des bénéfices». La référence à de telles pertes «prévisibles» qui s’alignent sur la position de la Cour Suprême est nouvelle. En effet, l’appréciation de la réalité de ces pertes était plus strictement encadrée, celles-ci devant être «continuelles» et «quantitatives» (TS 11 juin 2008, n°730/2007; TS 29 septembre 2008, n°1658/2007).
La France et l’Espagne exigent dès lors que la réorganisation de l’entreprise menant à un licenciement pour motif économique soit nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité, mais également impérative à la survie de l’entreprise à court terme. Toutefois, la législation du travail en Espagne s’avère plus laxiste, quand bien même elle exerce un fort contrôle de toute éventuelle restructuration et se veuille particulièrement exigeante sur les causes justifiant un licenciement pour motif économique. Avant la réforme du marché du travail espagnol, l’ancien article 52 c) ET conditionnait la légitimité du licenciement pour motif économique à l’existence de « difficultés » empêchant le bon fonctionnement de l’entreprise, lesquelles ne devaient pas nécessairement mettre en péril la viabilité économique de l’entreprise pour être reçues (STS 31 mai 2006). Les juges se contentaient de caractériser l’existence de difficultés objectivement appréciables au cas par cas. Avec la Loi 35/2010, la liberté du choix des motifs laissée à l’employeur est largement étendue puisque non seulement les licenciements pourront être prononcés sur la base de la survenance de difficultés représentant un danger réel pour la viabilité de l’entreprise ou empêchant le bon fonctionnement de celle-ci, mais également, tel que le souligne Felipe Soler Ferrer, pour simplement « améliorer la situation de l’entreprise en terme d’efficacité et de compétitivité ». La nouvelle norme est donc aujourd’hui plus flexible que la précédente. Elle exige dès lors d’apprécier se les licenciements amélioreront effectivement la compétitivité de l’entreprise.
Or en France, la législation du travail ne permet pas à l’employeur de prononcer des licenciements pour améliorer la compétitivité de l’entreprise, ne reconnaissant leur validité que pour préserver la dite compétitivité. La Cour de cassation énonce que « lorsqu’elle n’est pas liée à des difficultés économiques, une réorganisation ne peut constituer un motif économique que si elle est effectuée pour sauvegarder la compétitivité du secteur d’activité » (Cass. soc. 29 mai 2001 n°99-41.930) La jurisprudence a condamné en effet à plusieurs reprises des décisions de réductions d’effectif fondées sur une volonté réduction du coût du travail et des dépenses en vue de générer plus de profits. Une telle réorganisation ne constitue pas ainsi un motif réel et sérieux de licenciement.
Bibliographie:
- «La nueva regulación del despido por causas objetivas», Felipe SOLER FERRER, Magistrado de la Sala Social del Tribunal Superior de Justicia de Cataluña. Diario La Ley, Nº 7548, Sección Tribuna, 17 Ene. 2011, Año XXXII, Ref. D-18, Editorial LA LEY
- «El despido por causas empresariales en la Ley 35/2010: los nuevos artículos 51 y 52 c) del ET», Salvador del Rey Guanter. Relaciones Laborales, Nº 21, Sección Doctrina, Noviembre 2010, Año XXVI, tomo 2, Editorial LA LEY
- Article 51 du Statut des Travailleurs, rédaction selon la Loi 35/2010, du 17 septembre 2010 relative aux « mesures urgentes pour la réforme du marché du travail»
- Article 52 c) du Statut des Travailleurs, rédaction selon la Loi 35/2010, du 17 septembre 2010 relative aux « mesures urgentes pour la réforme du marché du travail»
- «El despido objetivo individual en la reforma del mercado de trabajo», José Ángel FOLGUERA CRESPO, Magistrado de lo Social. Diario La Ley, Nº 7488, Sección Tribuna, 14 Oct. 2010, Año XXXI, Ref. D-307, Editorial LA LEY
- «LAS INDEMNIZACIONES POR DESPIDO EN LA LEY 35/2010, DE 17 DE SEPTIEMBRE, DE MEDIDAS URGENTES PARA LA REFORMA DEL MERCADO DE TRABAJO», Alfonso González González, Magistrado de la Jurisdicción Social.
[1]Selon Salvador del Rey Guanter, dans sa note «Le licenciement économique dans la Loi 35/2010: les nouveaux articles 51 et 52 c) ET»
[2] Selon Felipe Soler Ferrer, juge de la chambre sociale du Tribunal Supérieur de Justice de Catalogne.
[3] Article 51.1 du Statut des Travailleurs
[4]Auteur et Président de l’Institut Mondial du Travail (Global Employment Institut)